Le 3 septembre 2015 – Source Stratediplo
À l’occasion de l’exercice Sea Breeze, le vice-amiral James Foggo, commandant la VI° flotte états-unienne, a déclaré hier 2 septembre que les États-Unis tendront à maintenir une présence aussi permanente que possible en mer Noire, ce que la revue navale états-unienne Navy Times appelle joliment «agiter leur drapeau devant la porte de la Russie».
C’est effectivement une provocation.
Les États-Unis ont certes mené des exercices conjoints annuels avec l’Ukraine depuis des années, sans jusque là envisager une présence permanente. Ils se sont vus rappeler l’année dernière l’existence de la Convention de Montreux. Et ils ont par ailleurs pris conscience de la vulnérabilité de leur flotte, tant par le Soukhoï 24 russe qui a réellement aveuglé, désarmé et paralysé le Donald Cook, en mer Noire justement (avril 2014), que par le sous-marin d’attaque français Saphir, qui a potentiellement détruit (au cours d’un exercice) la moitié du groupe naval du Théodore Roosevelt, y compris ce porte-avions tout juste sorti de modernisation, en Floride (février 2015) ; sans contrainte budgétaire, les États-Unis dotent leurs forces armées de leur toute dernière technologie, mais leur technologie n’est pas la plus avancée. Ces deux avertissements auraient donc pu les inciter à plus de retenue sur les mers du globe, mais il semble que la supériorité tactique (la possibilité de vaincre une confrontation) ne les intéresse pas autant que l’affirmation de leur omniprésence, tant en mer que sur terre où, par exemple, ils violent tous les jours les accords de Minsk qui interdisent la présence de troupes étrangères en ex-Ukraine (tant en Malorussie qu’en Novorussie).
Il faut donc considérer l’intention d’une présence états-unienne permanente en mer Noire comme une politique déterminée et nouvelle. Certes les États-Unis ne sont pas signataires de la Convention de Montreux, mais ils l’acceptent en traversant les détroits, puisqu’elle a été conçue, de la part des pays riverains, comme la condition à l’ouverture de cette mer aux pays non riverains qui n’ont rien à y faire puisque c’est une mer fermée et pas un passage comme le détroit de Malacca ou la Manche. En ce sens ils n’ont pas tout à fait raison en prétendant qu’il s’agit d’eaux internationales où la circulation est libre, puisqu’il s’agit d’eaux multinationales ouvertes aux pays non riverains moyennant un certain nombre de conditions. La mer Noire n’est pas un couloir de navigation, même si la Convention de Montreux fait une faveur aux flottes commerciales, ce qui ne fait d’ailleurs que souligner le régime des bâtiments militaires, qui sont justement ceux que les États-Unis, peu géographiquement enclins au commerce bulgaro-roumain, entendent déployer en permanence… Et si les pays riverains leur accordaient une exception à la Convention, la prochaine étape états-unienne serait à n’en pas douter la mer d’Azov, internationale puisqu’elle est bordée par la Russie et la Malorussie ex-ukrainienne (et maintenant aussi la Novorussie).
En fait, les États-Unis mettent surtout en difficulté leurs alliés. D’une part la Turquie qui est tenue, de par la Convention, de contrôler les détroits (sans cela on ne les lui aurait pas laissés), et d’autre part la France qui est tenue, de par la même Convention, d’avertir les pays riverains au cas où une puissance non riveraine enfreindrait le texte, c’est-à-dire soit laisserait un bateau de guerre plus de 21 jours, soit introduirait (ce que la Turquie est censée empêcher) un tonnage total supérieur à 30 000 tonnes. [Pour info, un porte-avion US de la classe Nimitz déplace 100 000 tonnes, NdlR]
Puisque les États-Unis, qui ont déjà enfreint cette règlementation l’année dernière, annoncent maintenant leur intention d’une installation permanente, alors même qu’ils savent leur flotte vulnérable et qu’ils mettent par cette annonce leurs alliés en position difficile, cela ne peut être qu’une provocation, comme toutes celles qu’on voit depuis un an et demi en Europe, comme par exemple la multiplication des missions aériennes susceptibles d’entraîner des incidents.
Si l’ignorance systématique de la Convention de Montreux par les États-Unis devait effectivement devenir permanente, et si les partenaires de la Russie refusaient de jouer leur rôle dans l’application de la Convention, il serait difficile de ne pas y voir une franche provocation et, dans l’état actuel de guerre déclarée, une invitation à ce que la Russie adopte la solution Juste Cause appliquée par les États-Unis au canal de Panama en 1989.
Delenda Carthago.