Le sommet d’Istanbul sur la Syrie a été un succès mais les mises en garde demeurent


Par MK Bhadrakumar – Le 29 octobre 2018 – Source Strategic Culture

2015-03-19_14h09_03Le sommet des quatre nations Turquie-Russie-Allemagne-France sur la Syrie, qui s’est tenu à Istanbul le 27 octobre, a obtenu un résultat impressionnant. Tous les participants – chacun avec ses propres intérêts – ont retiré quelque chose du sommet, ce qui est en soi une mesure du succès de la manifestation. Ceci est également important car les participants ont maintenant une raison de travailler ensemble.

Istanbul Summit on Syria Was a Success but Caveats Remain

Un tel résultat peut être interprété de la manière suivante. D’abord et avant tout, un conflit régional majeur ayant une incidence sur la sécurité internationale a été traité sans la participation des États-Unis. Un signe de notre époque ?

Deuxièmement, les participants ne se sont pas querellés au sujet du destin du président Bachar al-Assad. Le débat devient futile aujourd’hui compte-tenu des réalités du terrain. La nation syrienne devrait décider de son avenir. C’est aussi la demande d’Assad.

Troisièmement, une réflexion sérieuse a été engagée sur le chemin vers un règlement syrien – cessez-le-feu, rédaction de la nouvelle constitution suivie d’élections sous la supervision de l’ONU.

Quatrièmement, les participants ont ignoré le plan américano-israélien de balkanisation de la Syrie en sphères d’influence et ont également brisé le rêve israélien d’obtenir, dans le cadre de l’arrangement, une légitimité internationale pour son occupation illégale du plateau du Golan.

Cinquièmement, l’Allemagne et la France se sont montrées sensibles à la demande russe qui a insisté sur l’urgence de fournir une aide humanitaire à la Syrie et d’aider à la reconstruction – les États-Unis ont subordonné cette décision à la destitution d’Assad. Nous devrons voir comment cela se déroulera, mais le sommet a également souligné l’importance du retour des réfugiés syriens –  question cruciale pour les pays européens.

Sixièmement, les participants ont reconnu que les terroristes encore en Syrie devaient être éliminés, même s’ils appuyaient également de manière significative l’accord de cessez-le-feu d’Idlib, conclu entre la Turquie et la Russie.

Le résultat final est que l’ordre syrien d’après-guerre fait actuellement l’objet de discussions. Cependant, il faut aussi comprendre que la guerre par procuration ne se termine pas, mais se transforme en une guerre diplomatique à venir et qui sera bien entendu vivement combattue, compte tenu des intérêts divergents des protagonistes extérieurs.

De manière générale, la Russie et la Turquie commandent dès maintenant. Leurs propres visions sont bonnes mais il y a aussi des zones grises. L’importance d’une coordination étroite entre la Russie et la Turquie ne peut être que soulignée.

L’Iran ne peut pas se réjouir d’avoir été exclu du sommet d’Istanbul. Mais cela peut montrer aussi une sous-estimation du fait que l’Iran n’est pas en position d’affirmer ses intérêts légitimes. Les consultations étroites entre la Russie et l’Iran – et pas seulement en ce qui concerne la Syrie – sont bien entendu le facteur atténuant.

De même, l’attitude saoudienne « post-Khashoggi » à l’égard de la Syrie reste le « known unknown ». Les États-Unis sont en mesure de faire chanter l’Arabie saoudite pour continuer à financer leur présence militaire en Syrie, mais les Saoudiens peuvent ne pas avoir envie de projeter leur puissance à l’étranger. Quelque chose a fondamentalement changé : les Saoudiens ne sont pas habitués à ce que leur prestige soit traîné dans la boue, comme ce fut le cas le mois dernier, et l’expérience traumatique ne peut que donner à réfléchir.

De plus, les Saoudiens n’osent pas croiser le fer avec la Turquie sur le terrain de jeu syrien. Surtout, les Saoudiens ne voudraient pas saper les efforts de la Russie pour stabiliser la Syrie, car la bonne volonté et la coopération de Moscou sont extrêmement vitales pour Riyad au cours de la période à venir, maintenant que la raison d’être de son « Pivot vers l’Est » est incontestable.

Fondamentalement, la France et l’Allemagne sont des poids légers en Syrie. L’agenda était limité au sommet d’Istanbul. La Russie doit savoir parfaitement qu’en dernière analyse, la participation des États-Unis est cruciale. Il est tout à fait concevable que lors du prochain sommet russo-américain à Paris le 11 novembre, la Syrie soit un sujet de discussion majeur.

La politique américaine en Syrie est à la croisée des chemins et dépendra beaucoup de la position du président Trump à la suite des élections de mi-mandat du 6 novembre aux États-Unis.

Clairement, la situation était loin d’être celle de trois alliés importants des États-Unis organisant une mutinerie sur le navire de l’OTAN. L’Allemagne et la France auront certainement consulté Washington avant le sommet d’Istanbul – qui se prépare depuis des mois.

La grande question est de savoir comment évoluent les relations américano-turques. L’affaire Khashoggi a créé une certaine proximité entre les États-Unis et la Turquie. Ironiquement, le Deep State en Amérique et Trump sont sur la même longueur d’onde, redécouvrant l’importance vitale de la Turquie pour les stratégies régionales des États-Unis.

Les porte-parole du Deep State accusaient le président turc Recep Erdogan d’être « islamiste » et « autoritaire », etc., et ont probablement même tenté de le renverser lors du coup d’État manqué de 2016, mais aujourd’hui, ils le louent pour avoir épousé la démocratie islamique, la panacée pour la région.

Erdogan, à son tour – ou du moins une partie de lui-même – avait toujours rêvé de la reconnaissance de l’Occident, alors qu’il cherchait le rôle de leader historique de la Turquie au Moyen-Orient, et la particularité de servir de pont entre l’Ouest et la région. De même, Trump sera éternellement reconnaissant à Erdogan de s’abstenir de tout raconter sur l’affaire Khashoggi et de l’avoir aidé à mettre fin à une crise majeure pour sa présidence sur le front de la politique étrangère.

Inutile de préciser que cette transition dans l’amour vache entre les États-Unis et la Turquie peut affecter profondément la géopolitique du Moyen-Orient – à condition bien sûr que Washington joue soigneusement ses cartes en ce qui concerne la liste de souhaits d’Erdogan sur une foule de questions en suspens, y compris certaines d’une grande sensibilité.

La Syrie est quelque part au sommet des priorités d’Erdogan. Si désagréable que cela puisse paraître, Erdogan s’attendra à ce que les Américains poussent leurs alliés kurdes syriens dans le fossé. Hier, l’armée turque a bombardé les positions kurdes à l’Est de l’Euphrate.

Il est maintenant difficile de prédire comment la politique turque se déroulera en Syrie, car les variables sont trop nombreuses. Un rapprochement américano-turc est difficile à réaliser. Mais pourtant les Turcs et les Américains sont aussi de vieux alliés et ils ont le moyen de se creuser la tête pour recommencer à travailler ensemble.

MK Bhadrakumar

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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