Y aurait-il une once de vérité dans la propagande ethnique ukrainienne?

Par Le Saker original – Le 6 mars 2015 – Source thesaker.is 

Nous avons tous entendu la position nationaliste ukrainienne: il sont les véritables héritiers slaves des Rus’ de Kiev alors que les Russes modernes sont en réalité soit des Tatars soit des Finno-ougriens, ou Dieu sait quoi d’autre. Et il y a ensuite cette fameuse citation de Napoléon, je crois, qui a dit : « Grattez le Russe et vous trouverez le Tatar ».

Ce qui nous intéresse ici, c’est qu’il pourrait bien y avoir un peu de vérité là-dedans, et pas seulement un grain.

Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’un Tatar? Bon, à l’époque moderne, un Tatar est une catégorie bien définie, à la fois d’un point de vue historique et du point de vue moderne (voir la fiche Wikipédia Tatar). Le problème est ce qui manque à ces définitions, à savoir l’ancien usage de ce mot. Même de nos jours, les différentes personnes qualifiées de « Tatars » ont très peu en commun. Elles ont encore moins en commun avec les Mongols modernes. Donc pourquoi les livres russes parlent-ils d’un joug tatar-mongol? Qui étaient ces Tatars-Mongols, en réalité?

L’historiographie russe (et occidentale) officielle admet plus ou moins que les Tatars-Mongols étaient un mélange de tribus nomades d’Asie (la Mongolie moderne), qui ont traversé la Sibérie et les steppes puis ont envahi la Russie et de nombreux autres pays (jusqu’en Pologne et en Autriche). En fait, ces Tatars-Mongols ont construit le plus grand empire de tous les temps et ils l’ont fait en quelques décennies seulement. La carte de géographie française ci-dessous montre l’immensité de cet empire en 1754

Mais il y a un problème avec ce récit officiel. Les Tatars ne sont pas des Mongols. Pire, le terme Tatar était appliqué à divers groupes ethniques totalement différents, qui avaient vraiment très peu en commun. Il y a même des preuves solides attestant que le mot Tatar était même appliqué aux populations russes!

Découvrez ce détail d’une icône de la célèbre église orthodoxe russe Saint Serge de Radonezh, qui dépeint la fameuse bataille entre les Russes et les Tatars et voyez si vous pouvez distinguer ces deux groupes:

Et maintenant regardons de plus près un détail de cette grande icône, au centre à droite:

Pouvez-vous distinguer les combattants? Si vous n’y arrivez pas, ne vous en faites pas. Les historiens n’y arrivent pas non plus. Non seulement les deux camps sont équipés exactement de la même manière, mais les deux affichent des icônes du Christ sur leurs bannières!

C’est seulement un exemple parmi beaucoup d’autres, et je ne veux pas vous ennuyer avec la multitude d’autres exemples. Ce que ce je veux simplement dire est ceci: il y a de très forts indices montrant que les forces russes » étaient pleines de Tatars et il y en a aussi que les forces tatares étaient pleines de Russes. Quelques historiens russes vont jusqu’à dire que les Russes sont des Tatars (dans l’acception du XIIIe au XVe siècle de ces mots, pas dans la langue moderne!) et que ce que les historiens des XVIIIe et XIXe siècles décrivent comme un « joug tatar » était en réalité une guerre civile russe. Maintenant, avant que vous leviez les bras au ciel avec dégoût, souvenez-vous que « Russe » n’est pas (et n’a jamais été !) une catégorie ethnique. En fait, la confusion ici vient de ce que ni Russe ni Tatar ne sont des catégories ethniques. Mongol en est une, mais les Mongols n’ont jamais été suffisamment raffinés ni assez nombreux pour conquérir un espace si immense par eux-mêmes. Vous doutez encore? Okay – essayons de trouver qui sont les descendants modernes des Tatars-Mongols? Les candidats incluent les Mongols, les Turkmènes, les Slaves et beaucoup d’autres groupes ethniques qui appartenaient tous à l’ancien Empire de Genghis Khan. Le résultat bizarre est celui-ci: nous ne savons pas qui étaient réellement les Tatars-Mongols du XIIe au XIVe siècle, mais il y a de fortes présomptions que les « Russes » (dans un sens purement culturel, non pas ethnique) en formaient une grande partie. Une autre manière serait de dire que les Slaves orthodoxes étaient une composante importante de la civilisation que les historiens ont appelée plus tard empire Tatar-Mongol. Certains de ces Slaves orthodoxes ont subi l’invasion des hordes venues de l’Est, mais d’autres faisaient officiellement partie de ces hordes. Quelles sont les preuves? Il y en a beaucoup – y compris le fait que les envahisseurs utilisaient presque exclusivement le russe dans leur administration, que de nombreux Russes portaient des noms tatars et vice-versa, ou que si vous regardez le patrimoine génétique dans les régions supposées avoir été colonisées pendant 300 ans par des Mongols d’Asie, vous trouverez une écrasante majorité de marqueurs génétiques slaves et européens, bien que l’histoire rapporte que beaucoup de familles russes ont été fondées par des Tatars (dont la mienne, d’ailleurs).

Troublé?

Bon, c’est exactement ce qu’il faut. Je suis troublé aussi. Et beaucoup d’historiens également. La preuve apportée par le récit simpliste des historiens des XVIIIe et XIXe siècles ne suffit tout simplement pas. Mais la véritable histoire reste à découvrir…

Et l’Ukraine dans tout ça?

D’abord, souvenez-vous que la nation ukrainienne est une invention du XXe siècle. Mais ce qui est vrai est que les Slaves orthodoxes qui vivaient dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine ont quelques différences marquées avec les Slaves orthodoxes qui vivent dans ce qui est aujourd’hui la Fédération de Russie. Appelons le premier groupe Slaves orthodoxes du Sud, et le second groupe Slaves orthodoxes du Nord. Voici quelques-unes des différences importantes:

1) Les Slaves orthodoxes du Sud ont toujours été plus éloignés des centres de pouvoir tatars-mongols que les Slaves orthodoxes du Nord.

2) Les Slaves orthodoxes du Sud ont été envahis pendant plusieurs siècles par les armées polonaises et lituaniennes.

3) Les Slaves orthodoxes du Sud n’ont pas vécu le schisme des vieux-croyants (voir ici les détails).

4) Les Slaves orthodoxes du Nord n’ont pas souffert des persécutions papistes.

5) Les Slaves orthodoxes du Sud ont vécu longtemps au sein de l’Église orthodoxe grecque (tandis que les Les Slaves orthodoxes du Nord avaient leur propre Église orthodoxe indépendante locale).

Il y a, bien sûr, d’autres éléments, mais les quelques-uns cités ici soulignent déjà de possibles différences réelles dans l’ethos. Bien sûr, le mélange massif pendant des siècles des Slaves du Sud et du Nord a contribué efficacement à annuler ces différences. Clamer, comme les nationalistes ukrainiens aujourd’hui, que les Russes et les Ukrainiens sont des peuples totalement différents est absolument ridicule, et dire que les Ukrainiens sont les descendants des anciens Ukrs, qui sont, je ne plaisante pas, les ancêtres des Aryens qui ont construit les pyramides en Egypte et ont été les premiers à s’installer sur les côtes de la mer Noire, est évidemment tout simplement dingue. Mais c’est indéniable que les Slaves du Sud et du Nord ont eu historiquement des expériences tout à fait différentes et que l’intégration des Slaves du Nord, et leur acculturation, ont été très profondes, peut-être plus profondes qu’on ne le supposait jusqu’à maintenant.

Pour conclure, ne me condamnez pas au bûcher pour ce que j’ai écrit. Comme je l’ai dit, je ne suis pas historien et il y a suffisamment d’historiens totalement confus ici pour faire que même une personne vraiment ignorante comme moi se sente suffisamment d’audace pour soulever des questions intéressantes, sans répondre à toutes. J’ai seulement voulu partager avec vous le fait que l’histoire du peuple qui vit aujourd’hui dans l’Ukraine moderne, et plus encore, dans la Russie moderne, est très complexe et très mystérieuse et même obscure à beaucoup d’égards. Et que les nationalistes (des deux camps!), qui ont tout compris en le réduisant à des slogans d’une seule phrase ont presque inévitablement tort.

The Saker

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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