Le coronavirus bouleversera l’ordre mondial, la pandémie doit constituer un rappel sur la condition humaine
Source Le Cri des Peuples − Mars 2020
Discours du Secrétaire Général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, le 28 mars 2020, consacré au mois sacré de Cha’ban – qui précède le mois de Ramadan – et à la pandémie de Covid-19.
Sous-titres français de Sayed7asan
https://www.dailymotion.com/video/x7t4q3f
Transcription
[…] J’ai donc évoqué 3 points au sujet de la guerre (mondiale) contre le coronavirus, et mon 4e point (est l’importance) de réfléchir à tout ce qui se passe actuellement dans le monde. Tout le monde suit la situation, mais c’est surtout l’élite politique, intellectuelle, culturelle, économique et militaire qui se concentre sur les développements actuels (et leurs implications).
Nous faisons face à une situation mondiale sans précédent, au moins depuis la 2e guerre mondiale. Et les implications en sont encore plus dangereuses (et colossales) que celles d’une guerre mondiale. Nous ne savons pas comment finiront les choses, mais peut-être qu’après le coronavirus, l’ordre mondial sera complètement chamboulé, et nous ferons face à une situation inédite. Après la première guerre mondiale, il y a eu un nouvel ordre mondial ; après la 2e guerre mondiale, il y a eu un nouvel ordre mondial. Après l’effondrement de l’Union Soviétique et du bloc de l’Est, et (la fin du rideau de fer entre) l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, il y a eu un nouvel ordre mondial.
Aujourd’hui, ce qui se passe est beaucoup plus important que ce qui a eu lieu durant les guerres mondiales, car cela touche tous les domaines. Aujourd’hui, à la lumière de ce qui se passe dans le monde, il y a un débat culturel, dogmatique, religieux, intellectuel, philosophique… Tout ce qui concerne le domaine des principes, de la culture, de la pensée, de la religion et de la philosophie est actuellement soumis à un tremblement de terre. Un véritable tremblement de terre !
Par ailleurs, il y a un débat sur les priorités des États, sur la pertinence et l’utilité des Nations Unies et des grandes organisations politiques mondiales. Aujourd’hui, on ne sait pas si les États-Unis d’Amérique vont rester unis, ou s’ils vont être démantelés (en États indépendants). L’Union européenne va-t-elle rester unie, ou va-t-elle se disloquer ? Des voix s’élèvent aujourd’hui au sujet de la mondialisation et de ses conséquences après la crise du coronavirus, et on constate un retour aux sentiments et aux calculs nationalistes, et à la priorité donnée à la patrie. En matière économique, tout ce système capitaliste et libéral est criblé de critiques, de même que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Sur les questions économiques, financières, au niveau des organisations politiques internationales, (tout est remis en cause). Il y a des États dont on ne sait pas s’ils vont subsister ou disparaître. Il y a de grandes et puissantes forces militaires qui risquent de disparaître (OTAN, etc.).
Je ne fais aucune prédiction. Je dis juste qu’il faut suivre la situation de près.
Bien sûr, il ne faut pas être trop hâtif, car certains vont trop vite en besogne en matière d’analyse des questions et de leurs implications, considérant que le monde se dirige vers tel, tel et tel résultat (alors qu’il faut être prudent). Prédire dès maintenant ce qui va advenir à coup sûr est très difficile. Tout cela est lié au succès que connaîtront les mesures prises ici et là, même si le monde entier est violemment secoué jusqu’à présent, c’est lié à la question de savoir si un médicament ou vaccin sera trouvé ou pas, etc. Mais il ne fait aucun doute que nous, aujourd’hui, les générations présentes, que ce soit au Liban, dans la région ou partout dans le monde, nous sommes contemporains d’une nouvelle expérience sans précédent (en ampleur), au moins depuis 100 ou 200 ans. Toute la terre et toute l’humanité vont être bouleversées, et se trouveront dans une situation complètement nouvelle, avec une réalité toute nouvelle, ou disons plutôt, pour être prudent, qu’il est possible que le monde se retrouve ensuite dans une situation complètement différente, avec une réalité toute nouvelle. Je dis « peut-être », mais la probabilité est énorme et véritable, et les données objectives le suggèrent très fortement, tant sur le plan théorique que pratique : aux niveaux intellectuel et culturel, au niveau politique, au niveau des alliances et des organisations politiques, au niveau de l’ordre mondial, de l’économie, des finances, des dépenses publiques, au niveau de l’infrastructure sociale, etc., etc., (tout est en plein bouleversement).
Nous devons surveiller tout cela de près, car cela aura une influence sur nous, car nous faisons partie (de ce monde). Dans la région, nous en faisons partie sur les plans sécuritaire, militaire, économique, social, culturel, sanitaire, sur tous les domaines. Nous faisons partie de ce monde, qui est devenu, comme on dit, un village, où chacun ressent l’impact de ce qui se passe dans n’importe quel endroit du monde. Nous devons suivre et surveiller cela de près, car les développements peuvent parfois demander de notre part qu’on prenne des mesures, qu’on ralentisse, voire (pour certains, en particulier les pro-occidentaux) qu’on bouleverse tous nos calculs dans biens des domaines qui nous concernent tous.
Mon avant-dernier point, le cinquième —mon discours comporte six points—, est que j’appelle… Quoi qu’il en soit, j’y reviendrai plus en détail dans mon prochain discours, mais au-delà des mesures (sanitaires) quotidiennes concrètes (qu’il faut absolument respecter et dont je viens de parler longuement), j’appelle (tout le monde) à réfléchir à ce qui se passe dans le monde, et à en tirer les leçons. Lorsque l’on voit par exemple que les États-Unis et l’administration américaine, qui se présentent comme une puissance de premier plan, mais en fin de compte, toute cette administration, qui n’est pas limitée à la personne de Trump, même s’il a une grande influence, toute l’administration américaine est complètement prise de court et désorientée : un jour, ils affirment que (le coronavirus) n’est qu’une simple grippe, et un jour après, ils disent que c’est un mal sans précédent ; un jour, ils affirment que le 12 avril, il faut que tout le monde soit retourné au travail et que la vie ait repris son cours, et le lendemain, plusieurs États déclarent l’état d’urgence, et le gouvernement fédéral déclare l’état d’urgence nationale. La confusion est totale, alors qu’il s’agit du pays qui se présente comme la première puissance mondiale. Voyez (également) la situation des pays les plus riches du monde, etc.
Ce qui se passe aujourd’hui, et qu’on voit sur les chaînes de télévision, est rendu encore plus frappant par le fait qu’on le voit à la télévision, car tout ce qui pouvait se passer il y a 70, 100 ou 150 ans dans un endroit du monde était méconnu ailleurs (du moins pas en direct). Mais aujourd’hui, nous sommes au Liban et nous pouvons voir tout ce qui se passe dans le monde en direct à la télévision.
Quelle est la leçon à tirer ?
Cette terre, ce monde, cette humanité… Je ne vais rien dire de nouveau, cela a été dit et écrit maintes fois dernièrement, mais il est bon que j’y ajoute ma voix. Alors que la civilisation, la technologie et la connaissance sont parvenues à leur sommet, que l’homme est parvenu sur la lune, sur Mars, et où sais-je encore, qu’il a créé des armes nucléaires et d’une sophistication extrême, qu’il innove dans tous les domaines, et qu’il y a une révolution technologique sans précédent dans l’histoire humaine, etc., alors que les armées actuelles sont sans conteste les plus puissantes de l’histoire, que ce soit en effectifs ou en équipements, et que les puissances mondiales ont une influence sur toute la face de la Terre, etc.
Jadis, il y avait un seul homme (à l’orgueil démesuré), Pharaon, qui affirmait « Je suis votre Dieu, le plus haut ! » (Coran, 79, 24), le Pharaon d’Égypte au temps de Moïse. Aujourd’hui, sur toute la Terre, combien y a-t-il de Pharaons qui proclament « Je suis votre Dieu, le plus haut ! », et combien y a-t-il de Nemrod (tyran face à Abraham) qui proclament « Je suis votre Dieu, le plus haut ! » ? Il y a une multitude de Pharaons et de Nemrods qui se comportent comme s’ils étaient Dieu. Il y a même des gens qui sont encore moindres (que des chefs d’État) et qui se comportent comme s’ils étaient des Dieux sur Terre. Mais voyez dans quel état un simple virus microscopique, invisible à l’œil nu, qui reste largement inconnu à ce jour, a mis toute la Terre.
Chacun peut reconsidérer la situation dans son esprit, sans que j’aie besoin de m’étendre. Faisons une liste rapide : des États entiers sont à l’arrêt et toute leur population confinée, les usines et entreprises sont fermées, le tourisme a cessé dans le monde entier, les compagnies aériennes cherchent où garer leurs avions, le FMI a déclaré officiellement que le monde est entré en récession économique, le taux de chômage est sans précédent, tout est paralysé, désorienté, confus, les malades et les morts s’amassent (par centaines de milliers et bientôt par millions), tout est à l’arrêt —les écoles, les universités, le tourisme, le sport… —. Qu’est-ce qui tourne encore ? Un simple virus a jusqu’à présent immobilisé plus de 3 milliards de personnes, depuis que l’Inde, qui compte plus d’un milliard d’habitants, s’est ajoutée à la liste. Il y a 3 milliards et plusieurs centaines de millions de personnes confinées à domicile.
Qui les a mis dans cet état ? Qui ? Une armée ? Un gouvernement ? Une grande puissance ? (Rien de tout ça). Ils ont été assignés à résidence par un simple virus invisible à l’œil nu. Cela exige que chacun réfléchisse sérieusement (à la condition humaine) et en tire les leçons. Dans de telles situations, on se rappelle de ce que Dieu le Très-Haut à dit (aux hommes) : « En fait de science, vous n’avez reçu que bien peu de chose. » (Coran, 17, 85)
Où est la science humaine aujourd’hui ? Malgré toute sa sophistication, après 2 ou 3 mois, l’humanité reste impuissante, incapable de comprendre ce qu’est ce virus, comment elle va pouvoir le décoder, comment elle va le soigner, etc. Tous les esprits du monde sont penchés sur la question. L’élite intellectuelle et scientifique mondiale s’affaire dans toutes les académies et dans tous les centres d’experts, que ce soit par motivation éthique et humanitaire, par motivation financière et lucrative, par motivation électorale ou (même) par motivation raciste, et tous recherchent un remède. C’est une compétition historique qui a lieu aujourd’hui, avec différentes motivations. Mais jusqu’à présent, il n’y a pas de remède.
Plaise à Dieu qu’ils trouvent un remède ! Il n’est pas nécessaire qu’ils échouent pour que les gens puissent en tirer les leçons, non ! Que Dieu fasse qu’ils trouvent un remède. La Miséricorde de Dieu pour Ses serviteurs, en un clin d’œil, peut embrasser le monde entier, par Sa Volonté, Sa Bonté, Sa Générosité, Sa Bienveillance. Mais nous, les êtres humains qui suivons les choses et les subissons, nous trouvant au cœur de cette épreuve, de cette bataille et de cette guerre, nous devons en tirer les leçons.
Il est naturel, au vu de la nature humaine, et cela a été constaté à travers l’histoire, que les hommes, lorsqu’ils font face à des épreuves et à des difficultés de cette ampleur, se tournent vers Dieu le Très-Haut et l’Exalté. Et nous devons faire appel à Dieu le Très-Haut et l’Exalté. Bien sûr, il y a des gens qui sont opposés (à la religion), et qui ont d’autres convictions, d’autres pensées, mais c’est leur problème. Mais la logique, la rationalité, les arguments, les preuves et la nature humaine poussent spontanément à ce qu’on se tourne toujours vers Dieu et qu’on place nos espoirs en Lui, mais surtout lorsqu’on n’a plus d’autre secours que Lui. Ça y est, c’est terminé, il n’y a plus rien à faire, sinon en appeler à la Bonté de Dieu, à la Miséricorde de Dieu.
Cet appel à Dieu dont j’ai parlé dans mon discours (du 13 mars) fait partie des armes les plus puissantes dont nous disposions, surtout les gens simples, ceux dont les cœurs sont brisés (par l’adversité). Il y a peut-être beaucoup de gens qui ne souffrent pas encore, car comme je l’ai dit, la situation au Liban reste acceptable : le nombre de décès reste très faible, et même le nombre de malades, lorsqu’on compare notre situation au reste du monde, nous sommes dans la meilleure partie de la liste (au jour de ce discours, le Liban comptait 412 cas et 8 morts ; au 6 avril, le Liban recense 527 cas et 18 morts). Jusqu’à présent, nous n’avons pas de situation critique, ou de gens qui meurent de faim. Nous n’avons (presque) pas de morts du coronavirus, nous n’avons pas de morts de faim ; tout ce que nous avons, ce sont des mesures (sanitaires de fermeture et de confinement), et les gens étouffent (enfermés) dans leur maison, c’est vrai. Mais faut-il attendre que notre situation empire et devienne très difficile avant de se tourner vers Dieu le Très-Haut et l’Exalté ?
Quoi qu’il en soit, je laisse cette question à la réflexion et à la pensée (de tous), et j’y reviendrai aux prochaines occasions si Dieu le veut, dans quelques jours, une semaine, 10 jours, on verra. […]