Par Alexandre Mercouris – Le 27 avril 2015 – Source Russia Insider
Le Financial Times a révélé la première tentative par l’Allemagne de faire pression sur Kiev pour mettre en place l’accord de paix de Minsk 2.0 pour l’Est de l’Ukraine.
Cela pourrait être immense si c’est un signe des choses à venir, mais la pression est loin d’avoir été suffisante jusqu’ici et son faible effet est une garantie d’échec.
Ceux qui suivent mes articles pour Russia Insider à propos du conflit ukrainien sauront que mon refrain constant a été que la nature de l’actuel gouvernement ukrainien rend impossible une paix négociée (voir par exemple L’Ukraine va à la guerre – et ce sera toujours ainsi tant que Maidan a le pouvoir, Russia Insider, le 20 janvier 2015).
J’ai également toujours dit que la seule façon d’en sortir est que les puissances européennes, l’Allemagne en particulier, exercent une pression écrasante sur le gouvernement ukrainien pour régler le conflit. Pour en revenir à mon article du 20 janvier 2015, je disais :
Ce que cela signifie est qu'il ne peut y avoir de paix en Ukraine tant que le gouvernement actuel survit là-bas et alors que l'Ukraine conserve ses frontières existantes, sauf si une pression écrasante est exercée sur le gouvernement, par ses soutiens occidentaux, pour qu'il fasse des compromis qu'il ne fera jamais s'il est laissé à lui-même.
L’absence à ce jour de pression écrasante sur le gouvernement de Kiev par ses soutiens occidentaux explique pourquoi la guerre a continué et pourquoi sa reprise est inévitable.
L’article du Financial Times cité ci-dessous suggère que pour la première fois une lueur de compréhension a commencé à vaciller en Europe et que cette situation pourrait être en train de changer.
Il semble que pour la première fois depuis le début du conflit certains États occidentaux, y compris le plus important, l’Allemagne, soient au moins prêts à exercer une certaine pression sur Kiev.
La pression dont l’article parle est, cependant, loin d’être suffisante et elle est assurée d’aller à l’échec.
Il semble que les Allemands ont prévenu les Ukrainiens que faute de remplir la partie politique clé du protocole de Minsk (quelque chose que les Ukrainiens n’ont pas l’intention de faire, ce que montre leur incapacité à le mettre en œuvre jusqu’à maintenant ), «ils donneront à la Russie des excuses pour une agression renouvelée», ce qui entraînera de nouveau la guerre.
Ces avertissements auront du mal à impressionner ou décourager Kiev si la guerre est précisément ce que Kiev veut.
Comme je l’ai écrit dans mon article du 20 janvier 2015 et comme j’en ai également discuté dans de nombreux autres endroits, étant donnée la nature hautement factieuse du régime de Kiev, la guerre est la seule chose qui lui donne une cohérence et le tient rassemblé. Pour cette seule raison, les Ukrainiens vont toujours choisir la guerre plutôt que la négociation s’ils sont laissés à eux-mêmes. De toute façon, ils résisteront à des négociations et à tout discours de compromis, car cela signifierait renoncer à l’objectif qu’ils se sont fixé quand ils ont lancé la révolution Maidan, d’une Ukraine unitaire, monolingue, monoculturelle et mono-ethnique, éloignée autant que possible de la Russie. C’est le facteur qui les pousse vers la guerre.
Ce qui rend le gouvernement ukrainien encore moins susceptible d’être affecté par cette pression est que, dans le même temps que les Allemands demandent à Kiev de faire des compromis, les États-Unis et le Canada envoient des missions militaires de formation à l’Ukraine.
Dans mon analyse détaillée des pourparlers qui ont eu lieu en février à Minsk (Merkel in Moscow and Minsk -– Der Spiegel Says Putin Has Won, Russia Insider, le 18 février 2015) j’ai expliqué pourquoi l’envoi des missions de formation ou d’armes à l’Ukraine est une très mauvaise idée car «cela ne parviendra pas à changer la situation sur le terrain en faveur de Kiev, tout en engageant les États-Unis d’une manière qui transformerait le conflit ukrainien en une guerre par procuration américano-russe.»
Voilà précisément ce qu’il se passe. Bien que, comme cette analyse par Le Saker le dit correctement, la présence des États-Unis et des missions de formation canadiennes en Ukraine ne changeront pas l’équilibre militaire sur le terrain; les durs de Kiev sont tenus de les voir comme un signe de l’appui militaire américain d’une manière telle que cela ne peut que favoriser une reprise de la guerre.
Si les Allemands et les Européens veulent vraiment voir Minsk 2.0 réussir, alors ils doivent mettre beaucoup plus de pressions sur Kiev que celles qui sont suggérées dans l’article paru dans le Financial Times. Comme je l’ai dit récemment (Minsk Peace Deal for Ukraine is Falling Apart, Russia Insider, 19 mars 2015), ce que la situation exige est que la chancelière allemande Angela Merkel aille à Kiev pour «taper du poing sur la table et dire à Porochenko et à Iatseniouk, en public et en face d’eux, qu’ils n’obtiendront aucune aide supplémentaire de l’Europe à moins qu’ils ne retirent les amendements qu’ils viennent d’apporter à la loi sur le statut spécial de l’Est ukrainien, et entrent immédiatement en négociations constitutionnelles avec les dirigeants de l’Est, ce que Porochenko avait promis qu’il ferait à Minsk».
Les formules polies et convenues, faites en coulisse, selon lesquelles cette affaire retient l’intérêt des Européens, et qui sont ensuite divulguées par le Financial Times, n’iront en revanche nulle part, et n’aboutiront à rien.
L’article du Financial Times renforce toutefois l’impression que l’Europe est fatiguée du conflit en Ukraine et qu’elle commence lentement à avoir marre des ambitions maximalistes et de l’intransigeance des dirigeants du Maidan et de leurs partisans néo-conservateurs américains.
Même si Angela Merkel (qui a la décision finale) n’est toujours pas prête à risquer une querelle majeure avec les durs à Washington, l’article du Financial Times renforce le sentiment que le pic de la dimension internationale de cette crise est passé et que nous verrons émerger d’Allemagne un exercice sérieux de reconstruction d’un pont avec Moscou avant longtemps.
À ce moment, avec son parrain US éloigné, Kiev ira effectivement à la dérive et devra se débrouiller seul.
Du Financial Times: Allemagne et ses partenaires européens clés pressent l'Ukraine pour accélérer la mise en œuvre de l'accord de Minsk de peur de donner des excuses à la Russie pour une agression renouvelée. Les avertissements de Berlin, Paris et Londres viennent alors que les fonctionnaires de l'UE, dirigés par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, sont attendus à Kiev pour leur premier sommet UE-Ukraine depuis l'éclatement de la crise en Ukraine il y a un an. Ce sommet coïncide avec un regain de tensions entre la Russie et les États-Unis sur l'Ukraine, avec les allégations de Washington et Moscou sur l'augmentation de l'engagement militaire dans les zones de conflit. Les derniers commentaires européens soulignent que l'UE veut apaiser les tensions avec le président russe Vladimir Poutine, même au prix d'irriter Kiev. Les diplomates européens reconnaissent volontiers que les séparatistes violent le cessez-le-feu beaucoup plus souvent que Kiev. Mais ils exhortent le président Petro Porochenko à s'en tenir à l'accord et à mettre en œuvre ses clauses politiques. Le mot parmi les diplomates allemands est que Kiev doit être plus coopératif. Stefan Meister, du DGAP, think-tank de politique étrangère à Berlin, a déclaré : les responsables allemands parlent aux deux parties, mais surtout aux Ukrainiens, car s'ils ne font pas ce qui est nécessaire, les Russes auront toujours la possibilité de relancer le conflit. En France, le président François Hollande a dit lors d'une visite de M. Porochenko la semaine dernière: La seule ligne de conduite est la mise en œuvre complète de l'accord de Minsk. Au Royaume-Uni, qui a suivi les États-Unis en prenant une ligne plus dure contre Moscou, un officiel a déclaré que l'Ukraine doit remplir sa part du contrat Minsk et ne pas donner à la Russie de l'espace pour la critiquer. Le dernier accord de Minsk, convenu en février sous la pression de l'Allemagne et de la France, a réduit les combats et entraîné le retrait de certaines armes lourdes des lignes de front, mais les soldats et les civils meurent encore presque quotidiennement. Mais Berlin s'inquiète de voir Kiev traîner les pieds sur les autres parties du fragile accord, notamment en essayant de reporter la décentralisation politique après des élections locales sur le territoire séparatiste reconquis. Pour l'Ukraine, c'est essentiel, car elle ne veut pas céder le pouvoir aux dirigeants séparatistes dans les régions du Donbass, qui ne sont pas reconnus par la communauté internationale. Les diplomates européens affirment, toutefois, que si des élections locales sont en effet prévues dans le cadre de Minsk, l'accord ne dit pas qu'elles doivent prendre place avant la décentralisation. Dmytro Kuleba, un officiel ukrainien de haut rang au ministère des Affaires étrangères, a rejeté les accusations de manœuvres dilatoires comme une hypocrisie parfaite, disant que la Russie encourage cette interprétation, tout en continuant son agression. Kiev a cependant cédé à une autre préoccupation de l'UE. La semaine dernière, les législateurs ont adouci la législation récente interdisant les symboles nazis et soviétiques. La loi prévue avait soulevé des craintes en Russie d'une campagne pour supprimer et renommer des rues et monuments datant de l'ère soviétique. Ces décisions sont désormais dévolues aux autorités régionales. Mais la Russie maintient la pression. Le ministère des Affaires étrangères a accusé vendredi Kiev de n'avoir aucune volonté politique pour mettre en œuvre l'accord de Minsk. Entre-temps, Berlin presse également les fonctionnaires de l'UE d'être plus conciliants avec Moscou. Le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a écrit ce mois-ci à M. Juncker exhortant l'UE à prendre en compte les préoccupations russes sur un accord de libre-échange en profondeur avec l'Ukraine. L'accord de libre-échange envisagé avait contribué à déclencher la crise initiale en alimentant les craintes des Russes de perdre leur influence à Kiev. La mise en œuvre a été reportée l'an dernier au vu de la résistance russe, avec l'espoir de discuter de la question lors des pourparlers trilatéraux entre Moscou, Kiev et Bruxelles. Mais Kiev répugne à impliquer la Russie dans ce qu'elle considère comme un accord bilatéral – et Moscou a mis en garde l'Ukraine contre sa mise en œuvre unilatérale. M. Steinmeier a exhorté un début de discussions à trois, demandant à M. Juncker d'utiliser la flexibilité considérable que l'accord permet.
Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone