Par Andrew Korybko − Le 20 juin 2017 − Source geopolitica.ru
La présente série d’articles est également disponible sous forme d’un livre au format pdf.
Les deux premiers articles de cette série examinaient les événements et tendances les plus significatifs géo-stratégiquement dans l’histoire de l’Amérique du Sud, préparant ainsi le lecteur à une meilleure compréhension de la situation géopolitique contemporaine du continent. Les développements que nous allons à présent aborder se basent sur les processus historiques, les initiatives en cours qui pourraient changer la donne et les développements conformes aux prédictions induites par les articles précédents.
Les grandes lignes géostratégiques qui sont en train de se mettre en place voient respectivement la Colombie, le Brésil et l’Argentine se positionner comme chefs de file des zones nord, centrale et sud du continent. Par ailleurs, la ligne de chemin de fer trans-océanique [Trans-Oceanic Railroad, NdT] (TORR) constitue dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie une entreprise éminemment transformatrice, de nature à bouleverser la géopolitique du continent : elle va permettre au Brésil, membre des BRICS, d’accéder facilement à l’océan Pacifique et constituer une plateforme positive et mutuellement bénéficiaire entre le Mercosur et l’Alliance Pacifique. Les deux alliances, jusqu’alors engagées dans une compétition encouragée par le schéma unipolaire, pourraient vraisemblablement laisser de côté leurs différences artificielles et entrer dans un jeu coopératif dans le cadre du projet chinois « une Ceinture, une Route » [One Belt One Road, NdT].
Des nuances existent dans le tableau général qui influeront directement sur cette tendance large. Nous allons donc parcourir le continent de manière exhaustive, afin de dépeindre l’importance que chaque acteur porte en lui dans l’une des zones d’affrontement les plus stratégiques de la Nouvelle Guerre froide.
Présences occidentales
Les États du plateau des Guyanes que sont le Guyana et le Suriname, ainsi que la colonie de Guyane française située dans la même zone géographique, constituent schématiquement des postes avancés occidentaux en Amérique du Sud. Le Guyana est une ancienne colonie britannique et le Suriname une ancienne colonie néerlandaise, tandis que leur voisin français reste officiellement sous contrôle de Paris. Ces entités politiques ne sont pas tant des « États » ou des « semblants d’États » que des « villes-États » si l’on considère à quel point les villes capitales de Georgetown, Paramaribo et Cayenne dominent leurs structures respectives. Chacune de ces trois entités reste très fortement connectée au monde unipolaire et chacune reste terriblement sous-développée et à peine peuplée. Le seul vrai avantage stratégique qu’elles présentent réside en ce qu’elles sont situées à proximité de réserves énergétiques en mer et en ce qu’elles offrent à leurs partenaires étrangers une présence dans cette zone de l’océan Atlantique et sur la côte de la « Grande Caraïbe » (si l’on veut la repenser en tant que telle).
On estime que les zones de jungle de chacun de ces États regorgent d’innombrables ressources naturelles mais ces régions restent sous-exploitées et à peine explorées. Parallèlement, si des efforts concertés étaient entrepris pour consolider la présence de l’État dans ces étendues et si les zones frontalières étaient ouvertes à l’exploration étrangère, il deviendrait possible pour les USA, le Royaume-Uni et/ou la France de construire des équipements de style radar ou autre pour surveiller le gigantesque espace aérien brésilien que constitue l’Amazonie. Si une telle possibilité venait à se manifester, il s’agirait d’un événement géostratégique significatif, en ce que ces trois présences occidentales prendraient une importance continentale en sus de leur présence maritime présente. Au plus fort de leur potentiel, ces entités n’exerceront jamais d’influence majeure sur les affaires sud-américaines mais leur simple existence constitue déjà autant de « têtes de pont » facilitant une présence continentale directe ou indirecte à des États unipolaires plus étendus, plus puissants et plus riches situés en d’autres zones.
Une parfaite illustration en est le différend territorial vénézuélo-guynanien. En résumé, Caracas revendique presque 40% du Guyana, dont sa zone maritime où l’on a découvert il y a peu de grandes quantités de pétrole. Washington, comme on pouvait s’y attendre, s’est rangée du côté de Georgetown et, même si la situation n’en est pas encore venue à ces extrémités, les USA pourraient toujours envoyer des vaisseaux de l’armée soutenir les revendications de son allié si les choses « venaient à s’envenimer ». Le Venezuela comprend cela et s’est par conséquent montré très prudent quant aux actions physiques qu’il prend pour étayer ses revendications. Caracas ne veut surtout pas offrir un prétexte à un déploiement de vaisseaux de guerre américains aux abords de sa côte Est, car ceci faciliterait grandement une frappe militaire surprise de la part des USA.
Les triangles vénézuéliens
Le détail clé qui marque l’attention des observateurs de la région est le rôle de pivot structurel que joue le Venezuela caribéen et sud-américain dans l’intégration résistante trans-régionale, au travers d’ALBA et de Petrocaribe. Il rassemble en effet d’un côté le triangle caribéen Cuba-Nicaragua-Venezuela et en miroir le triangle sud-américain Venezuela-Équateur-Bolivie, ajoutant une couche stratégique aux raisons qu’ont les USA de tant vouloir déstabiliser ce pays positionné de manière si unique et cruciale. Comme on peut le voir au travers de la guerre gybride qui fait rage sans interruption contre ce pays, le renversement du gouvernement bolivarien du Venezuela serait un coup mortel pour ALBA et Petrocaribe, qui se répercuterait sur les derniers tenants de la multipolarité dans l’hémisphère et ferait de leur rétablissement un énorme défi.
La « Grande-Colombie » est de retour
L’allié historique des USA en Amérique du sud s’apprête à redevenir un centre de pouvoir si il parvient à mettre fin à l’insurrection des FARC et à entretenir le complexe processus de paix. La Colombie présente une importance géostratégique irremplaçable, en sa qualité d’état bi-côtier (Pacifique et Mer des Caraïbes/Atlantique) disposant d’un fier quoique bref historique de dirigeant régional. On se souvient de la période 1819-1831 comme moment d’apogée de Bogota, à l’époque où les états contemporains de Colombie, d’Équateur, du Vénézuéla et du Panama était unis en ce que les historiens ont appelé « Grande-Colombie » ; et on peut prévoir que la Colombie essayera de déployer à nouveau ses ailes si sa situation intérieure se stabilise. Nul n’anticipe que la Colombie envahirait ses voisins d’aujourd’hui, anciens membres de son ancienne sphère mais on peut penser que le pays utilisera des méthodes créatives post-modernes pour étendre son influence sur cette zone.
Le Vénézuéla, par exemple, est en état de crise perpétuelle à cause de la guerre hybride supportée en arrière par les USA et si Washington devait réussir à faire tomber le gouvernement de Caracas, il est probable que les nouvelles autorités penchées vers l’occident essayeraient de raccommoder leur histoire récente, faite de relations tendues et de rapprocher les deux états.
Voilà qui se jouerait à l’avantage décisif de la Colombie : le pays dispose déjà d’une économie moderne et développée et constitue l’un des principaux acteurs de l’Alliance Pacifique. Il pourrait donc projeter son influence économique sur le Vénézuéla, lui-même membre du Mercosur (en tous cas si ce pays ne s’est pas d’ici-là fait éjecter du groupe commercial que constitue le Mercosur par ses « partenaires » de droite). En outre, la main d’oeuvre bon marché que l’on trouvera à profusion au Vénézuéla dans l’hypothèse d’un changement de régime et de la « libéralisation » économique qui s’ensuivrait, pourrait profiter aux investisseurs colombiens, tout comme les réserves énergétiques de classe mondiale que détient le Vénézuéla. Du point de vue de la Colombie, la conjugaison de son propre talent économique et du dynamisme induit par une main d’œuvre vénézuélienne bon marché, couplés à des réserves de ressources naturelles pourraient aider Bogota à se muer en acteur régional puissant, soulevant l’intérêt des grandes puissances à travers le monde.
Pour ce qui concerne le Panama, la Colombie n’a pas de projet d’extension d’influence aussi attrayant que pour le Vénézuéla. Les panaméens sont fiers de leur sécession − soutenue par les USA − de la Colombie et peu enclins à revenir sous l’influence de Bogotá, ce qui pourrait devenir inévitable si leur pays rejoignait l’Alliance Pacifique. Quoi qu’il en soit, le Panama restera probablement un état mandataire aligné sur les USA à cause du canal de Panama, tant Washington tient à garder la mainmise sur cette voie navigable essentielle. Il est tout aussi peu probable que l’Équateur ne tombe sous le joug colombien, même si ce ne sera pas faute d’avoir essayé de la part de Bogotá. L’Équateur, comme le Panama, est très fier de son histoire séparatiste de la Colombie (le Vénézuéla l’est également, mais la population penche de plus en plus à droite et est plus encline au « compromis » là-dessus en pensant à une « collaboration économico-stratégique » en cas de changement de régime) et s’est toujours débattu de toute influence trop prononcée de la part de ses voisins. Il est plus que probable que l’Équateur fera tout son possible pour conserver son indépendance stratégique, tout en devenant l’objet d’une compétition féroce entre une nouvelle « Grande-Colombie » et la nouvelle forme larvée de confédération péruvio-bolivienne.
Le dernier commentaire qu’il reste à énoncer sur la tentative de retour de l’acteur géopolitique « Grande-Colombie » est que celle-ci pourrait également prendre une forme trans-régionale, voyant Bogotá s’impliquer bien d’avantage dans les affaires centre-américaines. La déception du Nicaragua d’avoir été désigné comme perdant par la Cour de Justice Internationale dans le dossier colombien de San Andrés y Providencia et d’autres atolls proches pourrait évoluer en une situation ressemblant à celle de la mer de Chine. Même si ce n’est pas le cas, l’emplacement de ces territoires, juste au bout du canal du Nicaragua construit par la Chine, pourrait donner à Bogotá un avantage stratégique pour interférer ou surveiller ce point de passage maritime pour le compte unipolaire des USA. En outre, la croissance économique de la Colombie fait qu’elle va devenir un jour ou l’autre un partenaire commercial plus important pour les pays d’Amérique centrale, l’amenant potentiellement à entrer en compétition avec le Mexique, son allié dans le cadre de l’Alliance Pacifique. La compétition entre ces deux pays peut être menée de manière amicale voire multilatéralement bénéficiaire mais en même temps, un dilemme stratégique pourrait amener ces deux pôles à se disputer l’influence hégémonique sur la région. Pas de conflit au sens traditionnel du terme, bien sûr, mais assez pour perturber l’unité symbolique du bloc économique, et pourquoi pas pousser le Mexique à rechercher des relations commerciales plus fiables en Asie en cas de « retraite » ou pour pousser la Colombie à redoubler d’efforts pour prendre l’ascendant sur le Vénézuéla.
(De nouveau) le jumelage Pérou et Bolivie
La confédération péruvio-bolivienne fut une construction géopolitique éphémère qui sembla tomber dans l’oubli après que le Chili intervienne militairement et l’ait dissolue mais TORR, le projet chinois, marque l’opportunité de rapprocher les deux voisins andins comme jamais auparavant mais cette fois de manière informelle, ce qui marque la différence avec le rapprochement juridique d’il y a presque deux siècles. La Bolivie et le Pérou partagent les mêmes racines civilisationnelles inca et dépendent chacun fortement de l’autre dans les conditions géopolitiques contemporaines. La Bolivie, pour compenser l’annexion par le Chili de son département littoral à l’issue de la guerre du Pacifique veut un accès sécurisé et fiable à la mer, que propose le port péruvien d’Ilo, qui constitue le terminus de TORR. Les intérêts du Pérou sont complémentaires de ceux de la Bolivie puisque Lima veut disposer du chemin le meilleur marché et rapide vers le port de Santos, à l’autre bout de TORR et juste à côté de Sao Paulo.
Si TORR ne traversait pas la Bolivie pour relier le Brésil au Pérou, le projet aurait été terriblement onéreux à construire et aurait dû contourner la longue frontière ouest du Brésil, ajoutant de nombreux kilomètres et de nombreuses années de construction à sa réalisation. C’est une chance historique et géostratégique que la Bolivie ait été intégrée au projet, faisant d’elle un maillon essentiel de TORR et apportant un dynamisme inédit à son intégration avec le Pérou, ce qui pourra amener à un retour de fait de la confédération péruvio-bolivienne. Cette entité politique porte des promesses immenses et pourrait devenir un acteur puissant à l’avenir, à condition qu’elle résolve ses deux plus grandes contradictions internes. Le Pérou est membre de l’Alliance Pacifique alors que la Bolivie s’apprête à rejoindre le Mercosur et quelles que soient les affinités de Lima avec les principes commerciaux néolibéraux, Sucre reste attachée au socialisme et aux principes de gauche. Il se pourrait, ironiquement, qu’à cause de ces différences, ces deux pays ne se rassemblent jamais en confédération mais gardent le statut d’États partenaires, un peu comme la relation qu’a adopté la Russie avec ses alliés post-soviétiques de l’Alliance Eurasiatique.
Les différences stratégiques entre les deux États, si elles empêchaient une intégration politique formelle entre eux, pourraient constituer un avantage caché, les poussant sur la voie de nouveaux partenariats internationaux à l’image de ceux inaugurés en Eurasie par la Russie avec ses alliés de l’Union Eurasiatique, ou comme entre la Russie et la Chine. Voilà qui serait beaucoup plus soutenable et avantageux pour le Pérou et la Bolivie : ils disposeraient d’une voix plus forte pour négocier face au Brésil et cela dissiperait également les craintes géopolitiques régionales qui avaient surgi au moment où les deux pays s’étaient unifiés il y a environ deux cents ans (craintes qui avaient amené à une intervention étrangère qui avait finalement dissout l’unification). Il n’y avait pas tant de possibilités en termes de partenariat Pérou-Bolivie avant TORR mais au siècle de la nouvelle route de la soie, la Chine s’emploie à créer des opportunités d’intégration régionale par le biais de ses projets d’infrastructure que l’on pouvait croire irréalisables ou historiquement dépassés ; en pratique ils changent la nature même des enjeux géopolitiques sud-américains.
L’égalisateur équatorien
L’état côtier s’étend entre ses deux grands voisins : Colombie et Pérou ; l’histoire du pays est parsemée de conflits et de rivalités avec ces voisins, événements qui ont eu pour effet de renforcer toujours plus la très forte identité nationale équatorienne. On peut prédire, dans un futur où la Colombie sûre d’elle-même et le Pérou serait plus orgueilleux, que ces deux pays tenteraient d’augmenter leurs influences régionales en revenant marcher sur leurs plates-bandes historiques, que l’Équateur se trouverait pris en tenaille entre ces deux centres de pouvoir historiques et se verrait forcé de faire un choix entre eux. Ni Bogotá, ni Lima ne pensent pouvoir intégrer les équatoriens dans leur sphère d’influence mais chacun pourrait vouloir surpasser l’autre en établissant en Équateur une présence plus robuste. D’une certaine manière, le retour conjoint d’une « Grande-Colombie » post-moderne et d’une confédération péruvio-bolivienne pourrait amener les deux partenaires de l’Alliance Pacifique à une concurrence l’un envers l’autre quant au pays qui les sépare, exactement comme cela est arrivé dans le passé.
L’Équateur pratique de nos jours le commerce de manière pragmatique avec ses deux voisins néolibéraux, quoi qu’il soit lui-même adepte d’une économie plus socialisante et membre du groupe ALBA sous la houlette du Vénézuéla. Le pays est également très proche de la Chine et est vu par certains comme avant-poste de Pékin sur le continent, ce qui est à tout le moins singulier dans la mesure où la monnaie officielle de l’Équateur reste le dollar américain. Tout ceci démontre à quel point l’Équateur travaille à diversifier ses politiques qui consistent à ne pas se cacher derrière son petit doigt pour collaborer avec ses voisins néo-libéraux, par pure nécessité pragmatique, tout en restant idéologiquement attaché aux principes socialistes de la révolution bolivarienne.
Pays multipolaire très proche de la Chine en termes économiques et énergétiques, le pays continue d’utiliser le dollar comme monnaie nationale, héritage de sa situation structurelle précédente sur lequel il serait à présent quasiment impossible de revenir sans s’auto-infliger des dégâts importants.
L’Équateur a ainsi une tendance naturelle à l’équilibre, intimement liée à son identité géopolitique, acquise en survivant à la prise en tenaille entre la Colombie et le Pérou depuis presque deux cents ans. On peut s’attendre, conformément aux analyses qui précèdent, à ce que le pays poursuive cette politique si ses voisins tentent de s’affirmer mais tout dépend également de la survie de la stratégie d’indépendance du pays après la fin de l’ère Correa. Ce dernier, socialiste, a atteint la limite constitutionnelle de deux mandats et les élections à venir en février 2017 constitueront une opportunité de choix pour les USA de lancer une offensive de guerre hybride visant à orienter les résultats à leur avantage unipolaire. Si l’Équateur devait tomber, il se verrait probablement condamné à la servitude économique et à l’insignifiance géostratégique à moyen terme mais si au contraire il tient et surpasse les menaces, il peut prospérer comme égalisateur stratégique entre ses voisins colombien et péruvien membres de l’Alliance Pacifique.
[Les élections de février 2017 ont été remportées sur le fil par Lenín Moreno, précédemment vice-président du pays et membre du même parti PAIS Alliance que le président sortant, NdT]
La dominance brésilienne
Le Brésil a le potentiel de se lever en tant que puissance dominant l’ensemble de l’Amérique du sud. Sa population immense lui donne des capacités de consommation et de production incroyables et le pays est extraordinairement bien pourvu en ressources naturelles. La forêt amazonienne dispose de richesses cachées inédites et le vaste arrière-pays de Cerrado s’est récemment transformé en plateforme agricole prometteuse. Le Brésil dispose, en outre, d’importantes réserves pétrolières et gazières sous-marines. Sur un plan régional, le pays dirige l’alliance du Mercosur et est impliqué dans nombre des réseaux de l’Initiative d’Intégration de l’Infrastructure de la Région Sud-Américaine (IIRSA) [que nous avons présentée dans le deuxième article de notre série, NdT]. C’est au cours de l’an passé [en 2016-2017, NdT] que le Brésil a révélé son désir de devenir le chef de file du continent de dépasser ses limites géopolitiques en devenant partie prenante de TORR, l’ambitieux projet chinois et en jouant le rôle de fer de lance dans l’établissement de la route commerciale au travers des Andes jusque l’Océan Pacifique.
Mais l’histoire nous montre que les voisins du géant brésilien sont inquiets quand il monte trop haut et qu’il veut exercer le pouvoir et la volonté de pouvoir de Brasília soulève la méfiance de la part d’autres pays hispanophones du continent. Cela avait semblé changer avec l’avènement du Mercosur et la Marée Rose, mais maintenant que l’Opération Condor 2.0 est en plein vol, les méfiances pourraient revenir à grande vitesse et compromettre la montée (influencée par le monde unipolaire de droite) du Brésil. Mais pour autant et indépendamment de qui tient la barre à Brasília, il est indéniable que le pays est lancé vers l’avant au travers de TORR, qui révolutionne totalement les enjeux géopolitiques du continent, en réalisant le mariage du Brésil avec l’état de Bolivie et le terminus portuaire du Pérou. La signification de ceci est que les avenirs géostratégiques des trois pays se retrouvent connectés entre eux et de plus en plus dépendants les uns des autres. Tout l’objet de TORR est de permettre à la Chine et au Brésil de commercer l’un avec l’autre plus facilement, plus rapidement et moins cher, avec des retombées commerciales positives pour la Bolivie et le Pérou qui disposent de positions clés sur cette route.
S’il parvient à son terme, le projet TORR sera la première ligne de chemin de fer transcontinentale à être construite en Amérique du sud et fera en pratique entrer le Pérou et la Bolivie dans la sphère d’influence brésilienne. Cette rupture géopolitique rediviserait le continent en trois zones latitudinales, chacune avec son chef de file régional. La zone nord verrait la « Grande Colombie » comme état de premier plan ; la zone centrale aurait le Brésil comme premier de cordée ; et l’Argentine constituerait l’état le plus fort de la zone sud. De toute évidence, le Brésil est le seul acteur capable de projeter sa puissance à l’échelle du continent et de rapprocher l’Alliance Pacifique (dont la Colombie et le Pérou sont membres) et le Mercosur (dominé par le Brésil sur tous les aspects pratiques, l’Argentine y jouant le second rôle). De la même manière, TORR est le seul instrument d’infrastructure qui peut réaliser ces rapprochements d’une manière multilatérale et mutuellement bénéficiaire. Il reste possible que les USA fassent usage de leur influence en Colombie et plus récemment en Argentine pour développer une stratégie de sape de la route de la soie sud-américaine.
États charnières
Quatre pays pourraient pencher d’un côté ou d’un autre entre les trois « blocs » stratégiques. Du nord au sud, les voici :
Vénézuéla
Le pays qui a vu naître la révolution bolivarienne subit de graves menaces de changement de régime de par la guerre hybride sans fin que lui imposent les USA. Si Maduro ou ses successeurs choisis peuvent persévérer dans le modèle chaviste, le pays résistera à la « Grande Colombie » et restera le poste avancé le plus fort du monde multipolaire dans l’hémisphère occidental, facilitant également à ses partenaires des deux triangles de l’ALBA la tâche de résister un peu plus longtemps aux offensives asymétriques qui les visent. Si Caracas devait tomber, le pays finirait probablement par se faire incorporer à la sphère d’influence de la « Grande Colombie » ce qui augmenterait les chances que l’Équateur subisse le même sort.
Équateur
Si le pays reste indépendant et poursuit son jeu d’équilibre entre la Colombie et le Pérou, il ne rencontrera pas de problème majeur, mais si l’un ou l’autre de ses deux grands voisins l’emporte sur son rival, la compétition par mandataire interposé pourrait devenir tellement importante que le Brésil, allié du Pérou, mettrait son poids derrière l’officieuse confédération péruvio-bolivienne, cependant que l’allié mexicain de la Colombie en ferait autant vis à vis de la nouvelle « Grande Colombie ». Voilà qui constituerait l’étincelle d’un scénario intéressant où les deux plus grands pays d’Amérique latine et les grandes puissances les plus influentes s’engageraient dans une lutte par mandataires interposés dans ce coin stratégique d’Amérique du Sud. Même si ce scénario dramatique n’était pas joué, l’Équateur pourrait rester au cours du XXIème siècle un théâtre de compétition entre la Colombie et le Pérou, tout comme l’Uruguay a tenu ce rôle entre le Brésil et l’Argentine au cours du XIXème siècle, avec toutes les retombées pour une guerre civile prolongée que cela put impliquer.
Paraguay
Ce pays enclavé se méfie autant de l’Argentine que du Brésil, depuis la guerre de la triple alliance qui a constitué un génocide envers sa population ; le Paraguay a toujours essayé de rester indépendant entre ces deux voisins en préservant ses intérêts. C’est le Paraguay qui fut le premier succès de l’opération Condor 2.0, le président légitime Fernando Lugo, démocratiquement élu ayant été renversé lors d’un « coup d’état constitutionnel » en 2012, ce qui a affublé ce pays du statut de « marginal » et l’a transformé en objet de colère et de méfiance pour ses deux grands voisins jusqu’à ce jour.
Le Paraguay hésite à se rapprocher du Brésil par peur de voir les propriétaires terriens brésiliens lusophones, qui ont apporté des investissements au nord est, reproduire un jour le « scénario d’Acre » en poussant à une annexion de la zone frontalière où sont situées leurs terres, comme ils l’avaient fait aux dépends de la Bolivie au tournant du siècle dernier. Quant à l’Argentine, les paraguayens, fiers de leur pays, n’ont pas oublié qu’il lui a fallu des dizaines d’années avant de reconnaître leur pays comme indépendant et de renoncer à ses prétentions territoriales inexprimées qui considéraient le pays comme « région rebelle ». Les paraguayens ont bien compris que trop dépendre de l’Argentine pour contre-balancer le Brésil pourrait être tout aussi dommageable à la souveraineté de leur pays.
On trouve des arguments solides des deux côtés quant au rapprochement du Paraguay avec un de ses voisins. Asuncion est évidemment sensible à la perspective d’exporter ses produits agricoles plus facilement et moins cher vers la Chine au travers de TORR, à condition bien sûr qu’une extension du réseau ferré puisse rejoindre le pays et que le Paraguay puisse rejoindre cette route de manière fiable, que ce soit via le Brésil ou la Bolivie.
De l’autre côté, les exportations du Paraguay se font principalement vers le Brésil, la Russie, le Chili, la Hollande et l’Italie et ses importations proviennent en grande partie du Brésil, de Chine, d’Argentine, des USA et du Chili, ce qui signifie que la plus grande partie de ses échanges sont menés soit avec ses voisins, soit − à l’exception de la Chine − en traversant l’océan Atlantique à l’est, ce qui suppose que les marchandises transitent par bateau en traversant le Paraguay et le fleuve Paraná qui débouche dans l’océan sur le territoire argentin.
Le Paraguay, petit pays, disposerait d’un marché potentiel virtuellement infini s’il se rapprochait de TORR par le Brésil et exportait d’avantage vers la Chine mais le principal obstacle à cela est qu’Asunción reconnaît Taipei et non Pékin, comme « gouvernement légitime » de la Chine Unie. Il est peu probable que la République populaire récompense le pays, aussi attrayantes soient ses denrées agricoles, par un accès au marché chinois. On peut donc s’attendre à voir le Paraguay se ranger aux cotés de l’Argentine en vue d’établir des routes commerciales avec ses partenaires côté Atlantique et abandonner l’accès à la route de la soie via son voisin brésilien du sud.
Chili
Le dernier des états charnières est le Chili qui est peut être le plus remarquable en ce qu’il n’appartient pas vraiment à la zone centrale ou sud, surtout pour des raisons historiques et économiques uniques. Sa situation géographique le relierait plutôt à la zone sud mais presque aucun pays de cette zone ne figure parmi les partenaires d’échanges importants pour le Chili ; l’observatoire de la complexité économique fait état de la Chine, des USA, du Japon, de la Corée du Sud et du Brésil comme zones d’export privilégiées et, côté importations, de la Chine, des USA, du Brésil, de l’Allemagne et enfin de l’Argentine. Cette situation singulière, qui voit le Chili nettement plus lié à ses partenaires trans-océaniques qu’à ses voisins continentaux est un héritage de ses politiques persistantes d’ouverture de ses marchés, qui ont attiré les partenariats à l’échelle du monde depuis l’indépendance du pays. Quoique voisin proche de l’Argentine et membre des mêmes réseaux de développement au sein de l’IIRSA, la concurrence et la rivalité entre les deux pays sont pour beaucoup dans leur réticence réciproque à établir des relations économiques solides.
Au vu de la déconnexion du Chili avec la zone sud et son manque d’enthousiasme à développer des relations approfondies avec l’Argentine, on pourrait supposer que cela rend le pays naturellement plus proche de la zone centrale mais ce n’est pas non plus forcément le cas. Tout d’abord, s’il est vrai que le Chili pourrait en principe approfondir son partenariat d’import/export existant avec le Brésil en vu de « contrer » les velléités de dominance argentine sur la zone sud, quelques limites géographiques et pratiques font que, pour des raisons de pragmatisme, le pays n’ira pas jusqu’à sacrifier ses intérêts propres. De plus, malgré une proximité géographique indéniable avec TORR, le Chili a une histoire compliquée avec le Pérou et encore plus la Bolivie, ce qui vient nettement freiner tout développement de relations avec ces deux pays de la zone centrale. Souvenons-nous que la guerre du Pacifique s’est conclu non seulement sur l’annexion par le Chili de terres péruviennes mais aussi et surtout a coûté à la Bolivie son accès à la mer, la condamnant au statut d’État enclavé depuis cette époque.
Pérou et Bolivie ont comme destin de se rapprocher et de coopérer l’un avec l’autre au travers une résurgence post-moderne et informelle de la confédération prévuvio-bolivienne, en s’appuyant sur les perspectives d’intégration de la nouvelle route de la soie avec TORR, en ressoudant leurs racines civilisationnelles et historiques dans de nombreux domaines. On peut donc s’attendre à ce que ces deux pays fassent rempart face au Chili malgré l’alliance formelle qui lie ce pays au Pérou au travers de l’Alliance Pacifique. Il serait certainement optimal que le Chili entre en coopération rapprochée avec le Pérou, la Bolivie et le Brésil au travers de TORR, mais Santiago pourrait voir ce projet comme une menace à sa propre attractivité économique et entrer en compétition contre cette initiative. Cela viendrait diminuer la probabilité de voir le pays tenter d’améliorer ses relations stratégiques avec les deux membres andins de la zone centrale et ajouterait encore foi à la thèse qui veut que le pays ne s’occupe que de ses propres intérêts individuels (ce qu’il a historiquement fait et qui lui a bâti une réputation négative dans la région) et fonctionne en pratique comme une zone à lui tout seul.
La courroie
Maintenant que nous avons évalué la nature des enjeux géopolitiques d’Amérique du Sud, nous pouvons conceptualiser une structure transnationale connue sous le nom de courroie [Pivot Belt, NdT]. Cette étendue de territoires comprend l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et le Paraguay et contient des représentants de chacune des zones primaires décrites ci-avant. L’Équateur fait partie de la zone nord dont la puissance dominante est la « Grande Colombie » le Pérou et la Bolivie vont probablement étendre leur intégration multi-facettes et sont alignés avec le Brésil dans la zone centrale et le Paraguay est membre de la zone sud et proche de l’Argentine. Ce que nous appelons la courroie est marquée par le noyau Pérou-Bolivie, chacun de ces deux pays résistant à entrer en compétition avec les deux périphériques : l’Équateur et le Paraguay pour des raisons historiques et stratégiques.
L’Équateur, comme nous l’avons vu, s’est déjà trouvé impliqué dans plusieurs conflits face au Pérou pour des différends territoriaux et ses citoyens sont extraordinairement fiers d’avoir conservé leur indépendance malgré leur prise en tenaille entre les deux voisins péruvien et colombien, nettement plus grands et plus forts. Le Paraguay présente des caractéristiques ressemblantes de par le souvenir persistant et indélébile de la guerre de la triple alliance, qui faillit bien anéantir toute la population du pays et amena à la constitution d’une identité inébranlable. La Bolivie ne fut pas partie prenante de cette guerre mais elle s’est battue contre le Paraguay lors de la guerre du Chaco de 1932-1935 et bien que ce conflit ait pris fin il y a près d’un siècle, il continue de hanter les relations entre les deux peuples.
D’un point de vue structurel, la confédération péruvio-bolivienne (pour rappel, c’est le nom que donne l’auteur non à l’ancienne fusion des deux pays mais à leur intégration stratégique multi-facettes en devenir) dispose du dispositif d’intégration en infrastructure du continent que constitue TORR, tandis que l’Équateur et le Paraguay restent des états pivots qui pourraient chacun connecter ou débrancher la zone centrale de ses pendantes au nord et au sud. Ce qui revient à dire que ces deux pays vont gagner une importance stratégique toujours croissante par rapport à notre description ci-dessus. De plus, l’Équateur et le Paraguay pourraient également « abandonner » leurs zones respectives et s’aligner avec la confédération péruvio-bolivienne pour former leur propre espace d’intégration, ce qui constituerait une remise à plat de la donne géopolitique du continent.
La zone nord/caribéenne avec la « Grande Colombie » comme point d’ancrage, inclurait le Vénézuéla, le Guyana, le Suriname et la Guyane française, alors que le Brésil se séparerait et formerait une zone est/atlantique à lui seul. La nouvelle zone centrale serait notre courroie, alors que la zone sud revue et corrigée serait constituée simplement de l’Argentine et de l’Uruguay. Le Chili, comme nous l’avons vu précédemment, prendrait seul le rôle de zone sud-ouest/Pacifique.
Il apparaît clairement au vu de la carte que la courroie/zone centrale prendra le rôle d’arbitre géostratégique si ses membres réussissent à s’intégrer entre eux. S’ils n’y parviennent pas complètement ou que les résultats pratiques ne sont pas au rendez-vous, il restera le fait que la confédération péruvio-colombienne constitue le cœur incontestable de tout le dispositif. Si on accepte cette logique géopolitique et que l’on s’appuie dessus, on arrive à la conclusion que la Bolivie constitue le cœur de la « confédération » et en fait, de l’ensemble du continent − dans les sens géographique et stratégique.
Le noyau continental
Pour poursuivre sur ce dernier point, il ne fait aucun doute que la Bolivie constitue le pays pivot le plus central d’Amérique du Sud. Pour reprendre ce que nous avons déjà décrit, ce pays constitue le centre de la zone centrale « initiale » constituée de la Bolivie elle-même, du Pérou et du Brésil. La Bolivie est également un état de transit essentiel pour TORR. Sa proximité géographique avec le Paraguay lui offre une chance de convaincre son voisin enclavé d’entreprendre des relations plus étroites, ce qui pourrait amener ce dernier à « laisser de côté » la zone sud et participer à l’établissement d’une zone centrale modifiée, comme nous l’avons proposé dans la section précédente. Un autre facteur mettant en lumière la position de pivot de la Bolivie est son appartenance à l’alliance multipolaire ALBA et le fait qu’elle ait développé des liens stratégiques avec la Russie et la Chine.
Même si le sort veut que le Vénézuéla succombe à la guerre hybride de changement de régime entreprise par les USA à son encontre (ce qui reste à voir, car cela fait à présent des années que le pays résiste de manière impressionnante aux pressions asymétriques qu’il subit) la Bolivie resterait un avant-poste socialiste au centre du continent, tant que son gouvernement tient bon face aux stratagèmes de l’opération Condor 2.0. Il est avéré que les USA œuvrent à déstabiliser l’État plurinational de Bolivie (son nom officiel) par divers mécanismes de guerre hybride, tel que le support au séparatisme dans la « Media Luna » ; on peut s’attendre à voir ces machinations américaines augmenter à mesure que le pays enclavé gagnera en importance dans l’équation stratégique du continent.
Nous en reparlerons bien sûr en détail dans le profil individuel de guerre hybride infligé à la Bolivie, plus tard dans le cadre de cette recherche mais à ce stade le lecteur se devrait d’apprécier la grande importance que ce pays prend en Amérique du sud et de relier cela avec la loi de la guerre hybride, qui stipule que les pays de transit, facilitant les projets d’infrastructure et les connections multipolaires transnationales constituent les premières cibles des conflits identitaires menés de l’extérieur par les USA. La Bolivie souscrit à ces critères dans tous les sens du terme, ce qui fait d’elle le plus susceptible des États sud-américains à subir des guerres hybrides en provenance des USA semblables à celles qu’on a vues dans l’hémisphère est. Cela la rend nettement plus vulnérable à un effondrement en guerre civile pré-fabriquée, par rapport aux autres pays du continent, qui pour la plupart ne risquent que des changements de régimes non violents (que ce soit au travers de révolutions de couleurs, de « coups d’États constitutionnels » ou d’élections structurellement pré-conditionnées comme en Argentine).
Le Vénézuéla également court le risque de finir comme victime d’importantes destructions, bien que cela soit pour des raisons totalement différentes. Caracas est la tête de file du mouvement ALBA multipolaire et de son homologue énergétique Petrocaribe et dispose des réserves énergétiques inexploitées les plus vastes le long de la ceinture d’Orinoco.
Les USA ciblent ce pays afin de détrôner le triangle d’alliances vénézuéliennes dans les Caraïbes et en Amérique du sud et également pour prendre possession de l’ensemble des ressources énergétiques du pays, afin d’en priver ses concurrents (dont la Chine) ou pour les utiliser comme moyen de contrôle direct ou indirect contre leur économie. Vu sous cet angle, la guerre hybride des USA contre le Vénézuéla constitue un conflit asymétrique typique du XXème siécle, mené pour atteindre des fins anciennes alors que la guerre hybride menée contre la Bolivie est d’une nature stratégique qualitativement différente, visant à couper l’intégration de la route de la soie du XXième siècle pour ce continent.
Même si TORR n’était pas en jeu, la Bolivie continuerait d’occuper une position irremplaçable dans le centre géographique du continent et entre plusieurs voisins importants, soulignant l’attrait préjudiciable que l’école américaine de Brzezinski voit dans ce pays. Nous avons déjà décrit comment la Bolivie est le pays cœur de la zone centrale mais le lecteur devrait garder en mémoire que ce chantier aurait pu ne pas voir le jour sans les investissements de la Chine dans la nouvelle route de la soie sur le continent. Quoi qu’il en soit, un géo-stratégiste reconnu avait déjà identifié la Bolivie comme à la confluence de ce qu’il décrivait comme les trois systèmes continentaux d’Amérique du sud. Dans l’article de 2014 nommé « Géopolitique du XXième siècle dans le système géographique amazonien » [Amazon Geographic System in XXI Century, NdT] les auteurs citaient les travaux de l’analyste géopolitique espagnol Carlos Badia Malgrida, remontant à 1946, sur « Le facteur géographique dans la définition des politiques sud américaines » [The geographic factor in South American politics, NdT] mettant en exergue l’appartenance croisée de la Bolivie aux systèmes géographiques de l’Amazonie, des Andes et du Rio Plata, ce qu’on peut extrapoler comme signifiant qu’elle est susceptible d’être influencée dans ses politiques, respectivement par le Brésil, le Pérou/la Colombie/le Chili et l’Argentine.
Si l’on regroupe dans les pays d’Amérique du Sud selon ces critères géographiques, la carte ressemble à ce qui suit :
Pour la plus grande part, cela recoupe les tendances actuelles du continent. La première d’entre elles est que le système andin compte tous les membres de l’Alliance Pacifique, additionnés de l’Équateur et la possibilité d’y ajouter le Vénézuéla, aussi bien pour des raisons géographiques − le pays n’est pas éloigné des Andes − et aussi par la prévision que la « Grande Colombie » prendrait l’ascendant sur son voisin bolivarien si le gouvernement chaviste venait à être renversé par la guerre hybride des USA. En ce qui concerne le Brésil, il constitue déjà en soi une puissance continentale, ce qui justifie qu’on lui attribue un système en propre, même si celui-ci pourrait se voir ajouter les « présences occidentales » évoquées en début d’article et peut-être même le Vénézuéla (aussi bien en termes géographiques et politiques, de nouveau, ce dernier étant conditionné par sa survie face à la guerre hybride qu’il subit). Enfin, le système du Rio Plata ne s’étend pas physiquement jusqu’à la Bolivie, que ce soit cette rivière elle-même ou celles qui s’y connectent ; mais les plaines des Pampas et du Gran Chaco assurent ce lien, tout comme l’influence argentine sur le centre de gravité du pays (qui est représentatif de la zone sud corrigée moins le Chili).
Cela fait de la Bolivie le noyau géopolitique, géostratégique et géophysique de l’Amérique du sud, soulignant encore à quel point sa stabilité est fondamentale pour l’intégration continentale progressive sous les auspices de l’IIRSA et de l’Unasur. On peut donc dire que la Bolivie est également le noyau géo-intégrationel indispensable du continent car il est impossible pour les pays d’Amérique du sud de se rapprocher les uns des autres sans incorporer la Bolivie. A contrario, la déstabilisation de la Bolivie endommagerait sérieusement les perspectives d’intégration sud-américaines et enverrait des ondes de choc géostratégiques à travers toute la région, ce qui, comme nous l’avons vu précédemment, constitue une autre raison irrésistible pour les penseurs de la politique Brzezinski à Washington d’en faire une cible de la guerre hybride.
Le présent article s’intègre dans une suite de quatre, écrits mi 2017 par le même auteur, qui sont :
- Histoire de l’Amérique du sud 1/2
- Histoire de l’Amérique du sud 2/2
- L’affrontement des blocs
- Géopolitique de l’Amérique du Sud
Traduit par Vincent relu par Cat pour le Saker Francophone
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