Le 13 avril 2015 – Source dedefensa.org
En un tout petit moins de deux mois, l’avion français Rafale de Dassault a enregistré deux commandes à l’exportation (24 de l’Égypte le 12 février, 36 de l’Inde le 10 avril), qui présentent plusieurs caractéristiques les rendant extrêmement singulières et formant un événement hors du commun. On évoque ici quelques points qui justifient le qualificatif de “singulière” et décrivent cet “événement hors du commun”.
• D’abord, il y a l’évidence d’un avion de combat qui est offert à l’exportation depuis quasiment 1986, et formellement depuis 1987-1988 avec la Belgique, qui n’a obtenu jusqu’ici aucune commande, et qui en reçoit deux coup sur coup en un tout petit peu moins de deux mois. Le contraste entre ces “presque 30 ans sans commande” et ces “deux commandes en un tout petit peu moins de deux mois” est sans aucun doute singulier ; il s’agit du même avion de combat et aucun événement extraordinaire, dans tous les cas dans l’apparence de la présentation publique des choses, ne justifie cette soudaine précipitation. La banalité des commentaires convenus qu’on a pu lire dans la presse-Système et la presse spécialisée, comme dans les discours officiels, ne satisfait guère l’esprit.
• Un autre fait significatif est que les deux commandes ont été passées d’une façon précipitée et urgente, par les deux autorités politiques suprêmes des deux pays concernés, – le président égyptien El Sisi et le Premier ministre indien Modi eux-mêmes, chacun passant manifestement au-dessus des processus bureaucratiques. C’en est à ce point que plutôt qu’écrire “la France a vendu en deux mois le Rafale à l’Égypte et à l’Inde…”, il serait plus juste d’écrire qu’“en deux mois, l’Égypte et l’Inde ont commandé le Rafale à la France”. Il y a manifestement la même démarche politique chez les deux dirigeants, beaucoup plus que des longues négociations techniques accompagnées de démarches de marketing de la part du vendeur-solliciteur … (A cet égard, il faut donc absolument séparer la commande indienne de 36 avions des négociations qui ont lieu entre la France et l’Inde depuis 2012 pour l’acquisition de 126 Rafale. La décision de Modi rompt cette ligne de négociation et constitue un acte à part. Les négociations commencées en 2012 continuent de leur côté, cette fois sur un chiffre sans doute indéfini, puisqu’on tiendrait sans doute compte de la commande de 36. Cette commande de 36 est effectivement, d’un point de vue politique, un acte complètement différent des négociations engagées depuis 2012 et il faut donc la traiter à part, en parallèle avec la commande égyptienne.)
• Dans les deux cas, les acheteurs veulent des Rafale le plus vite possible, sans complication de coopération, de répartition de charges de travail, etc. C’est un achat typique dit, dans le jargon , commande “sur étagère”, réalisé extrêmement rapidement, en quelques petits mois. L’essentiel est l’acquisition et la disposition de l’avion aussi vite que possible. Par exemple, dans le cas égyptien, c’est Sisi lui-même qui a imposé la commande en octobre 2014, en demandant que les premiers exemplaires soient livrés cette année (2015), au point que certains avions devraient être prélevés sur les exemplaires sinon déjà produits dans tous les cas en voie de l’être, ceux-là destinés primitivement à l’Armée de l’Air française. Il semble que Modi demande des conditions similaires d’urgence, – mais lui ne pourrait recevoir ses premiers Rafale qu’au début 2016.
• Dans les deux cas, des arguments politiques et opérationnels sont avancés. Pour l’Égypte ce n’est pas tant que Sisi a besoin de Rafale pour des opérations aériennes urgentes, notamment contre les foyers hostiles qui se développent en Libye; le facteur est considéré, mais il est secondaire… La cause en est l’accélération du changement de politique extérieure de l’Égypte (distance prise avec l’alliance US), qui se concrétise parallèlement par un rapprochement stratégique de la Russie, lui aussi en pleine accélération (voir le 10 février 2015). Le cas indien concerne le vieillissement accéléré de la flotte aérienne militaire du pays qui compromet peut-être décisivement l’équilibre militaire avec les deux voisins les plus importants de l’Inde, le Pakistan et la Chine, alors que l’avion français a été jugé par les militaires indiens comme parfaitement adapté à certaines exigences opérationnelles, à côté des avions russes et des projets de coopération de l’Inde avec la Russie. Mais, finalement, peu importent ces raisons conjoncturelles et ces détails, qui peuvent être sujets à discussion. Ce qui importe, c’est bien l’urgence opérationnelle qui surgit comme un argument majeur dans les deux cas, un argument si important que les deux autorités suprêmes des deux pays ont pris l’affaire en main pour la conclure sans tarder.
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Note du Saker Francophone
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