À l’aube de la guerre, ou pourquoi l’Iran ne pliera pas


Par Yossef Bodansky − Le 19 mai 2019 − Source oilprice.com

Le 14 mai 2019, une semaine après que le secrétaire d’État américain Mike Pompeo eut visité Bagdad et rencontré un haut fonctionnaire iranien, le chef suprême de l’Iran, l’ayatollah Seyyed Ali Khamenei a défini la trajectoire de la crise actuelle que traverse actuellement son pays face aux  États-Unis en émettant des directives aux autorités compétentes. Khamenei a convoqué une réunion à huis clos avec les « chefs des branches du pouvoir », les principaux hauts fonctionnaires, les juristes et les membres du Madjles.

Khamenei a analysé la situation actuelle, puis détaillé les prochaines mesures prises par Téhéran, indiquant que l’Iran ferait tout son possible pour éviter la guerre avec les États-Unis tout en poursuivant avec ténacité son ascension en tant que puissance régionale de premier plan. Et il a souligné qu’il n’y aurait plus de négociations avec les États-Unis.

« Le refus de l’Iran de négocier avec les États-Unis », a expliqué M. Khamenei, « découle de la prise de conscience que négocier avec le gouvernement américain actuel est toxique ». C’est par le moyen de négociations que les États-Unis « cherchent à retirer ses forces à l’Iran », ce qui implique que le pays « abandonne sa puissance défensive » unilatéralement et son « influence régionale stratégique ».

Khamenei a indiqué une offre américaine pour discuter de la portée des missiles balistiques de l’Iran. « Réduisez leur portée afin que vous ne puissiez pas atteindre nos bases », ont demandé les États-Unis, selon M. Khamenei, qui a souligné que « les pourparlers sur les forces de l’Iran, y compris la puissance des missiles et l’influence régionale [sont] insensés »». Khamenei s’est dit convaincu qu’« il n’y aura pas de guerre » entre les États-Unis et l’Iran et que, par conséquent, la confrontation ne sera pas « militaire ». Khamenei a souligné qu’« il n’y aura pas de confrontation militaire, car ni l’Iran ni les États-Unis ne cherchent la guerre, les Américains étant conscients que la guerre ne leur sera pas bénéfique ». Dans ces circonstances, l’Iran continuera de s’appuyer sur des conflits interposés (« proxies ») comme principal instrument de « résistance » à ses ennemis. « La résistance est le seul choix de l’Iran, est c’est un choix absolu », a-t-il souligné. « L’option définitive de la nation iranienne sera la résistance face aux États-Unis et, dans cette confrontation, les États-Unis seraient forcés de se retirer », a expliqué M. Khamenei. « Ni nous, ni eux, sachant que la guerre n’est pas dans leur intérêt, ne cherchons la guerre. »

Khamenei a conclu en déclarant que « les forces militaires iraniennes sont plus préparées et vigilantes que jamais ». Il a répété qu’en poursuivant sa « politique de confrontation avec la République islamique, les États-Unis connaîtront certainement la défaite et [le résultat] final sera à notre avantage ».

Khamenei et Téhéran ont toutes les raisons d’être confiants, étant donné la réaction des États-Unis, de l’Arabie saoudite et des États du Golfe à la série de violentes provocations contre leurs infrastructures pétrolières, qui a commencé le 6 mai 2019.

La première attaque confirmée a eu lieu le 6 mai 2019 dans le port saoudien de Yanbu sur la mer Rouge. Un certain nombre d’explosions puissantes ont secoué la zone portuaire et une épaisse fumée noire s’est élevée. Apparemment, un bateau chargé d’explosif et télécommandé a heurté un quai de chargement de pétrole, mettant le feu à celui-ci et aux installations avoisinantes. Certains rapports non confirmés indiquent également que Yanbu a été frappée par des roquettes tirées depuis la mer Rouge.

Riyad a pu supprimer la plupart des informations grâce à un contrôle serré des médias électroniques.

Le 8 mai 2019, un petit cargo transportant environ 23 000 litres de diesel, 300 pneus et 120 véhicules a pris feu dans le port de Charjah aux Émirats arabes unis (EAU). Les 13 membres d’équipage ont été secourus, mais le navire a été complètement détruit. Incendie criminel et sabotage ont été soupçonnés car on a entendu des explosions, et l’incendie a commencé à trois endroits presque simultanément puis s’est rapidement propagé. Une fois de plus, les Saoudiens ont aidé les autorités des EAU à supprimer immédiatement la plupart des informations.

Le 12 mai 2019, quatre ou cinq pétroliers ont été touchés au niveau de la ligne de flottaison par des explosions sous-marines près du port de Fujaïrah aux Émirats arabes unis. Fujaïrah est la tête de distribution du principal couloir de pipelines de pétrole et de gaz naturel conçue pour que les pétroliers évitent de passer par le détroit d’Hormuz. Deux pétroliers saoudiens ont subi de « graves dommages structurels » lors de l’attaque. D’autres frappes ont été lancées contre des réservoirs de pétrole dans le parc principal de réservoirs, mais elles ont été bloquées par les dispositifs de protection, de sorte que les dommages ont été minimes ou négligeables. Selon les experts, les attaques ont été menées par des hommes-grenouilles hautement entraînés et bien équipés, qui sont probablement arrivés du côté iranien du golfe. Ces attaquants étaient formés et équipés par des membres des Forces spéciales du Corps des gardiens de la révolution iranienne (CGRI ou Pasdaran), en particulier l’Unité spéciale de marine Sepah, une force de Takavar appartenant à la marine du CGRI et stationnée dans la grande île de Farur, dans le golfe Persique, ainsi que la Brigade de Marines Imam Hossein basée à Bandar Abbas.

Comme auparavant, même si de multiples explosions avaient été entendues dans toute la région, les autorités de Fujaïrah ont d’abord insisté sur le fait qu’il n’y avait pas eu d’incendie ni d’explosion dans le port. Cette fois, cependant, les auteurs s’étaient préparés : la chaîne d’informations Al-Mayadeen liée au Hezbollah a diffusé un reportage détaillé avec des cartes, ainsi que les noms et numéros de coque des pétroliers touchés. Il était d’une grande précision. Al-Mayadeen et d’autres officines chiites ont insisté, malgré les démentis initiaux des responsables des EAU, mais les EAU ont finalement dû reconnaître que « quatre navires de commerce » avaient été touchés par des « actes de sabotage » à Fujaïrah. Le lendemain, le ministre saoudien de l’Énergie, Khalid al-Falih, a admis que deux pétroliers saoudiens avaient subi des « dommages importants » lors de ce qui ressemble à un « sabotage ».

Aux petites heures du matin du 14 mai 2019, sept « drones-suicides » explosifs, probablement des vecteurs aériens sans pilote (UAV) Qasef-1 iraniens, ont frappé deux stations de pompage de pétrole à al-Duwadmi et Afif, à l’ouest de Riyad. Le feu s’est déclaré et a mis les stations hors service. Des UAV de reconnaissance ont diffusé des images de l’attaque vers la région de Sanaa au Yémen. Les drones étaient dirigés à partir d’installations contrôlées par le CGRI à la base aérienne de Sanaa. Des informations non-confirmées laissent entendre que les UAV ont été lancés de l’aéroport d’Abs dans le nord-ouest du Yémen, au plus près de la frontière saoudienne. L’Arabie saoudite a alors dû fermer son pipeline est-ouest qui transporte environ cinq millions de barils de pétrole par jour sur 1 200 km depuis les principaux champs pétrolifères de l’est de l’Arabie saoudite vers le port de Yanbu sur la Mer rouge.

Les images venant des UAV ont été diffusées en temps quasi réel sur la chaîne Masirah alignée sur les Houthis. Un responsable militaire Houthi a annoncé que « sept drones [avaient] attaqué des installations saoudiennes vitales […] en réponse à l’agression et au blocus continus de notre peuple. Nous sommes prêts à mener des frappes plus imprévisibles et plus violentes. » Dans une interview accordée à la chaîne Al-ManarTV affiliée au Hezbollah, Mohammed Abdulsalam, du Mouvement houthi ansarullah, a revendiqué la responsabilité et promis des attaques encore plus stratégiques contre l’Arabie saoudite et les EAU. « En raison du mépris flagrant de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis à l’égard de notre demande de mettre fin à la violence et à la persistance du blocus du Yémen, les forces yéménites ont lancé des attaques contre des cibles situées au cœur des pays [qui sont] en tête de leurs priorités. »

Et en effet, le 14 mai 2019 également, les forces houthies ont tiré un missile balistique Badr-1 contre une raffinerie de pétrole de l’Aramco dans la province saoudienne du Jizan. Le lendemain, Al-Mayadeen a diffusé un vaste reportage sur les récentes frappes stratégiques des Houthis contre l’Arabie saoudite et les EAU, et a insisté sur le fait que le nombre de ces attaques était plus élevé qu’on l‘accorde au public. « Nous avons reçu des informations spéciales montrant que les forces yéménites à Sanaa ont lancé plus de dix opérations militaires non déclarées contre des cibles vitales dans la profondeur de l’Arabie saoudite » a commenté Al-Mayadeen. Pendant tout ce temps, on a assisté à une escalade marquée des fusillades et des sabotages impliquant des jihadistes chiites dans l’est de l’Arabie saoudite, en particulier dans la région de Qatif, et dans les États voisins du Golfe. En principe, Riyad et Abu Dhabi ne reconnaissent les affrontements que lorsque les forces de sécurité sont tuées. Les autres incidents restent cachés.

Cependant, ces incidents étaient suffisants pour que Riyad déclare secrètement un état d’urgence dans toute la province d’al-Sharqiyah, à l’est. Selon les dirigeants de l’opposition saoudienne, Riyad a ordonné la mobilisation complète de toutes les forces terrestres et de la Garde nationale. Elle a publié un ordre émis par le Colonel Mohammed bin Nasser al-Harbi, un commandant des forces terrestres à al-Sharqiyeh, pour que toutes les forces soient en alerte haute dans les prochaines 72 heures. De plus, des forces de la Garde nationale en provenance du centre de l’Arabie saoudite ont été stationnées à Al-Sharqiyah afin de protéger les puits de pétrole, les raffineries et les ports pétroliers. Toutes les permissions de l’armée et de garde ont été annulées.

Le représentant officiel de Téhéran a nié toute association avec la « mauvaise conduite » dans le Golfe, et a même fait allusion à des provocations israéliennes visant à entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran.

Toutefois, comme l’indique le MEMRI (Middle East Media Research Institute), plusieurs journalistes iraniens de haut niveau affiliés au CGRI ont identifié les auteurs dans leurs Tweets. Ainsi, le 12 mai 2019, Amin Arabshahi, le directeur de l’agence de presse Tasnim, affiliée au CGRI dans la province de Khorasan, a tweeté sur le rôle de Fujaïrah comme « une vraie ligne de vie pour l’exportation de pétrole des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite », ajoutant que « les gars de la Résistance islamique avaient mis le feu » au port. Les États-Unis « devraient savoir que la guerre a commencé il y a des années. Nous en sommes aux dernières étapes. »

Toujours le 12 mai 2019, Hamed Rahim-Pour, rédacteur en chef de la section internationale du Khorasan Daily, affilié au CGRI, a fait remarquer que « toutes nos options [étaient] sur la table » à la suite des attaques contre Yanbu et Fujairah. Le pétrole exporté par ces deux ports devait « remplacer le pétrole iranien ! Ils ont reçu un tel coup qu’ils n’ont pas compris d’où il venait ! ». Le 14 mai 2019, il a parlé de l’escalade à venir : « L’ampleur de la guerre [des États-Unis] contre l’Iran ne devrait pas être définie seulement par les gigantesques porte-avions américains, ou ses bombardiers stratégiques stationnés au Qatar, ou les avions de chasse F-35. L’ampleur et la portée d’une guerre possible contre l’Iran peuvent être également définies par des infiltrations silencieuses à Fujairah, Yanbu et Golan, et à des dizaines d’autres endroits dans la région. »

Toujours le 14 mai 2019, Hesameddin Ashena, conseiller politique principal du Président iranien Hassan Rouhani, a répondu à un tweet du Président américain Donald Trump. « Vous avez voulu un meilleur accord avec l’Iran. On dirait que vous allez récolter une guerre à la place. C’est ce qui arrive quand on écoute La moustache [John Bolton]. Bonne chance pour 2020 ! »

En fin de compte, et même si ce n’était que pour un court laps de temps, l’Iran et ses proxies ont été en mesure de fermer complètement les exportations de pétrole de l’Arabie saoudite et des États du Golfe en provenance de sites autres que le détroit d’Hormuz. Avec l’incontestable menace iranienne envers le transport maritime passant par le détroit d’Hormuz, Téhéran a démontré ce point : l’Iran pourrait verrouiller l’exportation de pétrole de toute la péninsule arabique.

L’approche globale de Téhéran est fondée sur la doctrine de la « guerre contre le pétrole » adoptée à l’été 2005. Ali Akbar Hashemi-Rafsanjani, alors président du Conseil de discernement et stratège le plus influent d’Iran, souligna l’importance d’une stratégie nationale de guerre pétrolière. Il réclama un plan de guerre global, une stratégie de « Big Bang » qui modifierait radicalement la posture stratégique au Moyen-Orient et la confrontation mondiale avec l’Occident dirigé par les États-Unis, en privant l’Occident d’approvisionnements pétroliers stables. La « guerre contre le pétrole » fut adoptée comme stratégie nationale par le président de l’époque, Mahmoud Ahmadi-Nejad. Elle est encore valide.

Cette stratégie repose sur une approche à trois niveaux.

Le premier niveau (le Noyau) vise à attaquer et à perturber la production ainsi que le transport de pétrole et de gaz dans les régions entourant immédiatement l’Iran. Téhéran a planifié la mise en œuvre de ses plans d’urgence au moyen de diverses forces, allant d’actes de guerre manifestes ou cachés par les forces iraniennes à une myriade de frappes terroristes et d’opérations secrètes menées par un réseau mêlé de groupes islamistes-djihadistes chiites et sunnites. Les principales missions des forces iraniennes et de leurs mandataires incluent le blocage du détroit d’Hormuz et la destruction des installations pétrolières dans le golfe Persique, des actions pour couler des pétroliers dans le golfe Persique et la mer d’Arabie, le bombardement d’installations pétrolières dans l’est de la péninsule arabique en cas d’échec des actions terroristes, et l’aide secrète à des forces irakiennes pour saboter l’infrastructure énergétique de l’Irak.

Les programmes de formations spéciales qui ont été établis à l’hiver 2005-2006 pour faciliter la mise en œuvre de la « guerre contre le pétrole » ont pris beaucoup d’ampleur depuis.

Les États de la région sont conscients des projets iraniens et de la détermination de Téhéran à les mettre en œuvre. Même les plus proches alliés de l’Iran s’inquiètent des conséquences d’une escalade majeure à l’occasion d’un affrontement avec les États-Unis. Ainsi, le 12 mai 2019, le ministre des Affaires étrangères du Qatar, Sheikh Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim Al Thani, s’est rendu à Téhéran pour une visite censément secrète. Selon les hauts responsables du Qatar, il était parti « pour aider à affronter la crise qui s’aggrave entre les États-Unis, l’Iran et les puissances régionales ». Il a offert au ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, « d’ouvrir de nouvelles avenues pour résoudre la crise montante entre l’Iran et les États-Unis et atténuer la volatilité de la situation » avant qu’il ne soit trop tard.

Validant l’importance du nouveau bloc créé par l’Iran, la Turquie et le Qatar, le ministre des Affaires étrangères Mohammed al-Thani a promis d’élaborer des modalités pour empêcher les États-Unis d’utiliser la base aérienne d’Al-Udeid au Qatar. Il a plaidé pour gagner du temps afin de désamorcer Washington et a exhorté l’Iran à s’abstenir d’intensifier la « guerre contre le pétrole » dans un proche avenir, en particulier dans la région du golfe Persique.

Pour Téhéran, cependant, il reste un problème non résolu : comment gérer les forces américaines déployées dans tout le Moyen-Orient, et pas seulement dans la région du golfe Persique ? En effet, les forces américaines participent activement au blocage des forces iraniennes et tierces pro-iraniennes en Syrie, en Irak et, de plus en plus, au Yémen. Les forces américaines forment et équipent leurs mandataires locaux qui s’affrontent avec les milices chiites iraniennes. Dans bien des cas, les États-Unis fournissent de l’artillerie lourde et du soutien aérien à leurs forces tierces en Syrie et en Irak lorsqu’elles affrontent des milices chiites.

La question a été soulevée au début d’avril 2019, lorsque Téhéran s’est engagée à intensifier sa confrontation avec l’Arabie saoudite sans exclure un renversement de la Maison d’al-Saoud. Jusqu’au printemps 2019, les Iraniens et leurs mandataires ont été extrêmement prudents face aux forces américaines, mais le durcissement attendu a enclenché une nouvelle stratégie.

À la mi-avril 2019, vu la multitude d’opérations iraniennes et tierces pro-iraniennes envisagées par le commandant de la Force Quds, le Major-Général Qassem Soleimani et son état-major ont évoqué la possibilité d’incidents localisés avec des forces américaines dans tout le Moyen-Orient. Après avoir consulté les principaux dirigeants de Téhéran, Soleimani a autorisé les forces iraniennes et tierces à s’opposer aux forces américaines si celles-ci agissaient comme un fil-piège visant à empêcher les opérations iraniennes et la montée en puissance de l’Iran et si les forces américaines soutenaient activement les forces anti-iraniennes locales, notamment par l’artillerie et les frappes aériennes. Les échos de cette décision ont été au cœur des alertes de renseignement que les États-Unis ont reçues d’Israël.

Début mai 2019, Téhéran est devenue encore plus confiante dans sa capacité à résister à des affrontements localisés avec les forces américaines. Du 28 au 29 avril 2019, l’armée turque a tué un soldat américain à Kobane, dans le nord de la Syrie. Membre de la 101ème Division aéroportée, il a été tué alors que les positions de Forces démocratiques syriennes, majoritairement kurdes, soutenues par les États-Unis, ont été attaquées par l’armée turque. Le lendemain, les États-Unis se sont précipités pour dissimuler l’incident et n’ont même pas protesté contre l’attaque turque.

En conséquence, Soleimani et le commandant du CGRI, le Major-Général Hossein Salami, ont décidé de revoir les règles d’engagement imposées aux forces iraniennes et tierces. Compte tenu des enjeux importants liés à la montée en puissance stratégique de l’Iran au Moyen-Orient, Soleimani et Salami ont conclu que les risques d’incidents et d’affrontements locaux se justifiaient. Khamenei est tombé d’accord avec les commandants du CGRI et a soutenu leur audace. Avec un mandat renforcé par Khamenei, Soleimani voyage en Irak et en Syrie depuis début mai 2019 pour coordonner les mesures à venir avec ses alliés et ses mandataires.

Selon les instructions de Khamenei, la poussée iranienne pourra continuer à se développer et à s’intensifier.

Téhéran tire parti d’avoir positionné des forces iraniennes et tierces pro-iraniennes à Idlib au moment où l’offensive syrienne s’intensifie. Téhéran est également encouragée par la vulnérabilité croissante et l’implosion imminente de l’Arabie saoudite à la suite des nouvelles purges décidées par le prince héritier Mohammed bin Salmane. En effet, les représentants de l’opposition saoudienne ont conclu après le 10 mai 2019 que l’Arabie saoudite ne pouvait pas affronter l’Iran avec succès.

Une étude réalisée par des hauts fonctionnaires saoudiens, actuels et anciens, a révélé que « l’Arabie saoudite n’est pas préparée à une confrontation internationale avec l’Iran, car l’économie, l’armée et le front intérieur [la population tribale] n’appuient pas le gouvernement ». Téhéran a obtenu une copie de cette étude. Par conséquent, à mesure que l’Iran devient plus assuré et audacieux, la probabilité d’un affrontement avec les forces américaines augmente.

Le 15 mai 2019, Téhéran a été encouragée non seulement dans sa capacité à affronter les États-Unis militairement, mais aussi dans sa capacité à résister aux pressions politiques et économiques des États-Unis.

Les raisons en sont les derniers développements en date à Sotchi, en Russie : le 13 mai 2019, le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov a accueilli à Sotchi Wang Yi, Conseiller d’État et Ministre des affaires étrangères de la République populaire de Chine (RPC). Lavrov et Wang Yi ont résolu de « renforcer le partenariat stratégique global de coordination entre les deux pays ».

L’un des principaux enjeux était la crise irano-américaine qui se préparait dans le golfe Persique. La Russie et la RPC ont décidé de ne pas laisser les États-Unis renverser l’administration des mollahs à Téhéran. Les deux pays ont convenu que leurs intérêts à long terme exigeaient la préservation d’un Iran loyal et amical comme élément crucial de la Nouvelle route de la soie et de la consolidation de la sphère eurasienne. Selon les hauts fonctionnaires russes et chinois, dans la partie secrète de leurs pourparlers, Lavrov et Wang Yi ont décidé de donner à l’Iran des « garanties » de soutien au cas où les États-Unis prendraient des mesures pour étrangler l’Iran et tenter un « changement de régime ». « En conclusion », ont affirmé les hauts fonctionnaires, « la Russie et la Chine ne permettront pas que l’Iran soit détruit ». Fait important, Lavrov a consulté le Président Vladimir Poutine avant de s’engager dans des garanties conjointes avec Wang Yi.

Selon les hauts fonctionnaires de la RPC, avant de quitter Pékin, Wang Yi avait reçu des rapports d’experts sur l’Iran. Une étude sur l’économie iranienne a conclu que « l’autosuffisance aide l’Iran à contrer les sanctions » et qu’il n’y a donc pas de danger d’effondrement imminent. Une étude menée par l’état-major de l’Armée populaire de libération et le renseignement militaire de la RPC a conclu que « les États-Unis ne peuvent pas se permettre de faire la guerre à l’Iran, mais  sont susceptibles de jouer la carte de l’intimidation ». Les auteurs ont averti que « Washington surestime son contrôle sur ce processus risqué et sous-estime sérieusement la détermination des pays à défendre leurs intérêts fondamentaux ». Selon une autre étude militaire, Pékin « ne devrait pas sous-estimer la tradition guerrière des États-Unis, car c’est essentiellement une nation dangereuse ». Il y aurait donc potentiellement une éruption de violence si les États-Unis n’étaient pas maîtrisés.

Ces études ont convaincu la Cité interdite de se joindre au Kremlin pour adopter une politique forte visant à garantir la survie de l’Iran. Les dirigeants iraniens ont été immédiatement informés des « garanties » de la Russie et de la RPC.

Le 14 mai 2019, le secrétaire d’État des États-Unis, Mike Pompeo, a tenu des réunions à Sotchi avec Poutine et Lavrov. Ils ont eu de longues discussions en grande partie hostiles sur un grand nombre de questions à propos desquelles les deux pays sont en fort désaccord. Selon les hauts fonctionnaires russes, Poutine et Lavrov ont exprimé la forte opposition de la Russie aux activités des États-Unis dans le golfe Persique et ont réitéré l’engagement de la Russie et de la RPC envers le gouvernement de Téhéran. Pompeo a balayé la position russe et souligné la détermination des États-Unis à s’attaquer résolument aux menaces iraniennes. Après que Pompeo ait quitté Sotchi, l’assistant du Président russe, Yury Ushakov, a déclaré que la discussion sur l’Iran avait été « intéressante ».

Dans le même temps, Téhéran a affirmé que les États-Unis poursuivraient l’affrontement avec l’Iran, mais que la Russie et la RPC empêcheraient une défaite iranienne, même en cas de revers importants. Dans de telles conditions, l’Iran peut s’affirmer davantage, même devant un risque plus élevé d’escalade.

En conséquence, dans la nuit du 15 mai 2019, des commandants de haut niveau, lors de réunions à huis clos avec des officiers supérieurs, ont soudain affirmé que l’Iran devait se préparer à une guerre imminente.

Le ministre iranien de la Défense, le Brigadier-Général Amir Hatami, a exprimé sa confiance : « Aujourd’hui, la République islamique d’Iran se trouve au sommet de sa préparation militaire et de sa défense pour contrer toute menace ou tout acte d’agression », a-t-il déclaré. À son avis, les revers américains dans le théâtre Syrie-Irak sont la raison de cette crise soudaine : « La défaite du récent courant terroriste takfiri dans la région, en particulier en Irak et en Syrie, a porté un dur coup à l’image […] des États-Unis et des gouvernements régionaux qui parrainent les terroristes. Et maintenant que ce complot malveillant a échoué, les Américains se sont lancés dans une guerre sévère et totale contre notre pays en utilisant des outils économiques. » Puis, après l’échec des sanctions, les États-Unis sont passés à une confrontation militaire. Quel qu’en soit le coût, Hatami a conclu que « la nation iranienne » allait « vaincre le front américano-sioniste ».

Le commandant du CGRI Hossein Salami voit un tournant historique dans la crise et la guerre actuelles : « Nous sommes à l’aube d’une véritable confrontation avec l’ennemi », a-t-il dit. « La République islamique est au moment le plus décisif de son histoire à cause des pressions de l’ennemi. » Il s’est attardé sur cet aspect. « Ce moment de l’histoire, parce que l’ennemi est entré dans le champ de la confrontation avec nous avec tout son potentiel, est le moment le plus décisif de la révolution islamique », a répété Hossein Salami. « Cette guerre n’est pas contre le gouvernement de la République islamique d’Iran, mais contre la nation iranienne. »

Pendant ce temps, le commandant de la Force Quds, Qasem Soleimani, continue de voyager, de consulter ses commandants, iraniens comme mandataires, et de les préparer à la prochaine phase de la montée en puissance stratégique de la République islamique d’Iran.

Yossef Bodansky

Traduit par Stünzi pour le Saker Francophone

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