La colonisation est un projet autant politique que psychologique


Par Zahra – Le 4 avril 2025 – Source The Mazaj

Il existe une sorte de violence qui ne mutile pas et ne défigure pas le corps de ses victimes mais qui défigure l’esprit ; Elle est calme, corrosive et générationnelle. Frantz Fanon, le psychiatre et théoricien anticolonial martiniquais, l’avait compris mieux que quiconque. Fanon est, à mon avis, le penseur le plus convaincant lorsqu’il s’agit de comprendre les retombées psychologiques du colonialisme. Il se situe de manière unique à l’intersection de la psychologie, de la politique, de la sociologie et de l’expérience vécue. Lire Fanon n’est pas seulement un exercice intellectuel pour moi ; son écriture est profondément et intimement personnelle. En tant que chercheur et étudiant en psychologie, je reconnais les blessures psychiques qu’il décrit de manière si vivante et, en tant que membre de la diaspora irakienne, j’ai vu et entendu ces blessures de première main. Ils apparaissent dans les visages et les histoires des gens de ma propre communauté : les identités fracturées, la honte silencieuse, les efforts pour trouver une appartenance à des endroits auxquels on leur a systématiquement dit qu’ils n’appartenaient pas.

Les idées de Fanon résonnent si profondément parce qu’elles ne sont pas abstraites. Elles se reflètent fondamentalement à Gaza, au Liban et au Yémen aujourd’hui et sont psychologiquement évidents dans les récits qui se manifestent dans les salles de thérapie, les salles de classe et les mosquées.

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Hitlérisme, trumpisme, netanyahisme, lepénisme, macronisme


Une approche comparative et expressionniste


Par Emmanuel Todd – Le 13 octobre 2025 – Source Blog de l’auteur

Emil Nolde, Masques Nature morte, 1911

Les références aux années 1930 se multiplient. La dégénérescence de la démocratie américaine semble nous ramener à celle de la république allemande de Weimar. Trump, par sa jouissance dans la violence et le mensonge, par l’exercice du mal, irrésistiblement nous ramène à Hitler. En Europe, la montée de mouvements catégorisés comme d’extrême-droite nous oblige à ce retour sur notre histoire.

Les sociétés occidentales ne ressemblent pourtant plus guère à ce qu’elles furent dans les années 1930. Elles sont vieillies, de consommation, tertiaires, les femmes y sont émancipées, le développement personnel y a remplacé l’adhésion partisane. Quel rapport avec les sociétés des années trente : jeunes, frugales, industrielles, ouvrières, masculines, encartées ? C’est cet éloignement socio-historique qui m’avait conduit à considérer jusqu’à ce jour comme a priori invalide le parallèle entre les « extrême-droites » du présent et celles du passé. Mais les doctrines politiques existent, aujourd’hui comme hier, et l’on ne peut se contenter de postuler l’impossibilité, par exemple, d’un nazisme de vieux, d’un franquisme de consommateurs, d’un fascisme de femmes libérées ou d’un LGBTisme Croix-de-Feu.

Le moment est venu de comparer les doctrines de notre présent à celles des années trente. Voici l’esquisse de ce que pourrait être l’étude comparative de cinq phénomènes historiques : l’hitlérisme, le trumpisme, le netanyahi(u)sme, le lepénisme. J’ajouterai en fin de parcours, brièvement, le macronisme. L’extrémisme centriste et européiste qui mène la France au chaos nous oblige à cet examen. Cet extrémisme est-il si centriste que ça ?

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Le culte du « c’est pas possible alors il va falloir le supporter »


Par Aurelien – Le 8 Octobre 2025 – Source Blog de l’auteur

Je pensais commencer cet essai par un autre exemple, mais au même moment j’essayais de faire mon don annuel à l’irremplaçable site Naked Capitalism d’Yves Smith et, comme toujours, Internet semblait déterminé à m’en empêcher. Je ne pouvais pas payer par carte de crédit, je ne pouvais pas payer par virement bancaire, et finalement, serrant les dents, j’ai utilisé PayPal qui, après deux tentatives s’est terminé par le gel de l’écran après ce qui m’a semblé être une transaction réussie. J’espère qu’Yves aura l’argent. Mais d’un autre côté, plus tôt dans la journée, j’ai réussi à acheter un billet de train aller-retour en n’ayant à recommencer qu’une seule fois, donc finalement tout n’est pas si mal.

Bon, je ne vais plus vous infliger mes frustrations triviales du quotidien ; je veux juste les utiliser pour introduire un argument sur la raison pour laquelle « rien ne fonctionne bien aujourd’hui« , ce que je trouve vrai et que tous ceux que je rencontre trouve aussi. Il y a une litanie bien établie : des sites qui ne fonctionnent pas, des appels téléphoniques non retournés, des paiements non reçus, perdus ou débités deux fois, des relevés ridicules de gaz et d’électricité qui ne peuvent apparemment pas être rectifiés, de pièces de rechange basiques d’appareils électroménagers non disponibles, de la correspondance perdue dans les entrailles des organisations, entreprises et organisations qui se sont repliées derrière des murs de chatbots et de FAQ, derrière lesquelles il n’y a personne à qui envoyer un courrier électronique. Et sans doute pouvez-vous penser à une douzaine d’autres exemples personnels. Mais, ce qui est bien pire, personne ne semble vraiment s’en soucier.

La conséquence en est une méfiance croissante à l’égard des organisations et des entreprises privées, à tous les niveaux, et une prise de conscience croissante que vous ne pouvez tout simplement pas vous permettre de penser que tout fonctionnera bien. Vous devez donc tout revérifier, faire des copies, envoyer des copies, passer des appels téléphoniques, faire des visites personnelles, juste pour essayer de vous assurer que ce qui devrait arriver automatiquement se produira réellement. La seule chose pour laquelle les organisations sont bonnes, j’ai trouvé, c’est pour vous soutirer de l’argent, et souvent à tort. Il y a une raison pour laquelle il en est ainsi, et nous y reviendrons.

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Note personnelle


Je n’ai jamais parlé à un Démocrate qui ait jamais voulu écouter. Ils commencent à s’énerver dès que vous essayez.− Sasha Stone


Par James Howard Kunstler – Le 22 septembre 2025 – Source Clusterfuck Nation

L’été dernier, j’ai essayé d’établir une communication avec un parent vivant sur la côte ouest. Nous avons échangé quelques lettres. J’ai habilement détourné la conversation des sujets politiques. Voici la dernière salve de mon parent :

Jimmy, d’un point de vue purement personnel, et à une autre époque, je pense que nous aurions pu être de très bons amis. À ce stade de notre histoire, je trouve que ce que tu dis dans tes blogs et dans Kunstlercast est scandaleux, trompeur et laid. Je suis en désaccord avec presque tout ce qui t’est cher sur le plan politique, et même si, par exemple, nous sommes d’accord sur les horreurs de l’industrie pharmaceutique, ton culte de Kennedy me rend malade. Ton langage correspond exactement à tous les clichés des idéologies d’extrême droite que je déteste. Peut-être qu’un jour les choses changeront. Pour l’instant, c’est la dernière fois que tu entends parler de moi.

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Éloge des petites choses


Par Aurélien – Le 17 Septembre – Source Blog de l’auteur

Vous avez peut-être remarqué que nous subissons quelques petites difficultés politiques en France depuis quelques temps, entre des gouvernements qui s’effondrent et des tentatives de paralyser le pays, le tout sous un président établissant chaque mois de nouveaux records d’impopularité. L’essai d’aujourd’hui ne concerne pas spécialement la France, mais je vais commencer par la situation ici, car cela nous aide à mieux comprendre les problèmes politiques structurels actuels de l’Occident dans son ensemble. La fluidité du système politique français et le manque de discipline de parti font que les évolutions sont souvent beaucoup plus faciles à repérer ici que dans les pays anglo-saxons, par exemple.

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Le marché de la Vérité


Par Aurélien – Le 10 Septembre 2025 – Son Blog

Au cours de la dernière décennie, il y a eu une énorme floraison au sujet de la recherche de la Vérité. Je ne veux malheureusement pas dire par là que les cours de philosophie sont débordés et que les livres d’épistémologie sont des best-sellers. Ou bien qu’un grand nombre de personnes sont maintenant véritablement fascinées par découvrir ce qu’est la “Vérité”, ou qu’Internet regorge de discussions savantes et intéressantes à ce sujet.

Non, bien sûr, je ne veux dire aucune de ces choses. Comme on pouvait s’y attendre, je fais référence aux accusations sauvages et parfois hystériques de mensonges lancées les uns contre les autres par différentes personnalités politiques et médiatiques, et aux singeries presque douloureusement embarrassantes des “fact checkers” qui se sont érigés, apparemment sans qualifications, en arbitres du vrai et du réel. J’ai l’impression qu’une grande partie de cet effort a maintenant péri de ses propres contradictions et excès, mais nous trouvons toujours des accusations rituelles de “mensonge” lancées dans toutes les directions dans ce qui pourrait, vu sous un mauvais angle, passer pour le débat politique contemporain. (Je vois que Robert F Kennedy Jr. en est actuellement une cible particulière.)

Dans une certaine mesure, il en a toujours été ainsi. Les politiciens ont toujours revendiqué la Vérité pour eux-mêmes et l’ont niée à leurs opposants, mais pour diverses raisons que nous ne pouvons aborder qu’à la légère ici, le problème s’est considérablement aggravé ces derniers temps. J’ai donc pensé qu’il pourrait être utile d’essayer de dissiper une partie de la confusion qui en résulte. Je prends comme point de départ l’espoir, aussi optimiste soit-il, qu’il y ait des gens qui apprécieraient quelques suggestions sur la façon de réfléchir à ce que signifie la “vérité” dans un environnement politique. (Je ne suis pas philosophe et je n’ai aucune ambition pour quelque chose de plus ambitieux que cela.)

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Les racines profondes de la géopolitique II


Implications pour l’avenir


Par Peter Turchin − Le 3 août 2025 − Source Cliodynamica 

Dans la première partie de cet article, j’ai souligné que la géopolitique actuelle est dominée par la confrontation entre « l’Océanie », résultat de la révolution militaire des canonnières, et les empires eurasiens, résultat d’une révolution antérieure, celle de la cavalerie de fer. Il s’agit là d’une histoire fascinante, mais qui a également des implications sur la manière dont cette confrontation pourrait évoluer à l’avenir.

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Pas de « pourquoi » dans le libéralisme


Par Aurélien – Le 27 août 2025 – Source Blog de l’auteur

À l’époque néolithique, lorsque j’ai loué mon premier logement, je me souviens avoir signé un document qui disait que si je ne faisais pas ceci ou cela, j’avais le droit de “jouir tranquillement” de la propriété. Même à l’époque, mes réflexes d’ancien étudiant en littérature étaient déjà éveillés. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Étais-je censé passer mes journées dans la contemplation souriante de quatre murs ?

Au début, je pensais que c’était un reste d’anglais antique dans lequel de tels contrats sont rédigés. Mais quelque temps plus tard, j’ai découvert que des contrats similaires en français utilisaient le mot équivalent jouir, qui, comme vous le savez peut-être, couvre diverses formes de jouissance, pas toujours calmes. En fait, les deux mots partagent un héritage commun, du vieux français « enjoir » signifiant « se réjouir » ou « prendre plaisir à« . Alors maintenant vous savez. Mais ce que je veux montrer, c’est la coïncidence de deux éléments—la propriété et les documents juridiques—qui sont l’essence d’une société libérale, où la vie consiste essentiellement à s’asseoir joyeusement dans une pièce vide. Si la chambre est votre propriété, tant mieux, c’est d’autant plus agréable. En apparence.

Plus j’y réfléchis, plus je suis convaincu qu’avec le triomphe ultime du libéralisme au cours du dernier demi-siècle, notre société a subi une transformation radicale et nihiliste vers une forme pure sans substance, et une simple existence sans rien que vous pourriez raisonnablement décrire comme étant la vie. Alors, quand les gens se plaignent que la vie n’a plus de sens aujourd’hui, c’est parce que c’est le cas. Quand les gens disent qu’ils n’ont rien à espérer, c’est parce que c’est le cas. Quand les gens meurent jeunes, de désespoir ou de suicide, c’est une réaction tout à fait naturelle et logique au monde d’aujourd’hui. Comme je le suggérerai, nous approchons maintenant de l’apothéose du libéralisme : une société qui n’est que forme et processus sans contenu, rien de plus que la poursuite universelle et mécanique de la quintessence même de l’intérêt personnel individuel, imposée par un cadre de lois draconiennes, et conduisant théoriquement à un marché parfaitement opérationnel où tous les désirs sont satisfaits automatiquement. Sauf que le libéralisme n’a aucune idée réelle de ce que sont ces désirs.

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La création de la paix


Dans l’histoire de l’évolution humaine


Par Peter Turchin − Le 5 juillet 2025 − Source Cliodynamica 

Joyeux 4 juillet ! Le billet d’aujourd’hui sera optimiste, pour changer. Soit dit en passant, comme mes recherches sur l’effondrement des sociétés et des États ont fait l’objet d’une large couverture médiatique, je suis devenu une sorte de « professeur Doom ». Il s’agit certes d’une « grande question ». Mais une question encore plus importante sur laquelle je travaille est de savoir pourquoi la grande majorité des êtres humains vivent aujourd’hui dans des sociétés complexes à grande échelle organisées en États. Et en fait, la plupart du temps, les États modernes fonctionnent raisonnablement bien, et certains, comme le Danemark ou l’Autriche, sont même des endroits très agréables à vivre, comme je peux en témoigner par expérience. Il est important de comprendre l’évolution sociale à long terme vers des sociétés à grande échelle, notamment parce que cela peut nous aider à sortir de la crise actuelle sans trop d’effusions de sang.

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Rémi Brague. Fausse Europe


Par Mattia Ferraresi – Le 1er juin 2025 – Source Clonline

Rémi Brague, historien de la philosophie, est l’un des intellectuels catholiques les plus en vue. Professeur émérite à la Sorbonne à Paris, il a également enseigné pendant de nombreuses années à la Ludwig-Maximilians-Universität de Munich, où il a occupé la chaire du nom de Romano Guardini. Il a reçu une longue liste de nominations et de récompenses, dont le Prix Ratzinger de théologie en 2012. Brague est à l’origine de nombreuses idées sur l’Europe, y compris l’hypothèse qu’elle est la seule civilisation à avoir une conscience claire des diverses traditions qui l’ont façonnée : la civilisation grecque classique, le droit romain et la culture juive et chrétienne. L’Europe n’est pas seulement le produit d’un mélange de cultures, elle est consciente de l’être. Cette prise de conscience sous-tend la façon dont l’Europe se considère elle-même. Pour cette raison, Brague a critiqué les abus de certaines sphères de la culture européenne qui – souvent soutenues par le pouvoir institutionnel – se sont efforcées d’effacer et de réduire au silence certaines parties de son héritage, comme son âme chrétienne. Le philosophe français a accepté de parler avec nous sur le thème de l’Europe, à partir du projet de réarmement, présenté comme une étape nécessaire de l’intégration de l’Union européenne.

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