Par J.-P. Baquiast – Le 5 juillet 2015 – Source Mediapart
Le vote grec au référendum du dimanche 5 juillet, estimé à 60% en faveur du Non ce soir à 21h, est un très grand succès, que nous voudrions ici, pour notre part, saluer comme il se doit.
– un très grand succès pour Alexis Tsipras, son gouvernement et plus généralement Syrisa. Ils avaient remis leur destins politiques dans les mains du peuple. Or qui sait quel choix un électorat peut finalement adopter, surtout lorsqu’il est travaillé par les puissants lobbies de l’argent, de l’Union européenne et de l’Amérique, lobbies qui avaient tous intérêt à voir la Grèce rester ingouvernable afin de pouvoir continuer à la manipuler.
– un très grand succès pour le peuple grec. Au lieu de rester enfermés dans une mentalité d’assistés, vivant des pourboires, du tourisme et des fraudes fiscale, les grecs vont subitement pouvoir s’enorgueillir d’être devenus les héros d’une lutte qui promet d’être homérique. Ce sera une lutte pour la démocratie, pour l’indépendance diplomatique, pour l’investissement productif et plus généralement pour l’Europe toute entière. Pas l’Europe des institutions communautaires téléguidées en permanence par Wall Street et Washington, avec de puissants relais à Berlin et même à Paris, mais d’une Europe au sein de laquelle se retrouveront notamment les gauches alternatives européennes, celle de Podemos en Espagne ou de ses équivalents encore à venir en Italie voire en France.
– un succès aussi pour ceux qui, comme nous ici, avions toujours malgré les sarcasmes et l’hostilité, parié que Tsipras gagnerait son pari, parce qu’il avait l’équité, la morale et l’audace pour lui.
Une défaite pour l’Empire américain
Mais le vote grec est aussi une grande défaite pour les États-Unis et les gouvernements européens qui ont toujours été, y compris en France depuis la fin du gaullisme, sous l’influence de l’Amérique, autrement dit de petits télégraphistes fidèles au service des politiques de Washington.
Nous devons dire un mot, à ce sujet, d’un débat sur la Grèce et son avenir qu’avait organisé la chaîne Public Sénat hier soir, avant donc de connaître les résultats du référendum. Tous les participants, venant d’horizons divers, tous forts honorables et compétents dans leur domaine, se sont entendus pour rendre responsables du désastre dans lequel se trouve actuellement le pays, les divers gouvernements européens et les autorités de Bruxelles. Ils auraient par naïveté et finalement incompétence laissé les responsables grecs présenter des comptes faussés et des perspectives mensongères, sans rien y voir de suspect.
Un seul parmi les intervenants, Philippe de Sartine, a eu le courage de rappeler, en termes d’ailleurs trop discrets pour être audibles dans le brouhaha, que les gouvernements européens ont sciemment accepté d’avoir la main forcée par Washington car celui-ci avait mis tout son poids en faveur de l’entrée de la Grèce dans l’Union et dans l’euro.
Philippe de Sartine ne s’est cependant pas explicitement posé la question : pourquoi les responsables américains, militaires, financiers, diplomates et représentants parlementaires confondus, ont-ils fortement contribué à créer l’Union européenne, sous ses formes successives, à l’étendre sans cesse, tout en lui refusant les moyens d’une diplomatie et d’une défense indépendante ? Parce qu’ils avaient fait de l’Europe une zone tampon entre eux, puissance nucléaire, et l’URSS devenue la Russie, également puissance nucléaire. Ils n’ont cessé d’impliquer, depuis, de plus en plus largement les pays européens dans l’Otan, d’y installer des bases militaires et de se faire relayer par les Européens dans toutes leurs opération d’isolement et de sanction à l’égard de la Russie. Le prétexte, évoqué encore aujourd’hui, était que sans l’US Army, les chars russes pourraient être en deux jours à Berlin ou Paris.
Or dans le cadre de cette stratégie de long terme, la Grèce a toujours été un atout de première grandeur, bien plus que les États baltes et la Pologne, si fiers de leurs engagement atlantistes. La Grèce commande en méditerranée orientale des eaux d’une grande importance stratégique, où la marine de guerre disproportionnée dont elle a été dotée sous la pression américaine pourrait utilement relayer les forces américaines dans les pressions militaires et économiques anti-russes. Bien pire, elle pourrait négocier des accords économiques voire politiques avec la Russie et les autres pays du Brics. Peut-on penser, point de détail certes, mais significatif, que la CIA qui savait tout aurait laissé Goldman Sachs prendre seule la responsabilité d’endetter le gouvernement grec au delà du raisonnable ?
Faut-il enfin rappeler qu’après la Grèce, cheval de Troie américain dans l’Union européenne, cela aurait été le tour de la Turquie puis de l’Ukraine. Les Européens, reprenant un peu de réalisme, ont refusé l’entrée de ces deux pays dans l’Union, mais ils se sont fait fort mal voir à Washington.
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Aujourd’hui donc, après le Non grec au référendum, c’est Alexis Tsipras qui a temporairement mis en échec cette vaste stratégie multidécennale américaine. Il se met ainsi en grand danger, y compris au plan personnel. Espérons que les forces démocratiques, notamment en France, veilleront dans la mesure de leurs moyens à empêcher de s’exprimer les basses manœuvres qui seront très vite utilisées pour abattre Alexis Tsipras et provoquer un changement de régime à Athènes.