La Pravda américaine : troisième et deuxième guerres mondiales ?


De temps à autre, je redécouvre l’étendue d’Internet.


Par Ron Unz − Le 24 octobre 2022 − Source Unz Review

Tout au long de cette année, je me suis beaucoup intéressé à notre conflit contre la Russie en Ukraine, et j’ai également commencé par ailleurs à suivre les déclarations publiques formulées par le professeur Jeffrey Sachs, de l’Université de Columbia, mais jusqu’à la semaine dernière, j’avais manqué son interview de la fin du mois d’août sur ce sujet précis. Bien que son apparition dans l’émission Democracy Now! d’Amy Goodman ait accumulé plus de deux millions de vues, j’étais passé à côté.

Je recommande fortement d’écouter ses remarques, ainsi que ses présentations du même ordre début octobre sur the Grayzone et dans la nouvelle émission de Tulsi Gabbard.

Sachs a occupé durant des dizaines d’années de hauts postes au gouvernement, dont le rôle important et controversé en Russie a commencé au début des années 1990, si bien que ses idées sur l’impasse où nous nous trouvons sont à prendre au sérieux. Et elles sont frappantes.

D’après lui, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN sont actuellement en guerre avec une Russie dotée de l’arme nucléaire, à la frontière de celle-ci. Bien qu’à ce stade, les combats au sol aient été laissés à nos mandataires ukrainiens, nous livrons tous les autres éléments militaires — armes, munitions, financements, entraînements, renseignements et coordination — et nous apportons également notre contribution avec certains combattants. Au cours de notre longue Guerre Froide contre les Soviétiques, un tel scénario aurait été considéré comme le pire des cauchemars, mais il s’agit désormais de l’objectif délibéré du gouvernement étasunien. L’interview de Tulsi Gabbard porte le titre tout à fait approprié « Russie, Ukraine, et prévention d’un holocauste nucléaire ».

Sachs est né en 1954, et il était enfant au moment de la période terrifiante de la crise des missiles de Cuba, et cette instance d’acrobatie politique domine évidemment ses pensées lorsqu’il considère la confrontation qui est la nôtre contre la Russie. Il rappelle que la destruction du monde n’a été évitée que d’un cheveu en 1962, uniquement grâce à la prudence du président John F. Kennedy. Ces sentiments sont extrêmement différents de ceux qui animent l’administration Biden actuelle, dominée par les néo-conservateurs, qui semble prête à escalader le conflit et a passé récemment plusieurs jours à discuter tranquillement de l’utilisation d’armes nucléaires contre notre adversaire russe.

Bien comprendre le passé permet d’évaluer les circonstances actuelles. Mais hormis le risque de guerre nucléaire, je pense que la situation contemporaine est totalement différente de celle à laquelle on était confronté au cours de la présidence de Kennedy. En 1962, nous avons failli entrer en guerre contre les Soviétiques, en un conflit qu’aucun des deux camps n’avait cherché à provoquer, et notre président était parvenu à nous sortir du pétrin. Mais dans la confrontation présente, nous avons passé volontairement des années à provoquer la Russie à dessein, en évitant toutes les tentatives visant à atteindre une résolution diplomatique du conflit, et en torpillant les pourparlers de paix russo-ukrainiens lorsqu’ils ont commencé au mois de mars 2022. La guerre contemporaine contre la Russie n’est pas une erreur : c’est presque complètement le résultat d’une politique étasunienne intentionnelle.

Au lieu de désigner la crise de 1962 comme un modèle à suivre, de nombreux soutiens de notre stratégie actuelle en Ukraine affirment que l’analogie à faire est celle de la seconde guerre mondiale, lancée contre l’agression gratuite menée par l’Allemagne de Hitler. Bien que Sachs, John Mearsheimer, et d’autres personnalités notables aient démontré que les faits historiques sont différents, presque tous les médias dominants étasuniens décrivent l’invasion russe de l’Ukraine comme « totalement non-provoquée », et la comparent souvent avec l’attaque allemande contre la Pologne qui avait provoqué la seconde guerre mondiale. Quelques semaines après le début de la guerre, j’ai publié un long article affirmant que cette dernière analogie était de fait bien plus appropriée que l’on ne pouvait le penser, mais pas de la manière dont ceux qui la soutiennent la considèrent.

American Pravda: Putin as Hitler?
Ron Unz — The Unz Review — 7 mars 2022 • 7900 Mots

Au début de mon analyse, j’avais souligné un point d’importance :

Nous devrions reconnaître qu’à de nombreux égards, le narratif historique habituel de la seconde guerre mondiale ne constitue guère qu’une version figée dans le béton de la propagande médiatique diffusée à l’époque. Si la Russie était vaincue et détruite à l’issue du conflit en cours, nous pouvons être certains que les livres d’histoire à venir dépeindraient Poutine comme le diable, et diaboliseraient l’ensemble des décision qu’il a prises.

J’expliquai :

Comme beaucoup d’entre nous le savent, la seconde guerre mondiale a commencé lorsque l’Allemagne a attaqué la Pologne en 1939 à cause de Dantzig, une ville frontalière presque entièrement peuplée d’Allemands mais contrôlée par les Polonais.

Mais peu de gens savent qu’en réalité, Hitler avait mené des efforts considérables pour éviter la guerre et régler ce différend ; il avait passé de nombreux mois en négociations stériles et avait proposé des conditions extrêmement raisonnables [à la Pologne, NdT]. De fait, le dictateur allemand avait produit de nombreuses concessions, qu’aucun de ces prédécesseurs de la république démocratique de Weimar n’avait été prêt à envisager, mais ces concessions avaient été rejetées, et les provocations n’avaient fait que croître, jusqu’à ce que la guerre contre la Pologne apparût comme la seule option restante. Et exactement comme dans le cas de l’Ukraine, des éléments politiques d’influence en Occident avaient presque certainement essayé de provoquer la guerre, en utilisant Dantzig comme étincelle pour déclencher le conflit, ce qui ressemble fortement à la manière dont le Donbass a pu être utilisé pour forcer la main de Poutine.

Le professeur Sachs a raison d’indiquer que notre propre gouvernement a fait tout ce qu’il pouvait pour pousser les Russes à envahir l’Ukraine, mais au fil des dernières années, mon enquête soignée sur l’éclatement de la seconde guerre mondiale m’a amené à une conclusion très similaire. Si nous examinons les sources contemporaines les plus fiables, nous découvrons facilement que l’administration Roosevelt avait joué un rôle central pour déclencher la guerre, ainsi que les raisons pour lesquelles elle avait agi de la sorte.

Au cours des années 1930, John T. Flynn était l’un des journalistes progressistes les plus influents, et bien qu’au départ il fût un ardent soutien de Roosevelt et de son New Deal il s’est peu à peu transformé en critique acerbe, et a conclu que les divers motifs gouvernementaux de FDR avaient échoué à raviver l’économie étasunienne. Puis, en 1937, un nouvel effondrement économique avait ramené les mêmes taux de chômage que ceux au moment où le président avait pris ses fonctions, ce qui confirme le verdict sévère de Flynn. Comme je l’ai écrit l’an dernier :

De fait, avant la fin de l’année 1937, FDR s’était orienté vers une politique étrangère agressive visant à impliquer le pays dans une guerre majeure à l’étranger, surtout parce qu’il pensait que c’était la seule voie pour sortir de sa situation économique et politique désespérée, un stratagème connu par les dirigeants nationaux au cours de l’histoire. Dans son éditorial du 5 janvier 1938 paru dans New Republic, il avait alerté ses lecteurs décontenancés de la perspective sinistre d’une vaste construction militaire et d’une guerre à l’horizon, après qu’un haut-conseiller de Roosevelt s’était vanté auprès de lui en privé qu’un grand assaut de « Keynesianisme militaire » et une guerre majeure allaient purger les problèmes économiques apparemment insurmontables du pays. À l’époque, une guerre contre le Japon, possiblement pour défendre des intérêts en Amérique latine, semblait l’objectif escompté, mais les événements en développement en Europe avaient rapidement persuadé FDR que fomenter une guerre générale contre l’Allemagne était la meilleure trajectoire à suivre. Des mémoires et d’autres documents historiques retrouvés par des chercheurs semblent soutenir dans l’ensemble les accusations lancées par Flynn, et indiquent que Roosevelt avait ordonné à ses diplomates d’exercer d’énormes pressions sur les gouvernements britannique et polonais, pour éviter tout règlement négocié avec l’Allemagne, ce qui avait amené à l’éclatement de la seconde guerre mondiale en 1939.

Le dernier point est important, car l’opinion confidentielle de ceux qui sont les plus proches des événements historiques d’importance doit se voir accordée une valeur probante considérable. Dans un article récent, John Wear a rassemblé les nombreuses évaluations contemporaines qui impliquent FDR comme figure centrale dans l’orchestration de la guerre mondiale, par ses pressions constantes sur les dirigeants politiques britanniques, une politique au sujet de laquelle il avait même convenu en privé qu’elle pourrait conduire à sa destitution si elle était révélée au public. Parmi les témoignages, nous avons les déclarations des ambassadeurs polonais et britannique à Washington et de l’ambassadeur des États-Unis à Londres, qui avaient également fait passer cette opinion concordante jusqu’au premier ministre Chamberlain en personne. De fait, les Allemands s’étaient saisis en 1939 de documents diplomatiques polonais secrets, qui avaient déjà révélé une bonne partie de ces informations, et William Henry Chamberlin avait confirmé leur authenticité dans son livre paru en 1950. Mais comme les médias dominants n’ont jamais fait paraître la moindre de ces informations, ces faits restent à ce jour peu connus.

En 2018 et 2019, j’avais discuté des origines de la seconde guerre mondiale et de notre entrée dans ce conflit, avec deux longs articles :

American Pravda: Notre Grande Purge des années 1940
Ron Unz • The Unz Review • 11 juin 2018 • 5500 Mots

American Pravda: Comprendre la seconde guerre mondiale
Ron Unz • The Unz Review • 23 septembre 2019 • 20500 Mots

Une fois la guerre commencée, le gouvernement de FDR essaya de s’y rallier au côté des Alliés, mais en fut empêché par l’écrasante opposition de l’opinion publique.

Alarmé par une crainte croissante que les États-Unis puissent se retrouver impliqués dans une nouvelle guerre mondiale sans que l’électeur y ait souscrit, un groupe d’étudiants en droit de l’Université de Yale lança une organisation politique anti-interventioniste sous le nom de « The America First Committee », qui compta bientôt 800 000 membres, ce qui en fit la plus grande organisation politique issue du terrain de toute notre histoire nationale. De nombreuses personnalités éminentes la ralliaient ou la soutenaient, avec le président de Sears, Roebuck à sa tête, et on trouvait parmi ses jeunes membres de futurs présidents tels que John F. Kennedy et Gerald Ford ainsi que d’autres notables comme Gore Vidal, Potter Stewart et Sargent Schriver. Flynn tint lieu de président du chapitre de New York, et le porte-parole le plus connu de l’organisation fut le célèbre aviateur Charles Lindbergh, qui fut sans doute le plus grand héros national des États-Unis des décennies durant.

Jusqu’en 1941, d’immenses foules se rassemblaient dans tout le pays pour écouter Lindbergh et les autres dirigeants, avec des millions d’autres personnes écoutant les retransmissions radiophoniques des événements. Mahl montre que les agents britanniques et leurs soutiens étasuniens continuèrent pendant ce temps leurs opérations clandestines pour contrer cette tentative, en organisant des groupes politiques soutenant une implication militaire étasunienne, et employant des moyens plus ou moins honnêtes pour neutraliser leurs opposants politiques. Des personnalités et organisations juives semblent avoir joué un rôle tout à fait disproportionné dans cette tentative.

Dans le même temps, l’administration Roosevelt faisait escalader sa guerre non-déclarée contre les sous-marins et autres forces d’Allemagne en Atlantique, essayant sans succès de provoquer un incident pouvant faire entrer le pays en guerre. FDR promut également les inventions de propagande les plus bizarres et les plus ridicules, visant à terrifier les Étasuniens naïfs, en affirmant par exemple détenir la preuve que les Allemands — qui ne disposaient pas d’une marine très conséquente et étaient complètement bloqués par la Manche — avaient formulé des projets concrets de traverser les deux mille miles nautiques de l’Océan Atlantique et de s’emparer de l’Amérique latine. Des agents britanniques apportèrent certaines des fausses preuves qu’il cita pour étayer ces propos ridicules.

Ces faits, qui sont désormais tout à fait établis par des décennies de travail universitaire, apportent le contexte nécessaire au célèbre discours controversé de Lindbergh au cours d’un rassemblement d’America First au mois de septembre 1941. Au cours de cet événement, il dénonça trois groupes en particulier, qui « faisaient pression sur notre pays vers la guerre[:] les Britanniques, les Juifs et l’Administration Roosevelt, » ce qui déclencha un énorme orage d’attaques médiatiques et de dénonciations, jusque des accusations généralisées d’antisémitisme et de sympathies nazies. Au vu des réalités de la situation politique, l’affirmation de Lindbergh constitua une parfaite illustration du célèbre trait d’esprit de Michael Kinsley qui veut qu’« une gaffe se produit lorsqu’un homme politique dit la vérité — une vérité évidente qu’il n’est pas supposé aborder. » Mais comme conséquence, la réputation jadis héroïque de Lindbergh subit des dégâts énormes et permanents, avec la campagne de diffamation qui résonna durant les trente années de vie qui lui restaient, et même bien au-delà. Bien qu’il ne fut pas totalement soustrait à la vie publique, sa stature ne fut positivement plus jamais la même.

À partir de 1940, FDR avait mené un grand effort politique pour impliquer directement les États-Unis dans la guerre contre l’Allemagne, mais l’opinion publique était totalement contre cette idée, avec des sondages indiquant que 80% de la population y était opposée. Tout ceci changea immédiatement lorsque les bombes japonaises furent lâchées sur Hawaï, et voici que subitement le pays se retrouve en guerre.

Au vu de ces faits, les soupçons se firent sur l’idée que Roosevelt avait volontairement provoqué l’attaque par ses décisions présidentielles de geler les actifs japonais, de pratiquer un embargo sur toutes les livraisons de produits pétroliers vitaux, et de rejeter les demandes répétées des dirigeants de Tokyo pour entrer en négociations. Dans l’ouvrage de 1953 produit par Barnes [cet ouvrage a été traduit et est mis à disposition gratuitement par l’équipe du Saker francophone, NdT], l’historien diplomatique Charles Tansill a résumé sa thèse très fortement étayée selon laquelle FDR voulait utiliser une attaque japonaise comme meilleur vecteur d’« entrer en guerre par la petite porte » contre l’Allemagne, un argument qu’il avait produit l’année précédente dans un livre sous ce même titre [Ce livre a également été traduit par l’équipe du Saker francophone, à la date de publication de cet article il est en cours de relecture, NdT]. Au cours des décennies, les informations couchées dans des journaux personnels et des documents gouvernementaux semblent avoir établi de manière quasiment irréfutable cette interprétation, avec le secrétaire de la guerre Henry Stimson qui indique que le plan était de « manœuvrer [le Japon] pour l’amener à ouvrir le feu en premier »

En 1941, les États-Unis avaient pénétré tous les codes diplomatiques japonais, et lisaient librement leurs communications secrètes. Par conséquent, la croyance s’était répandue, en dépit du fait qu’elle était contestée, que le président était tout à fait au courant de l’attaque japonaise planifiée contre notre flotte, et choisit tout à fait délibérément de ne pas en avertir les commandants locaux, pour s’assurer que les fortes pertes allaient produire une nation vengeresse unie pour la guerre. Tansill et un ancien chercheur en chef ayant œuvré pour le comité d’enquête du Congrès a soutenu cette thèse dans le même ouvrage de 1953 de Barnes, et l’année suivante, un ancien amiral des États-Unis a publié The Final Secret of Pearl Harbor, apportant des arguments similaires mais plus détaillés. Cet ouvrage comprend également une introduction rédigée par l’un des plus hauts gradés de la marine des États-Unis lors du second conflit mondial, qui soutenait pleinement la théorie controversée.

En 2000, le journaliste Robert M. Stinnett a publié pléthore d’éléments additionnels soutenant cette thèse, sur la base de son travail de recherche mené huit années durant sur des archives, et qui est discuté dans un article récent. Un point notable marqué par Stinnett est que si Washington avait averti les commandants de Pearl Harbor, les préparations défensives qu’ils auraient menées auraient été remarquées par les espions japonais sur place, qui en auraient informé la force d’attaque en approche ; et sans l’élément de surprise, l’attaque aurait sans doute été annulée, ce qui aurait empêché les projets de guerre entretenus de longue date par FDR. Bien que divers détails puissent faire l’objet de débats, je trouve les éléments étayant la thèse d’un Roosevelt au courant à l’avance de l’attaque tout à fait probants.

Cette reconstruction historique est fortement soutenue par de nombreux détails additionnels. Au cours de cette période, le professeur Revilo P. Oliver occupait une position élevée dans les Renseignements Militaires, et en publiant ses mémoires quatre décennies plus tard, il a affirmé que FDR avait volontairement dupé les Japonais pour les amener à attaquer Pearl Harbor. Sachant que le Japon avait brisés les codes diplomatiques du Portugal, FDR avait informé l’ambassadeur de ce pays de ses projets d’attendre jusqu’à ce que les Japonais se soient fortement étendus, puis d’ordonner à la Flotte du Pacifique de lancer une attaque dévastatrice contre leurs îles d’origine. Selon Oliver, les câbles japonais qui suivirent ont révélé que les Japonais s’étaient laissés convaincre que FDR avait pour projet de les attaquer par surprise.

De fait, quelques mois à peine avant Pearl Harbor, Argosy Weekly, l’un des magazines les plus populaires des États-Unis, avait fait paraître une couverture décrivant très exactement une attaque surprise de ce genre sur Tokyo en représailles à un incident naval, mettant en scène les puissants bombardiers de la Flotte Pacifique infligeant d’importants dégâts à la capitale japonaise restée sans préparation. Je me demande si l’Administration Roosevelt est intervenu pour faire publier ce récit.

Dès le mois de mai 1940, FDR avait ordonné que la Flotte du Pacifique fût déplacée de son port d’attache de San Diego à Pearl Harbor à Hawaï, une décision à laquelle s’était fermement opposé James Richardson, l’amiral de cette flotte, qui jugeait l’option comme trop provocatrice et dangereuse. Il fut démit de ces fonctions pour ce refus. Qui plus est :

Il se produisit également un très étrange incident domestique juste après l’attaque contre Pearl Harbor, un incident qui semble n’avoir fait l’objet que de fort peu d’attention. À cette période, les films étaient le média populaire le plus puissant, et bien que la population fût constituée à 97 % de non-Juifs, un seul studio majeur était détenu par des non-Juifs ; peut-être était-ce par hasard que Walt Disney était le seul personnage privilégié de Hollywood fermement attaché au camp anti-guerre. Et le lendemain de l’attaque surprise japonaise, des centaines de soldats étasuniens prirent le contrôle des studios de Disney, supposément pour aider à défendre la Californie contre les soldats japonais situés à des milliers de kilomètres de là, et l’occupation militaire se poursuivit au cours des huit mois qui suivirent. Imaginez ce que des esprits soupçonneux auraient pensé si le 12 septembre 2001, le président Bush avait subitement ordonné à son armée d’occuper les bureaux de la chaîne CBS, en affirmant que cela était nécessaire pour protéger la ville de New York de nouvelles attaques islamistes.

L’attaque contre Pearl Harbor se produisit un dimanche, et à moins que FDR et ses principaux conseillers fussent pleinement informés de l’attaque japonaise en approche, ils auraient certainement dû se montrer très préoccupés des conséquences du désastre. Il apparaît comme hautement improbable que l’armée étasunienne fût prête à investir les studios de Disney le lundi au petit matin, juste après une véritable attaque « surprise ».

Alors que les États-Unis faisaient tout leur possible pour provoquer une guerre contre le Japon en 1941, il apparaît qu’un scénario semblable soit déroulé de nos jours avec la Chine. Comme je l’ai écrit il y a quelques mois :

Avant l’éclatement de la guerre en Ukraine, les États-Unis avaient passé des années à centrer leur hostilité principalement contre la Chine, en constituant une alliance militaire contre ce pays, en déployant des sanctions pour perturber le fonctionnement de Huawei, le champion technologique global de la Chine, et en œuvrant à faire échouer les Jeux Olympiques de Pékin, tout en s’approchant très près de la ligne rouge en soutenant l’indépendance de Taïwan. J’ai même soutenu que des éléments écrasants existent montrant que le déclenchement de l’épidémie de Covid à Wuhan a probablement constitué le résultat d’une attaque de guerre biologique par des éléments incontrôlables de l’administration Trump.

Ces actions extrêmement provocatrices menées sous Trump n’ont fait que s’accélérer une fois qu’il a quitté le bureau ovale, avec la visite officielle provocatrice de Nancy Pelosi à Taïwan il y a quelque temps. Et la semaine dernière, l’administration Biden a déclaré sa volonté de totalement perturber l’industrie, vitale pour la Chine, des micropuces domestiques, en décrétant de nouvelles régulations interdisant à tout citoyen étasunien d’œuvrer dans ce domaine, et en étendant ce décret à toutes les autres entreprises globales faisant affaire avec des fabricants chinois. Cette action sans précédent a été qualifiée d’« attaque thermonucléaire » soudaine contre une industrie chinoise vitale :

La guerre technologique de Biden devient nucléaire
Mike Whitney • The Unz Review • 17 octobre 2022 • 1900 Mots

Comme l’a souligné le professeur Sachs dans sa discussion de fin août, nous semblons œuvrer à provoquer volontairement une confrontation simultanée contre la Russie en même temps que contre la Chine, sur des sujets que ces deux pays considèrent comme vitaux pour leurs intérêts de sécurité nationale.

Il pourrait apparaître comme tout à fait irrationnel de la part des États-Unis de pousser ces deux puissances mondiales à constituer une alliance directement orientée contre nous, mais je soupçonne que nos élites politiques se sont empoisonnées elles-mêmes de par leur mauvaise lecture de l’histoire des États-Unis, et notablement de l’exemple de la seconde guerre mondiale qu’ils citent avec une telle régularité. Comme je l’ai expliqué peu de temps après l’éclatement de la guerre en Ukraine,

Depuis plus de cent ans, l’ensemble des nombreuses guerres des États-Unis ont été menées contre des adversaires totalement dépassés, des opposants ne disposant que d’une fraction des ressources humaines, industrielles et naturelles par rapport à celles contrôlées par nous et nos alliés. Cet avantage massif a souvent été compensé par de nombreuses erreurs très tôt dans l’occurrence de ces conflits. Aussi, la principale difficulté à laquelle nos dirigeants élus sont confrontés a été simplement de persuader les citoyens étasuniens souvent très réticents à soutenir une guerre, si bien que nombre d’historiens ont affirmé que des incidents tels que le naufrage du Maine et du Lusitania, ainsi que les attaques de Pearl Harbor et de la Baie du Tonkin ont été orchestrées ou manipulées précisément dans cet objectif.

Cet énorme avantage en puissance potentielle s’est également pleinement manifesté lorsque la seconde guerre mondiale a éclaté en Europe, et Schultze-Rhonof et d’autres ont souligné la manière dont les empires britannique et français, soutenus par des ressources militaires potentielles étasuniennes très fortement supérieures à celles de l’Allemagne, ont peiné face à un pays de taille moyenne plus petit que le Texas. La surprise a été que malgré un déséquilibre aussi flagrant, l’Allemagne s’est avérée victorieuse pendant plusieurs années, avait d’être finalement poussée à la défaite…

Examinons l’attitude adoptée durant le conflit en cours contre la Russie, une grave confrontation de type Guerre Froide qui pourrait fort bien se réchauffer. Malgré sa considérable force militaire et son énorme arsenal nucléaire, la Russie semble tout aussi dépassée que tout adversaire étasunien issu du passé. Si l’on compte les pays de l’OTAN et le Japon, l’alliance étasunienne dispose d’un avantage de 6 contre 1 en population et de 12 contre 1 en produit économique, les vecteurs clé du pouvoir international. Une disparité aussi colossale est implicite dans les attitudes de nos planificateurs stratégiques et de leurs porte-parole dans les médias.

Mais il s’agit d’une présentation très irréaliste de la véritable corrélation des forces… deux semaines à peine avant l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping ont tenu leur 39ème rencontre en personne à Pékin, et ont déclaré que leur partenariat était « sans limite ». Il est certain que la Chine soutiendra la Russie au cours de tout conflit global.

Dans le même temps, les attaques sans fin et les diabolisations menées par les États-Unis contre l’Iran durent depuis des décennies, et ont culminé avec l’assassinat il y a deux ans du premier commandant militaire du pays, Qasem Soleimani, dont le nom avait été cité comme candidat de choix pour les élections présidentielles iraniennes de 2021. Avec l’aide de notre allié israélien, nous avons également assassiné nombre de hauts-scientifiques iraniens au cours de la décennie écoulée, et en 2020, l’Iran a publiquement accusé les États-Unis d’avoir déclenché la guerre biologique du Covid contre lui, qui a infecté un grande partie de leur parlement et a tué de nombreux membres de leur élite politique. L’Iran se rangerait sans doute également du côté de la Russie.

Les États-Unis, avec leurs alliés de l’OTAN et le Japon, possèdent une considérable supériorité dans toute confrontation face à la seule Russie. Cependant, il en irait différemment contre une coalition composée de la Russie, de la Chine et de l’Iran, et je pense certes que ce second groupe pourrait l’emporter, au vu du poids considérable de sa population, de ses ressources naturelles, et de sa puissance industrielle.

Depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, les États-Unis ont joui d’un moment unipolaire, et ont régné sur le monde de par leur statut de seule hyperpuissance. Mais cet état de fait a encouragé notre arrogance et nous a mené à mener des agressions internationales contre des cibles bien plus faibles que nous, ce qui a débouché sur la création d’un puissant bloc d’États prêts à nous faire face.

J’avais écrit ces mots deux semaines après le début de la guerre, et comme il en va pour tout conflit, certaines anticipations se sont avérées fausses.

On s’attendait à voir les Russes balayer les Ukrainiens, mais au lieu de cela ils ont été confrontés à une résistance très déterminée, ont subi de lourdes pertes, et n’ont progressé que lentement. Avec l’OTAN lui livrant généreusement de nouvelles armes avancées, l’Ukraine a pu récemment lancer et réussir des contre-attaques, ce qui a contraint le président Vladimir Poutine à appeler 300 000 réservistes.

Mais bien que les efforts militaires de la Russie n’aient fonctionné que partiellement, sur tous les autres fronts, les États-Unis et leurs alliés ont subi une suite de défaites stratégiques géopolitiques.

Au début de la guerre, de nombreux observateurs pensaient que les sanctions sans précédent imposées par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN allaient provoquer des dégâts importants sur l’économie russe. Au lieu de cela, la Russie n’a rien souffert de grave, alors que la perte des ressources énergétiques russes bon marché a dévasté les économies européennes et a gravement endommagé la nôtre, ce qui a débouché sur les plus hauts taux d’inflation des quarante dernières années. On s’attendait à un effondrement du rouble russe, mais il est désormais plus fort que jamais.

L’Allemagne constitue le moteur industriel de l’Europe, et les sanctions imposées à la Russie ont été tellement auto-destructrices que des manifestations populaires se sont mises à demander qu’elles soient levées, et que les gazoducs Nord Stream soient rouverts. Pour empêcher toute défection possible, ces gazoducs russo-allemands ont été soudainement attaqués et détruits, presque certainement avec l’approbation et l’implication du gouvernement étasunien. Les États-Unis ne sont pas juridiquement en guerre contre la Russie ni contre l’Allemagne, et cette action a sans doute constitué la plus grande destruction en temps de paix d’une infrastructure civile dans toute l’histoire du monde, et a infligé d’énormes dégâts permanents à nos alliés européens. Notre domination absolue sur les médias globaux a pour l’instant empêché la plupart des Européens et des Étasuniens ordinaires de reconnaître ce qui s’est produit, mais avec aggravation de la crise énergétique et à mesure que la vérité commence peu à peu à émerger, l’OTAN pourrait avoir beaucoup de mal à survivre. Comme je l’ai discuté dans un article récent, il se peut que les États-Unis aient gaspillé trois générations d’amitié européenne en détruisant ces gazoducs vitaux.

American Pravda: Gazoducs et Calamités
Ron Unz • The Unz Review • 3 octobre 2022 • 3900 Mots

Dans le même temps, de nombreuses années à manifester une attitude étasunienne arrogante et oppressive envers tant de grands pays a produit un contrecoup puissant en soutien à la Russie. Selon les rapports d’actualités, les Iraniens ont livré aux Russes des drones avancés en grands nombres, qui ont été déployés avec efficacité contre les Ukrainiens. Depuis la seconde guerre mondiale, notre alliance avec l’Arabie Saoudite a été un pivot pour notre politique au Moyen-Orient, mais les Saouds se sont ralliés de manière répétée avec les Russes sur les sujets de production pétrolière, en faisant totalement fi des demandes des États-Unis malgré les menaces de représailles émises par le Congrès. La Turquie dispose du plus vaste appareil militaire de l’OTAN, mais elle coopère étroitement avec la Russie sur les livraisons de gaz naturel. L’Inde s’est également rapprochée de la Russie sur des sujets vitaux, en ignorant les sanctions que nous avons imposées sur le pétrole russe. En dehors des États qui nous sont politiquement vassalisés, la plupart des puissances mondiales semblent se rallier à la Russie.

Depuis la seconde guerre mondiale, l’un des piliers de la dominance étasunienne mondiale a été le statut du dollar étasunien comme monnaie de réserve mondiale, ainsi que notre contrôle associé sur le système bancaire international. Jusqu’il y a peu, nous avons toujours présenté notre rôle comme neutre et administratif, mais nous nous sommes mis à utiliser de plus en plus ce pouvoir comme une arme, en usant de notre position pour punir les États qui ne nous plaisent pas, et ceci contraint naturellement les autres pays à rechercher des alternatives. Peut-être le monde pourrait-il tolérer que nous gelions les actifs financiers de pays relativement petits comme le Venezuela ou l’Afghanistan, mais le gel de 300 milliards de dollars appartenant à la Russie en réserves de change étrangères a évidemment brisé l’équilibre, et les grands pays cherchent de plus en plus à se passer du dollar et du réseau bancaire que nous contrôlons pour mener à bien leurs transactions. Bien que le déclin économique de l’UE ait provoqué une chute correspondante de l’Euro et ait par retour mécanique provoqué une montée du dollar, les perspectives à plus long terme de maintien de notre hégémonie monétaire ne semblent pas bonnes du tout. Et au vu de nos épouvantables déficits budgétaires et commerciaux, une fuite du monde hors du dollar pourrait facilement provoquer l’effondrement de l’économie des États-Unis.

Peu après le début de la guerre en Ukraine, l’éminent historien Alfred McCoy a affirmé que nous assistions à la naissance géopolitique d’un nouvel ordre mondial, construit autour d’une alliance entre la Russie et la Chine qui pourrait dominer le continent eurasiatique. Sa discussion avec Amy Goodman a vu son compteur atteindre quasiment les deux millions de vues.

Notre politique étrangère désormais implacablement orientée contre la Russie et la Chine constitue une énorme menace envers la paix du monde, et envers notre propre avenir national, mais la moitié de mon article restait centrée sur des événements écoulés il y a plus de sept décennies, présentant un récit très peu orthodoxe des origines de la seconde guerre mondiale. De nombreuses personnes pourraient considérer cela comme totalement inapproprié, mais je ne suis pas d’accord.

Penchons-nous sur le cas du secrétaire d’État Antony Blinken, l’un des personnages clé dans la formulation de nos lignes politiques actuelles. Avant sa nomination, je n’avais jamais entendu parler de lui, mais j’ai rapidement découvert qu’il avait fait les mêmes études que moi, et avait obtenu son diplôme l’année suivante. Nous aurions même pu assister à certains cours ensemble, quoique ma spécialité fût la Physique Théorique et que la sienne résidât dans le domaine des Sciences Sociales, ce qui rend cela peu probable. Mais je pense comprendre très bien sa vision du monde et de l’histoire du XXème siècle, car jusqu’il y a dix ans, j’entretenais une vision passablement proche de celle-ci. La plupart des personnages clé de l’administration Biden semblent relever de la même catégorie.

Ces personnes ont un ensemble de croyances particulières établies au sujet du rôle des États-Unis dans le monde, des croyances que partage l’ensemble de leur cercle idéologique, et je suis certain qu’ils rejetteraient sur le champ toute remise en question de ce cadre au sujet de la Russie ou de la Chine. Ces remises en question se produisent sans doute assez fréquemment, mais elles sont systématiquement rejetées et ignorées.

Pourtant, je soupçonne qu’aucune de ces personnes n’a jamais imaginé que les fondations les plus profondes de leur système de pensée — l’histoire par eux adoptée de la seconde guerre mondiale — est en réalité fausse et pourrie jusqu’au trognon. Ils n’ont sans doute jamais été confrontés à de telles idées de toute leur vie, et par conséquent, leurs défenses psychologiques peuvent s’avérer bien plus faibles. Et si l’un ou l’autre d’entre eux se mettait jamais à considérer la plus infime possibilité que toute source d’information absorbée par eux depuis l’école primaire a été basée sur un tissu de faussetés, cette compréhension pourrait ébranler leur confiance sur les sujets actuels, y compris sur les circonstances entourant la guerre actuelle en Ukraine.

Les mules sont des animaux têtus. Mais on raconte une vieille blague : on peut les convaincre de suivre telle ou telle direction en les frappant sur la tête avec un morceau de bois de deux pouces par quatre. Pour la plupart des experts politiques étasuniens, la découverte du fait que l’ensemble de l’histoire de la seconde guerre mondiale qu’ils ont intégrée marche sur la tête et à l’envers revient à se faire frapper la tête par ce bout de bois.

Ron Unz

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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