Le général Flynn devient tendance


Par Philippe Grasset – Le 30 novembre 2015 – Source Dedefensa

On a beaucoup glosé sur les révélations du général à la retraite Michael Flynn, directeur de la DIA de 2012 à 2014, depuis son interview à Aljazeera et le silence assourdissant de la presse-Système qui a suivi. Ce qu’on relève aujourd’hui, et cela depuis l’attaque 11/13 à Paris, c’est sa présence de plus en plus affirmée dans des médias de la presse-Système de tendances différentes, voire de nationalités différentes. Pour notre part et sans préjuger d’autres interventions, nous l’avons retrouvé successivement sur Fox.News (la chaîne TV Murdoch, proche des pseudo-neocons) le 23 novembre et sur le site de l’hebdomadaire allemand Spiegel.online de centre-gauche hier. (Voir ci-dessous.)

Bien entendu, Flynn n’apporte aucune révélation significative par rapport à ce que nous en savons (il en avait déjà beaucoup dit sur Aljazeera), mais ce n’est pas là l’essentiel même s’il approfondit son propos et ne cesse de le durcir. Pour nous, la signification de ces apparitions est que cet officier général, qui est une sorte de whistleblower (“lanceur d’alerte” chez nous) d’un nouveau genre avec ses affirmations qui démolissent toute la politique US et du bloc BAO depuis l’attaque en Irak, devient désormais une “voix autorisée” dans la presse-Système, au cœur du Système. Il s’agit d’un affaiblissement du Système dans la pression inconsciente qu’il fait subir aux psychologies de ceux qui le servent, par rapport aux narratives officielles et à son déterminisme-narrativiste, entrant dans le processus général de décadence et d’effondrement qu’on observe aujourd’hui.

Tout cela n’exprime ni manœuvres, ni complots, ni choix politiques, puisqu’il s’agit d’une tendance générale dont ceux qui l’expriment, sans réelle mémoire des évènements ni aucune appréciation de leur signification, n’ont guère conscience. On ne peut même pas parler de changement d’opinion, de tournant du jugement puisqu’il n’y a ni opinion ni jugement, il faut en rester à ces affrontements de pressions extérieures sur les psychologies et constater l’affaiblissement du Système qui se fait nécessairement au profit de tout ce qui joue un rôle de type-antiSystème. Si vous voulez, la Russie tient aujourd’hui la Syrie et Flynn est beaucoup sollicité : ceci équivaut à cela en termes de Système versus antiSystème.

Fox.News a un segment d’une interview significative de plusieurs minutes, dont un texte du 23 novembre sur le site du réseau nous donne la substance : « Dans une interview exclusive lundi avec Megyn Kelly de Fox News sur Le dossier Kelly, l’ancien chef de la Defense Intelligence Agency a déclaré que la Maison Blanche ne pouvait pas dire qu’elle n’avait pas été prévenue de la menace croissante que posait ISIS dans la région. Le lieutenant-général Michael Flynn a déclaré que les informations que le président Obama avaient reçues du système national de renseignements sur ISIS étaient tout à fait justes, mais ne correspondait pas à la narrative de la Maison Blanche. C’est un cancer au cœur de la religion islamique, mais la Maison Blanche et le Président ne voulaient pas le dire,  a-t-il déclaré. »

Spiegel.Online a une assez longue interview sur son site, le 29 novembre, dont nous donnons un extrait, qui est la fin de l’interview totalement déconstructeur de la politique US depuis 9/11…

Spiegel.Online : En février 2004, vous aviez déjà mis la main sur Abou Bakr al-Baghdadi – il était emprisonné dans un camp militaire, mais il a été libéré plus tard par une commission militaire américaine qui l’a considéré comme inoffensif. Comment cette erreur fatale a-t-elle pu se produire ?

Flynn : On était trop bête. On n’a pas compris qui nous avions là entre nos mains. Lorsque le 11 septembre a eu lieu, l’émotion a repris le dessus, et notre réaction a été de demander : « D’où ces salauds viennent-ils ? Il faut aller les tuer. Il faut s’en débarrasser. » Au lieu de se demander pourquoi ils nous avaient attaqués, nous nous sommes demandé d’où ils venaient. Ensuite, nous avons adopté la mauvaise stratégie, nous avons marché dans la mauvaise direction.

Spiegel.Online : Les États-Unis ont envahi l’Irak, alors même que Saddam Hussein n’avait rien à voir avec le 11 septembre.

Flynn : Nous avons d’abord été en Afghanistan, où al-Qaida était basé. Puis nous sommes allés en Irak. Au lieu de nous demander ce qui avait provoqué le phénomène du terrorisme, nous nous sommes intéressés aux lieux. Il faut absolument tirer les leçons de tout ceci afin de ne pas refaire les mêmes erreurs. 

Spiegel.Online : État islamique ne serait pas où il en est maintenant, sans la chute de Bagdad. Regrettez-vous …

Flynn : … oui, absolument …

Spiegel.Online : … la guerre en Irak ? 

Flynn :  Ça a été une erreur catastrophique. Saddam Hussein était brutal, mais ça a été une erreur de l’éliminer purement et simplement. C’est la même chose pour Mouammar Kadhafi et la Libye, qui est maintenant un État failli. Ça a été une erreur stratégique d’aller en Irak. L’histoire jugera durement cette décision, et elle aura raison. 

Traduction des parties en anglais par Dominique Muselet

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Des troupes chinoises en Syrie…s’il le faut


Par Philippe Grasset – Le 25 septembre 2015 – Source: Dedefensa

Il y a des nouvelles selon lesquelles autour de 3 500 combattants ouïghours (Chinois musulmans) ont été rassemblés en Syrie par le Turkistan Islamic party (TIP), près de la frontière turque, sous l’égide des services de renseignement turcs, dans l’intention de les faire participer à la bataille des djihadistes contre Assad. C’est un aspect de plus de la politique à la fois erratique et extrémiste que la Turquie mène sous la direction d’un Erdogan de plus en plus coupé des réalités de son pays (la Turquie) et des conditions de désordre qui s’y répandent à cause des remous causés par la politique turque en Syrie et contre les Kurdes. La présence de ces Ouïghours a évidemment résonné comme un très grave signal d’alerte dans la direction chinoise, explique Christina Lin, experte de l’université John Hopkins, sur son blog de Times of Israel, le 20 septembre 2015.

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Mathieu 13:9 – Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende


Ahurissant : surdité en bande organisée ?

Oui ça existe ! 

À l’heure où nous publions ce texte, il n’y a pas une seule ligne dans la presse dominante sur l’intervention de Poutine hier à l’ONU 1


La prière de Poutine par Philippe Grasset

29 septembre 2015 – Je ne me souviens pas d’une occurrence semblable, dans la majestueuse et pompeuse Assemblée Générale des Nations-Unies réunie pour sa session annuelle, avec un chef d’État de la puissance de la Russie, s’adressant à l’assistance de ses pairs, de ses “partenaires” comme il dit, et l’on sait lesquels certes, et les apostrophant directement avec cette phrase pathétique, une question mais aussi une prière :

« Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ? »

C’était à la fois familier, tragique, désespéré, et presque comme un prière adressée à un Autre, – “Mon Dieu, ils ne savent pas ce qu’ils ont fait ni ce qu’ils font mais faites qu’ils finissent par le comprendre”. Une telle phrase n’a jamais résonné, dans de telles circonstances, dans l’immense salle de l’ONU, une telle phrase aussi courte résumant à la fois la catastrophe du monde, la folie de ceux qu’emportent l’ignorance, l’inculture et l’inconscience, les terribles perspectives qui se dessinent si rien de tout cela ne cesse.

J’ignore si quelqu’un, parmi les pairs et “partenaires” en question, a compris la force de la question, s’il y en a même qui ont écouté, et plus encore entendu le sens de la chose, s’il y a l’un ou l’autre qui ait consenti à sortir de son autisme. Je ne cacherai pas une seconde qu’il me semble qu’il y a bien peu de circonstances ou de constats qui invitent à l’optimisme à cet égard. Il n’empêche qu’avec cette question, le Russe a fixé un instant d’une vérité pleine d’angoisse, et  éclairé d’une lumière impitoyable la catastrophe qu’est notre époque. Ce n’est pas du génie politique ni du grand art oratoire, c’est simplement une prière ; et c’est effectivement à cela, – une prière dont on ne sait ce que le destin en fera, – que le sort du monde se trouve aujourd’hui à la fois réduit et confronté.

Philippe Grasset

Liens:

Texte intégral et en Français du discours de Vladimir Poutine

  1. Mais Obama, si, on en parle et puis non, définitivement non, ceci n’est pas un complot
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Les migrants, ou la dissolution

Par Philippe Grasset – Le 20 septembre 2015 – Source Dedefensa

Un des caractères les plus remarquables de ce qui tient lieu de “la politique” dans notre époque, c’est le caractère de la dissolution. Cela n’a rien pour étonner, ou disons plus précisément pour n’impliquer personne “pour m’étonner”, puisque ce caractère se trouve dans cette formule théorique dd&e qui tient un rôle très-fondamental dans le corpus intellectuel général sur lequel repose le site dedefensa.org : “dd&e” pour “déstructuration, dissolution & entropisation”.

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De la Chine à Assad, l’aventure c’est l’aventure


Un bloc militaire eurasien va-t-il prendre forme pour combattre l’Armée de la Conquête lancée contre la Syrie?


Par Philippe Grasset – le 17 juin 2015 – Source Dedefensa

Christina Lin

Pour une fois, attardons-nous à une prospective assez audacieuse, qui se formule avec le titre «Un bloc militaire eurasien va-t-il prendre forme pour combattre L’Armée de la Conquête lancée contre la Syrie ?». L’auteur(e) est une dame, Christina Lin, qui n’est ni une amatrice, ni une rêveuse impénitente. Elle est chercheuse à l’université SAIS-John Hopkins, au Centre des relations transatlantiques, après avoir été directrice de la politique chinoise au département de la Défense (Pentagone). Elle a publié un livre qui témoigne de son expertise chinoise qui lui est évidemment naturelle puisqu’elle est d’origine taïwanaise, La nouvelle Route de la soie : la stratégie de la Chine dans le grand Moyen-Orient. Sa spécialisation à cet égard porte sur l’évolution stratégique de la Chine, non pas dans le cadre asiatique/Pacifique mais à l’inverse, dans le cadre eurasien et par rapport au monde moyen-oriental ; donc l’évolution de l’Eurasie qui nous concerne directement, puisque la Russie y est partie prenante avec la question tchétchène, – la Russie qui est l’objet d’une crise fondamentale avec le bloc BAO à propos de l’Ukraine. Continuer la lecture

Trahison ou collaboration ?


The Saker

Le 2 mai 2015 – Source dedefensa.org

La chancelière allemande est-elle une bonne rente pour la CIA ?

A la suite de notre traduction d’un article de Russia Today intitulé Le renseignement officiel allemand espionne l’Europe au profit de la NSA, nous concluions par cette constatation : «[Cette information] nous apprend aussi qu’un acte que l’on pourrait légalement qualifier de haute trahison, par un service gouvernemental, ne fait absolument pas scandale dans la majorité politique, ni dans les médias où cette histoire incroyable de collaboration d’un service public allemand avec un État étranger, contre son propre gouvernement, est soigneusement étouffée». 

Philippe Grasset enfonce le clou avec cette excellente analyse sur le même sujet.

Le Saker Francophone

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Rafale : le mur du çon a été franchi


Le 13 avril 2015 – Source dedefensa.org

En un tout petit moins de deux mois, l’avion français Rafale de Dassault a enregistré deux commandes à l’exportation (24 de l’Égypte le 12 février, 36 de l’Inde le 10 avril), qui présentent plusieurs caractéristiques les rendant extrêmement singulières et formant un événement hors du commun. On évoque ici quelques points qui justifient le qualificatif de “singulière” et décrivent cet “événement hors du commun”.

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Débâcle US en Asie : le TTP après l’AIIB?


Par Philippe Grasset – Le 4 mars 2015 – Source dedefensa

Alors qu’ils sont en train d’essuyer à grand-peine les plaies et les plâtres consécutifs à l’énorme débâcle subie avec la banque d’investissement AIIB lancée par la Chine, les USA se trouvent devant la probabilité d’une nouvelle débâcle sur le même théâtre de l’Asie-Pacifique. Elle concerne le sort du grand traité de soi-disant “libre-échange” Trans-Pacific Treaty (TTP) qu’ils essaient d’imposer à l’ensemble Pacifique-Asie, – c’est-à-dire à un ensemble de pays dont la Chine est soigneusement exclue (l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle Zélande, le Pérou, Singapour, les USA et le Vietnam).

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Le journaliste russe qui croyait à la liberté

Par Philippe grasset – Le 25 mars 2015 – Source dedefensa.org

Radio Free Europe et Radio liberty censurent le journaliste russe qui croyait à la liberté

C’est une histoire exemplaire que celle d’Andrei Babitski, journaliste russe, libéral, anti-poutinien, face à son employeur depuis 1989, RFE/RL (Radio Free-Europe/Radio-Liberty), la puissante station de radio établie par les USA en Europe au début de la Guerre froide, pour émettre vers les pays communistes d’Europe de l’Est et l’URSS. RFE/RL s’est reconvertie à partir de 1989-1991, dans le sens voulu par la politique US selon la dynamique de la politique-Système. Babitski, lui, a suivi son penchant pour la démocratie et pour la liberté telles qu’il se les représente, et a pris au grand comptant la morale qu’on lui présentait. Il acquit une célébrité certaine par ses reportages sur la Tchétchénie, sur la Géorgie, sur les révolutions de couleur, chaque fois contre le pouvoir russe et bientôt contre Poutine. Emprisonné par les Russes puis par les Tchétchènes en 2000, il fut l’objet d’une intervention personnelle de la secrétaire d’État Madeleine Albright pour sa libération. Le destin commença à changer pour Babitski en mars 2014 avec la question de la Crimée, avec un article passé sur son blog, en russe, article anti-poutinien et extrêmement critique de la politique et de la situation officielles de la Russie comme à l’habitude, mais qui commençait tout de même par cette phrase : «Ceci n’est pas à propos de la Crimée, – sur cette question, je suis complètement d’accord avec la thèse centrale de Vladimir Poutine selon laquelle la Russie a le droit absolu de prendre la population de la péninsule sous sa protection.» Le reste suit jusqu’à la mise à pied de Babitski, en septembre 2014, parce qu’il avait mis en ligne une vidéo montrant quatre cadavres dont ceux de deux civils qui pouvaient sembler avoir été l’œuvre des milices ukrainiennes d’extrême-droite ou de l’armée ukrainienne.

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