Oui, c’est bien un IVème Reich que l’Allemagne s’emploie à construire


Par Andrew Korybko − Le 4 janvier 2022 − Source One World

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Il est crucial, lorsque l’on discute du 4ème Reich allemand, de préciser clairement que Kaczynski a bien précisé que ce modèle néo-impéraliste n’est pas similaire à celui qui fut en vigueur lors du second conflit mondial. Cette précision est essentielle, sous peine de voir les critiques légitimes des politiques menées par l’Allemagne se faire taxer de « théories du complot ».


Au cours d’une récente interview qui a été publiée à la fin du mois de décembre 2021, Jarosław Kaczyński, le vice-président du Conseil des ministres polonais, qui tient plus ou moins le rôle d’« éminence grise » pour la Pologne, a accusé l’Allemagne d’utiliser la construction de l’Union européenne pour établir un IVème Reich. Il a clairement indiqué qu’il ne faisait pas référence aux atrocités des génocides commis par le IIIème Reich nazi, mais plutôt au premier Reich, qui fait référence de manière sous-entendue au Saint Empire Romain Germanique. Néanmoins, il a émis l’avertissement suivant : l’Allemagne essaye d’imposer un système de « servage » moderne aux Polonais, qui « impliquerait que nos citoyens seront dans quelques années plus pauvres qu’aujourd’hui » s’il n’y est pas mis fin.

Ses commentaires ont paru durant le bruyant différend entre la Pologne et l’UE, au sujet des soi-disant « violations de l’État de droit » en lien avec les réformes judiciaires adoptées par la Pologne, et sa volonté de ne pas accepter les quotas de migrants édictés par le bloc, entre autres sujets. La puissance aspirant à devenir tête de file des pays d’Europe centrale s’emploie à assembler un bloc de pays régionaux sous sa propre direction, en opposition aux processus de centralisation de l’UE, que Varsovie considère comme des ingérences dans les affaires internes de ses États-membres. Varsovie espère que cette coalition euroréaliste conservativo-nationaliste peut contrer les machinations libéro-globalistes ourdies par les euro-libéraux au pouvoir à Bruxelles.

Nonobstant ce que chacun peut penser de la vision intérieure entretenue par cet homme politique, et sa russophobie enragée, il a raison de dénoncer les projets de IVème Reich allemand, ourdis au travers de l’UE. Il est incontestable que c’est l’Allemagne qui dirige ce bloc, et c’est donc bien elle qui est responsable de toutes les ingérences que la Pologne, ainsi que d’autres pays, ont critiquées au cours des années récentes. Sans tirer le moindre coup de feu, l’Allemagne a réussi à prendre le contrôle de la plus grande partie de l’Europe en manœuvrant avec brio les leviers du modèle néo-libéral de relations internationales, comparativement plus « pacifique » que le modèle nettement plus agressif, ayant trait au modèle néo-réaliste, que les Nazis avaient adopté.

Les conséquences de cette capture institutionnelle, économique, et ultimement politique de l’Europe par l’Allemagne et ses mandataires continentaux est que les nombreux États constituant l’UE ne sont plus souverains sur le moindre sujet qui compte. Ils ont renoncé à la plupart de leurs processus de décisions indépendants, au profit de la bureaucratie de l’UE, contrôlée par l’Allemagne, et qui centralise de plus en plus les décisions, en contradiction avec l’esprit officiel de l’UE. Le parti polonais conservativo-nationaliste « Loi & Justice » (PiS, pour l’abréviation en polonais), installé au pouvoir, craint que les Polonais soient une fois de plus opprimés par l’Allemagne, non pas au sens physique comme durant la seconde guerre mondiale, mais selon d’autres méthodes.

Kaczyński craint tout particulièrement que la Pologne perde sa précieuse identité nationale, qui a jadis maintenu en vie l’ethnie polonaise durant les 123 années de partition tripartite entre les empires voisins, si les exigences libéro-globalistes radicales de l’UE allemande sont effectivement imposées à son peuple en passant par des quotas de migrants, la « théorie du genre », etc. Il est également très préoccupé par l’idée que la Pologne reste à jamais un appendice économique de la « Grande Allemagne », ce qui mettrait un frein aux ambitions de son pays quant à diriger de manière indépendante un réseau régional d’États euro-réalistes opposés à la centralisation menée par le bloc.

Il est crucial, lorsque l’on discute du 4ème Reich allemand, de dire clairement que Kaczynski a bien précisé que ce modèle néo-impéraliste n’est pas similaire à celui qui fut en vigueur lors du second conflit mondial. Cette précision est essentielle, sous peine de voir les critiques légitimes des politiques menées par l’Allemagne se faire taxer de « théories du complot ». L’Allemagne ne réduit pas physiquement en esclavage les peuples du continent qui subissent son influence, ni ne les extermine de manière active comme cela fut le cas, mais elle exerce bel et bien une influence excessive sur leurs affaires socio-culturelles, économiques et judiciaires les plus sensibles, pour des raisons idéologiques, stratégiques, et en fin de compte véritablement hégémoniques.

Le modèle du Reich est tout simplement le modèle impérialiste historique de l’Allemagne, qui a évolué avec le temps. Il se trouve que le périmètre du IVème Reich s’applique à la même « sphère d’influence » que le IIIème, façonné à l’époque au moyen de génocides (en certains points, il déborde sur ce périmètre, avec la péninsule ibérique et la Scandinavie), mais ce nouveau Reich progresse de manière bien plus pacifique, en passant par le néo-libéralisme, par opposition au modèle néo-réaliste. Néanmoins, un Reich reste un Reich, et la Pologne a raison d’attirer les attentions sur l’impérialisme des temps modernes pratiqué par l’Allemagne sur l’Europe.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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