«Dans le cas de la Syrie, notre opposition au gouvernement Assad est tellement obstinée que nous serions apparemment prêts à défaire un gouvernement qui n’est pas notre ennemi afin de le remplacer par un autre qui l’est.»
Par Paul Larudee – Le 26 mai 2015 – Source veteransnewsnow
Il y a un mois, la ville d’Idlib tombait aux mains des combattants de l’opposition, principalement al-Qaïda, ses affiliés et ses alliés. Ce fut un sale coup pour l’armée syrienne. Samedi dernier, la ville voisine de Jisr al-Shughour fut également conquise, majoritairement par les mêmes groupes de combattants.
Pour lutter contre le gouvernement syrien et son armée nous retrouvons un mélange de mercenaires syriens et étrangers provenant de dizaines de pays différents. Ils sont fournis, formés, armés et payés par l’Arabie saoudite, les monarchies du Golfe, Israël, la Turquie, l’Otan, et bien sûr les États-Unis. Leurs armes sont de plus en plus sophistiquée, et il semble que les missiles filoguidés TOW fournis par l’Arabie saoudite (et indirectement par les États-Unis) aient fait une grande différence dans les batailles pour Idlib et de Jisr al-Shughour.
Le gouvernement syrien est soutenu principalement par la Russie et l’Iran, plus quelques milliers de combattants du Hezbollah au Liban. Il est également soutenu par une majorité importante de la population syrienne comme le montrent des estimations des services de renseignement étrangers ainsi qu’une élection multipartite en 2014, avec une participation étonnante, même de la part des Syriens expatriés.
L’Otan, les États-Unis et l’opposition syrienne laïque relativement marginalisée, disent qu’ils veulent remplacer le gouvernement syrien actuel par un autre qui soit laïque, démocratique, respectueux des droits de l’homme, et qui représente tout le peuple Syrien.
Vraiment ? Les États-Unis ont sapé et renversé des gouvernements démocratiques en Iran (1953), au Guatemala (1954), au Brésil (1964), au Congo (1965), au Chili (1973), en Turquie (1980), au Nicaragua (1981-1990), en Haïti (2004) et dans les territoires palestiniens occupés (2007), et ils essaient de faire la même chose au Venezuela. Pourquoi? Parce que le choix démocratique du peuple n’a pas abouti à un gouvernement conforme, inféodé à l’Ouest et aux sociétés multinationales. Car c’est là le véritable programme des États-Unis et de l’Otan.
Il est également difficile d’imaginer que l’Arabie saoudite, les monarchies du Golfe, Israël et la Turquie se soucient de la démocratie et des droits humains. Ils sont davantage intéressés à faire progresser leurs objectifs régionaux et la suppression des rivaux potentiels, principalement et de manière obsessionnelle l’allié de la Syrie, l’Iran. Les États-Unis et Israël ont provoqué la destruction et le changement de régime dans au moins sept pays du Moyen-Orient depuis deux décennies, voire plus. La politique d’Israël depuis sa création a été de garder ses voisins faibles, divisés et dans un état de guerre permanent.
Sois prudent et attentif à ce que tu souhaites
Un changement de régime entraine toutes sortes de conséquences imprévues. De la fin des années 1970 jusqu’au début des années 1990, les combattants de la résistance islamique, y compris Oussama Ben Laden, soutenus par les Américains ont lutté contre un gouvernement laïc en Afghanistan pour finalement le voir remplacé par le régime répressif des talibans. Ce soutien a contribué à créer al-Qaïda, qui se répand au Yémen, en Afrique de l’Est et d’autres endroits. S’en sont suivies des attaques majeures contre des installations américaines au Yémen, au Kenya et deux fois contre le World Trade Center à New York. Ensuite les États-Unis ont envahi l’Afghanistan en 2002. C’est devenu un bourbier et potentiellement la plus longue guerre de l’histoire américaine, au prix de mille milliards de dollars, d’une infrastructure et d’une économie nationale en ruine, et des milliers des vies américaines en sus. Cette guerre n’est pas encore terminée et les avantages supposés pour États-Unis sont difficiles à établir. En fait, suite à cela, les États-Unis sont probablement encore moins en sécurité qu’avant et nous n’avons parlé que de l’Afghanistan.
Si l’on ajoute les interventions américaines en Irak, en Libye, au Yémen et en Syrie les coûts montent à plusieurs milliers de milliards de dollars et plusieurs milliers de vies américaines, un détail à côté de plus d’un million de morts parmi les populations locales. Lors de toutes ces interventions, nous avons laissé derrière nous des États paralysés et en déliquescence, avec al-Qaïda et ses successeurs (Daesh, alias ISIS, alias le mouvement takfiri) pour combler le vide.
Dans le cas de la Syrie, notre opposition au gouvernement Assad est si obstinée que nous sommes apparemment prêts à défaire un gouvernement qui n’est pas notre ennemi afin de le remplacer par un autre qui l’est.
Les mercenaires payés issus de l’opposition modérée sont tous alliés à al-Qaïda et combattent sous sa direction. Al-Qaïda et Daesh contrôlent la plupart des territoires détenus par l’opposition syrienne et assument la plupart des combats. Nos alliés, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, avec le soutien plus discret des monarchies du Golfe et d’Israël, fournissent à peu près toutes les armes et l’argent. Ils organisent le recrutement des mouvements les plus fanatiques sous une bannière islamique, qui promet de semer la mort, la misère, l’intolérance et l’oppression dans les territoires qu’ils contrôlent. A leur charge également d’assurer le nettoyage ethnique des populations qu’ils considèrent comme hérétiques, musulmanes et non musulmanes, indifféremment. Pourquoi voudrions-nous qu’ils prennent le contrôle de la Syrie ?
Malheureusement, la décision US n’a rien à voir, semble-t-il, avec le bon sens.
L’Arabie saoudite et Israël estiment qu’al-Qaïda et Daesh sont de meilleures options qu’un gouvernement allié avec l’Iran. Ils ne voient aucune objection à la conquête de la Syrie par des terroristes.
Ils ont chacun des amis puissants aux États-Unis, y compris les faucons guerriers au Congrès comme les sénateurs John McCain, Lindsay Graham et Ted Cruz, ainsi que la candidate à la présidentielle Hillary Clinton.
Ils ont le soutien du vaste complexe militaro-industriel, le plus grand de la planète, des néo-conservateurs au sein de la presse, parmi les conseillers, les responsables gouvernementaux et les membres du Congrès, ainsi que du lobby israélien.
Ces groupes paralysent la politique américaine et placent les intérêts d’une infime fraction d’entreprises américaines et de particuliers fortunés – sans parler de gouvernements étrangers comme l’Arabie saoudite et Israël – au-dessus des intérêts du reste du pays. Soit ils n’ont pas appris des nombreuses erreurs passées ou alors çà leur convient, ils en tirent des fortunes et veulent continuer.
Seuls les efforts de gens doués d’une conscience, avec l’appui d’intérêts économiques qui ne se bâtissent pas sur la destruction, la mort et le chaos, sont susceptibles de mettre un terme à cette corruption rampante.
Les Présidents George Washington et Dwight Eisenhower nous ont tous les deux mis en garde face aux conséquences lorsqu’on permet à des puissances étrangères et à des intérêts particuliers de devenir trop puissants. Il n’est pas garanti que cette nation arrivera à rassembler de quoi inverser la relation de dépendance entre la montée des groupes terroristes comme al-Qaida et Daesh et les intérêts américains qui tirent profit de l’assassinat de masse qui est leur objectif.
Paul Larudee co-fondateur de Syria Solidarity Mouvement (Mouvement Solidarité Syrie)
En savoir plus : Ils sont le monde, pas nous, les autres.
Traduit par Evanis, relu par jj pour la Saker Francophone.
Article original publié par CounterPunch