L’Ukraine était censée empêcher la Russie d’approfondir ses liens énergétiques avec l’Allemagne ; cela n’a pas fonctionné
Par Pepe Escobar − Le 8 juin 2020 − Source Asia Times
Il était une fois au Pipelinistan, les histoires de malheurs étaient la norme. Des rêves brisés jonchaient l’échiquier – de l’IPI [projet de gazoduc Iran-Pakistan-Inde], contre le TAPI [projet de gazoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde] dans le royaume de l’AfPak [théâtre d’opérations Afghanistan-Pakistan] à l’opéra Nabucco en Europe.
En revanche, chaque fois que la Chine est entrée en scène, c’est la réussite qui a prévalu. Pékin a financé un gazoduc du Turkménistan au Xinjiang, achevé en 2009, et profitera de deux accords spectaculaires avec la Russie autour de Power of Siberia.
Et puis il y a l’Ukraine. Maïdan était un projet de l’Administration Barack Obama, avec une distribution de qualité dirigée par POTUS, Hillary Clinton, Joe Biden, John McCain et, last but not least, la distributrice de biscuits de Kiev Victoria « J’encule l’Union Européenne » Nuland.
L’Ukraine était également censée empêcher la Russie d’approfondir ses liens énergétiques avec l’Allemagne, ainsi qu’avec d’autres nations européennes.
Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Nord Stream était déjà opérationnel. South Stream était le projet de Gazprom vers l’Europe du Sud-Est. La pression incessante de l’Administration Obama l’a fait dérailler. Pourtant, cela n’a fait que de susciter une résurrection : le TurkStream, déjà achevé, avec un début d’écoulement du gaz en janvier 2020.
Le champ de bataille est alors passé à Nord Stream 2. Cette fois, la pression implacable de l’Administration de Donald Trump ne l’a pas fait dérailler. Au contraire : il sera achevé d’ici la fin de l’année 2020.
Richard Grennel, l’ambassadeur américain en Allemagne, qualifié de « superstar » par le président Trump, était furieux. Fidèle au scénario, il a menacé les partenaires de Nordstream 2 – ENGIE, OMV, Royal Dutch Shell, Uniper et Wintershall – de « nouvelles sanctions ».
Pire, il a souligné que l’Allemagne « doit cesser de nourrir la bête [russe] en plus de ne pas payer suffisamment sa participation à l’OTAN ».
« Nourrir la bête » n’est pas exactement un code subtil pour faire du business énergétique avec la Russie.
Peter Altmaier, Ministre allemand des Affaires Économiques et de l’Énergie, n’a pas été impressionné. Berlin ne reconnaît aucune légalité aux sanctions extra-territoriales.
De plus, Grennel n’est pas vraiment populaire à Berlin. Les diplomates ont sabré le champagne quand ils ont su qu’il allait rentrer chez lui pour devenir le Chef du Renseignement National américain.
Les sanctions de l’Administration de Trump ont retardé Nord Stream 2 d’environ un an, au mieux. Ce qui importe vraiment, c’est que dans cet intervalle, Kiev a dû signer un accord de transit de gaz avec Gazprom. Ce dont personne ne parle, c’est que d’ici 2025, aucun gaz russe ne transitera par l’Ukraine vers l’Europe.
L’opération Maïdan était donc en fait inutile.
C’est une plaisanterie courante à Bruxelles que l’UE n’a jamais eu et n’aura jamais une politique énergétique unifiée vis-à-vis de la Russie. L’UE a élaboré une directive sur le gaz pour obliger à séparer la propriété du gazoduc Nord Stream 2 du gaz qui circule dans le gazoduc. Les tribunaux allemands ont appliqué leur propre « nein ».
Nord Stream 2 est une question fondamentale de sécurité énergétique nationale pour l’Allemagne. Et cela suffit pour l’emporter sur tout ce que Bruxelles peut concocter.
Et n’oubliez pas la Sibérie
La morale de cette fable est que maintenant deux nœuds clés du Pipelinistan – Turk Stream et Nord Stream 2 – sont établis comme des cordons ombilicaux en acier reliant la Russie à deux alliés de l’OTAN.
Fidèle au principe du « gagnant-gagnant », il est temps que la Chine cherche à consolider ses relations avec l’Europe.
La semaine dernière, la Chancelière allemande Angela Merkel et le Premier Ministre chinois Li Keqiang ont tenu une vidéoconférence pour discuter de la Covid-19 et de la politique économique Chine-UE.
C’était un jour après que Merkel et le Président Xi se soient parlé, lorsqu’ils ont convenu que le sommet Chine-UE de Leipzig du 14 septembre devrait être reporté.
Ce sommet devrait être le point culminant de la présidence allemande de l’UE, qui débute le 1er juillet. C’est à cette date que l’Allemagne pourrait présenter une politique unifiée à l’égard de la Chine, réunissant en théorie les 27 membres de l’UE et pas seulement les 17+1 d’Europe centrale et des Balkans – dont 11 membres de l’UE – qui ont déjà une relation privilégiée avec Pékin et qui sont à bord de l’initiative « Belt and Road ».
Contrairement à l’Administration Trump, Merkel privilégie un partenariat commercial clair et complet avec la Chine, bien au-delà d’un simple sommet de relations publiques. Berlin est bien plus subtil sur le plan géo-économique que la vague approche « engagement et exigence » de Paris.
Merkel comme Xi sont pleinement conscients de la fragmentation imminente de l’économie mondiale après le confinement consécutif à la pandémie. Pourtant, si Pékin est prêt à abandonner la stratégie de commerce mondiale dont il a largement profité au cours des deux dernières décennies, l’accent est également mis sur l’élaboration détaillée de relations commerciales très étroites avec l’Europe.
Ray McGovern a décrit de manière précise l’état actuel des relations entre les États-Unis et la Russie. Le cœur de l’affaire, du point de vue de Moscou, a été résumé par le Vice-Ministre des Affaires Étrangères Sergei Ryabkov, un diplomate extrêmement compétent :
« Nous ne pensons pas que les États-Unis, dans leur forme actuelle, soient une contrepartie fiable, donc nous n’avons aucune confiance, aucune confiance du tout. Nos propres calculs et conclusions sont donc moins liés à ce que fait l’Amérique… Nous chérissons nos relations étroites et amicales avec la Chine. Nous les considérons comme un partenariat stratégique global dans différents domaines et nous avons l’intention de les développer davantage ».
Tout est dit. Le « partenariat stratégique global » entre la Russie et la Chine progresse régulièrement. Y compris l’oléoduc « Power of Sibéria ». Plus le « Pipelinistan » reliant deux alliés clés de l’OTAN. Vous avez dit sanctions ? Quelles sanctions?
Traduit par Michel, relu par Hervé pour Le Saker Francophone
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