Les guerres étasuniennes contre les États profonds iranien et vénézuélien investissent la sphère publique


Par Andrew Korybko – Le 15 avril 2019 – Source orientalreview.org

andrew-korybko

La volonté étasunienne de démanteler le réseau d’influence iranien en Amérique latine au sens large – et au Venezuela en particulier – illustre son engagement à s’en prendre à la domination des « États profonds » qui lui résistent. Mais la nouveauté réside ailleurs : la croisade qui a été lancée auprès du grand public dans ce sens n’avait pas connu d’égale depuis l’ancienne guerre froide, sans parler de l’habillage rhétorique « anti-terroriste » et « anti-criminalité » qu’elle porte.

US-War-Against-Iran-Venezuela

Pompeo, le secrétaire à la Défense des USA, a de nouveau répété que l’Iran constitue à ses yeux une « menace pour le monde », cette fois-ci en arguant que le réseau d’influence de Téhéran en Amérique latine soutiendrait la « criminalité internationale » et le « terrorisme ». Cette rhétorique suit de peu la désignation par Washington du Corps des gardiens de la révolution iranienne comme organisation « terroriste », et intervient 6 mois après que le département de la justice a démarré une enquête sur des liens supposés entre le Hezbollah, allié iranien, avec des cartels de trafic de narcotiques, enquête qui s’inscrit dans les suite de la scandaleuse « Opération Cassandra », à l’époque de l’ère Obama. Si l’on considère tous ces éléments comme un ensemble, on ne peut que constater la volonté étasunienne de démanteler les réseaux d’influence de l’Iran et du Venezuela, supposément connectés entre eux : il s’agit d’une étape dans le processus de fortification de la « Citadelle Amérique ». Il est connu et reconnu que des guerres d’« États profonds » semblables sont en cours depuis des décennies, mais l’investissement des sphères publiques par ces guerres constitue un fait sans précédent depuis la fin de l’ancienne Guerre froide ; à l’époque les USA proféraient des accusations similaires à l’égard de l’URSS et de ses satellites communistes.

De toute évidence, les USA ne craignent pas de démarrer une nouvelle ère de guerres d’« États profonds » qui verra les grandes puissances, USA en tête (qui restent à ce jour la puissance dominante au niveau mondial), manœuvrer ouvertement pour enrayer les réseaux d’influence établis par leurs rivaux régionaux, sous couvert d’accusations d’être engagés dans des activités « criminelles » et « terroristes » menaçant le monde entier. Ce n’est pas un secret que la CIA trempe elle-même dans ces activités depuis des années. Et même si l’objectif de la présente analyse n’est pas de s’enliser dans des considérations moralisantes, on peut ici rappeler un fait simple : la politique étrangère « hyper-réaliste » de l’administration Trump reste centrée sur la notion que « force fait loi », et que la pratique du deux poids-deux mesures est acceptable tant qu’un État dispose de la puissance suffisante pour l’appliquer en en minimisant les conséquences sur ses intérêts propres.

Si cette initiative étasunienne réussit, il ne fait aucun doute que les USA étendront leurs opérations contre les « États profonds » vénézuélien et iranien à ceux de la Russie et de la Chine. Pour la Russie, cela tiendra au rôle en émergence que joue ce pays pour renforcer la « sécurité démocratique » un peu partout dans le « grand sud », de par l’influence qu’elle prend en enrayant l’influence de changement de régime étasunienne. Pour la Chine, il s’agira de s’en prendre au projet des Nouvelles routes de la Soie [Belt & Road Initiative ou BRI, NdT], qui vise à rassembler l’ensemble de ses États partenaires dans une « communauté de destins », qui viendra révolutionner la géopolitique du XXIème siècle. L’influence russe connaît déjà un déclin en Amérique latine, sauf au Venezuela, en Bolivie, au Nicaragua, et à Cuba ; mais l’influence chinoise est en croissance et constitue la plus grande menace à long terme face à la « nouvelle doctrine Monroe » : c’est pour cela qu’il faut s’attendre à voir la Chine prise pour prochaine cible. Au vu des motifs répétés dans les croisades de communication auprès du grand public contre les « États profonds » du Venezuela et de l’Iran, les USA useront sans doute au minimum de la même rhétorique « criminelle » et « terroriste » à l’égard de la Chine.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF