Partir en guerre contre la Russie ?


Par Aurelien – Le 26 novembre 2025 – Source Blog de l’auteur

Les experts nous fournissent beaucoup d’innocentes drôleries ces jours-ci, et génèrent beaucoup de controverses colorées, en analysant des questions telles que les plans de paix possibles pour l’Ukraine, les coups d’État possibles à Kiev, les prétendues tentatives occidentales de remplacer Zelensky, l’impact potentiel des enquêtes sur la corruption, les futurs déploiements théoriques des forces occidentales en Ukraine, et ainsi de suite. Tout cela est (pour la plupart) un amusement inoffensif, et satisfait le besoin des experts d’avoir un public et de l’argent, malgré leur manque d’expertise politique ou militaire. Car tout cela reste au niveau de la fiévreuse spéculation.

D’un autre côté, depuis plusieurs années maintenant, j’essaie d’encourager les gens à se pencher sur des questions à plus long terme et plus fondamentales concernant les adaptations que l’Occident va devoir apporter face à une victoire russe et à la prééminence militaire russe en Europe. Aujourd’hui, je veux discuter d’une question qui, à ma connaissance, n’a même pas été soulevée, et encore moins correctement examinée. Si les relations post-ukrainiennes entre la Russie et l’Occident doivent être tendues et conflictuelles, et si la possibilité d’un conflit ouvert réel n’est pas à exclure, alors comment pouvons-nous comprendre ce que cela pourrait signifier, et comment, le cas échéant, pouvons-nous nous y préparer ?

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Retour vers le passé


Par Aurelien – Le 19 novembre 2025 – Source Blog de l’auteur

Prenez un échantillon aléatoire d’une centaine d’experts occidentaux écrivant sur le système politique occidental aujourd’hui, et vous trouverez un consensus assez large sur le fait que les choses ne vont pas bien. Selon l’endroit où l’individu se situe politiquement, c’est parce que notre démocratie libérale est menacée par « l’autoritarisme » ou le « populisme » (parfois curieusement présenté comme étant la même chose), ou parce que le système a été corrompu par « l’élite mondialiste« , ou parce que les politiciens sont déconnectés des souhaits et des aspirations des gens ordinaires. Les partis politiques traditionnels s’effondrent et les différences politiques entre eux sont maintenant difficiles à distinguer. Les échos effrayants des années 1930 sont partout. Et cetera… Compte tenu de ces diagnostics très différents, il n’est pas surprenant que les solutions potentielles – quand elles sont proposées – soient très différentes. Pourtant, presque personne, à l’exception de ceux qui sont actuellement au pouvoir (et même pas tous), n’est réellement prêt à défendre le fonctionnement du système actuel.

Tout cela est-il vraiment une surprise ? N’aurait-ce pas dû être anticipé il y a au moins une génération ? D’où vient le sentiment omniprésent de déception, de colère et d’impuissance ? Pourquoi des partis et des dirigeants marginaux se soulèvent-ils, menacent-ils parfois de prendre le pouvoir, parfois même presque de réussir, puis disparaissent-ils ? Est – ce un bogue dans le système ou est-ce, comme je vais le suggérer, une fonctionnalité de ce système, même si cela fait des décennies que les gens refusent de reconnaître ? Il y a plusieurs années, le théoricien de droite Patrick Deneen soutenait que le libéralisme, moteur de notre système politique actuel, était victime non pas de son échec, mais de son succès. Une fois que le libéralisme a été autorisé à devenir pleinement lui-même, il a commencé à produire le désert social, économique et politique que nous voyons autour de nous. Je pense que la même critique pourrait être formulée pour la gauche, notamment parce que l’identité paresseuse entre libéraux et Gauche assumée dans certains milieux ignore le fait que la Gauche a toujours été axée sur le bien collectif, alors que le libéralisme n’est au fond rien de plus qu’un égoïsme individuel rationalisé. En effet, la gauche a toujours soutenu que les individus ne peuvent s’épanouir que dans une société correctement organisée et équitablement gérée. Donc rien de ce que nous voyons maintenant ne devrait être une surprise. Alors comment en est-on arrivé là ?

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À l’intérieur de l’usine de saucisses


Par Aurelien – Le 12 novembre 2025 – Source Blog de l’auteur

La semaine dernière, j’ai fait un rapide commentaire sur l’aspect amateur et désorganisée de la campagne internationale pour tenter de mettre fin au massacre à Gaza, en la comparant à ce à quoi pourrait ressembler une campagne organisée avec compétence. Pas vraiment à ma grande surprise – même si je pensais énoncer une vérité évidente – cela a agacé quelques personnes, ici et sur d’autres sites. Mais ensuite j’ai réalisé que l’épisode illustre en fait un problème fondamental plus large, qui est la différence entre la façon dont la saucisse politique est fabriquée et les hypothèses et attentes de ceux qui cherchent à comprendre ou même à influencer les choses de l’extérieur de l’usine. J’ai donc pensé que c’était le bon moment pour enfiler notre équipement de protection et nos masques et s’aventurer à l’intérieur de l’usine pour voir comment les choses sont généralement faites.

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Au moins, ils n’en parlent pas. Certains problèmes n’ont aucune solution


Par Aurelien – Le 29 octobre 2025 – Source Blog de l’auteur

Je ne suis pas beaucoup la couverture médiatique traditionnelle de la guerre en Ukraine – je laisse cela à ceux qui ont l’estomac bien ancré – mais il est impossible d’ignorer les deux messages contradictoires et confus qu’elle diffuse sur les chances de mettre fin, plus ou moins pacifiquement, à cette guerre. D’une part, « parler à Poutine » est considéré comme un crime capital, et toute initiative suggérant que l’Occident pourrait le faire est vue comme une forme de trahison. De l’autre, des armes miracles plus récentes et meilleures doivent être envoyées en Ukraine pour « forcer Poutine à rejoindre la table des négociations« .

Je ne vais pas essayer de réconcilier ces deux messages car je pense que c’est impossible, et de toute façon ce serait un gaspillage d’efforts. Je vais plutôt les traiter tous les deux – et d’autres choses dont je parlerai également – comme des exemples montrant l’incohérence fondamentale, le narcissisme et la superficialité de la pensée et de l’expression qui caractérisent la Caste Professionnelle et Managériale (CPM) d’aujourd’hui, en particulier les dirigeants politiques et ceux qui les conseillent et écrivent à leur sujet. Occupons-nous d’abord de ce sujet, puis nous retournerons à l’Ukraine et d’autres endroits.

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Encore et pour toujours. Voici pourquoi le temps est un éternel présent.


Par Aurelien – Le 22 Octobre 2025 – Source Blog de l’auteur

De toutes les avancées dans notre compréhension de l’esprit humain au cours du siècle dernier, aucune n’est plus fondamentale que la découverte de l’inconscient et la lente prise de conscience de son fonctionnement. Pourtant aucune n’a si peu d’effet sur notre façon de penser le monde. Cet essai porte sur ce qui pourrait arriver si elle en avait un peu plus.

En théorie, les idées de Freud (oui, je sais qu’il avait des prédécesseurs mais je n’ai pas l’espace pour tout couvrir, désolé) sont évidentes. Le modèle mécanique du fonctionnement du cerveau, l’hypothèse que l’esprit conscient est tout ce qui compte, ou même existe, la croyance qu’il y a une correspondance exacte entre la pensée et l’expression, et que nous disons ce que nous voulons dire, et signifie ce que nous disons, n’étaient plus tenables. Dans la vie quotidienne (où, ironiquement, les gens avaient toujours reconnu l’importance des confusions et erreurs verbales apparentes), il est devenu courant de parler de “dérapages freudiens”, en anglais, et de lapsus révélateurs en français, même de la part de ceux qui n’ont jamais lu, ni même entendu parler de La Psychopathologie de la Vie quotidienne. Des générations d’étudiants en littérature ont été initiées à l’idée que le narrateur de Proust ne comprend pas toujours ses propres motivations, et que lorsqu’Antonio dans Le Marchand de Venise ne sait pas pourquoi il est si triste, c’est à cause de ses sentiments non reconnus pour Bassanio.

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Tirer les leçons de la défaite ? À quoi sert réellement la technologie militaire ?

 


Par Aurelien – Le 15 Octobre 2025 – Source Blog de l’auteur

Avant le début de la guerre, la plupart des gens en étaient vaguement conscients : ils pointaient avec enthousiasme vers le ciel, peut-être. Au début des combats, il s’agissait de machines simples et délicates à courte portée, capables de guère plus que des missions de reconnaissance mais, très rapidement, elles ont évolué pour soutenir les troupes au sol et même pour effectuer des bombardements, avec des charges utiles de plus en plus lourdes à des distances de plus en plus lointaines.

Je parle bien sûr des avions de la Première Guerre mondiale : de quoi pensiez-vous que je parlais ?  Des drones ? Il y a là un point important, car alors que la technologie des drones s’améliore constamment et implique des investissements supplémentaires relativement faibles, la technologie des avions de combat est maintenant extrêmement mature, les avancées importantes coûtant une fortune et pourraient même ne plus bien fonctionner quand on en a besoin.

Ma suggestion dans cet essai est que les technologies sur lesquelles l’Occident, en particulier, s’est historiquement appuyé pour le combat, deviennent de plus en plus coûteuses et complexes, de plusieurs ordres de grandeur, et qu’elles approchent peut-être du point où un développement ultérieur n’est plus rentable. D’un autre côté, des technologies beaucoup plus récentes (notamment, mais pas seulement les drones) peuvent s’avérer moins révolutionnaires que certains de leurs fans le croient. Je soutiens cela non pas du point de vue d’un geek de la technologie de l’armement (ou fétichiste, d’ailleurs), mais en tant que personne qui a de temps en temps été impliquée dans l’aspect pratique et politique des structures et des projets d’équipement militaire. Je vais exposer ce que je pense de la situation, puis examiner les conséquences politiques et stratégiques qui en résultent après ce qui semble être la défaite inévitable de l’Occident en Ukraine. Dans certains sens, c’est une continuation, à un niveau de détail inférieur, de mon essai d’il y a quelques semaines, mais ici je parle principalement de doctrine et d’équipement.

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Le culte du « c’est pas possible alors il va falloir le supporter »


Par Aurelien – Le 8 Octobre 2025 – Source Blog de l’auteur

Je pensais commencer cet essai par un autre exemple, mais au même moment j’essayais de faire mon don annuel à l’irremplaçable site Naked Capitalism d’Yves Smith et, comme toujours, Internet semblait déterminé à m’en empêcher. Je ne pouvais pas payer par carte de crédit, je ne pouvais pas payer par virement bancaire, et finalement, serrant les dents, j’ai utilisé PayPal qui, après deux tentatives s’est terminé par le gel de l’écran après ce qui m’a semblé être une transaction réussie. J’espère qu’Yves aura l’argent. Mais d’un autre côté, plus tôt dans la journée, j’ai réussi à acheter un billet de train aller-retour en n’ayant à recommencer qu’une seule fois, donc finalement tout n’est pas si mal.

Bon, je ne vais plus vous infliger mes frustrations triviales du quotidien ; je veux juste les utiliser pour introduire un argument sur la raison pour laquelle « rien ne fonctionne bien aujourd’hui« , ce que je trouve vrai et que tous ceux que je rencontre trouve aussi. Il y a une litanie bien établie : des sites qui ne fonctionnent pas, des appels téléphoniques non retournés, des paiements non reçus, perdus ou débités deux fois, des relevés ridicules de gaz et d’électricité qui ne peuvent apparemment pas être rectifiés, de pièces de rechange basiques d’appareils électroménagers non disponibles, de la correspondance perdue dans les entrailles des organisations, entreprises et organisations qui se sont repliées derrière des murs de chatbots et de FAQ, derrière lesquelles il n’y a personne à qui envoyer un courrier électronique. Et sans doute pouvez-vous penser à une douzaine d’autres exemples personnels. Mais, ce qui est bien pire, personne ne semble vraiment s’en soucier.

La conséquence en est une méfiance croissante à l’égard des organisations et des entreprises privées, à tous les niveaux, et une prise de conscience croissante que vous ne pouvez tout simplement pas vous permettre de penser que tout fonctionnera bien. Vous devez donc tout revérifier, faire des copies, envoyer des copies, passer des appels téléphoniques, faire des visites personnelles, juste pour essayer de vous assurer que ce qui devrait arriver automatiquement se produira réellement. La seule chose pour laquelle les organisations sont bonnes, j’ai trouvé, c’est pour vous soutirer de l’argent, et souvent à tort. Il y a une raison pour laquelle il en est ainsi, et nous y reviendrons.

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Tout reprendre à zéro ?


Par Aurelien – Le 1 octobre 2025 – Source Blog de l’auteur

J’ai écrit à plusieurs reprises sur l’inconfortable situation résultant de la future défaite en Ukraine et des conséquences désagréables pour l’Europe qui pourraient en résulter. Je voudrais maintenant faire quelques suggestions provisoires sur la manière dont il pourrait être judicieux pour l’Europe de réagir. (Les États-Unis sont différents, et je ne connais tout simplement pas assez le pays pour commenter adéquatement.) Mon but ici n’est pas de donner des conseils non sollicités aux gouvernements (à moins que vous n’ayez travaillé au gouvernement, vous n’avez aucune idée à quel point cela peut être irritant) mais plutôt de définir en termes simples ce qui pourrait être faisable. Je commencerai par la situation stratégique, je passerai aux contraintes puis j’exposerai quelques pistes possibles.

Premièrement, les pays européens se retrouvent dans une situation sans précédent dans leur histoire. Rappelez-vous que malgré que l’Europe soit paresseusement décrite comme le “Vieux Continent”, sa structure politique existante est très récente. L’Allemagne dans sa forme actuelle ne date que de 1990, la République tchèque et la Slovaquie de 1993. L’éclatement de l’Ex-Yougoslavie en nations indépendantes n’a pas vraiment pris fin avant l’indépendance du Kosovo en 2008. (Sans parler de la Norvège qui n’a obtenu sa propre indépendance qu’en 1905.) Mais plus que cela, l’État-nation n’était pas traditionnel en Europe : en 1914, la plupart des Européens vivaient dans des Empires, comme ils l’avaient toujours fait. De plus, de grandes parties de l’Europe du Sud-Est ne s’étaient alors libérées que récemment de siècles de domination par l’Empire ottoman : le colonialisme a duré plus longtemps en Europe qu’en Afrique subsaharienne, par exemple.

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Une Europe des Nations ? Le retour


Par Aurelien – Le 24 Septembre 2025 – Source Blog de l’auteur

Après la discussion de la semaine dernière sur la coopération politique à petite échelle et basée sur les intérêts au niveau national, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de passer au niveau international, où règne beaucoup de confusion sur les activités politiques multilatérales et transnationales et ce qu’elles signifient. Je vais me concentrer en particulier sur l’Europe aujourd’hui, et je dirai que nous assisterons probablement à une dérive de l’influence et du pouvoir politiques des institutions vers les États-nations. J’essaierai d’expliquer cela en me référant à d’autres arrangements et institutions du passé et du présent. Certains considéreront cela comme dangereux et même effrayant : j’aurais tendance à le considérer comme nécessaire et de toute façon inévitable.

L’année dernière, j’ai écrit un essai substantiel sur le fonctionnement (ou non) des institutions internationales, et je ne répéterai pas tout cela ici. Mais la réflexion derrière cet essai, bien que je ne l’aie pas poursuivi en détails, était basée sur le principe de ce que j’appelle l’intégrité institutionnelle. Cette phrase à consonance prétentieuse signifie simplement que les institutions qui réussissent, à tous les niveaux, ont plusieurs caractéristiques : elles doivent servir un objectif et être structurées pour atteindre cet objectif et répondre aux aspirations de ceux qui ont créé l’organisation et de ceux qui devraient théoriquement bénéficier de son travail. Si cela semble élémentaire, eh bien, c’est le cas, mais comme beaucoup de choses élémentaires, elles sont négligées dans la précipitation. Commençons par quelques brefs exemples historiques de la façon dont les choses ont bien et mal tourné, pour nous aider à comprendre où nous en sommes maintenant.

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Éloge des petites choses


Par Aurélien – Le 17 Septembre – Source Blog de l’auteur

Vous avez peut-être remarqué que nous subissons quelques petites difficultés politiques en France depuis quelques temps, entre des gouvernements qui s’effondrent et des tentatives de paralyser le pays, le tout sous un président établissant chaque mois de nouveaux records d’impopularité. L’essai d’aujourd’hui ne concerne pas spécialement la France, mais je vais commencer par la situation ici, car cela nous aide à mieux comprendre les problèmes politiques structurels actuels de l’Occident dans son ensemble. La fluidité du système politique français et le manque de discipline de parti font que les évolutions sont souvent beaucoup plus faciles à repérer ici que dans les pays anglo-saxons, par exemple.

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