Par Andrew Korybko − Le 13 février 2025 − Source korybko.substack.com
Le chemin qui reste à faire promet d’être très difficile, en raison des sujets sensibles que devront résoudre la Russie et les États-Unis. Le 12 février 2025 restera dans l’histoire comme date à laquelle la guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie, en Ukraine, aura officiellement commencé à prendre fin.
Le secrétaire à la défense étasunien, Pete Hegseth, a lancé le processus en déclarant que :
- l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN ;
- les États-Unis ne pensent pas que l’Ukraine puisse rétablir ses frontières d’avant 2014 ;
- les États-Unis ne déploieront pas de soldats dans la zone du conflit ;
- les États-Unis veulent que les Européens y assument des responsabilités de maintien de la paix à leur place ;
- mais les États-Unis n’étendront pas les garanties de l’Article 5 pour couvrir les soldats de l’UE qui y seront déployés.
A suivi une conversation entre Trump et Poutine, la première depuis que le président étasunien a récupéré les clés du bureau ovale. Les deux hommes ont convenu de lancer sans attendre les discussions de paix, et Trump a ensuite appelé Zelensky pour lui résumer le projet et sans doute le contraindre à accepter les concessions pré-discutées avec Poutine. Trump a également suggéré qu’il allait prochainement rencontrer Poutine en Arabie Saoudite, et que chacun des deux dirigeants pourra ensuite rendre visite à l’autre, dans le cadre du processus de paix. Voici quelques explications concernant le contexte élargi de ces événements :
- 3 janvier 2025 : « Une diplomatie énergétique créative peut poser les bases d’un grand accord russo-étasunien«
- 17 janvier 2025 : « Les mérites d’une région démilitarisée ‘trans-Dniepr’ contrôlée par des soldats de la paix non-occidentaux«
- 3 février 2025 : « Des Concessions territoriales pourraient précéder un cessez-le-feu menant à de nouvelles élections en Ukraine«
- 4 février 2025 : « L’intérêt manifesté par Trump pour les Terres Rares en Ukraine pourrait se retourner contre Zelensky«
- 7 février 2025 : « L’envoyé spécial de Trump a dévoilé des éléments sur le projet de paix en Ukraine prévu par son patron«
La première analyse au sujet de la diplomatie énergétique créative contient une bonne dizaine de propositions de compromis pour chacune des parties, qui pourrait contribuer à leurs discussions. De fait, la proposition selon laquelle les États-Unis n’étendraient pas les garanties de l’Article 5 aux soldats de l’UE présents en Ukraine est désormais soutenue par Hegseth, et il est possible que d’autres de ces propositions soient également adoptées. En outre, Trump vient de signaler le degré d’impopularité qu’a atteint Zelensky, ce qui suggère qu’il prépare la « transition de dirigeant par phase » au travers de nouvelles élections, également proposée dans ce même article.
Il reste à voir quelles autres propositions pourraient prochainement entrer dans le cadre de la politique étasunienne, et l’on peut en dire autant pour les propositions que la Russie pourrait décider de mettre en œuvre, comme accepter quelques limitations militaires de son côté de la zone démilitarisée, ce qui pourrait être par exemple créé à la fin de ce processus. Le lecteur trouvera ci-après les 5 sujets principaux qui vont être décisifs pour les discussions de paix entre Russie et États-Unis en Ukraine entre les dirigeants, les diplomates, et tous les experts qu’ils jugeront utiles d’inviter à participer à ce processus, au travers de négociation de deuxième phase :
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Paramètres territoriaux
Le sujet le plus immédiat à résoudre et de savoir où sera étable la nouvelle frontière russo-ukrainienne. La déclaration de Hegseth au sujet de l’impossibilité pour l’Ukraine de rétablir ses frontières d’avant 2014 semble indiquer que Trump pourrait tordre le bras à Zelensky pour lui faire accepter d’abandonner au moins tout le Donbass, qui se trouve au centre de la dimension territoriale du conflit, mais il est possible que les soldats ukrainiens doivent reculer jusqu’à la ville de Zaporijjia. À l’instant présent, il est peu probable que la Russie gagne le contrôle de cette ville et ses nouvelles régions à l’Ouest du Dniepr.
En effet, il se peut que Trump n’ait pas envie de prêter le flanc à des critiques qui ne manqueraient pas de pleuvoir s’il laissait à la Russie une ville de plus de 700 000 habitants, dont les résidents n’avaient pas voté lors du référendum du mois de septembre 2022. Il en va de même des nouvelles régions capturées par la Russie à l’Ouest de la rivière. Au lieu de cela, Trump pourrait proposer un référendum sous surveillance des Nations Unies un certain temps après la fin des hostilités, pour résoudre cet aspect du différend territorial, tout en laissant la Russie continuer de revendiquer officiellement ces régions. Une telle décision pourrait être jugée comme assez pragmatique par Poutine pour qu’il l’accepte.
Les conditions d’une Zone Démilitarisée et les rôles du maintien de la paix
Le sujet suivant à adresser après ceux-ci sont les conditions de la Zone Démilitarisée le long de la frontière provisoire, et le rôle des soldats de maintien de la paix qui y seront sans doute déployés pour la surveiller. La déclaration de Hegseth, selon laquelle les États-Unis n’étendront pas les garanties de l’Article 5 de l’OTAN aux soldats de l’UE qui pourraient y être envoyés pourraient les empêcher d’y jouer un rôle majeur, qu’il faudrait que la Russie consente à autoriser au travers d’une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, faute de quoi ces soldats constitueraient des cibles légitimes. Des soldats de maintien de la paix non-occidentaux seraient donc nettement plus consensuels.
Il s’avère que l’écrasante majorité des soldats de la paix de l’ONU ne proviennent pas de pays occidentaux. Ils pourraient donc se déployer sur la zone, sous mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU, conformément à la suggestion de Vasily Nebenzia, et cela pourrait même déboucher sur une exclusion totale de tout soldat de la paix occidental, si tel devait être convenu. Les termes de cette mission devront être considérés comme acceptables à la fois par la Russie et par les États-Unis pour que cette résolution soit adoptée, et il n’est donc pas clair de savoir ce qu’ils pourront faire ou ne pas faire, mais cela nous amène directement au point suivant.
Démilitarisation et dénazification
Deux des principaux objectifs de la Russie dans son opération spéciale sont de démilitariser et dénazifier l’Ukraine, choses qu’elle a au départ essayé de faire en contraignant militairement l’Ukraine à en convenir au travers des termes du projet de traité de paix du printemps 2022, mais cela avait échoué à cause des interventions du Royaume-Uni et de la Pologne. Il est irréaliste d’imaginer Trump accepter de laisser la Russie déployer ses forces armées dans l’ensemble du territoire ukrainien pour mettre en œuvre ce processus ; cela ne pourra se produire que par des moyens diplomatiques similaires, impliquant une acceptation de la part de Kiev.
C’est là que réside le rôle possible qui pourrait être dévolu aux soldats de la paix de l’ONU pour surveiller et appliquer toute décision qui finira par être adoptée pour démilitariser et dénazifier l’Ukraine. Cela pourrait prendre la forme d’une inspection de sites soupçonnés de stockage d’armes interdites, et de tout le transit transfrontalier d’Ukraine (y compris de ses ports), tout en conservant le droit d’édicter des changements dans le traitement des informations par les médias ukrainiens et dans les programmes scolaires du pays. Il s’agit de la seule manière de s’assurer que l’Ukraine restera démilitarisée et dénazifiée après la fin du conflit.
Levée des Sanctions
La Russie a exigé de manière répétée la levée de toutes les sanctions occidentales, mais on peut arguer que le « super-négociateur » qu’est Trump ne sera jamais d’accord pour toutes les lever d’un coup, et qu’il préférera établir un plan de levées de sanctions par phases en récompense du respect par la Russie du cessez-le-feu, de l’armistice, ou du traité de paix. Cela pourrait prendre la forme qui a été proposée dans l’analyse sur la diplomatie énergétique créative, selon laquelle certaines exportations russes à destination de l’UE pourraient reprendre durant la première phase, comme mesure d’établissement de la confiance.
La Russie préférerait que toutes les sanctions soient immédiatement levées, mais ses stratèges pourraient conclure qu’il est préférable d’accepter un plan par phases si c’est le mieux que Trump a à offrir, par rapport à rien du tout. Mais le président étasunien aura intérêt à concrétiser le geste de bonne volonté consistant à lever les sanctions sur les exportations pétrolières maritimes de la Russie également, car cela pourrait convaincre ces stratèges du sérieux de sa volonté de soulager la Russie des pressions qui pèsent sur elle. Cela mettrait de l’huile dans les rouages pour que Poutine vende à son tour le compromis d’une levée de sanctions par phases à son pays.
Une nouvelle architecture de sécurité
Au mois de décembre 2021, la Russie a envisagé de créer une nouvelle architecture de sécurité en Europe au travers d’accords mutuels avec les États-Unis et l’OTAN, conformément aux demandes de garanties de sécurité qu’elle partageait avec ces instances à l’époque. Rétrospectivement, cette idée impliquait de résoudre diplomatiquement leur dilemme de sécurité, dont les racines se trouvent dans l’expansion ininterrompue de l’OTAN vers l’Est depuis la fin de la première Guerre Froide, et surtout de son expansion clandestine sur le territoire ukrainien. Poutine n’avait planifié son opération spéciale en Ukraine qu’en cas d’échec de ces propositions.
Les choses ont beaucoup changé depuis cette époque, des discussions étendues vont devoir être lancée aussitôt convenu de l’accord qui sera conclu au sujet de l’Ukraine. Les nouveaux sujets intègrent l’accumulation militaire de l’OTAN vers l’Est ; l’intégration récente à l’OTAN de la Finlande et de la Suède ; les missiles russes hypersoniques Oreshnik, leur déploiement au Bélaruss ; le déploiement dans ce même pays de têtes nucléaires par la Russie ; l’avenir du nouveau START qui expire l’an prochain, et la nouvelle course aux armements dans l’espace, etc. Un accord sur une nouvelle architecture de sécurité stabilisera donc le monde.
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Comme chacun peut le voir, le chemin qui reste à faire promet d’être très difficile, en raison des sujets sensibles à résoudre par la Russie et les États-Unis, mais les dirigeants de ces deux pays ont montré leur volonté de négocier de bonne foi. Il est probable qu’aucune des deux parties n’atteindra ses objectifs maximaux, mais la diplomatie constitue l’art du possible, et chacun fera de son mieux pour obtenir tout ce qu’il pourra au vu des circonstances. Le meilleur scénario est celui d’une paix juste et durable, résolvant véritablement les causes racines du cœur de ce conflit.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone