Par Moon of Alabama – Le 20 septembre 2017
Arte a diffusé les premiers épisodes de Vietnam de Ken Burns et Lynn Novick. La série passe aussi sur PBS.
Les trois premiers des dix épisodes du « documentaire » sont un blanchiment des motivations des politiciens qui ont vendu la guerre au public. Loin d’explorer et d’analyser les machinations de « l’État profond » militaire et de la CIA, cachées derrière elles, le film les couvre.
Dans le premier épisode, on entend quelqu’un dire qu’il s’est agi d’une « guerre civile », Vietnamiens contre Vietnamiens. C’est un non-sens qui bafoue la réalité historique.
Après la défaite des colonisateurs français (financés par les États-Unis) en 1954, le chef du Viêt-minh Ho Chi Minh était le héros incontesté de tout le Vietnam. Il aurait gagné toutes les élections avec une énorme avance. Mais les Russes (et les Chinois) qui soutenaient la guerre de libération contre les Français n’ont pas voulu aller jusqu’au bout et ils ont insisté pour qu’il y ait des négociations à Genève. Ils ont permis la partition du pays. Il aurait été intéressant qu’on nous explique pourquoi.
Le « documentaire » fait comme si le souverain sud-vietnamien Ngo Dinh Diem était tombé du ciel alors qu’il a été installé par la CIA. C’est elle qui l’a mis là. Elle a aidé à manipuler des « élections » qui lui ont permis d’obtenir 98,2% des suffrages, ce qui est grotesque. Elle l’a financé. L’archi-impérialiste Leslie Gelb qui faisait partie de l’état profond et qui a créé et dirigé la guerre, a commenté l’épisode en disant : « Nous avons fait ce que Diem nous disait de faire ». C’est ridicule. Diem était un dictateur impitoyable, mais il n’aurait pas tenu une journée sans le soutien et la protection des États-Unis.
Le deuxième épisode est un hommage immérité à Kennedy et à son « brillant » personnel. McNamara est particulièrement glorifié. Pourtant, avec sa mentalité de gratte-papier, il était incapable de juger des motivations et des comportements humains. Cela a eu des conséquences catastrophiques. La guerre est dépeinte comme un combat pour la « liberté » contre le « communisme ». C’étaient les arguments de vente de Kennedy, mais ils avaient peu à voir avec la réalité. Kennedy, comme Johnson après lui, était principalement motivé par des problèmes de politique intérieure. Il avait des objectifs nationaux. Ses décisions pour le Vietnam étaient sa manière de répondre à ceux qui l’accusaient d’être « faible ».
Le troisième épisode blanchit le mensonge du golfe du Tonkin. Il jette un voile sur ce qui s’est réellement passé, mais ensuite il parle des « mesures de rétorsion » des États-Unis. « L’attaque non provoquée » des forces vietnamiennes sur les navires américains était une mise en scène. La « Résolution du Tonkin » du Congrès, qui a intensifié la guerre, avait été préparée par le personnel de Johnson deux mois avant que « l’incident » ne se produise. Le show du « Tonkin » a été monté pour faire passer la Résolution. Une des principales raisons de l’escalade était de faire réélire Johnson. Comme Kennedy, il savait qu’on se battait contre un mouvement de libération nationale qu’il était impossible de vaincre. Mais sa « réponse » à « l’incident » l’a fait paraître plus fort. Il a remporté l’élection haut la main.
En fin de compte la série m’a déçu. Elle est bien faite du point de vue cinématographique, mais elle manque de profondeur historique. Elle ne s’intéresse absolument pas aux raisons profondes des décisions politiques du gouvernement américain. Bien au contraire, elle nous ressasse les vieux slogans de marketing utilisés pour vendre ces décisions. Les machinations de l’armée et de la CIA, et le commerce des drogues au Vietnam hérité des Français, sont ignorés. Les motivations et les stratégies du Viêt-Minh ne sont pas assez abordées, et la vie des civils au Vietnam pendant la guerre non plus.
De plus, il n’y a aucune analyse des motivations et des façons de voir des pays qui soutenaient le Viêt-Minh. Les archives soviétiques et chinoises sont ouvertes au public. Mais on ne dit rien dans le film sur ce qu’ils voulaient faire ni sur la grande quantité de moyens qu’ils ont mis dans la guerre. Un véritable documentaire sur cette guerre devrait inclure leurs points de vue. Les slogans « anti-communistes » et la « théorie des dominos » 1 étaient utilisés, à l’époque, pour vendre la guerre au public américain, et le sont toujours. Les discussions qui avaient lieu à Moscou et à Pékin contredisaient-elles ces slogans ?
Je ne suis pas le seul à critiquer la série :
Jeff Stein de Newsweek : La guerre du Vietnam : le nouveau documentaire de Ken Burns ignore les causes de l’inutile et désastreux conflit
« Burns s’efforce de donner un poids égal à chacune des visions contradictoires du conflit, mais il s’enlise rapidement dans une grande boue historique et s’égare dans le méandre des théories opposées qui cachent les véritables causes des guerres … »
Thomas A Bass de Mekong Review : L’amnésie américaine
« Dans l’épisode 2, « Insurrection » (1961-1963), nous entrons plus profondément dans l’univers de Burns. La guerre a été présentée comme une guerre civile, les États-Unis défendant un gouvernement démocratique librement élu dans le sud contre les communistes du nord qui l’envahissent. Les soldats américains se battent contre un ennemi sans dieu que Burns dépeint comme une marée rouge qui s’étend sur les cartes de l’Asie du Sud-Est et du reste du monde.Les documents historiques de l’épisode 1, « Déjà Vu » 2 (1858-1961), qui contestent cette vision de la guerre, sont soit ignorés soit mal interprétés. (…) »
David Thomson de la London Review of Books : Simplement un Empire
« Si le film semble être une épopée, une fiction héroïque, c’est parce qu’il ne recherche pas la vérité historique mais s’intéresse plutôt au sens de la vie et de la mort.(…)Burns et Novick précisent que, malgré l’opposition passionnée qui s’est élevée contre la guerre, et pas seulement de la part des jeunes, la majorité des Américains disent qu’ils y croyaient. Ils ont soutenu la Garde nationale de l’Ohio quand elle a tiré sur des étudiants à Kent State. Leur approbation paresseuse est brillamment décrite par l’expression de Nixon ‘la majorité silencieuse’. (…) Il ne fait guère de doute que les révolutions culturelles des années 1960 – les ‘ruisselets’ 3 de Merrill McPeak – ont été une libération pour une minorité de personnes, et qu’elles ont créé un schisme en Amérique qui s’est manifesté de manière toujours aussi évidente dans les élections de 2016. »
Notes
- Pensée par le Secrétaire d’État américain Dean Acheson dès 1947, reprise par D. Eisenhower en 1954, la théorie des dominos s’avère être un corollaire de la doctrine du containment énoncée par le Président Truman en 1947. Dans l’esprit américain, il s’agit d’éviter la propagation du communisme (principalement en Asie) via le soutien à des régimes non-communistes. ↩
- En français dans le texte ↩
- Le général à la retraite Merrill McPeak : « La fin des années 1960, a vu se réunir plusieurs ruisselets – le mouvement anti-guerre lui-même, tous les mouvements pour l’égalité raciale, l’environnement, le rôle des femmes. Et le symbole de cette contre-culture était la plus extraordinaire musique de rock and roll imaginable. Je ne pense pas que nous existerions aujourd’hui en tant que nation sans ces expériences passées (…) Cela, pour moi, représentait ce que j’essaie de défendre ». ↩