Battre l’Oncle Sam à son propre jeu

Par Mike Whitney – Le 8 juin 2015 – Source CounterPunch

«Washington ne recherche ni la paix, ni la guerre. Washington cherche à dominer les autres pays. Si cet objectif peut être atteint par des moyens pacifiques, tant mieux. Sinon, Washington entre en guerre. C'est aussi simple que cela.»

William Blum, interview à Russia Today
«Les USA sont en train de s'activer frénétiquement pour entourer la Chine de systèmes d'armements, de patrouilles aériennes, de navires de guerre et d'une multitude de bases militaires, déployées sur un réseau de petites îles proches au Japon, en Corée du Sud et aux Philippines, ou dans sa toute nouvelle et gigantesque base d'Australie... La flotte des USA, ses porte-avions et ses sous-marins nucléaires patrouillent au voisinage des eaux chinoises. Bombardiers, avions de surveillance, drones et satellites espions remplissent les cieux, au point qu'ils en assombrissent les aurores.»

Jack A. Smith, Jeux d'hégémonie : les USA contre la RPC, CounterPunch

L’immense accroissement des capacités militaires US dans la zone du pacifique asiatique témoigne d’un changement fondamental de la politique des USA vis-à-vis de la Chine. Washington n’adhère plus à l’opinion suivant laquelle la Chine peut être intégrée au système mondial actuel, dominé par les USA. Les actions récentes de la Chine, en particulier l’annonce de son plan pour créer une Banque d’investissement asiatique dans les Infrastructures (la Asian Infrastructure Investment Bank ou AIIB, BIAI pour nous), qui serait un compétiteur direct de la Banque mondiale ou du FMI, a créé de nombreuses alarmes dans la capitale, où grands décideurs anonymes et dirigeants de groupes de réflexion sont d’accord pour affirmer qu’une politique plus ferme est nécessaire pour ralentir l’ascension chinoise. La confrontation actuelle en mer de Chine méridionale, dans laquelle les USA ont demandé à la Chine de cesser immédiatement ses activités visant à réclamer des territoires contestés, indique qu’une telle politique a déjà été lancée, ce qui rapproche d’autant les perspectives d’un affrontement entre ces deux adversaires disposant de l’arme nucléaire.

Il n’est pas nécessaire de décrire en détail les opérations chinoises dans le cadre de la dispute des iles Spratleys, lorsque toute personne raisonnable est capable d’admettre que Washington n’a pas d’intérêt légitime à exprimer concernant quelques monceaux de sables accumulés sur des récifs à 10 000 km de son territoire. Ces îles artificielles ne posent aucune menace envers la sécurité nationale des USA, pas plus qu’envers la liberté de navigation. L’administration Obama ne fait qu’utiliser les iles Spratleys comme un prétexte pour provoquer, intimider et harceler Beijing. Les îles Spratleys sont mises en avant pour envenimer les relations, pour ameuter une coalition hostile à la Chine parmi les alliés des USA dans la région, pour diaboliser la Chine au travers des médias, pour construire les moyens nécessaires à la destruction de l’ambitieux projet chinois d’une route de la Soie économique et stratégique, et pour menacer le flanc Est chinois au moyen des flottes US-américaines qui mettent en péril l’accès chinois à des voies maritimes et à des sources d’approvisionnement énergétique cruciales. Car c’est bien l’objectif ultime de la manœuvre ; forcer la Chine à s’incliner et à accepter les diktats de Washington. Et c’est bien ce que veulent les USA.

Dans un discours récent aux Dialogues de Shangri-La tenus à Singapour, le secrétaire à la Défense Ashton Carter a indiqué qu’«il n’existe pas de solution militaire au contentieux en mer de Chine méridionale». Quelques instants plus tard, et sans aucune trace d’ironie, Carter a énuméré une longue liste de matériel militaire que le Pentagone prévoit de déployer dans la zone Asie-Pacifique, pour y améliorer les capacités offensives des USA. La liste inclut notamment «des sous-marins nucléaires de dernière génération classe Virginie, des aéronefs de surveillance maritime de type P-8 Poséidon, le tout dernier destroyer furtif, le Zumwalt, ainsi que les tout nouveaux avions de surveillance E-2D Hawkeye embarqués sur porte-avion». Le Pentagone prévoit également de déployer «de nouveaux systèmes sans pilotes aériens ou maritimes, un nouveau bombardier à long rayon d’action, un canon électromagnétique, des laser et de nouveaux systèmes spatiaux ou adaptés au cyberespace, dont quelques surprises».

Pour quelqu’un qui ne croit pas à une solution militaire, Carter s’équipe d’un formidable arsenal meurtrier. La question à poser est donc : pourquoi? Washington se prépare-t-il à la guerre?

Sans doute pas. Les USA ne veulent pas d’une guerre avec la Chine. Mais Washington rêve d’être l’acteur dominant sur le marchés le plus prometteur et prospère de ce siècle, l’Asie. La croissance éclair de la Chine a mis en péril ce projet, ce qui explique qu’Obama en soit réduit à rameuter l’artillerie lourde. La coalition anti-Chine, les accords de commerce excluant la Chine (TPP) et cet accroissement militaire sans précédent sont tous destinés à préserver le rôle dominant de Washington sans réellement déclencher une guerre. L’administration Obama pense qu’une démonstration de force sera suffisante pour entraîner un changement de ton. Ils pensent que la Chine reculera plutôt que se confronter à l’immense pouvoir militaire de l’Empire US. Mais cela sera-t-il vraiment le cas ? Voici un autre extrait du discours de Carter à Shangri-La.

Les USA continueront de protéger la liberté de navigation et de survol, des principes qui ont garanti la paix et la prospérité de cette région pendant des décennies. Que personne ne s’y trompe : les USA continueront à voler, naviguer et patrouiller en tout point où leur présence est permise par les lois internationales, de la même manière que pour le reste du globe.
Les Etats-Unis d’]Amérique, aux côtés de leurs alliés et partenaires régionaux, ne se laisseront pas déposséder de ces droits, les droits dont jouissent toutes les nations. Après tout, transformer un rocher immergé en piste d’atterrissage ne permet pas de prétendre à la souveraineté sur les eaux alentours, ni d’y poser des restrictions au transit aérien ou maritime international.

De qui se moque Carter ? La Chine ne pose aucun danger pour la liberté de navigation ou de survol. Le vrai danger [pour les USA] vient de la participation chinoise, d’un montant de $100 Mds, à la Banque de développement des BRICS qui est mise en place pour financer quelques-uns des «plus grands projets de l’histoire moderne, dont notamment, la construction de nouvelles infrastructures eurasiennes, de Moscou à Vladivostok, et de la Chine du Sud jusqu’à l’Inde». L’acronyme BRICS (Brésil Russie, Inde, Chine est Afrique du Sud) désigne un groupe de pays qui «représentent 56% de la production économique mondiale, et 85% de la population mondiale. Ils contrôlent près de 70% des réserves mondiales en devises étrangères. Leur croissance annuelle moyenne est entre 4 et 5%» (Source Sputnik News). En d’autres termes, les institutions contrôlées par les USA sont sur le point de perdre leur rôle si exaltant de souscripteurs de l’économie globale, car les plus grands projets d’infrastructures de notre planète seront financés par la Chine et ses alliés. Bien entendu, cela ne s’accorde pas avec la vision de Washington, où les maîtres du jeu s’inquiètent de l’érosion graduelle que l’influence des USA va subir, alors que le centre du pouvoir au niveau mondial est inexorablement entraîné vers l’Est.

L’hégémonie des USA est également menacée par les politiques économiques sino-centriques adoptées par la Chine, que Robert Berke résume dans un article sur OilPrice.com, intitulé Et si la Nouvelle Route de la Soie apportait la richesse au monde ? [1/3]. Voici un extrait de l’article.

«La Chine est en train de mettre sur pied le plus grand projet de développement économique et d’infrastructures jamais entrepris ; la Nouvelle Route de la Soie. Ce projet vise rien de moins qu’un changement révolutionnaire dans la carte de l’économie mondiale… Cette vision ambitieuse cherche à ressusciter les anciennes Routes de la Soie, en les transformant en des corridors modernes pour le transit, le commerce et l’économie, courant de Shanghai à Berlin. Cette Route traversera la Chine, la Mongolie, la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne, sur une distance supérieure à 12 000 km, pour créer une zone économique s’étendant sur un tiers de la circonférence terrestre.

Ce plan comporte la construction de lignes ferroviaires à grande vitesse, de routes et d’autoroutes, de réseaux fibres optiques, de transmission et de distribution d’énergie. Les villes et ports le long de cette routes seront les cibles de programmes de développement économique.

Une part tout aussi essentielle de ce plan est la Route de la Soie maritime, un projet aussi ambitieux que sa contrepartie terrestre, reliant la Chine au golfe Persique et à la mer Méditerranée, à travers l’Asie centrale et l’océan Indien. Lorsqu’elle sera complétée, tout comme l’ancienne Route de la Soie, elle connectera trois continents ; l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Cette chaîne de projets d’infrastructures créera le plus grand corridor économique mondial, qui couvrira une population de 4,4 milliards de personnes, et une production économique de 21 billions de dollars.

Pour le reste du monde, les décisions chinoises concernant la Route sont rien moins que mémorables. Cet immense projet pourrait être le vecteur d’une véritable renaissance au niveau des échanges commerciaux, industriels, scientifiques, culturels et intellectuels, qui pourrait bien rivaliser avec la Route de la Soie originale. Il est également de plus en plus clair que les conflits géopolitiques autour de ce projet pourraient bien mener à une nouvelle guerre froide entre l’Est et l’Ouest, pour la domination de l’Eurasie. Et son issue est loin d’être acquise. Robert Berke, Oil Price)

La Chine est parfaitement située pour recueillir les fruits de la croissance explosive de l’Asie. Le pays a payé pour atteindre cette position, en améliorant ses infrastructures et ses capacités industrielles, et il est maintenant en position de force, prêt à bénéficier du fait que «la moitié de l’humanité vivra en Asie à l’horizon 2050» et que «plus de la moitié de la classe moyenne globale ainsi que la consommation correspondante viendra de cette région». Les corporations US seront les bienvenues dans la compétition sur ces nouveaux marchés, mais leurs résultats n’approcheront jamais de ceux des entreprises localisées en Chine. (C’est pourquoi certains membres puissants des élites corporatistes ont demandé au Pentagone d’intervenir)

Le pari de Washington dans les îles Spratley est une tentative de renverser la vapeur, faire dévier la trajectoire chinoise actuelle, et faire des USA la pièce maîtresse régionale, capable d’y écrire les règles du jeu et d’en désigner les gagnants. Comme l’a dit le Secrétaire à la Défense Carter, dans un discours antérieur, donné à l’Institut McCain en Arizona, «on trouve déjà 525 millions de consommateurs de la classe moyenne en Asie, et ils seront 3,2 milliards dans la région en 2030». Les corporations US souhaitent récupérer la part du lion sur ces marchés, y refourguer leurs gadgets, suivre le cours des transactions locales, et en siphonner les profits. Le boulot de Carter consiste à les aider à atteindre ces objectifs.

Une autre menace envers la domination globale des USA vient de la Banque d’investissement asiatique pour les infrastructures (BIAI) mentionnée plus haut. Le danger posé par la BIAI ne vient pas simplement du fait qu’elle va financer de nombreux projets d’infrastructures nécessaires à l’intégration de l’Europe, l’Asie et l’Afrique dans une zone de libre-échange géante, mais cette banque est également construite comme un concurrent direct des institutions financières clé contrôlées par les USA (le FMI et la Banque mondiale), qui ont permis le maintien de la poigne de fer washingtonienne sur le système financier mondial. Alors que cette poigne se desserre progressivement, l’importance des transactions transfrontalières en dollars US ira décroissant, ce qui menacera le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale. Comme le note l’auteur Bart Gruzalski dans son excellent article sur CounterPunch: «La Chine et la Russie sont en train de créer des alternatives qui menacent le statut du dollar en tant que seule monnaie internationale d’importance. En développant les alternatives commerciales au dollar, ces nations contestent la valeur du dollar et menacent donc l’économie des USA.» (Bart Gruzalski, An Economic Reason for the US vs. China Conflict, CounterPunch).

L’ancien secrétaire auTtrésor Larry Summers a présenté une vision particulièrement sombre du développement de la BIAI, dans un éditorial édité en avril dans le Washington Post. Il y affirmait :

Le mois dernier pourrait bien passer dans les mémoires comme le moment ou les USA ont perdu leur place de contrôleur du système économique global. Bien sûr, le pays a connu un grand nombre de périodes difficiles auparavant, ainsi que des épisodes où son comportement pouvait difficilement être qualifié de multilatéraliste, comme par exemple lors de la décision de Nixon en 1971 de ne plus indexer la valeur du dollar sur l’or. Mais aucun évènement ne me vient à l’esprit, depuis Bretton Woods, qui puisse se comparer à la combinaison des efforts de la Chine pour établir une nouvelle institution majeure et l’échec des USA à persuader plusieurs douzaines de ses alliés traditionnels, à commencer par la Grande-Bretagne, de ne pas y adhérer.

Summers continue en reconnaissant la menace que les dysfonctionnements politiques (au Capitole), pose au «rôle prééminent du dollar dans le système international». Il est clair qu’il est conscient de la gravité des évènements et de la menace que pose la BIAI envers l’hégémonie des USA. Le lecteur devrait noter que les avertissements inquiets de Summers n’ont été émis que quelques mois avant que Washington ne reforge sa politique chinoise de façon dramatique, ce qui permet de supposer que l’annonce de la fondation de la BIAI a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Peu de temps après, l’administration Obama a intégré des changements cruciaux à ses politiques antérieures. Confinement et intégration ont été remplacés par les politiques actuelles d’intimidation, de provocation et de confrontation. Beijing a été promu ennemi numéro 1, le premier rival stratégique des USA.

La suite des événements devrait être évidente pour qui a suivi les actions des États-Unis d’Amérique ces dernières années. Les USA se considèrent maintenant en guerre avec la Chine, ce qui implique que tous les moyens et ressources seront utilisés, à l’exception des moyens militaires, pour vaincre cet ennemi. Les USA ne s’engageront pas dans une campagne militaire contre un adversaire capable de riposter ou d’infliger une défaite à leurs forces armées. C’est une règle cardinale des politiques militaires US. Bien que nous soyons donc à l’abri d’une conflagration nucléaire, cela n’exclut pas une campagne de propagande à outrance, visant à démoniser la Chine et ses dirigeants dans les médias (malheureusement, on constate que les comparaisons à Hitler et au Kaiser ont déjà commencé), des attaques asymétriques sur les marchés et la monnaie chinoise, des sanctions économiques cruelles, des financements venus d’ONG contrôlées par les USA pour les dissidents chinois, les agents étrangers, les membres de la cinquième colonne, des intrusions dans les eaux territoriales et l’espace aérien chinois, la coupure de l’accès à des sources d’énergies stratégiques cruciales (80% du pétrole importé par la Chine transite par le détroit de Malacca vers la Mer de Chine méridionale) et, enfin, un soutien clandestin aux djihadistes modérés dont l’objectif est de renverser le gouvernement chinois et en faire un califat islamique. Tous ces moyens, tous ces intermédiaires seront employés pour battre Beijing, renverser sa stratégie ambitieuse de Route de la Soie, freiner sa croissance explosive, et saboter ses plans visant à en faire l’acteur prééminent de l’Asie.

Washington a jeté le gant en mer de Chine méridionale. Si Beijing souhaite préserver son indépendance et renverser les USA de leur position hégémonique mondiale, il devra relever le défi, se préparer à une longue lutte, et battre l’Oncle Sam à son propre jeu.

Cela ne sera pas une partie de plaisir, mais c’est faisable.

Mike Whitney

Traduit par Étienne, relu par jj pour le Saker Francophone

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Qu’est-ce qu’il faut vraiment pour un accord américano-iranien sur le nucléaire ?

Jusqu'à mardi prochain, tout reste en jeu. Obama a réfléchi, il ne veut pas d'une mauvaise affaire. Là n'est pas la question. La question c'est Obama lui-même prenant la décision politique fatidique d'abandonner l'arme de choix de la politique étrangère américaine : les sanctions. A-t-il les moyens qu'il faut pour ça  ?
Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 1er juillet 2015 – source Russia Today

Le Secrétaire US de l’Énergie Ernest Moniz, Secrétaire d’Etat US John Kerry et la sous-secrétaire aux affaires politiques Wendy Sherman (3e à g.) rencontrent le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif (2e à d.)  à Vienne le 28 juin 28, (Reuters / Carlos Barria) 

Oubliez les racontars stupides. Ici, en un mot, voila ce qu’il faut vraiment pour que l’Iran et le P5 + 1 décrochent un accord nucléaire qui change les règles du jeu avant la nouvelle échéance du 7 juillet.

L’Iran et le P5 + 1 ont accepté à Lausanne un plan d’action global tenant compte des considérations constitutionnelles délicates à la fois aux États-Unis et en Iran. Une partie cruciale du plan est le mécanisme pour se débarrasser des sanctions. Ce qui se discute à Lausanne – et maintenant à Vienne – n’est pas un traité ; c’est un plan d’action. Il y aura une déclaration quand un accord sera atteint. Mais il n’y aura pas de cérémonie de signature.

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Le Trou Noir Financier
Origine et destinée

Dmitry Orlov

Dmitry Orlov

Par Dmitri Orlov – Le 30 juin 2015 – Source ClubOrlov

Il y a quelque temps, j’ai eu le plaisir d’entendre Sergey Glazyev – économiste, homme politique, membre de l’Académie des sciences, conseiller du Président Poutine – dire quelque chose qui confirme complètement ma propre pensée. Il a dit que tous ceux qui connaissent les mathématiques peuvent voir que les États-Unis sont au bord de l’effondrement parce que leur dette a augmenté de façon exponentielle.

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Saint-Pétersbourg dans le cœur de l’action

Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 20 juin 2015 – Source AsiaTimes

Les chiens de la peur et des sanctions occidentales aboient, tandis que la caravane eurasienne passe .

Et aucun caravansérail ne pourrait rivaliser avec la 19e édition du Forum international économique de Saint-Pétersbourg (SPIEF). Des milliers de chefs d’entreprises mondiales – y compris des Européens, mais pas d’Américains ; après tout, le président Poutine est le nouvel Hitler – représentant plus de 1 000 sociétés internationales, y compris les PDG de BP, Royal Dutch Shell et Total, ont investi la ville avec panache.

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La Russie et la Chine vont gagner contre les États-Unis


Le 06 juin 2015 – Source: Vodka et Pelmini 

Voici ce que déclare un grand banquier allemand !

China und Russland wenden sich von den USA ab, die EU spielt nur noch eine Nebenrolle. Der Westen läuft Gefahr, die Auseinandersetzung mit dem Rest der Welt zu verlieren. Aufnahme vom Feuerwerk beim APEC-Gipfel 2014. (Foto: dpa)

La Chine et la Russie se détournent des États-Unis, l’UE ne joue qu’un rôle de soutien. L’Occident est en danger de perdre sa relation avec le reste du monde. Photo lors des feux d’artifice au sommet de l’APEC en 2014. (Photo: Reuters)

 

Folker Hellmeyer prédit que les dommages économiques  seront assez significatifs pour l’UE et l’Allemagne si elles  décident de poursuivre la politique de sanctions imposée par les États-Unis.

Folker Hellmeyer, Chefvolkswirrt der Bremer Landesbank. (Foto: Bremer Landesbank)

Folker Hellmeyer, économiste en chef chez Bremer Landesbank. (Photo: Bremer Landesbank)

Hellmeyer: «Les USA ne sont plus une démocratie, mais une oligarchie!»

Folker Hellmeyer, chef économiste à la Bremer Landesbank,  n’a pas de doute sur le futur du système économique mondial: l’axe Moscou-Pékin-BRICS va prévaloir contre l’ancien hégémon, les États-Unis.  Ces pays en ont assez de l’Occident; parce qu’ils veulent mettre en place une stratégie à long terme, et pas d’opportunisme, l’UE, à cause de son obéissance aveugle à la politique des sanctions, devrait faire partie des perdants.

Deutsche Wirtschafts Nachrichten: – Les pays de l’UE font état de pertes en raison des sanctions contre la Russie. Quels dommages les sanctions ont-elles déjà causés, selon votre estimation ?

Folker Hellmeyer: – Les dommages sont beaucoup plus importants que ne le montrent les statistiques. Commençons par l’économie et l’accumulation des dégâts jusqu’à maintenant. Bien sûr, la baisse des exportations allemandes de 18% sur l’année en 2014  et de 34% dans les deux premiers mois de 2015 comprennent seulement les pertes primaires. Il y a aussi des effets secondaires. Les économies des pays européens qui ont une activité forte en Russie, entre autres, en particulier la Finlande et l’Autriche, souffrent massivement. En conséquence, ces pays passent moins de commandes en Allemagne. En outre, afin de contourner les sanctions, certains conglomérats européens envisagent de créer des installations de production avec un plus haut niveau d’efficacité en Russie. Par conséquent, nous perdons ce potentiel de stocker du capital, qui est le fondement de notre prospérité. La Russie remporte cette masse de capital.

– On ne sait pas encore si les sanctions prendront fin dans un avenir prévisible. Quelle sera le montant de la facture à payer, en particulier pour l’économie d’exportation allemande ?

– L’Allemagne et l’UE ont mis leur fiabilité économique à l’égard de la Russie en question. L’Allemagne et l’UE ont rompu la confiance mutuelle. Il faudra plusieurs années pour reconstruire cette confiance. Il se passe jusqu’à cinq ans entre la signature d’un contrat et la livraison du matériel dans les exportations en provenance d’Allemagne et d’Europe lorsqu’elles livrent des équipements pour l’industrie. Siemens a quitté un projet d’envergure pour cette raison. Alstom a perdu le contrat pour le chemin de fer Moscou-Pékin. Les dommages potentiels, non seulement pour l’Allemagne mais aussi pour l’UE, sont beaucoup plus massifs que les chiffres actuels ne pourraient l’exprimer. Les dommages à l’avenir ne peuvent pas être exactement quantifiés, mais ils sont certainement significatifs.

En outre, dans le cadre de la Coopération de Shanghai et des pays des BRICS, l’axe Pékin-Moscou est occupé à la planification des plus grands projets de croissance économique de l’histoire moderne – la construction de l’Eurasie et de l’infrastructure de Moscou à Vladivostok, et ensuite vers le Sud de la Chine et de l’Inde. Dans quelle mesure les pays émergents considèrent-ils la politique de sanctions de l’UE et de l’Allemagne, autour de ces méga projets, comme un affront, non seulement contre la Russie mais aussi contre eux-mêmes? Cela reste à voir. Apparemment, certains participants à la vie politique européenne manquent de capacité d’abstraction pour saisir toute l’étendue des effets de leurs actions.

Qui paiera pour les dommages, à la fin ?

Les dommages mesurables se composent de pertes de croissance, de pertes dans le domaine salarial, de pertes de cotisations pour le système social et de pertes de recettes fiscales. C’est valable pour les 12 derniers mois et aussi pour les années à venir. Ainsi, les populations de l’Allemagne et de l’UE le paient par un manque d’amélioration de leur bien-être et de leur sécurité à long terme. Le dommage non mesurable réside dans l’augmentation des risques géopolitiques pour les personnes vivant dans l’UE.

Si nous regardons la situation en Ukraine de manière objective, il semble que le gouvernement de Kiev soit principalement intéressé à garder la situation au bord de l’explosion, afin de toujours obtenir de nouveaux prêts. N’y a-t-il aucun politicien occidental pour parler franchement avec eux ?

C’est irritant, en effet. Les gens qui ne sont pas seulement informés par les médias occidentaux de qualité sont surpris que ceux-ci masquent l’agression et les lois discriminatoires mises en œuvre par Kiev, qui sont en contradiction flagrante avec la revendication des valeurs occidentales et de la démocratie. Je dois reconnaître que M. Steinmeier parle en effet clairement derrière des portes closes. La question est de savoir si, de l’autre côté de l’Atlantique, on soutient M. Steinmeier. Je renvoie à ce propos aux déclarations de la représentante des intérêts états-uniens, Victoria Nuland. Le fait est que le coup d’État en Ukraine a remplacé l’oligarchie amicale envers Moscou par une oligarchie pro-US. C’était de la géopolitique au bénéfice de tierces personnes, mais certainement pas de l’Allemagne, de l’UE, de la Russie et encore moins de l’Ukraine.

La ministre des Finances, Natalie Jaresko, est une ancienne membre du personnel du Département d’État américain, qui a acquis la nationalité ukrainienne seulement un jour avant de prêter serment. Cette ancienne banquière d’investissement est-elle définitivement imbattable ou y a-t-il un master plan là derrière ?

Je ne la connais pas personnellement. On a beaucoup écrit sur elle. L’image qui en ressort ne permet pas d’employer le terme définitivement imbattable à son propos. Le fait que des postes importants dans l’administration ukrainienne soient occupés du personnel étranger, très proche des Etats-Unis et de leurs institutions [je tiens à noter que Tony Blair vient d’être nommé conseiller de Porochenko, à quoi il faut ajouter trois ministères aux mains de non-Ukrainiens  proches des Etats-Unis, et Saakachvilii à Odessa, NdT] souligne le caractère géopolitique du coup d’État. Donc le terme master plan est au moins à discuter, voire probable.

Une figure importante de la récente politique allemande, qui n’est plus en poste actuellement, a déclaré dans un entretien bilatéral que la géopolitique états-unienne contre le pouvoir central de Pékin est le mieux décrite par l’image de l’échiquier de l’Ukraine, avec le sang des pions ukrainiens sur les bandes de Moscou. Je partage ce point de vue.

Le fait que les pays émergents se libèrent eux-mêmes de l’hégémonie américaine est certain. Cela devient évident avec la création d’institutions qui entrent en concurrence avec la Banque mondiale (AIIB) et le FMI (Nouvelle Banque de Développement). Cela déplait à l’hégémon de toujours. Les points chauds internationaux actuels que sont l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, la Libye, l’Égypte – en passant par l’Ukraine –, sont des expressions de la lutte actuelle, clairement reconnaissable, pour le pouvoir. N’avons-nous pas voulu instaurer la démocratie et la liberté dans tous ces pays ? Jetons un coup d’œil sur cette réussite…

Plusieurs pays de l’UE, tels que l’Italie, l’Autriche et la Hongrie, sont de plus en plus audibles sur les sanctions. En Allemagne, cependant, règne une cohésion presque fantomatique. A quoi cela est-il dû ?

Le citoyen allemand est saturé. En dépit de la perte de business, il vit toujours bien. Les prochaines vacances arrivent. Les médias allemands sont politiquement corrects et dociles à l’égard de la géopolitique états-unienne, tout comme nos politiciens. Le nivellement (vers le bas) politique et médiatique de ces questions est efficace.

Quel est l’impact des sanctions sur la relation germano-russe ?

La relation, sur le plan politique, est cassée. Pourtant, le dialogue est toujours maintenu des deux côtés. Ce qui est déjà positif. Moscou est déçu, et en particulier au sujet de la politique allemande, énormément déçu. On reste très réaliste sur l’évaluation, vue de Moscou, de la capacité des Allemands et des Européens à s’exprimer et à vivre une politique indépendante des États-Unis et dans leur propre intérêt. Dans le secteur des entreprises, c’est mieux. Les divers niveaux de discussion sont utilisées. Elles se préparent pour le jour X après les sanctions. Cependant, une rapide relance au niveau d’avant la crise est peu probable. La Russie est un ours. Maintenant, on construit de nouvelles routes d’approvisionnement. On ne va pas abandonner tout cela après la fin des politiques de sanctions. L’arbitraire est peut être en vogue à l’Ouest, mais pas à Moscou. Chaque jour qui passe dans la politique de sanctions, nous consumons un peu notre avenir commun.

Quel est l’impact des sanctions sur les économies nationales de l’UE ?

Nous perdons des points de croissance sur les exportations, nous manquons les dividendes de la paix. Nous réformons les pays faibles de la zone euro, afin de rétablir leur compétitivité internationale grâce à de durs sacrifices, et ensuite nous les privons de marchés. La main gauche de la politique allemande et de l’UE sait-elle ce que fait sa main droite ?

Quels sont les risques pour les banques européennes ?

Ces risques sont largement gérables. La surveillance instaurée par l’autorité de contrôle est efficace et ne permet pas d’envisager d’accidents durables.

Pourquoi les grandes organisations comme la Fédération de l’industrie allemande (BDI) regardent-elles ailleurs ? On pourrait penser que sa mission est de représenter les intérêts de l’industrie…

Il y a une différence considérable entre les déclarations publiques de ces organisations et l’état interne des affaires. Quelque chose se prépare dans le domaine de l’entreprise. Toutefois, je suis déçu par leurs déclarations publiques. Elles agissent de manière politiquement correcte. Leur rectitude politique est limitée à cette même rectitude et est donc par définition erronée.

Pour une économie axée sur l’export, la question de la politique des sanctions est d’une grande importance et, pour certaines entreprises, elle prend une signification existentielle. Romancer sur la primauté du politique, est pour ces organisations un déni de responsabilité.

Le mépris avec lequel le gouvernement étasunien traite les Européens est vraiment remarquable – les mots clés sont NSA et Fuck the UE. Les politiciens européens n’ont-ils aucun respect d’eux-mêmes ou sont-ils trop lâches ?

N’importe quel vrai démocrate, qui prend ses fonctions pour la res publica au sérieux, qui ne foule pas aux pieds son propre droit à l’auto-détermination, doit tirer des conclusions de ces remarques. Ceux qui ne le font pas manifestent un manque de respect de nos valeurs. Je suis le mauvais interlocuteur. Vous devez soumettre ces questions à nos responsables politiques.

L’agressivité interne est inversement proportionnelle à l’attitude de soumission à l’égard de Washington : d’abord les dissidents ont été diffamés comme Poutine-Versteher [ceux qui comprennent Poutine, autrement dit une sorte de 5e colonne pro-Poutine, NdT] et depuis peu, on est un troll pro-Poutine, lorsqu’on n’a pas hurlé avec les loups. La guerre froide nous a-t-elle déjà coûté une partie de notre liberté démocratique ?

Je l’ai écrit en 2007 dans la préface de mon livre, Endlich Klartext [Enfin parler clair] : «D’abord, les marchés libres meurent, puis la démocratie !» Dans ce livre, j’ai également analysé les États-Unis et leur système hégémonique. Les conflits géopolitiques actuels sont utilisés à l’échelle nationale pour démolir les libertés démocratiques, et la cadence s’accélère. Je suis plus préoccupé que jamais. Actuellement, je suis occupé à développer l’idée du terrorisme de la pensée dominante. Nous faisons semblant d’être tolérants et pluralistes. Mais celui qui défend sur des sujets politiquement sensibles une opinion qui s’éloigne de la pensée dominante court le risque d’être isolé et diffamé. Ces évolutions sont totalement antagoniques avec l’exigence de démocratie et de liberté. Oui, les conflits actuels nous coûtent notre démocratie

– Aux Etats-Unis – et contrairement à l’Allemagne – il existe un débat très vif sur le comportement hégémonique du gouvernement, autant à droite qu’à gauche. Pourquoi pas en Allemagne ?

– C’est vrai, mais ce débat n’a aucune répercussion, aux Etats-Unis, sur les rapports de force politiques au parlement. Chez nous, le débat n’est pas très prononcé, mais le parlement est plus multicolore, même si la grande coalition empêche une opposition efficace. Et finalement, peut-être y a-t-il beaucoup d’Allemands pour confondre le bien-être et la liberté de circulation avec la liberté ?

– Comment le conflit continuera-t-il ? Est-il concevable que les Américains et les Russes travaillent à nouveau ensemble – peut-être à cause d’État islamique et de la Syrie – et les Européens seront de nouveau à la traine des deux grandes puissances et paieront ?

Pour moi, le conflit a déjà été tranché. L’axe Moscou-Pékin-BRICS va gagner. Là-bas, on en a assez de l’Ouest. En 1990, ces pays représentaient environ 25% de la production économique mondiale. Aujourd’hui, ils en représentent 56% et 85% de la population mondiale. Ils contrôlent environ 70% des réserves de change mondiales. Ils croissent chaque année en moyenne de 4% à 5%. Comme les États-Unis n’étaient pas prêts à partager leur pouvoir international (par exemple le système de voix au sein du FMI et de la Banque mondiale), les pays émergents construisent leur propre système financier. C’est l’avenir.

À l’heure actuelle, l’UE est entrainée dans un conflit provoqué par les États-Unis, parce qu’elle ne voulait pas  et ne veut toujours pas partager le pouvoir, ce qui paralyse ses possibilités de développement. Plus nous poursuivrons cette politique dans l’Union européenne, plus le prix sera élevé et moins nous serons pris comme des interlocuteurs sérieux.

Sans Moscou et Pékin, pas un problème dans le monde ne peut être résolu. Les États-Unis pourraient en effet agir beaucoup plus pragmatiquement que nous pouvons l’imaginer aujourd’hui. Le manque d’agenda propre de la part de l’UE et de l’Allemagne nous fait passer pour des perdants.

Que devrait-il se passer afin qu’une politique économique et diplomatique indépendante voie à nouveau le jour en Allemagne ?

Pour cette question, je prend un joker. Je demande votre compréhension.

Qu’est-ce que ça signifie, pour une place économique, quand le gouvernement joue à des jeux géopolitiques plutôt que de défendre fermement les intérêts de l’Allemagne, comme tous les autres ?

Cela signifie que ses propres affaires souffrent.

Le parlementaire moyen comprend-il l’interdépendance de la politique et de l’économie ?

À cet égard, je suis sceptique.

Est-ce que la politique va mieux lorsque les politiciens comprennent de moins en moins l’économie mais sont en revanche de plus en plus nombreux ?

Certainement pas. La stabilité d’une démocratie dépend de la stabilité de son économie. Si l’économie subit en permanence des dégâts, la radicalisation de la société augmente. L’Empire allemand a fait cette expérience en 1933. En outre, il y a encore la possibilité que la démocratie se transforme en démocrature, une dictature élue, pour aboutir à l’oligarchie. À cet égard, il y a une enquête de la Princeton University. Citation : «Les États-Unis ne sont plus une démocratie, mais une oligarchie !» Oups, ce n’était pas politiquement correct….

Pour le moment, il y a davantage en jeu que ce que les gens ordinaires veulent l’admettre. Vous m’en voyez profondément préoccupé.

Article original: Deutsche Wirtschafts Nachrichten

Traduit par TJ, relu par Hervé et Diane pour le Saker francophone

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