L’Ouest en a ras-le-bol de l’Ukraine


Par Dmitry Minin – Le 27 novembre 2015 – Source strategic-culture

Deux ans ont passé depuis les protestations de masse sur la place Maidan à Kiev. Les résultats sont décevants. Le fonctionnement du gouvernement auto-proclamé est entravé. L’économie est en plein marasme. La politique du gouvernement a entraîné l’appauvrissement d’une immense partie de la population. Rien de bon ne peut être dit à propos de la direction du pays où il semble que la seule figure politique prometteuse est le fameux Mikheïl Saakachvili, l’homme à la réputation profondément ternie.

La déclaration faite par le Premier ministre de l’Ukraine, Iatseniouk, se plaignant que la Russie ne lui fasse pas un traitement de faveur dans le processus de restructuration de la dette semble plutôt grossière. Les financiers perçoivent cela comme une forme grave de maladie mentale. Le journal allemand Finanzmarktwelt écrit qu’il est inouï de voir un débiteur menacer un prêteur qui refuse ses revendications, de lancer contre lui une action en justice. «Comment est-ce possible ?», demande le journal.

Ses anciens coéquipiers disent que Iatseniouk augmente sa fortune par bonds, laissant Ianoukovitch, l’ancien Président de l’Ukraine, loin derrière lui. Les équipes de Porochenko et Iatseniouk se sont accordées en divisant les sphères d’influence, au lieu de fonctionner en concurrence, comme c’était prévu par ceux qui les ont portés au pouvoir.

Les sponsors occidentaux n’ont plus le coeur à soutenir le régime. La mission du Fonds monétaire international (FMI), en visite à Kiev du 12 au 20 novembre a dit, avec beaucoup de tact, que la compréhension mutuelle augmentait. Après cela, il a fait la remarque : «Il est maintenant important que le gouvernement soumette au Parlement un budget qui soit cohérent avec les objectifs du programme de réduire davantage le déficit budgétaire et la dette publique pour le ramener à des niveaux plus sûrs, et que le Parlement adopte un tel budget».

Il semble que le FMI ne devrait pas s’attendre à ce que cela se produise. Les débats préliminaires ont montré que les deux projets de loi n’ont aucune chance d’être approuvés par le Parlement sans amendements. Les deux législations envisagées sont des mesures atroces alors que les coupes sociales sont déjà en place. Par ailleurs, le Parlement n’a pas réussi à passer un certain nombre de projets de loi, dont celui contre la corruption et celui sur l’interdiction de la discrimination en matière d’emploi (amendements aux règles du Code du travail), recommandés par l’Occident. En outre, le FMI a reconnu la dette à la Russie comme dette souveraine. Cela signifie que la dette de $3 Mds doit être payée en totalité par le gouvernement ukrainien. Porochenko a ouvertement déclaré que tous les membres de l’UE ont ratifié l’accord d’association avec l’Ukraine, peu importe que les Pays-Bas vont soumettre cette question à un référendum en avril l’année prochaine. Cela soulève la question de l’état mental du président ukrainien. Mais la mise en œuvre de l’accord va détruire l’économie de l’Ukraine une fois pour toutes. Voilà ce qui compte vraiment.

Cette année, l’Ukraine n’a pas payé les droits de douane pour ses produits exportés vers l’Union européenne. Ce fut un geste de bonne volonté de la part de l’UE. Néanmoins, l’Ukraine n’a pas réussi à augmenter ses exportations. Au contraire, les exportations vers l’UE ont été réduites d’un tiers. Mais le statut préférentiel du marché de l’UE a été accordé seulement jusqu’à janvier 2016. L’exemption temporaire des droits de douane expirera et il n’y aura aucun moyen de déroger aux procédures standards qui entreront en vigueur. Le reste du potentiel industriel va disparaître. L’industrie de l’Ukraine n’a pas réussi à rivaliser même avec la fraternelle Pologne. Ce sera le premier résultat de l’ouverture approfondie et complète de la zone de libre échange. Une autre conséquence est la perte du marché russe. À compter du 1er janvier 2016, la Russie va durcir sa protection douanière et imposer des sanctions économiques contre Kiev pour empêcher la réexportation des marchandises hors-douane de l’Europe, y compris celles déguisées en importations ukrainiennes. Même le statut du privilège agricole est une chimère. Obtenir les certificats sanitaires et autres pour exporter des produits agricoles prendra de nombreuses années.

Le commissaire européen à la Politique de voisinage et aux négociations d’élargissement, Johannes Hahn a dissipé toutes les illusions que l’Ukraine pouvait avoir à ce sujet. Selon lui, l’Union européenne a déjà accordé suffisamment de fonds pour que l’industrie ukrainienne se prépare aux nouvelles opportunités d’exportation et aux nouvelles conditions du marché. «Soyons francs – depuis l’époque où nous étions d’accord sur une zone de libre-échange, ce n’était un secret pour personne, que après son introduction, la Fédération de Russie pourrait répliquer, que cela nous plaise ou non», a déclaré Hahn , ajoutant que l’Ukraine a eu amplement le temps pour se préparer. Pour résumer le tout, l’Ukraine n’obtiendra pas de compensations lorsque l’accord de libre-échange sera mis en œuvre dans son intégralité. Hahn a déclaré que l’Union européenne n’enverra pas de mission spéciale dans l’est de l’Ukraine, comme Kiev l’avait demandé. Il a noté que l’Union s’en tient aux accords de Minsk et au mandat de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Même l’établissement d’un régime sans visa pour les citoyens ukrainiens voyageant dans l’Union européenne est remis en question. Dans les circonstances actuelles, cette étape est extrêmement risquée, les meilleurs professionnels ayant tendance à quitter le pays.

Le 5 novembre, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a écrit une lettre au Président de l’Ukraine Petro Porochenko. Il a dit, «Les progrès réalisés dans la mise en œuvre des réformes dans la lutte contre la corruption demeurent une priorité essentielle pour l’installation du régime sans visas avec l’UE pour les citoyens ukrainiens». Il attachait une longue liste de réformes que l’Ukraine doit faire respecter.

L’Union européenne a récemment retiré l’aide financière accordée à l’organe chargé de la lutte anti-corruption en Ukraine en raison du «manque de confiance dans le résultat final du projet». L’UE a des doutes portant sur  «certaines personnes qui participent à la sélection» des futurs membres du nouvel organe de poursuites anti-corruption, et elle ne peut plus fournir son aide financière. Il a été communément admis que l’Union européenne visait le procureur général Viktor Shokhin, un protégé et ancien associé du président Porochenko, accusé de saper les efforts anti-corruption.

Aucune réforme n’a été mise en œuvre. Le système judiciaire est resté extrêmement corrompu. En septembre Christof Heyns, Rapporteur spécial des Nations-Unies sur les exécutions sommaires ou arbitraires a visité l’Ukraine pour conclure que le pays «perd des vies dans un vide juridique irresponsable».

Selon lui, les autorités ukrainiennes n’ont pas enquêté sur la mort de plus de cent personnes tuées à la suite de tirs dans les rues de Kiev pendant les manifestations de Maidan, ni sur la mort de 48 manifestants pro-russes près du bâtiment des syndicats à Odessa en mai 2014. Les deux enquêtes ont été bloquées pour le moment. Tous les efforts entrepris par les avocats pour accélérer le processus ont été entravés par les autorités parce que certains des suspects travaillent toujours pour le ministère de l’Intérieur. Le rapporteur des Nations-Unies a indiqué que le service de sécurité de l’Ukraine (SBU) semble être au-dessus des lois.

Le Conseil de l’Europe a publié son propre rapport sur les événements d’Odessa. Le document préparé par le Groupe consultatif international sur l’Ukraine – le corps chargé du suivi de l’enquête afin de vérifier qu’il répond aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme – dit que l’enquête à Odessa, comme celle sur le Maidan à Kiev, affiche de «graves lacunes d’indépendance et d’efficacité». Les preuves ont disparu le lendemain du nettoyage des rues. L’accès à l’immeuble des syndicats, à Odessa, a été fermé seulement quelques jours après le massacre. Le seul suspect a été libéré en raison du manque de preuves. Ensuite, le gouverneur de la région d’Odessa a justifié ceux qui ont mis le feu au bâtiment. Il a dit que l’action était nécessaire pour neutraliser des terroristes armés. Seuls deux enquêteurs mènent les recherches aujourd’hui.

L’influent Financial Times rapporte que le front uni que l’Union européenne a montré à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie (sic, mais il s’agit du Financial Times) est fragile. Tôt ou tard, il sera remplacé par une forme grossière de réalisme qui va mettre «l’intérêt national» immédiat allemand ou français en premier.

Si l’UE passe complètement en mode «Forteresse Europe», la perspective du prochain élargissement se fondra dans le royaume de l’imagination politique, jetant efficacement l’Ukraine et d’autres pays à la poubelle.

On dirait que Kiev a abandonné son rêve européen. Il ne cesse de parler de l’intégration européenne en raison de la force d’inertie. La direction de l’Ukraine met sa recherche d’un faible espoir dans la prochaine visite du vice-président américain Joe Biden, qui est responsable de la politique de l’Ukraine dans l’administration Obama. La visite est prévue pour le 7 décembre. L’Ukraine officielle croit encore que Biden va dissiper les craintes que la création de la «coalition anti-terroriste mondiale» n’éclipse les problèmes du pays. Elle attire l’attention sur le fait que, chaque fois que Biden se rend en Ukraine, la situation le long de la ligne de démarcation entre les forces ukrainiennes et les Républiques de Donetsk et de Luhansk devient en quelque sorte plus tendue. Voilà ce qui se passe maintenant. Kiev peut arriver à la conclusion qu’une nouvelle entreprise armée dans le Donbass, tandis que la Russie est occupée avec l’opération militaire en Syrie, la conduirait hors de l’impasse. L’exacerbation du conflit peut secouer l’Occident et provoquera une augmentation de l’aide. La position de Biden sur la question sera certainement décisive.

Sans doute, dans les mots, Biden va exprimer son soutien pour le régime de Kiev – il ne va pas gâcher le deuxième anniversaire de Maidan. Il est son parrain, après tout. Mais il ne sera guère prêt à approuver une nouvelle guerre dans le Donbass. L’administration Obama étant déjà un «canard boiteux», le Vice-président ne fera rien pour endommager la côte de son parti. 2016 est l’année de l’élection. L’opinion publique américaine soutient l’idée de la lutte commune contre le terrorisme. En permettant au conflit de dégénèrer, Kiev et Washington vont détruire ce qui reste de la révolution Maidan. 72% des Ukrainiens estiment déjà que leur pays va dans la mauvaise direction.

Demain, le mécontentement va croître. L’impuissance des dirigeants Kiev crève les yeux. Aucune aide n’arrive : seul Washington décide à Kiev, alors que l’Europe en a marre de l’Ukraine.

Dmitry Minin

Traduit et édité par jj, relu par Literato pour le Saker Francophone.

 

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