Y aurait-il une once de vérité dans la propagande ethnique ukrainienne?

Par Le Saker original – Le 6 mars 2015 – Source thesaker.is 

Nous avons tous entendu la position nationaliste ukrainienne: il sont les véritables héritiers slaves des Rus’ de Kiev alors que les Russes modernes sont en réalité soit des Tatars soit des Finno-ougriens, ou Dieu sait quoi d’autre. Et il y a ensuite cette fameuse citation de Napoléon, je crois, qui a dit : « Grattez le Russe et vous trouverez le Tatar ».

Ce qui nous intéresse ici, c’est qu’il pourrait bien y avoir un peu de vérité là-dedans, et pas seulement un grain.

Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’un Tatar? Bon, à l’époque moderne, un Tatar est une catégorie bien définie, à la fois d’un point de vue historique et du point de vue moderne (voir la fiche Wikipédia Tatar). Le problème est ce qui manque à ces définitions, à savoir l’ancien usage de ce mot. Même de nos jours, les différentes personnes qualifiées de « Tatars » ont très peu en commun. Elles ont encore moins en commun avec les Mongols modernes. Donc pourquoi les livres russes parlent-ils d’un joug tatar-mongol? Qui étaient ces Tatars-Mongols, en réalité?

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Documents stratégiques ou:
il est interdit de penser

 

Par Dagmar Henn – Le 28 février 2015 – Source vineyardsaker.de

Cette fois, ils auraient attrapé Poutine les doigts dans le pot de confiture, jubilent les médias industriels allemands ces derniers jours; et ils présentent, bombant le torse, un « document stratégique », qui selon eux doit prouver que tous les événements, en Crimée comme au Donbass, ne sont rien d’autre que de sombres manœuvres du Kremlin.

Ils doivent prendre tous leurs lecteurs pour des idiots.

Mis à part le fait que ce document aurait été rédigé exactement dix jours avant le putsch de Kiev et contient donc de graves erreurs d’appréciation (par exemple que Ianoukovitch se maintiendrait jusqu’aux élections ordinaires prévues), il peut, dans le meilleur des cas, être une évaluation tactique actuelle, mais certainement pas un « document stratégique ». Et un truc comme ça serait une base pour diriger les événements?

Cette affirmation n’a de poids que parce qu’on a réussi à convaincre les gens que la pensée stratégique est fondamentalement quelque chose de mauvais et qu’admettre l’existence d’une telle chose serait une « théorie du complot ».

Et évidemment aussi parce que les articles pertinents ne sont pas diffusés largement.

Donc demandons-nous qui pourrait se pencher sur ces questions en République fédérale allemande. En commençant par les autorités compétentes officielles.

A la Chancellerie fédérale, il doit y avoir actuellement des piles d’analyses sur les développements de la situation en Ukraine, produites par le BND Bundesnachrichtendienst – Service fédéral de renseignement, NdT; au ministère des Affaires étrangères, en plus, on doit trouver des projets stratégiques en matière de politique étrangère allemande; et des analyses politiques générales à la SWP [Stiftung für Politische WissenschaftInstitut pour les affaires internationales et de sécurité], la filiale du BND. Il est probable que la Bundeswehr [l’armée fédérale allemande, NdT]  ait elle aussi produit sa propre analyse.

Viennent ensuite les fondations des partis politiques, qui produisent elles aussi de tels documents, même si ces derniers ne sont pas toujours destinés aux yeux du public. Difficile de croire que la Fondation Konrad Adenauer a placé des millions dans le parti de Klitschko sans procéder d’abord à une analyse et à une stratégie pour l’Ukraine. Il en va de même pour la Fondation Heinrich Böll, dont le dirigeant devait avoir un peu réfléchi à tout ça lorsqu’il a décidé de se lier d’amitié avec Kolomoisky

En plus, les grandes banques et les grandes sociétés entretiennent leurs propres départements stratégiques, qui ne se contentent pas d’analyser les tendances économiques, mais aussi les aspects politiques, et font des recommandations sur les mesures qu’il serait possible de prendre dans leur propre intérêt. Cela signifie qu’au moins chaque position sur la liste du DAX devrait avoir suscité la production d’un document de ce type.

Chacun de ces documents devrait contenir des recommandations sur un certain nombre de mesures politiques. Chacune de ces recommandations peut se lire comme une tentative de contrôle des processus politiques dans un autre pays et, si c’est réussi, il s’agit d’un contrôle effectif des processus politiques dans un autre pays. Un exemple assez connu du côté allemand est l’action de la Fondation Friedrich-Naumann au Honduras.

Ce serait intéressant de lire pourquoi la Fondation Konrad Adenauer, en plus du parti fantoche ukrainien Udar, a aussi soutenu les nazis de Svoboda. Comme ces derniers n’ont rien d’autre à offrir qu’une haine fanatique de la Russie, le document qui a motivé ce soutien devrait beaucoup éclairer sur les intentions stratégiques par rapport à la Russie.

Tout cela, c’est du quotidien politique. Toute personne qui a un peu mis son nez dans ces structures le sait. Si on était honnête, on devrait poser ce document russe avec un haussement d’épaule et ajouter, tout au plus, qu’il y en a eu de meilleurs…

Au lieu de quoi, un document banal a provoqué des réactions comme si c’était la preuve d’un crime.

Et ça fonctionne. Les forums de lecteurs attestent qu’il y a effectivement des gens qui gobent cette histoire. Pourquoi? Parce que l’action politique et la communication se sont tellement éloignées l’une de l’autre que le récit présenté n’a plus rien à voir avec les motifs, les intérêts et les événements. La politique est présentée comme s’il n’y avait que des réactions immédiates, spontanées et guidées par différentes « valeurs », à des événements imprévisibles. Même les négociations sur le TTIP [Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement] sont présentées comme s’il n’y avait pas eu, avant les négociations concrètes sur les textes de l’accord, des négociations préalables dans lesquelles les intérêts ont été définis, et comme si ces négociations préalables n’avaient pas été elles-mêmes précédées de longues périodes au cours desquelles les lobbies industriels n’avaient pas massé à bon escient l’âme [et le portefeuille, NdT] des représentants du peuple.

Même au niveau le plus bas, la commune, la politique effectivement guidée par des intérêts est enrobée d’un récit romantique. Un petit exemple, venu de Munich: les services techniques de la ville, à part ça numéro cinq sur le marché national de l’énergie, construisent une éolienne au large de la côte galloise. Oui, parce qu’il paraît qu’il faut assurer l’approvisionnement des citoyens avec des énergies renouvelables. Pour assurer le financement de ce projet, la ville se porte caution pour plus d’un milliard [d’euros]. Mais il y a un détail qui caractérise ce projet – il s’agit du premier projet d’éolienne qui n’est plus réalisé par des moyennes entreprises, mais par un grand groupe, Siemens, qui tente ainsi de prendre le contrôle sur ce marché (ce qui est accompagné de diverses tentatives de racheter des producteurs de turbines). Soit dit en passant, le siège de Siemens est à Munich. La garantie de la ville pour ce projet est donc, pour finir, une subvention dans l’intérêt d’un grand groupe allemand, qui a ainsi partiellement répercuté sur les citoyens de la ville où il a son siège le risque lié au développement de ce nouveau marché. Mais ce fait n’a pas été mentionné dans les documents fournis au Conseil municipal ni, a fortiori, dans la version édulcorée de ces documents répercutée ensuite dans la presse…

Pour ce cas aussi, on devrait trouver dans les entrailles de la société Siemens un document définissant une stratégie sur la manière dont on parvient à se positionner sur ce marché spécifique, et quelles seraient les mesures politiques adéquates. Ensuite il devrait y avoir eu des discussions entre Siemens et des représentants des services techniques de la ville, d’où est sorti ce projet d’éolienne. (Les Gallois, devant la côte desquels le truc doit être construit, n’ont d’ailleurs pas été consultés, et il serait aussi intéressant de savoir comment la société Siemens a obtenu à ce sujet l’accord des politiciens londoniens.)

En certains endroits, comme par exemple dans le Livre blanc de l’armée allemande, on parle effectivement ouvertement d’intérêts. Les intérêts sont aussi ouvertement négociés. L’engagement de la Bundeswehr en Somalie, par exemple, sert les intérêts de la flotte de conteneurs allemands… qui, de nouveau grâce à un soutien public massif pendant des décennies, atteint une taille impressionnante, même si les bateaux sont loués par l’intermédiaire d’armateurs internationaux et naviguent sous les pavillons exotiques habituels. Cela n’est devenu visible que lorsque la HSH Nordbank a eu des difficultés suite à l’effondrement du commerce mondial.

Les subventions à la construction de porte-conteneurs, pour leur part, correspondent de nouveau à un intérêt stratégique, notamment le soutien à l’industrie d’exportation allemande…

A y regarder de plus près, on se heurte partout à des actions stratégiques, c’est pourquoi on doit partir partout du principe qu’il existe aussi des réflexions stratégiques appropriées.

Mais alors pourquoi faire d’un unique document un objet de scandale?

Naturellement, ça sert à diaboliser la politique russe. Prétendre qu’ici la procédure serait différente vise aussi l’intérieur du pays. Ce n’est pas fait comme ça seulement par rapport à l’Ukraine, comme si la RFA ne pêchait pas du tout en eaux troubles et comme si l’industrie ne poursuivait pas ses propres intérêts. Le TTIP et tous ses frères et sœurs sont présentés comme s’il n’y avait que les autres qui profitaient de telles structures non démocratiques, et comme si l’industrie ne s’efforçait pas de se soustraire à tout contrôle politique. Chacune des plus grandes saloperies dans l’UE, comme la tristement célèbre directive sur les services, a poussé sur le fumier allemand. Grâce aux directives contraignantes de la Troïka prises au mépris de toute démocratie, on fait en même temps l’économie de la cape magique qui rend invisible; là, les ministres des Finances grecs ont le droit de s’adresser directement à Monsieur Schäuble, car de toute façon tout le monde sait qu’il décide à partir des directives de la Banque centrale européenne, de l’Union européenne et du Fonds monétaire international.

En Ukraine, d’ailleurs, ce ne sont pas seulement les changements dans le droit de la fiscalité qui portent une empreinte allemande reconnaissable; ces derniers jours, toute une série de modifications du droit du travail ont été introduites, qui rappellent tellement les contrats de la Troïka qu’on ne peut que penser que les auteurs sont à Berlin. Ce qui révèle encore une petite arrière-pensée stratégique dans les rapports avec l’Ukraine. A côté de sa fonction, dont on ne peut mesurer les conséquences, de lieu de rassemblement contre la Russie, elle sert aussi de laboratoire permettant d’expérimenter ce qui peut être infligé aux habitants d’un État jusqu’à ce que celui-ci tombe en ruines.

Mais tout cela sonne de nouveau un peu comme une « théorie du complot », non?

Ce qui est vraiment pernicieux dans ce récit, et que la présence d’intentions est déjà une preuve du mal, c’est son envers. Il veut dire, ici, que par exemple dans la politique allemande, il n’y aurait pas d’intentions, donc pas de plans. Et toute présomption de telles intentions serait une allégation mensongère. Étonnamment, même des gens qui se voient comme éclairés, critiques et de gauche croient à cette construction.

Cui bono? Qui en profite? La question est interdite; la question qui est au commencement de toute considération éclairée de la politique, oui, à la base de toute pensée politique, si ancienne qu’elle a conservé sa forme latine.

Cette question est condamnable parce qu’elle rabaisse les valeurs qui prétendument guident la politique ici. Il faut le souligner, il n’y a pas de faits à l’appui de cette assertion. Les faits, ainsi que des bibliothèques entières de recherche historique, attestent que chaque guerre est déclenchée par des intérêts, qu’on peut chiffrer et nommer; que s’imposent dans l’arène politique les forces qui détiennent la puissance économique, et que lorsque les intérêts des démunis, des économiquement faibles sont aussi un peu pris en compte, c’est toujours le résultat de luttes acharnées.

J’ai dans ma bibliothèque un livre intitulé Europastrategien des deutschen Kapitals 1900-1945 [Stratégies pour l’Europe du capital allemand 1900-1945]. Mille pages de documents, sans commentaire, rien que des mémorandums, des rapports, des documents stratégiques. D’où ils tirent, avec une constance dramatique, les réflexions dont nous voyons les applications concrètes dans l’UE d’aujourd’hui.

Devant ces informations disponibles et accessibles, un rideau de brouillard de valeurs est déployé. Il est chargé de tellement de pathos sacré que toute tentative de les remettre en question, de chercher des intentions et des intérêts sous-jacents, est rejeté comme hérésie.

C’est effectivement un substitut de la représentation féodale d’un ordre sacré. Comme la bataille ne peut pas être gagnée sur le plan des faits, il faut absolument empêcher que les questions qui mènent aux faits soient posées. Le concept de théorie du complot ne sert à rien d’autre. La première question, à qui cela profite-t-il, marque déjà le moment de l’abandon de la vraie foi, et l’inquisition surgit immédiatement et demande qui pose cette question, car celui-ci a pactisé avec le diable. Le débat n’est plus mené autour du contenu d’une critique, mais déjà sur la possibilité d’une critique.

C’est ici que les partisans de gauche du reproche de théorie du complot se mettent violemment en colère. Ils pensent qu’il s’agit de contenus incorrects; il s’agit de combattre des fausses interprétations, par exemple de l’antisémitisme dissimulé dans une critique du capital financier. Ce faisant, ils omettent complètement que ce reproche n’est pas adressé à l’orientation d’une critique, mais contre la critique elle-même. Pas contre une mauvaise réponse à une bonne question, mais contre la question elle-même. Et ils se transforment ainsi en collaborateurs dociles d’une stratégie idéologique qui élimine aussi les bonnes réponses aux bonnes questions et qui remplace la pensée politique elle-même par des fioritures nébuleuses décorées de valeurs telles que liberté et tolérance. Des valeurs, comme on a pu le voir dans les actions XY est de toutes les couleurs des derniers mois, qui n’ont plus aucun contenu politique, aucun lien avec la réalité, par exemple le racisme institutionnel exécuté quotidiennement avec Frontex. Elle ne sont plus que les gestes sacrés d’une foi inconditionnelle, vidée de tout conflit de classe, de tout intérêt, de toute réalité matérielle, et déclarent comme apostats tous ceux qui ne veulent pas s’y plier.

Wolfgang Ischinger, l’organisateur de la Conférence sur la sécurité de Munich qui y a orchestré récemment l’attaque contre Lavrov, est financé par le groupe d’assurances Allianz. Ainsi, de même qu’on peut supposer que les positions d’Elmar Brok sont celles de la maison Bertelsmann, la position d’Ischinger devrait refléter celle d’Allianz. Sinon elle ne le paierait pas. Allianz est le plus grand groupe d’assurances au monde et en même temps la maison mère du plus grand fonds d’investissements au monde, PIMCO. Quand le porte-voix politique d’Allianz adopte une attitude clairement agressive à l’égard du ministre des Affaires étrangères russes, est-ce que cela n’a pas quelque chose à voir avec des intérêts? Ou, dit autrement, si le comportement d’Ischinger contredisait les buts stratégiques d’Allianz, combien de jours resterait-il sur leur liste de salaires après cette sortie? Justement.

Une fois, un jour, il y aura un nouveau livre, Europastrategien des deutschen Kapitals ab 1946 [Stratégies pour l’Europe du capital allemand depuis 1946]. Peut-être pourra-t-on y lire ce qui figurait dans les documents stratégiques d’Allianz. Ou dans ceux du ministère allemand des Affaires étrangères. Dans les véritables documents, pas cette documentation pour crétiniser le peuple comme celle qui a été répandue dans la presse. Alors on pourra comprendre et démontrer qui, quand, pourquoi, quels intérêts il y avait à cette attitude va-t-en-guerre, comme les deux derniers essais le font comprendre et le prouvent.

A condition que nous réussissions à empêcher l’incendie total de toutes les archives, avec lequel ils jouent en ce moment. Pour cela, nous devrions d’abord défendre âprement une question, celle qui rend possible toute forme de résistance:

Cui bono? À qui ça profite?

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone.

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La renaissance du fascisme sous une forme moderne

John Pilger

John Pilger

Par John Pilger – Le 26 février 2015 – Source Russia Today

La récente 70e commémoration de la libération d’Auschwitz fut l’occasion de nous remémorer les grands crimes du fascisme dont l’iconographie nazie est gravée dans notre conscience.

 

Le fascisme est considéré comme de l’histoire ancienne, comme dans ces vieux films tremblotants de chemises noires marchant au pas, leur criminalité aussi terrifiante qu’évidente. Et pourtant dans nos sociétés libérales, alors même que des élites va-t-en guerre nous poussent au devoir de mémoire, le danger grandissant d’une forme moderne du fascisme est ignoré. Car c’est leur fascisme.

«Déclencher une guerre d’agression.., ont déclaré les juges du tribunal de Nuremberg en 1946, est non seulement un crime international mais de plus le pire crime international car, par rapport aux autres crimes de guerre, il contient en lui toute la malfaisance des autres crime de guerre réunis.»

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Que mijotent les BRICS et l’Allemagne?

Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 28 février 2015 – Source Russia Today

Winston Churchill a déjà dit que sans guerre, il se sentait bien seul. L’empire perdu lui manquait énormément aussi. Le successeur de Churchill, l’Empire du Chaos, est aujourd’hui aux prises avec le même dilemme. C’est que certaines de ses guerres par procuration, comme en Ukraine, ne se passent pas très bien.

D’autant plus que la chute de l’empire se manifeste de plus en plus par une série de mesures prises par certains joueurs qui vont dans le sens d’un monde multipolaire.

Tout cela met évidemment dans tous leurs états les groupes de réflexion formant le royaume du baratin aux USA, qui y vont de leurs prévisions portant la marque de la CIA à propos de la désintégration prochaine de la Russie et de la montée de la dictature communiste en Chine. Bref, on se berce d’illusions (impérialistes) dans le peu de temps qui reste à la prolongation de l’hégémonie.

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Russie et Islam, acte VI: le Kremlin

Par le Saker original – Le 9 mars 2013 – Source vineyardsaker

PREMIÈRE PARTIE – INTRODUCTION ET DÉFINITIONS.
SECONDE PARTIE  – LE CHRISTIANISME ORTHODOXE
TROISIÈME PARTIE – LA RUSSIE ACTUELLE
QUATRIÈME PARTIE – LA MENACE ISLAMIQUE
Cinquième partie – L’ISLAM, UN ALLIÉ
RUSSIE ET ISLAM: LE KREMLIN

Voici un sujet que j’ai beaucoup hésité à traiter, et ceci pour de nombreuses raisons, l’une d’entre elles étant que mon opinion en la matière a fini par changer. Ce n’est pas dû à la découverte de faits indéniables, mais plutôt à une combinaison de facteurs comme la lecture entre les lignes de compte-rendus d’événements avec la réalisation que beaucoup de faits annexes pointaient tous dans la même direction, en plus d’une certitude instinctive, inévitablement subjective mais extrêmement forte. Je vais énoncer ma thèse sans ambages. Je suis arrivé à la conclusion qu’il existe depuis de nombreuses années plusieurs groupes d’intérêts en conflit au Kremlin, et que l’un de ces groupes a pris la décision de sortir de l’ombre et de passer à l’attaque contre l’autre de façon discrète, mais bien perceptible. Le résultat de ceci est qu’une révolution en profondeur est en cours en Russie et que les quatre ou cinq prochaines années verront d’énormes changements ou une terrible lutte de pouvoir à l’intérieur du Kremlin.

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La Libye, l’Égypte et l’État Islamique: La troisième guerre mondiale pourrait-elle commencer avec une vidéo ?

Patrick Henningsen

Par Patrick Henningsen – Le 17 février 2015 – Source 21st Century Wire

Ce qui s’est passé en Libye cette semaine ne devrait pas surprendre ceux qui ont prêté attention à ce qui s’est passé durant les quatre dernières années.

Géopolitiquement parlant et en considérant sa proximité avec l’Europe, ce nid de vipères a le potentiel pour devenir encore plus périlleux que la Syrie. Au début de la nouvelle année, nous avions prédit que la Libye deviendrait le prochain théâtre important pour l’EI, ouvrant la voie à une éventuelle intervention des États-Unis ou de l’OTAN. A la fin de l’année, 21WIRE avait fait paraître un article intitulé Game Changers: 2015 Prediction [Changer la donne: prédictions pour 2015], qui expliquait :

«Parmi tous les fronts de conflits potentiellement émergents selon la planification centrale de l’OTAN, celui-ci est de loin le plus prometteur. D’une manière hégélienne classique, le désastre libyen que l’OTAN a engendré en 2011, est maintenant mûr pour une deuxième tournée de nettoyage. Tout comme pour l’Irak, le pays a été effectivement séparé en trois régions. Les seigneurs de guerre et les gangs terroristes se sont emparés du pouvoir laissé vacant par la décapitation bâclée du régime de Kadhafi en 2011, et le gouvernement fantoche de l’OTAN s’est déjà mis à l’abri, utilisant ce qui reste de sa force aérienne pour bombarder ses propres villes.»

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Le Maïdan un an après

Le Saker Original

Le Saker Original

Par Le Saker original – Le 22 février 2015 – source: vineyardsaker 

Aujourd’hui, c’est le premier anniversaire de l’accord passé entre Ianoukovitch et l’opposition, et garanti par les ministres des affaires étrangères de la Pologne, Radosław Sikorski, de la France, Laurent Fabius, et de l’Allemagne, Frank-Walter Steinmeier. Comme nous le savons tous, l’affaire a abouti à un retrait des forces de sécurité du centre de la ville de Kiev, immédiatement suivi par une insurrection armée qui a renversé le gouvernement. De façon prévisible, la Pologne, la France et l’Allemagne ne s’y sont pas opposées. Je ne vais pas raconter tous les événements qui ont eu lieu depuis ce jour infâme, mais je pense qu’il est important de regarder ce qui a changé en un an. Je pense qu’il est également judicieux de comparer ce que j’avais prédit qui allait se produire avec ce qui s’est réellement passé. Cela simplement pour voir si une personne qui n’a aucun accès aux données confidentielles et qui n’utilise que des sources libres d’accès pour son analyse aurait pu prédire ce qui s’est passé ou si ce n’était qu’une énorme surprise, totalement imprévisible.

Voici donc mes prédictions dans un ordre chronologique.

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Les US regardent la Chine
La Chine regarde le monde

Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 20 février 2015 – Source Russia Today

Proverbe chinois: quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt

La première économie mondiale est à la fête au moment d’entamer une nouvelle année du zodiaque chinois. Bienvenue dans l’année du mouton. Ou de la chèvre. Ou du bélier. Ou, techniquement, le mouton (ou la chèvre) de bois vert. Même les meilleurs linguistes chinois ne parviennent pas à s’entendre sur la traduction en anglais. Mais qui s’en soucie?

Reuters/Bobby Yip

Le Chinois moyen hyper-connecté – qui jongle avec ses cinq appareils intelligents (smartphones, tablettes, liseuses) – avance bravement vers une véritable révolution commerciale. En Chine (et dans le reste de l’Asie), les transactions en ligne représentent maintenant le double de la valeur combinée des transactions aux Etats-Unis et en Europe.

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2014: Le front Chine – Russie
Nouvel ADN pour l’humanité?
Première partie: La Chine et la nouvelle donne en Ukraine

Février 2015 – UN LIVRE BLANC de Vineyard of the Saker

Note du Saker Francophone

Compte tenu de l’importance de ce document, de par son intérêt et son ampleur, j’ai décidé de le fractionner en plusieurs articles:

1. Le contexte – La Chine et la nouvelle donne en Ukraine
2. Les hélices – Ressources de base, technologies militaires
3. Les hélices – Ressources Financières, autres technologies
4. Politique et alliances
5. L’avenir et les états voisins

Préambule 

Chers amis,
Aujourd’hui, je partage avec vous un document qui est à mon sens absolument crucial : une analyse en profondeur de l’Alliance stratégique Chine–Russie (ASCR) rédigée par quelqu’un qui examine la question du point de vue chinois. Aussi, je souhaite vous dire quelques mots sur la façon dont ce document a vu le jour.

Au cours d’une discussion avec Larchmonter 445 sur l’évolution de la situation en Russie, je me suis rendu compte que bon nombre de ses arguments étaient centrés sur les relations entre la Chine et la Russie. En le questionnant davantage sur ces relations, j’ai compris qu’il en savait beaucoup sur le sujet. De plus, il en était arrivé exactement aux mêmes conclusions que moi à propos de l’ASCR, mais à partir de l’autre point de vue, celui de la Chine. Je lui ai alors demandé de produire une brève analyse de la question, et Larchmonter 445 a accepté. Mais comme en plus d’être un vrai bourreau de travail il est aussi perfectionniste, sa brève analyse s’est transformée en un document de 25 pages comportant 39 notes de fin! En définitive, je peux maintenant partager avec vous une vue d’ensemble complète de tous les volets officiellement connus de l’ASCR (vous pouvez être assurés qu’il en existe bien d’autres encore que je garde secrets!).

Je trouve l’image de la double hélice de Larchmonter 445 particulièrement appropriée. En effet, ce dont nous sommes témoins ici est en quelque sorte la naissance d’une nouvelle forme de vie géopolitique, une alliance informelle entre deux pays beaucoup plus profonde que ne le sont la plupart des alliances habituelles: ce que nous voyons, c’est une entente mutuelle en vue d’une symbiose géostratégique intégrale entre deux espaces civilisationnels. La Russie comme la Chine ont été dans le passé ce qu’il était convenu d’appeler des empires, mais sont aujourd’hui ce que j’appelle des espaces civilisationnels: d’anciens empires multiethniques, multinationaux, aux traditions religieuses diverses, dont l’influence s’étend au-delà de leurs frontières nationales actuelles et dont le poids stratégique sur la scène internationale en fait plus des continents que des pays.

Ne vous y trompez pas, ce à quoi nous assistons est quelque chose de sans précédent dans l’histoire et va bien au-delà d’une simple alliance. Après tout, une alliance peut être facilement rompue, un pays A décidant de ne plus faire alliance avec un pays B pour conclure une alliance avec un pays C. En ce qui concerne l’ASCR, ce que nous voyons est quelque chose qui ressemble beaucoup plus à la naissance de frères siamois: dans ce qui s’apparente à un mouvement tectonique géopolitique, la Russie et la Chine ont décidé de ne pas seulement s’unir à la taille, mais de partager aussi de nombreux organes et appareils vitaux, dont les secteurs énergétique et de la défense, bien sûr, mais aussi leur économie et leur politique de développement à long terme. Chacun des deux symbiotes conservera sa propre tête et son propre cerveau, mais ils auront en commun le tronc.

Il s’agit selon moi de l’évolution politique la plus importante, et de loin, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et sans doute de la plus importante du siècle actuel : il est difficile d’en exagérer toutes les implications. Quant au fameux pivot vers l’Asie d’Obama, il s’en trouve réduit à quelque chose de parfaitement dérisoire et de totalement dépourvu d’intérêt en comparaison de cette nouvelle réalité: en règle générale, pendant que l’administration Obama rugit et aboie, Poutine et Xi Jinping s’affairent sans bruit à modifier en profondeur l’équilibre planétaire. Je me demande si quelqu’un osera en informer la Maison Blanche.

Je vous enjoins tous de lire attentivement le Livre blanc de Larchmonter 445 et de le conserver aux fins de consultations ultérieures (en particulier, tous les développements récents qu’il énumère). Comme le document était trop volumineux pour être publié ici, je l’ai placé sur Mediafire pour que vous puissiez le télécharger en format ZIP, ODT, DOCX ou PDF. Vous trouverez le lien vers le répertoire Mediafire juste sous l’introduction de Larchmonter 445 qui suit.

Un très gros MERCI à Larchmonter 445!

J’espère que cet excellent article vous plaira.

Amitiés,
The Saker

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Lettre ouverte à Imran Hussein, par un musulman français (1/2)

Suite à son appel à l’ émigration lancé à notre communauté

par Sayed7asan

Préambule:

Cette lettre ouverte est la réponse d’un musulman français à l’appel à l’émigration lancé par « Cheikh » Imran Hussein aux musulmans de France suite à l’attaque contre Charlie Hebdo. Une première version lui en a été adressée à titre privé le 25 janvier, en anglais, et n’a pas reçu de suite notable – sinon une dérobade condescendante et un renvoi à un nouvel appel plus tonitruant encore de folie furieuse, qui n’a heureusement pas été relayé. Elle est maintenant publiée en tant que lettre ouverte, dans une version enrichie et structurée afin d’en faciliter la lecture et la compréhension, mais elle garde la même teneur que la lettre qui fut adressée à Imran Hussein via courriel. Ce n’est pas tant pour obtenir une réponse de sa part que nous publions cette lettre – car il n’est manifestement pas dans une démarche d’ouverture et de dialogue mais de prédication fanatique et forcenée – qu’à destination des publics français.

Imran Hussein est parfois présenté comme un savant de l’Islam spécialiste de « l’eschatologie », et portant un regard éclairé sur l’actualité internationale qu’il analyse au regard des sources théologiques. Sans récuser l’intérêt que peuvent présenter certaines de ses analyses, quiconque a des connaissances islamiques un tant soit peu sérieuses peut affirmer avec certitude que sa légitimité, son autorité et le sérieux de ses travaux d’exégèse et de ses analyses théologiques sont nuls et contredisent bien des enseignements fondamentaux de l’Islam. Cette lettre ouverte sera une première esquisse, un premier jalon dans un effort visant à le démontrer à tous ceux qui n’en sont pas convaincus en écoutant ses divagations. Elle sera suivie par d’autres écrits et documents plus ciblés et plus synthétiques, et par la traduction d’un récent discours religieux de Sayed Hassan Nasrallah consacré à l’eschatologie islamique authentique dans son rapport à l’actualité internationale et à la fin des temps. Sayed Hassan Nasrallah y dénonçait notamment, en s’appuyant sur des preuves qui font l’unanimité des écoles de l’Islam et de toute personne rationnelle, les dangers représentés par les prédicateurs qui prétendent connaître l’avenir, dont Imran Hussein est un parfait exemple (pour les arabophones, voir dès à présent ici et ici).  

Cet appel à la hijra, ou « émigration », lancé aux musulmans français du fait de leur situation en France et de ce que les événements actuels peuvent laisser présager d’après lui, est absolument insensé, scandaleux et irresponsable, et même franchement grotesque – et c’est une évidence, que l’on se base sur des critères rationnels, moraux ou religieux –, au point qu’un tel individu ne devrait pas même recevoir la moindre considération, et encore moins motiver un long effort de réponse qui consistera nécessairement en un égrenage fastidieux de truismes. Mais le contexte étant ce qu’il est, Imran Hussein étant considéré par d’aucuns comme une autorité, et son premier appel ayant malheureusement été relayé par plusieurs sites d’information alternatifs sans les avertissements et caveat nécessaires (par légèreté, imprudence ou ignorance, voire, on a parfois pu le craindre, dans un agenda politique de couleur brun – bleu marine), ce qui lui a permis de dépasser les 150 000 vues (toutes sources confondues), sans qu’il ait suscité de réponse formelle et publique à notre connaissance, cette démarche peut ne pas être inutile.

Pour conclure, je précise que je ne prétends pas m’exprimer au nom de tous les musulmans de France : j’ai moi-même trop souffert d’entendre des voix dépourvues de toute légitimité (autoproclamées ou nominées d’en haut et/ou d’en dehors de notre communauté à des fins de contrôle, d’infantilisation et même d’humiliation) s’exprimer en mon nom et proférer des insanités et même des infamies. Je ne prétends pas à l’adhésion de l’ensemble de la communauté musulmane française au fond et à la forme de tous les points avancés ci-dessous, mais je suis convaincu du fait que mon analyse est bien plus conforme au bon sens, au droit moral et positif, aux lois divines, à la réalité de la situation en France et dans le monde et au sentiment de la grande majorité des musulmans français que ne le sont les élucubrations charlatanesques d’Imran Hussein.

Salutations de paix (As-salamu ‘alaykoum),

Je tenais à vous exprimer ma plus vive indignation au sujet de votre vidéo invitant les musulmans français – et en particulier ceux qui ont des origines étrangères – à émigrer en direction de leur pays, et à vous demander de bien vouloir clarifier le fond de votre pensée et d’apporter des preuves et arguments valables pour soutenir vos propos. En tant que musulman, franco-algérien (né et ayant vécu en France, et ayant la double nationalité), en tant qu’homme de principes, attaché à la morale et au droit, et, avec la Grâce de Dieu, en tant que personne douée de raison et de discernement, je ne peux qu’être profondément scandalisé par à peu près tout ce que vous dites. Avec tout le respect qui est dû à un aîné, dont la bienveillance peut être postulée, et si je puis exprimer le fond de ma pensée, je considère vos exhortations contraires au bon sens, à l’éthique et à toute justice, et opposées aux enseignements fondamentaux du Saint Coran et de notre Prophète Muhammad (saas) tels que je les comprends. Et plus encore, irresponsables dans ce contexte.

Je vais donc m’efforcer de justifier mon point de vue de la manière la plus claire, la plus ferme et la plus respectueuse, en espérant que je pourrai obtenir une réponse argumentée à mes objections.

Les musulmans en France : opprimés et persécutés ?

Vous avez commencé par décrire la vie en France pour les musulmans comme impossible. Selon vous, la situation est telle que nous n’avons dorénavant qu’une seule alternative : soit nous renier, baisser la tête et perdre notre dignité, soit partir, émigrer.

Je ne suis pas d’accord avec votre analyse de la situation. Certes, il y a clairement une offensive politique et médiatique contre l’Islam et les musulmans – et ce dans tout l’Occident, du reste, et pas seulement en France: la première fois que j’ai entendu ces exhortations insensées à l’émigration, c’était de la part d’un imam salafiste (palestinien de surcroît) à Miami en 2008, durant les élections présidentielles, au sujet de la phrase de John Mc Cain à propos d’Obama. Et du reste avant cela, Marcus Garvey et Malcolm X l’avaient prôné auprès des Noirs des Etats-Unis, mais heureusement, le grand Malcolm X a radicalement changé sa perspective lorsqu’il a eu accès à l’Islam authentique et à son message universel – mais vous voulez apparemment nous faire régresser d’un siècle. Certes, nous sommes méprisés, avilis, piétinés, etc., c’est la vérité, mais tout cela se produit surtout dans les médias, dans l’arène politique, etc., et donc dans d’autres sphères que celle de la vie quotidienne. Dans la vie de tous les jours, les difficultés ne sont pas si grandes. Nous vivons dans la vie réelle, pas à la télévision, et du reste, nombreux sont ceux qui désertent les médias dominants au profit d’Internet: l’exemple du succès de Dieudonné suffit à démontrer que des millions de personnes – et pas que des musulmans, loin de là – se moquent éperdument de la propagande politico-médiatique. Bien sûr que nous faisons parfois l’expérience de ce que l’on pourrait clairement appeler des préjugés, du racisme, de l’islamophobie dans notre vie quotidienne, et peut-être même que plus notre milieu socio-professionnel est élevé, plus ces agressions deviennent vives et palpables – mais alors nous sommes mieux armés encore pour nous défendre. Mais les ignorants, les brebis et les fielleux ne sont pas d’un naturel offensif et peuvent être aisément calmés s’ils s’avisent de dépasser les limites, surtout que le caractère et la culture originels des arabo-musulmans sont loin de s’être dissipés, et que nous sommes, en général, des éléments fiers, sensibles à l’honneur et à la dignité, et donc nullement disposés à nous laisser marcher dessus – dans la tradition authentique, mise à jour, du panache français.

Ainsi, contrairement à ce que vous prétendez, notre barbe ne pose aucun problème, pas plus que le voile de nos sœurs, de nos épouses ou de nos filles, du moins aucun problème que nous ne puissions surmonter – car l’opprobre laïciste sur le voile, unique dans le monde, que nous subissons en France, est effectivement un véritable problème, mais à défaut de le lever (ce qui peut être réalisé), nous avons déjà pu contourner cet obstacle qui ne constitue pas une entrave majeure. Ce n’est pas comme si nous étions une minorité marginale: nous sommes des millions, et nous sommes une communauté visible, parfois dominante dans certaines zones géographiques et quartiers, et coexistant avec des millions de non-musulmans qui n’ont rien contre nous, au contraire. Ce n’est pas comme si nous ne pouvions pas vivre comme nous le souhaitions, nous le pouvons tout à fait. Pour mémoire, jusque dans l’enseignement supérieur, il est arrivé plusieurs fois que des enseignants d’Université trop zélés soient sanctionnés par leur hiérarchie – et même hués par leurs élèves – pour avoir fait des remarques désobligeantes à des filles voilées. On peut voir des filles voilées jusque dans les plus grandes écoles parisiennes, de Henri IV à l’Ecole Normale Supérieure. Et vous serez peut-être même surpris de savoir qu’il y a quelque temps de cela, à l’époque où j’y étais moi-même, il y avait une enseignante française d’origine arabe à l’Université Paris-IV Sorbonne (lieu hautement symbolique) qui portait le voile durant ses cours même, au moins durant une année scolaire entière, et je n’ai pas connaissance du fait qu’elle ait été inquiétée, même si, bien sûr, bien des dents ont dû grincer.

Nous pouvons donc toujours avoir la tête haute, rester attachés à nos croyances et à nos principes tout en menant une vie normale, saine, épanouie, et accéder, de plus en plus, à toutes les sphères honorables de la vie sociale et professionnelle (car nous ne nous lamenterons pas de nous voir interdire l’accès de certaines portes, que ceux qui sont attachés à leurs convictions et à leur dignité n’aspirent aucunement à franchir). Nos mosquées sont pleines le vendredi, et même trop pleines, de nouvelles mosquées florissant aux quatre coins de la France, dans les endroits les plus reculés. Sont-ce là des signes d’une vie religieuse moribonde, étouffée, menacée ? Certes non, bien au contraire. Oui, nous musulmans de France sentons bien que nous sommes attaqués, mais nous ne sommes pas démunis comme vous le prétendez, nous ne nous sentons ni faibles, ni vulnérables, ni désorientés et encore moins perdus ou en proie au découragement ou au désespoir. Nous avançons, et nous restons fermement attachés à nos principes, et si besoin est, nous irons plus loin encore dans l’affirmation de notre identité et les revendications, dans le strict respect d’autrui que notre religion nous impose, afin d’être pleinement acceptés partout où nous le souhaitons, et de ne plus être soumis à de quelconques formes de discrimination. Grâce à l’éducation que nous ont transmise nos parents et à l’instruction que nous avons reçue durant notre scolarité et nos études, et à celle que nous avons acquise de nous-mêmes, grâce à toutes les opportunités qui nous sont offertes ici en France, nous sommes devenus plus éveillés et plus cultivés que nos parents, plus savants et plus actifs jusque dans notre religion (comme le montre le port très largement répandu du hijab), nous avons accédé à des postes de responsabilité plus importants, et nous sommes de plus en plus actifs dans notre société. Et selon toute vraisemblance, si Dieu le veut, nos enfants iront plus loin encore, sans jamais se renier ni oublier que nos principes et nos traditions sont pour nous essentiels et indissociables de notre identité.

Voilà pour ce qui concerne votre analyse de la situation.

La France est-elle notre pays ?

Vous affirmez que la France n’est pas notre pays. Bien que nous soyons nés ici, que nous ayons été élevés ici, que nous ayons construit toutes notre existence ici et nous sentions chez nous, etc., vous nous récusez le droit d’affirmer que nous sommes ici chez nous, que la France est bien notre pays. Je ne comprends vraiment pas comment quiconque peut légitimement déclarer de telles choses, avec un tel aplomb. Comment peut-on s’adresser ainsi à des millions de personnes et asséner à chacun d’entre eux : «Cette terre sur laquelle tu es né, où tu as grandi et vécu et que tu as héritée de ton père, cette maison que tu as construite et dans laquelle tu vis avec ta famille, où tes enfants sont nés et où ils grandissent, cette ville et ce pays que tu aimes, tes voisins, tout ce à quoi tu es attaché par des liens matériels et immatériels, tout cela n’est pas à toi. Tu n’es pas chez toi. Veux-tu savoir où est ta véritable demeure ? C’est un endroit avec lequel tu n’as peut-être plus aucune attache, un endroit où tu n’es peut-être jamais allé, dont tu ne parles peut-être pas même la langue et pour lequel tu ne ressens peut-être rien, mais c’est ta seule et unique demeure alors retourne-y dès maintenant.»

Quelles sont ces paroles insensées ? Sommes-nous des colons sionistes, ou des descendants de colons pour mériter de tels outrages ? Quelle autorité, quelle base pourraient-elles permettre de rendre légitimement des verdicts si radicaux? Ce sont là des questions d’ordre légal, moral et factuel qui ne peuvent être déterminées par aucune personne ou instance autres que celles qui sont directement concernées, et dans un cadre très strict, sinon par abus et violation des droits les plus fondamentaux – comme l’ont fait les sionistes en 1948 lorsqu’ils ont expulsé les Arabes par la force des armes, leur affirmant qu’ils n’étaient pas chez eux en exhibant leur titre de propriété falsifié vieux de 2000 ans.

Je précise que je ne m’exprime pas spécifiquement pour mon cas particulier. Il se trouve que je me sens tout à fait chez moi en Algérie, et que du reste, j’ai vécu dans plusieurs pays arabes durant quelque temps, et même dans d’autres pays où j’ai pu profiter d’un grand confort matériel (bien plus qu’en France) et où je me sentais très bien. Je maîtrise l’anglais, l’arabe et d’autres langues encore, et je peux me sentir tout à fait à mon aise dans bien des endroits. Et je peux même avouer qu’il y a plusieurs années de cela, j’avais effectivement le sentiment que ma place n’était pas en France mais ailleurs, dans un pays arabe et musulman, et c’est pourquoi j’ai voyagé et essayé de m’installer ici ou là, mais cela n’a jamais duré plus d’un an. Chaque fois, une raison impérieuse me ramenait en France, comme si Allah me répétait incessamment : «Cesse de fuir tes responsabilités, ta place est en France, ton devoir est en France.» Et comme Victor Hugo, j’ai découvert à l’étranger à quel point j’étais attaché à mon pays. Mais je précise que je ne considère aucunement de telles expériences et sentiments personnels comme des arguments universels recevables en eux-mêmes, et je ne les avance que pour donner plus de poids à mon argumentation et montrer que contrairement à ce que vous prétendez, ce n’est certes pas forcément une nécessité d’ordre matériel qui nous maintient en France mais bien des considérations d’ordre supérieur : c’est ici que nous devons être, et nous ne pouvons être chez nous nulle part ailleurs.

Là-bas, serons-nous chez nous et en sécurité ?

Je n’arrive vraiment pas à comprendre comment vous pouvez écraser l’infinité des cas particuliers et les condenser en une seule et unique proclamation : «Vous tous, millions d’existences, retournez chez vous – à savoir, la demeure de vos ancêtres, qui, je le décrète, est votre demeure.» Que faire de ceux qui n’ont aucun lien avec leur demeure? Que faire s’il n’y a pas d’endroit spécifique, ou s’il y en a plusieurs, dans différents pays, comment faire son choix – sans même parler des Français convertis? Comment partir, où aller? Où habiter? Et si nous ne pouvions pas trouver de place, si nous ne pouvions pas nous intégrer, nous adapter à des modes de vie très différents? Si nous ne trouvions ni accueil, ni logement, ni travail, ni assistance, ni bien-être, qu’il soit d’ordre matériel, moral ou spirituel? Et il est en effet très vraisemblable que nous n’y puissions pas même nourrir nos familles, car nous parlons de pays du Tiers Monde où le chômage est considérable, la misère criante, et les problèmes difficilement surmontables pour les locaux même, qui sont le mieux armés pour ce faire et qui ont bien du mal à vivre convenablement. Du reste, ils bénéficient souvent de l’aide que peuvent leur apporter leur famille outre-Méditerranée – et dont ils seraient privés si nous les rejoignions. Et ils nous considèreraient certainement, et avec bien plus de légitimité que ne peuvent le faire les Français d’extrême droite, comme des envahisseurs étrangers venus manger leur pain qui ne suffisait pas même à les nourrir.

Que dire en effet du pays même où nous devrions nous rendre selon vous, de la société que nous trouverons, comme si accueillir comme cela des millions de personnes ayant une mentalité et des mœurs très différentes pouvait se faire comme cela, sans heurts, surtout dans nos pays très fragiles qui seraient justement encore plus déstabilisés par ces raz-de-marée humains? Ne voyez-vous pas que cette fantasmagorie chimérique (car Dieu merci, vous préconisez quelque chose d’absolument insensé et impossible) est une recette infaillible pour générer le chaos et la destruction, tant au plan individuel, avec les millions de vies que vous voulez déraciner et briser, qu’aux plans national et sociétal? Ce que vous prônez contredit frontalement la morale, la justice, la raison et la religion. Ordonner ainsi, de manière indiscriminée, à des millions de personnes d’abandonner leurs vies, leurs foyers, et d’émigrer vers l’inconnu alors qu’ils pourraient tout simplement rester où ils sont et continuer à vivre à leur gré et même améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs concitoyens (et je parle bien évidemment de toutes les conditions d’une vie authentique, du matériel au spirituel), est tout simplement absurde. D’autant plus que lorsque nous sommes chez nous, il est plus facile de se défendre face à l’adversité, car nous sommes en terrain familier: nous connaissons notre société, ses us et coutumes, ses lois, nous avons des proches, une communauté, etc., tant de repères qui facilitent grandement l’existence et la lutte. Que dire de tous les problèmes inconnus auxquels nous devrons inévitablement faire face dans notre nouveau pays, avec tous les handicaps d’un nouveau-venu, seul, inexpérimenté et impuissant? N’est-ce pas justement pour cette raison que notre religion nous enjoint notamment la bonté et la charité envers les voyageurs et les étrangers, car ils comptent parmi les plus démunis?

Ce n’est pas un argument recevable que de dire que puisqu’à tel endroit, on rencontre tel et tel problème, alors il faudrait fuir, émigrer, car les situations évoluent, de la sécurité à l’insécurité et inversement, de la tolérance à l’intolérance et inversement (cf. Syrie, Libye, etc.), de l’irréligion à la foi et inversement (URSS communiste à Russie orthodoxe, Iran du Shah à République Islamique, etc.). Quelqu’un qui aurait fui l’Algérie en 1990 pour la Libye ferait aujourd’hui le chemin inverse. Sommes-nous donc supposés, nous autres musulmans, devenir comme les Bédouins d’antan et vivre en nomades d’une place à une autre, fuyant les problèmes au fur et à mesure qu’ils apparaissent, ou vivre isolément comme vous le recommandez, se retirer dans la brousse en ermites ou en mormons? Sont-ce là les enseignements de l’Islam? Fuyez la compagnie de vos semblables et vivez seuls dans les bois comme des sauvages? Ne vivez qu’avec des musulmans, et si vous êtes né au mauvais endroit (ou si la situation a changé, ce qui ne peut manquer de se produire tôt ou tard où qu’on aille), faites vos bagages et quittez les lieux? Déménagez chaque fois qu’un problème survient, au lieu de l’affronter courageusement et de le résoudre? Fuyez le champ de bataille, comme s’il y avait un seul endroit sur la face de la Terre où les descendants d’Adam ne seront pas éprouvés dans leur vie et dans leur foi? Dieu nous a créés justement pour cela, pour tester notre foi et notre endurance. Et toute la Terre Lui appartient, et n’a été créée et peuplée que dans ce but. Même en Syrie et en Irak, où les hommes sont découpés en morceaux par le plus grand danger qu’ait connu l’Islam à ce jour, à savoir la terreur de l’Etat Islamique, et ont le choix (lorsqu’ils l’ont) entre se convertir à un rite barbare qui n’a rien à voir avec l’Islam ou se faire égorger et voir leur femme et leurs enfants captifs, tout ce qu’on pourrait dire, c’est que l’émigration est autorisée, et certainement pas qu’elle est obligatoire. Et ceux qui restent pour combattre doivent être encouragés et loués, même si ceux qui fuient pour leur vie devant un danger réel, concret et non pas lointain et fantasmé ne doivent pas forcément être condamnés. Quant à dire que l’analogie n’est pas valable car l’Irak, contrairement à la France, est une Terre d’Islam (à considérer qu’une Terre d’Islam est une Terre habitée par des Musulmans, ce qui n’est pas une condition suffisante selon moi), je vous réponds que toute la Terre est à Allah, et qu’Il l’a promise tout entière en héritage aux justes et aux pieux d’entre Ses serviteurs avant la Fin des Temps. Et certes pas à coup d’invasions et de conquêtes comme Bush prétendait propager la démocratie, mais avec la venue du Mahdi et du Messie (as) qui unifieront les rangs de toutes les bonnes volontés, qui commencent déjà à s’allier et à se réunir aux échelles locales, nationales et internationales.

Quels pays sont vraiment musulmans ?

Et quant au sujet de la foi elle-même, est-ce que tous les pays majoritairement musulmans sont vraiment musulmans? Est-ce que l’Islam, dans son authenticité, y occupe une place importante, du politique au social? N’y a-t-il pas de voies de perdition là-bas, aussi dangereuses qu’ici (voire plus, car nous n’y sommes nullement préparés)? Et des voies de salvation tout aussi sûres en France, voire plus sûres encore, car j’ai vu bien des occidentaux plus pieux et plus savants en Islam que bien des gens parmi leurs frères orientaux, qui sont bien plus exposés à l’ignorance, à l’obscurantisme et à l’aveuglement – Dieu merci, les musulmans de l’Etat Islamique ne sont que très marginalement occidentaux? Dans certains pays musulmans, il est dangereux d’appartenir à certaines écoles de l’Islam et même de prononcer toute parole de vérité. En Arabie Saoudite par exemple, où on peut facilement être arrêté, emprisonné, torturé et mutilé pour peu de chose, ou dans des lieux où les idéologies salafiste et wahhabite sont très présentes comme l’Algérie, on peut être exposé à du rigorisme et même à du fanatisme, qui sont tout à fait étrangers à l’Islam. Sans parler de la Libye, de la Syrie ou de l’Irak, ou on risque tout simplement de se faire couper la gorge, ou encore de ce qui se passe au Bahreïn. Notre religion, ce me semble, n’est certainement pas le simple formalisme et l’ensemble de rituels extérieurs prôné par les salafistes et autres rigoristes littéralistes qui se limitent à l’écorce et nient la sève, mais avant tout un système de valeurs qui doit s’incarner dans la vie quotidienne, et qui accorde une place fondamentale à la justice, au droit, à la tolérance, au savoir et à la résistance à l’oppression. Avez-vous oublié la fameuse parole de Muhammad Abduh («Je me suis rendu en Occident, et j’ai vu l’Islam sans les musulmans ; je me suis rendu en Orient, et j’ai vu les musulmans sans l’Islam») et ses enseignements ? En ce sens, le moins qu’on puisse dire est que désigner les régimes politiques et les sociétés les plus proches de l’Islam authentique ne va pas de soi, et sur bien des points qui vont du politique au social, j’estime que la France l’emporterait non seulement sur l’Arabie Saoudite et les monarchies du Golfe, mais même sur des pays comme l’Egypte.

Notre foyer est ici, nos moyens de subsistance sont ici, nos droits et nos devoirs sont ici, c’est ici qu’est notre place et que nous pouvons avoir un rôle à jouer, un message à transmettre. Dieu nous a fait grandir ici et nous a donné les outils nécessaires afin d’agir dans ce contexte, dans cette société, nos connaissances et capacités ont été développées dans ce cadre précis. Si nous partons, tout cela perdra l’essentiel de sa valeur, et pourra même être un handicap dans le nouveau contexte où nous nous retrouverions. Alors que nous avons la possibilité de faire beaucoup de choses ici, si nous partons, nous deviendrons incapables de faire grand-chose, que ce soit pour nous-mêmes et pour notre communauté restreinte ou élargie, pour la France ou pour le pays de destination.

L’émigration du temps du Prophète (saas)

Vous nous exhortez à émigrer en nous présentant cela comme une sunna obligatoire du Prophète (saas), et en nous rappelant que même en vivant en Occident, nous sommes tenus de la suivre, impliquant clairement que ne pas le faire serait une désobéissance de notre part, un reniement des préceptes de notre Prophète (saas). Mais encore une fois, j’estime que cette alternative que vous nous présentez de manière catégorique est fausse et abusive, tant du point de vue des faits que du point de vue des pratiques, enseignements et injonctions du Prophète (saas) telles qu’elles sont reconnues par l’ensemble des musulmans.

Il est vrai que le Prophète Muhammad (saas) a dans un premier temps suggéré (et certainement pas ordonné) à un petit groupe de fidèles persécutés d’effectuer la hijra en Abyssinie, afin de préserver leur foi et même leur vie, qui était directement menacée par les Quraysh de La Mecque face auxquels ils n’avaient pas les moyens de se défendre. Ils faisaient en effet partie des catégories sociales les plus vulnérables, et subissaient non pas seulement des brimades et injures, mais des tortures qui pouvaient aller jusqu’à la mort, comme l’exemple fameux de ‘Ammar b. Yasir et de ses parents. Mais le Prophète (saas) n’a émis cette suggestion que cinq années après la proclamation de l’Islam, et donc après cinq années de persécutions terribles incomparables avec ce qu’on peut voir ou même imaginer en France (dans un futur proche ou lointain), et seulement pour un groupe très restreint (moins de 20 personnes, qui furent suivies l’année suivante par 80 environ, soit une centaine au total), la majorité des musulmans étant restée à La Mecque avec le Prophète (saas). De plus, il ne les a pas envoyés à l’aventure, vers l’inconnu, mais auprès du Négus d’Ethiopie, un chrétien généreux et juste en qui il avait pleine confiance et dont il savait qu’il accueillerait bien ces émigrés – et qui deviendra un précieux allié des musulmans. Il n’y a donc pas la moindre analogie possible entre les émigrations en Abyssinie et ce à quoi vous nous invitez.

De même pour la principale émigration vers Médine qui marque le début du calendrier islamique, et qui eut lieu treize années après le début de la proclamation de l’Islam, soit treize années de souffrances indicibles pour les musulmans – ostracisme, blocus économique menant à la famine, tortures, meurtres, etc. Et pourtant jamais l’ordre de fuir n’a été donné, ni même recommandé. Tout au plus était-il permis, voire suggéré à certaines catégories particulièrement vulnérables et minoritaires. Ce n’est que lorsqu’une délégation de Médine a prêté allégeance au Prophète (saas) et que l’Islam s’y est implanté, après le second serment d’allégeance à Aqaba, qu’il a commencé à suggérer aux musulmans de s’y rendre par petits groupes, non pas tant pour leur propre protection que pour l’édification de la première société musulmane qui était bien évidemment une nécessité absolue en ces temps où l’Islam était extrêmement fragile. Et ce n’est que lorsque les Quraysh se sont décidés à attenter collectivement à la vie du Prophète (saas) qu’il a lui-même fait l’émigration, et que la plupart des musulmans se sont retrouvés à Médine avec lui.

Le Prophète (saas) avait une Révélation directe de Dieu, et donc parlait et recommandait avec certitude et non pas sur la base de simples prédictions dues à des analyses qui pourraient très bien ne pas avoir l’autorité et la solidité nécessaires, et pourraient tout à fait être réfutées et contredites – pour ne pas dire qu’elles sont complètement extravagantes. D’autre part et surtout, il avait la responsabilité de sauvegarder l’Islam, qui était alors menacé d’extinction, en fondant un foyer sûr où l’Islam et les musulmans pourraient vivre en paix, en sécurité, et se constituer en une véritable communauté – ce qu’ils ne pouvaient alors faire nulle part sur la face de la Terre.

Ainsi, que ce soit pour l’Abyssinie ou pour Médine, ce n’était que pour une durée limitée, c’était à la suggestion de l’Envoyé de Dieu (saas) qui recevait la Révélation divine, et surtout, ce n’était jamais une obligation, même si dans ces conditions, il était normal que la place des nouveaux convertis à l’Islam soit aux côtés de leur Prophète (saas) dans une Terre d’Islam authentique qu’il fallait bâtir dès les fondements. Le Prophète (saas) était infailliblement informé par Dieu de ce qui allait advenir et avait donc toute autorité pour ordonner, mais malgré cela, il n’a fait que suggérer et inviter et certainement pas ordonner, et il n’a jamais prononcé le moindre mot de mépris ou de condamnation au sujet des musulmans qui, pour diverses raisons, sont restés à La Mecque (et qui ont également contribué, à leur niveau, à l’avènement de l’Islam). Et il n’a pas invité les musulmans à quitter la sécurité pour le danger et l’inconnu (voire le dénuement et/ou la mort assurés) comme vous le faites avec les musulmans de France, mais à fuir un danger pour une plus grande sécurité – si, effectivement, ils s’estimaient en danger – et à le rejoindre avec une solide garantie de sécurité et de prospérité, celle de Dieu et de son Prophète (saas), en vue d’œuvrer à l’édification de la première société musulmane de l’histoire. Le Prophète (saas) avait la garantie d’un refuge sûr à Médine, et il avait pris toutes les dispositions, sur plus d’une année, pour s’assurer que les musulmans seraient bien accueillis, qu’ils seraient installés dignement et seraient pourvus de moyens de subsistance, et malgré cela Dieu n’a rendu obligatoire l’émigration que pour lui car la diffusion du message de l’Islam était sa responsabilité. Le Prophète (saas) était extrêmement soucieux du bien-être matériel et psychologique des gens, et jamais il ne se serait permis de lancer un tel appel désordonné au sauve qui peut qui n’aurait pu que déstabiliser et effrayer les musulmans, qui étaient en nombre limité, alors que dire aujourd’hui de cet appel lancé à des millions de personnes, et qui veut avoir le retentissement de la Trompette du Jugement Dernier? Où pourraient-ils trouver un tel refuge? Dans quel but, quelle serait leur mission aujourd’hui? Quel que soit l’angle selon lequel on considère les choses, votre appel me parait insensé.

L’émigration n’est pas un départ impromptu et inconsidéré vers l’aventure et le danger. Bien au contraire, c’est un projet mûrement mûri et préparé par chaque individu, dans des conditions qui ne sont pas les nôtres, du moins pas de la manière globale que vous préconisez, et qui nécessiterait une situation dans lesquelles un danger direct et concret pèserait sur notre vie et sur notre foi – voire même sur la pérennité de la foi musulmane elle-même – et l’existence d’un endroit sûr où se réfugier. Vous laissez entendre que nous aurions le devoir de partir sous peine de contrevenir aux injonctions de notre religion, alors qu’au contraire, c’est bien plutôt l’émigration que vous prescrivez qui constituerait la véritable désobéissance. Sans parler du fait qu’un innocent ne fuit pas, car il est dans son droit, et qu’il ne veut pas donner prise à ses ennemis ni leur céder sans résistance ce qu’ils convoitent illégitimement. Seuls les coupables et les lâches fuient le danger – et seuls les insensés fuient sans raison.

Une retraite stratégique?

Vous dites très justement que l’émigration de Muhammad (saas) n’était nullement un acte de lâcheté, et vous rappelez que nous, les partisans de Muhammad (saas), ne nous soumettons pas à l’oppression, que nous ne sommes pas des lâches et que nous ne fuyons ni les adversités ni les champs de bataille, quels qu’ils soient. Et c’est pourquoi vous vous efforcez de présenter cette émigration massive et soudaine non pas comme un nouvel exode (cette fois pour les fils d’Ismaël), mais comme une mesure nécessaire face à un ennemi extrêmement puissant et décidé à nous éradiquer. Vous prétendez que si, Dieu nous en préserve, nous vous écoutions et émigrions, ce ne serait pas une fuite lâche et déshonorante du champ de bataille, une abdication face à l’adversité, ce que nos principes ne nous permettent pas, mais simplement une sorte de retraite stratégique avant de pouvoir revenir plus forts et de remporter la victoire. Avec tout le respect que je vous dois, cette analyse me paraît absurde et choquante.

Ainsi, le fait d’émigrer, d’abandonner notre maison, notre travail, nos amis, toute notre vie, de fuir les lieux non pas face à un danger connu et présent, comme l’Etat Islamique en Syrie ou en Irak, mais face à un danger confus et distant, ne serait pas une fuite stupide et ignominieuse mais un acte sensé et courageux? Car quel que soit le danger, qui est sans aucun doute réel, mais infiniment moins grand et moins imminent que ce que vous affirmez, pourquoi ne pas l’attendre? Pourquoi ne pas rester ici et essayer de le prévenir, puis de l’affronter s’il doit absolument se présenter? Pourquoi ne pas même envisager de lutter, de résister, de combattre? Sommes-nous des brebis, ou des veaux? Non, nous ne sommes pas des lâches ni des insensés, et quels que soient les dangers qui se présentent, nous ferons face et nous nous défendrons de toutes nos forces. Nos parents et grands-parents ont quitté leur pays pour venir ici et s’y installer, ils ont durement gagné leur vie et enduré bien des difficultés afin de nous offrir une situation honorable, ils ont œuvré à la reconstruction de la France et bâti nos maisons, et nous devrions abandonner tout cela, rendre tous leurs efforts vains, fuir au loin et tout recommencer à zéro simplement à cause de l’indistinct et lointain grondement du tonnerre? Nous devrions nous précipiter vers l’inconnu où tant de difficultés nous attendent, prévisibles et celées, face auxquelles nous serions complètement démunis? Alors que quoi qu’il puisse arriver en France, nous connaissons très bien le terrain pour y être né, y avoir vécu et contribuer à le façonner, si bien qu’il sera bien plus facile de résister ici et de préserver nos principes et notre dignité, et ce quel que soit le danger? N’est-ce pas une oppression, et même une absurdité que de nous imposer cette fuite? Et Dieu sait que nous ne sommes ni faibles, ni seuls, ni démunis, et que la coexistence est loin d’être impossible comme vous le suggérez. Non seulement nous sommes forts, mais nous serons aux côtés des centaines de milliers de Français non-musulmans qui sont attachés au droit, n’ont pas de préjugés, et comprennent la logique pernicieuse du choc des civilisations qu’on essaye d’imposer en France pour la détourner des véritables questions (d’ordre politique, économique et social), et à laquelle celle-ci a tout à perdre.

Et du reste, que ferons-nous concrètement, en Algérie ou ailleurs, durant toutes ces années? Car il est question de revenir plus forts, mais comment? Comment se préparer adéquatement à combattre l’oppresseur? Quand et comment devrons-nous revenir? Combien de temps notre exil va-t-il durer? La rédemption sera-t-elle pour nous, pour nos enfants, leurs arrière-petits-enfants? Que faire? Il est vraiment inacceptable d’être si allusif pour des questions si capitales, qui devraient, à vous écouter, bouleverser des vies entières. Est-ce que vous suggérez que nous rentrions, par exemple, en Algérie pour une dizaine d’années, pour y suivre quelque formation adéquate et nous entraîner pendant quelques années, afin de pouvoir revenir et envahir la France et soumettre l’oppresseur d’antan ? Est-ce réaliste, raisonnable, ou n’est-ce pas plutôt qu’une absurde fantasmagorie ? Et pourquoi cette présentation militaire de la situation, comme s’il y avait une guerre ouverte entre l’Islam et la France, et que notre rôle était de refaire les croisades? Notre religion, bien avant le grand Robespierre, a formellement interdit toute guerre d’agression ou de conquête («Et si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes peuplant la Terre auraient, sans exception, embrassé Sa foi. Est-ce donc à toi de contraindre les hommes à devenir croyants? » – Coran, X, 99 ; «Nulle contrainte en religion» – Coran, II, 252), et aucun exemple de guerre offensive ne peut être trouvé dans la sunna du Prophète (saas). Si nous avions été soumis aux tortures, meurtres, blocus, expropriations dont les musulmans de La Mecque ont souffert, il pourrait être légitime de reprendre notre dû par la force, mais si nous partons de nous-mêmes, quel sera notre grief? Quelle sera notre justification? Notre religion nous interdit à la fois d’être oppresseurs et d’être opprimés, mais vous avez manifestement décidé que nous allions en transgresser tous les interdits.

Quiconque part et abandonne volontairement sa situation, ses droits et ses biens sans qu’un danger redoutable, réel et présent l’y ait contraint n’aura aucune légitimité à les réclamer, ni dans ce monde, ni dans l’autre. Si nous quittons la France pour nous installer ailleurs, que ce soit pour quelques années ou pour plusieurs décennies, la France ne sera plus notre pays, et nos revendications ne seront plus légitimes, car ce qui est bien plus facilement envisageable dans un futur pas trop lointain, c’est un durcissement des règles concernant la nationalité: remise en cause du droit du sol, de la transmission automatique de la nationalité aux enfants, nécessaire présence en France x mois chaque année, etc. En vous écoutant, nous nous mettrions alors dans la même situation que les Palestiniens qui ont abandonné leurs maisons en 1948, fuyant la guerre pour un temps très court, pensaient-ils, mais qui ne sont jamais revenus et ont été dépossédés de tout, se retrouvant, jusqu’à ce jour, réfugiés aux quatre coins du monde. Voulez-vous que nous devenions les apatrides de demain? De nouveaux Juifs errants? Par notre propre faute, sans y avoir été soumis par la force et sans avoir fait mine de résister, alors que les troupes des Pharaons d’aujourd’hui ne sont ni à nos trousses, ni même constituées – du moins à l’échelle nationale? C’est vraiment insensé.

L’Islam et le choc des civilisations

Il me semble irresponsable, surtout dans un tel contexte, de donner du crédit à la théorie du choc des civilisations prônée et façonnée de toutes pièces par les impérialistes américains, les sionistes et les racistes et extrémistes de tous bords. Vous apportez une caution islamique à ces discours haineux et incendiaires, récusés par notre religion, selon lesquels la coexistence entre musulmans et non-musulmans, entre français de branche et français de souche ne serait pas possible. Maintenant, grâce à vous, ces racistes peuvent invoquer la caution d’une autorité musulmane qui appelle très précisément à ce qu’ils appellent, à savoir la remigration , impliquant la déchéance de nationalité et la déportation, volontaire ou forcée. Ils affirment haut et fort que l’Islam n’a pas sa place en France, et que les musulmans ne peuvent pas cohabiter en paix avec le reste des Français. Et vous joignez votre voix à la leur, alors que notre religion ne prône pas la ségrégation et l’antagonisme mais la paix, la coexistence, l’harmonie, la compréhension et la tolérance, et, bien sûr, la dignité et l’auto-défense – car comme Malcolm X, nous ne tendons pas l’autre joue et sommes à même de nous défendre par tous les moyens nécessaires. Je suis au regret de vous le dire, mais vous êtes, que vous vous en rendiez compte ou non, la recrue rêvée pour les identitaires islamophobes, anti-arabes et anti-immigration, et ils vous louent à longueur de journée sur les forums de discussion. Vous êtes une bénédiction pour eux, et vous tombez à pic, leur permettant d’être encore plus audacieux dans leurs attaques contre l’Islam et les musulmans et leur rejet d’une France multiethnique et multiculturelle.

Une guerre est déclarée non pas contre l’Islam en tant que tel, mais, de manière générale, contre toutes les croyances, traditions, valeurs et libertés authentiques, contre tout ce qui peut amener les individus, communautés et nations à être forts et éveillés, à s’unir et à secouer le joug de toute oppression. L’Islam barbare et obscurantiste d’Arabie Saoudite n’est pas un ennemi de l’Occident, au contraire, il est son principal allié, car il n’enseigne que l’ignorance et la soumission. Les musulmans n’ont pas à craindre en tant qu’ils sont musulmans, mais seulement à hauteur de leur degré d’éveil, de résistance et d’activisme, comme tout autre citoyen, même si aujourd’hui, l’Islam est effectivement présenté comme une cible de choix à cause de ses valeurs et de sa capacité de cohésion. Cette offensive a lieu actuellement à l’échelle mondiale, et la France pourrait bien devenir une ligne de front dans cette guerre politique, idéologique et culturelle – et parfois militaire. Et de même que les Etats-Unis et Israël en sont le fer de lance international, de même que des torchons comme Charlie Hebdo en étaient de diligents soldats, et de même que la hyène Marine Le Pen et son parti portent haut l’étendard de cette cause, vos propos sont maintenant utilisés comme une caution dans cette offensive, d’où, je le regrette, cette longue lettre de protestation. Vous apportez la voix d’un savant musulman  dans cette arène du choc des civilisations, en reprenant ce que disent nos ennemis, à savoir que la coexistence entre musulmans et non-musulmans en France est impossible.

Ne sommes-nous pas, devant Dieu comme devant les hommes, responsables non seulement de nos intentions, mais également de notre démarche, de la manière dont nous transmettons notre message, de notre rigueur, de notre humilité, et des conséquences prévisibles de nos paroles et de nos actions? Ne devrions-nous pas faire attention à ne pas donner prise à nos ennemis, à ne pas leur permettre d’utiliser à leur avantage nos déclarations et actions, et de faire attention à ne pas égarer les gens dont les vies entières pourraient être brisées si elles essayaient d’appliquer ces exhortations inconsidérées à l’émigration? Il me semble que vous êtes insouciant, voire ignorant face à ces réalités.

Voir la deuxième partie de cette lettre : Lettre ouverte à Imran Hussein, par un musulman français (2/2)

Elle aborde les sujets suivants:

La Russie face à l’Empire

Qu’est-ce que l’eschatologie islamique ?

La France devient-elle totalitaire ?

La place des musulmans en France

Les enseignements de l’Islam

Sayed 7asan

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