L’Ukraine, un État béni qui a misérablement échoué [2/2]

Par Rostislav Ichtchenko – le 22 mai 2015 – Source vineyardsaker.de

Première partie

La marionnette qui négocie avec le marionnettiste

A cette époque, en Ukraine, le bloc oligarchique-nationaliste croyait que la Russie devait être exploitée comme la source de tous les avantages économiques possibles, mais que la politique devait être alignée sur l’Occident. En 2010, l’équipe de la Révolution orange de Maidan s’était totalement discréditée et n’avait plus aucun soutien public sérieux. Plus encore, l’équipe avait démontré son impuissance à déclencher un conflit aigu avec la Russie (comme en Géorgie), qui aurait immobilisé ses ressources du côté de l’Ukraine et l’aurait donc empêchée de s’immiscer dans les questions mondiales.

Pour cette raison, les États-Unis ne se sont pas opposés au choix de Ianoukovitch comme président en 2010. Washington savait que M. Ianoukovitch allait essayer de revenir à une politique dans le style de Koutchma, qui s’orientait dans de nombreuses directions et prévoyait de financer son intégration dans l’UE par l’utilisation des ressources russes. Au début des années 2000, une telle politique n’était plus acceptable pour les États-Unis, ce qui a déclenché le putsch de 2004. En ce temps-là, Washington n’avait plus besoin d’allié (aussi fidèle et dépendant soit-il), mais d’exécutants de décisions déjà prises. Mais en 2010, la situation avait changé : l’affaiblissement général de leur position géopolitique ainsi que les problèmes croissants de l’économie américaine ont contraint les États-Unis à soutenir l’approche ukrainienne sous plusieurs aspects. Les États-Unis n’avaient plus d’argent pour soutenir leurs alliés. Maintenant, on attendait des vassaux muets qu’ils financent la politique américaine de leurs propres deniers.

En 2010, Ianoukovitch était le seul candidat à la présidence acceptable pour les États-Unis. L’équipe de Iouchtchenko (qui incluait les actuels héros Iatseniouk et Porochenko) était totalement discréditée et il faudrait du temps pour améliorer son image. Timochenko avait acquis la réputation d’être imprévisible et d’avoir tendance à tricher constamment avec ses partenaires. La seule saleté que les États-Unis pourraient lui balancer (en collaboration avec Lazarenko) avait déjà été utilisée dans les médias ukrainiens, avec peu d’effet.

Ianoukovitch, cependant, n’était pas seulement sous le contrôle des agents américains (le groupe Lewotschkin-Firtash) mais voulait sérieusement intégrer l’Ukraine dans l’UE par la signature d’un Accord d’association. De façon manifeste, Viktor Feodoriwitch Ianoukovitch avait décidé de prouver à tous ceux qui l’avaient déposé en 2004 qu’il était le seul qui pouvait unifier l’Ukraine en réconciliant l’Orient et l’Occident. En fait, cela signifiait le reniement de ses promesses électorales et le début de la politique pro-occidentale.

Il était prévu que Ianoukovitch signe l’Accord d’association, ce qui détruirait l’industrie ukrainienne et le discréditerait entièrement en rejetant les conséquences négatives sur sa personne, puis lui ferait perdre l’élection contre le protégé américain en 2015. Pour assurer la réalisation de ce scénario (au cas où Ianoukovitch refuserait de s’en aller pacifiquement), un autre Maïdan avait été préparé pour 2015.

Ianoukovitch était assez naïf pour croire que s’il parvenait à offrir toute l’Ukraine à l’Occident, il pourrait être réélu en 2015. Avec cet objectif, lui et ses proches ont soutenu et financé activement des organisations nazies (et pas seulement Svoboda [Liberté, NdT], mais aussi les Patriotes ukrainiens, l’UIA [Armée insurrectionnelle ukrainienne, NdT], l’OUN [Organisation des nationalistes ukrainiens, NdT] et d’autres). La colère contre le fascisme devait permettre à M. Ianoukovitch de gagner les voix antifascistes du sud-est. Pour les nationalistes modérés et les partisans de l’Europe, l’Accord d’association signé avec l’UE devait servir d’incitation. Enfin, pour s’assurer de la loyauté de la majorité de la population, en particulier ceux qui ne se souciaient que de leur bien-être économique, il était prévu d’obtenir un prêt d’un montant de 15 à 20 milliards de dollars de l’UE sous couvert de coopération, ce qui d’après les calculs d’Azarov devait suffire pour maintenir le niveau de vie jusqu’aux élections de 2015 ou même l’améliorer.

Le plan de M. Ianoukovitch était parfaitement logique. L’UE qui pouvait mettre la main sur l’Ukraine – un gain se chiffrant en milliards – ne devait pour cela débourser que 20 milliards. Ianoukovitch et Azarov pensaient que si la Grèce pouvait recevoir 200 milliards de Bruxelles, cette dernière pourrait bien trouver 20 milliards pour l’Ukraine.

Cependant les États-Unis, et là résidait le problème, ne voulaient pas que Ianoukovitch reste au pouvoir ; il représentait les intérêts de l’industrie nationale, lesquels seraient tôt ou tard entrés en collision avec les valeurs européennes abstraites, mais non rentables. Il devait être remplacé par une équipe de prédateurs complètement apprivoisés et les entreprises nationales ukrainiennes devaient disparaître pour être remplacées par des sociétés européennes.

Maïdan en guise de Clef d’or

A l’issue d’une opération de cinq années, les États-Unis auraient établi en Ukraine, au début de 2015,  un régime russophobe complètement apprivoisé et légitimé. L’UE aurait obtenu une zone de libre-échange avec l’Ukraine qui, d’abord, lui aurait fourni un marché de 45 millions de consommateurs ukrainiens après la disparition de l’industrie ukrainienne (avec un pouvoir d’achat allant en diminuant mais pouvant être conservé encore pour un temps), mais ensuite, plus important encore, grâce à la zone de libre-échange au sein de la CEI, qui lui aurait permis d’accéder aux marchés de tous les pays de la CEI, en particulier de la Russie. Cela aurait réduit les pertes des Européens induites par l’accord de libre-échange, le TTIP, prévu entre les États-Unis et l’UE, qui était au détriment de l’UE. L’Europe espérait compenser les pertes liées à l’accord de libre-échange avec les États-Unis aux frais de la Russie et de la CEI.

De toute évidence, les États-Unis ne se préoccupaient pas de la compensation des pertes financières et économiques européennes, mais de leurs propres intérêts géopolitiques. Plus important encore, l’accord de libre-échange faisait office de cheval de Troie des États-Unis directement dans la CEI et rendait l’Union douanière inopérante en refusant tous les plans d’intégration de la Russie en Eurasie. D’un seul coup, les États-Unis auraient rétabli leur domination politique et économique sur le monde et le rival le plus dangereux de l’Amérique – la Russie – aurait dû payer pour cela.

C’était un plan assez élégant et je peux imaginer comment les politiciens de Washington sont devenus fous quand ce butor de Ianoukovitch a finalement réalisé qu’il n’obtiendrait jamais les milliards européens pour soutenir la stabilité sociale, et tout à coup, à peine trois mois avant la signature de l’accord, a reporté l’événement. Ianoukovitch a pensé qu’il pouvait agir, obtenir de l’argent et ensuite signer. Pour obtenir les grâces de l’UE, il est allé à Moscou, selon une ancienne tradition ukrainienne, où les milliards promis l’attendaient dans de bien meilleures conditions. Poutine a entrepris au dernier moment de jouer la carte ukrainienne qui lui était offerte, ce qui fait que les décisions ont été prises plus rapidement et les gros sous ont été délivrés plus aisément.

Contrairement à M. Ianoukovitch, les gens à Washington savaient très bien quelle était la fenêtre de tir. Tous les éléments en relation – de la signature de l’accord d’association en passant par le Maidan en 2015 et jusqu’à l’accord de libre-échange entre l’UE et les USA – faisaient partie d’un complexe rigide et coordonné dans le temps. Si une seule brique était retirée, toute la construction s’effondrait. Le résultat de tout cela est que Ianoukovitch a eu son Maïdan à la fin de 2013.

Qui a déclenché la guerre civile ?

Cependant, ce ne sont pas tant les États-Unis que nous devons remercier, que Levotchkine. Lui et Firtach avaient protégé leurs entreprises en prévision de l’Accord d’association, qui avait été établi sous le regard vigilant du chef de cabinet du Président de l’Ukraine – lequel était précisément Levotchkine.

Par conséquent, si l’économie du pays se dégradait, comme prévu, après la signature, la plupart des oligarques s’appauvriraient, tandis que le groupe Firtach- Levotchkine s’enrichirait. Le refus de signer l’Accord d’association aurait signifié la fin du bien-être financier et politique de ce groupe.

Levotchkine, dont les activités étaient depuis longtemps en phase avec l’ambassade des États-Unis et qui était impliqué dans les préparatifs du Maïdan, a décidé d’utiliser ce mécanisme pour faire pression sur M. Ianoukovitch et le forcer à signer l’Accord d’association. Il a lancé le Maïdan étudiant, et a ensuite œuvré, voyant que cela n’impressionnait pas Ianoukovitch, pour la provocation, afin que les étudiants soient molestés, après quoi le Maïdan a cessé d’être pacifique.

À partir de là, Ianoukovitch n’avait que deux à trois semaines pour résoudre le problème de Maïdan avant que son pouvoir ne commence à se désagréger de l’intérieur, que ses ministres et ses généraux fidèles ne commencent à négocier un changement de régime avec l’opposition, et que l’Occident n’intervienne activement. Ianoukovitch, qui surestimait la force de sa position et sous-estimait la signification de Maïdan, avait entrepris de longues négociations avec l’opposition et avait tenté, par des concessions temporaires, de faire disparaître le Maïdan. Une fois sa faiblesse devenue évidente et l’Occident entré en jeu, le régime était condamné.

Ianoukovitch, qui avait appris du Maïdan précédent, était prêt à se défendre. Il voulait maintenir le Maïdan derrière de simples barricades de police. L’idée était la suivante : s’ils ne s’en vont pas dans six mois, alors ce sera dans un an ; tôt ou tard, ils abandonneront. Puis il est devenu évident que les policiers ukrainiens, contrairement à l’armée, étaient professionnels et bien formés, et un Maïdan pacifique n‘aurait aucune chance de renverser le gouvernement. Seul un coup d’État militaire aurait cette chance.

Dès le moment où l’opposition ukrainienne et les États-Unis ont choisi la voie du coup d’État militaire et que l’UE a approuvé cette décision, le sort de l’Ukraine était scellé. Si jusque là, malgré des décennies d’une guerre civile froide entre la Russie et la Galicie ukrainienne, un règlement pacifique, basé sur une solution de compromis au conflit interne, était encore possible, l’effondrement du pays était maintenant inévitable avec l’embrasement de la guerre civile. Le problème était que les militants néo-nazis devaient jouer un rôle clé dans le coup d’État puisque l’opposition n’avait pas d’autre force organisée. Cependant, lorsque ces militants ont reçu des armes (pour être en mesure d’effectuer le coup) et que la réaction appropriée des défenseurs de la loi a été empêchée, ces militants sont devenus de fait les héros du pays.

Les services de police légitimes, trahis par les politiciens, se sont rapidement désintégrés ; les vrais professionnels sont partis, les néo-nazis sont arrivés, et les opportunistes prêts à servir n’importe quel pouvoir sont restés. Les nazis se sont retrouvés dans une position favorable, non seulement pour augmenter leur nombre et les livraisons d’armes rapidement, mais aussi afin de mettre en place un contrôle efficace sur les services de police.

Tout cela était une menace claire et immédiate pour la population russe de l’Ukraine. Elle était moins organisée, ne comptait que peu ou pas d’unités militaires, n‘avait presque pas d’armes, mais dans les conditions de la terreur nazie imminente, ces problèmes ont été résolus rapidement. Vingt-cinq millions d’antifascistes ne pouvaient pas fuir l’Ukraine. Ils ne pouvaient pas non plus accepter la victoire du deuxième Maïdan comme ils avaient accepté le premier. Le premier Maïdan avait piétiné leur choix, la Constitution et la loi, le deuxième menaçait leur vie.

Dans une confrontation militaire entre deux parties à peu près égales de l’Ukraine, l’une soutenue par les États-Unis et l’autre par la Russie, la victoire d’une partie était difficile et la guerre pouvait être sans fin. Cela aurait pu facilement se développer et Moscou se serait retrouvé piégé pour de nombreuses années dans le conflit ukrainien ; mais au moment du coup d’État, les ressources économiques internes qui soutiennent le fonctionnement de l’État ukrainien étaient presque épuisées. Pour tirer l’Ukraine de la crise, il fallait des prêts de plusieurs milliards ainsi que des projets d’investissement à long terme et des marchés adaptés aux produits ukrainiens. La Russie était prête à offrir tout cela à Ianoukovitch, mais n’avait pas l’intention d’offrir quoi que ce soit aux nazis (et ne le pouvait pas, même si elle l’avait voulu).

Il est devenu immédiatement clair que ni l’UE ni les États-Unis n’avaient l’intention de financer l’Ukraine. Le déclenchement de la guerre civile est venu à point pour Washington : pas besoin de dépenser le moindre argent, mais tant Moscou que Bruxelles auraient certainement des problèmes, et la possibilité d’une alliance dangereuse pour les États-Unis entre l’UE et l’Union eurasienne serait bloquée. L’UE elle-même a échoué tout au long de la crise à sortir de l’ombre des États-Unis et à défendre ses propres intérêts, et non les intérêts américains.

Un conflit meurtrier

Le manque de ressources, non seulement pour une guerre plus longue, mais aussi pour les fonctions ordinaires de l’État, aurait dû rendre la guerre civile ukrainienne courte mais extrêmement intense et sanglante. Initialement, le conflit avait effectivement évolué dans ce sens, jusqu’à ce que Moscou réussisse à réduire temporairement l’intensité des combats en forçant Kiev à l’accord de Minsk.

L’accord de Minsk n’a toutefois pas résolu les principaux problèmes ukrainiens et ne pouvait pas les résoudre. Par conséquent, il a été vu depuis le début comme une pause par les deux parties en conflit, pause qui devait être utilisée pour renforcer leurs propres positions et améliorer leurs capacités militaires. Kiev se trouvait là dans une situation pire que la République populaire de Donetsk et celle de Lougansk. Les deux républiques avaient la Russie comme base arrière et une partie de leur population relativement faible a fui vers la Russie, tandis que ceux qui sont restés ont pu survivre grâce à l’aide humanitaire russe. L’Ukraine de son côté a subi un désastre économique, qui a rapidement évolué vers une crise politique. L’accélération de la chute du niveau de vie de la majorité du peuple, la hausse du chômage qui frappe maintenant un tiers de la population active, le manque de perspectives, tout cela a miné la confiance dans les politiciens du Maïdan, a produit rejet et radicalisation dans la société, avec la menace d’un autre Maïdan.

Le désastre économique a divisé l’élite du Maïdan, qui d’emblée n’était pas unifiée. Les groupes politiques devront se battre pour les ressources économiques restantes, ainsi que pour trouver les personnes responsables de la défaite de la guerre et de la destruction de l’économie, ce qui rend tout accord entre eux impossible. Quand vous considérez que chaque groupe politique en Ukraine a déjà ses propres unités militaires (en particulier des bataillons de volontaires) et que la seule expérience politique réside dans la participation au coup d’État militaire contre Ianoukovitch et à la guerre civile, il est certain que ce conflit meurtrier à l’intérieur du Maïdan sera résolu par la violence des armes.

La fatalité inéluctable de l’auto-dissolution

La guerre civile en Ukraine prend plusieurs formes et son intensification n’est qu’une question de temps. L’Ukraine est programmée pour être incapable d’échapper à cet entonnoir fatal. Les nazis ne permettront pas au gouvernement de parvenir à un compromis avec la Novorussie. La Novorussie ne se soumettra pas à un gouvernement nazi. Il n’y a pas de ressources pour atténuer les problèmes sociaux. La direction ukrainienne est incompétente et ne comprend guère ce qui se passe en réalité dans les vestiges de l’économie ukrainienne, ni qui détermine la politique du pays et comment. Une tentative pour résoudre le conflit en interne causerait tant de morts en raison de l’équilibre relatif des deux parties que les voisins ne pourraient pas rester à l’écart, simplement à cause du flux des millions de réfugiés qui s’écoulerait à travers leurs frontières.

Afin d’éviter une telle évolution du conflit vers le pire scénario, il faut une force externe qui soit prête à prendre la responsabilité de désarmer les belligérants et à assurer un soutien financier et économique pour permettre à l’Ukraine de reconstruire son économie. Actuellement, il n’y a pas de volontaires pour cette entreprise de bienfaisance. Quand on considère la situation politique en Ukraine (une société scindée, pleine de haine et armée jusqu’aux dents) ainsi que les conditions économiques, le bienfaiteur courrait le risque de prendre sur ses épaules la charge de l’Ukraine.

L’incapacité de l’élite ukrainienne, sa croyance irrationnelle dans la volonté de l’Occident de résoudre les problèmes de l’Ukraine à ses propres frais, met l’État dans une situation où une dissolution rapide est le développement logique de la situation actuelle. En revanche, une conservation et une restauration de l’État ukrainien, même sur une surface réduite, semble être moins probable voire improbable. Pour que cette option puisse se réaliser, il faudrait un miracle qui change tous les facteurs en cause. Si on croit aux miracles, cela semble possible, mais du point de vue de l’analyse politique, cette probabilité est si faible qu’elle ne mérite même pas d’être examinée plus avant.

L’impossibilité de s’opposer à la guerre

Le dernier argument est peut-être le plus désagréable pour les citoyens d’Ukraine qui croient encore qu’un renouveau de leur pays est possible. Le pays pourrait être sauvé si au moins l’un des acteurs mondiaux était intéressé à une prolongation de son existence. Bien sûr, si on écoute les diplomates et hommes d’État, on pourrait croire que le monde entier n’a d’autre désir que la renaissance de l’Ukraine et la restauration de son intégrité territoriale. Mais nous savons que les diplomates utilisent leur langue pour cacher leurs pensées et la position réelle d’un État n’est jamais ouvertement exprimée (sinon il n’y aurait pas besoin de services de renseignement et de contre-espionnage). Nous ne pouvons reconnaître les véritables objectifs et les intentions d’un État qu’à ses actes.

Tout d’abord, une armée a été construite dans le Donbass d’août à décembre 2014 pour remplacer les différents groupes de la milice. Cette armée bien formée et bien équipée surpasse nettement le niveau des forces utilisées pour la défense du réduit des régions de Donetsk et de Lougansk, qui sont actuellement défendues par les forces armées de la Novorussie. Nous pourrions évidemment croire que les miliciens ont trouvé armes, unités d’artillerie lourde automotrices, lanceurs de missiles et autres belles choses dans la steppe de Donetsk. Ils n’avaient pas remarqué toutes ces choses entre avril et août, puis tout à coup – une récolte miraculeuse, comme des champignons après la pluie. On pourrait de la même façon croire que les milliers de formateurs (des sous-officiers jusqu’aux majors de quartier général) qui sont nécessaires pour créer une structure militaire efficace, sont juste venus de différents pays parce qu’ils avaient obéi à leur cœur (ce qui n’arrive pas dans ce monde). Il est même possible de croire que les armes ont été trouvées par hasard et que les instructeurs sont venus non seulement en nombre requis, mais en sus avec la spécialisation nécessaire. Les pièces de rechange, les munitions en quantité adéquate pour des combats intenses devaient encore être livrées par quelqu’un.

La limite inférieure de la taille estimée des forces armées de Novorussie est de 35 000 hommes (environ trois divisions au cours de la période de la Grande Guerre patriotique en 1941-44). Pour mener des opérations militaires régulières (et fournir à la population civile au moins le minimum vital nécessaire), il faut des centaines de tonnes de ravitaillement par jour. Par comparaison, la 6e Armée de Von Paulus à Stalingrad au début de l’encerclement, selon les calculs du commandement allemand, avait besoin de 600 tonnes de fournitures quotidiennes, juste pour maintenir l’aptitude au combat. Von Paulus pensait que le minimum était de 800 tonnes. Au moment de l’encerclement, Von Paulus commandait jusqu’à 240 000 soldats (il est probable que 30 000 Roumains n’aient pas été comptés par le commandement allemand).

Cela signifie, comme le disent aussi toujours les patriotes alarmistes, qu’en Novorussie une armée a été créée en un temps très court, qui dépasse largement les exigences de la défense des zones contrôlées. Une telle armée n’a pas pu être organisée sans l’aide de la Russie. La Russie n’a manifestement pas tendance à dépenser de l’argent et des ressources (qui ne sont pas illimitées) sans de bonnes raisons, fondées. Quand une armée est formée pour attaquer, cela signifie qu’elle va attaquer.

Deuxièmement, quand la Russie et les médias russes modérés répètent à chaque occasion à quel point Porochenko est fiable, et comment il pourrait à tout moment mettre en place une Ukraine fédérale, libérée des nazis, il semble, si on tient compte de la situation actuelle en Ukraine, où le néo-nazi et collègue au pouvoir accuse régulièrement de trahison, que Petr Alekseïevitch Porochenko est conduit à l’abattoir, pendant que la Russie fournit de bonne grâce des motifs de coup d’État à ses adversaires.

Troisièmement, si l’OSCE, l’UE et les satellites des États-Unis échouent tous à voir des soldats russes en Ukraine autres que les convois humanitaires qui traversent la frontière (ce qui a déclenché à plusieurs reprises des crises d’hystérie à Kiev), c’est parce qu’ils ne veulent rien voir. Finalement, les Américains ou les Européens voient quand ils veulent certifier quelque chose, même des choses qui ne sont pas là, comme les armes de destruction massive en Irak, un référendum au Kosovo ou une faute russe dans la catastrophe de l’avion malaisien à Donetsk. En d’autres termes, sachant que l’armée organisée en Novorussie est beaucoup plus forte que celle de l’armée ukrainienne, battue en août, et que cette armée lancera tôt ou tard une offensive, l’UE et les États-Unis font semblant d’ignorer que la Russie arme une des parties au conflit. Qui plus est, nos partenaires occidentaux, en décidant de fournir une aide militaire à l’Ukraine (y compris en armes), offrent à Moscou la possibilité de rendre légale sa participation en armant, de son côté, la Novorussie.

Quatrièmement, les États-Unis poussent Kiev à l’escalade du conflit armé en sachant pertinemment que toute offensive plus ou moins sérieuse de Kiev sera utilisée par la Novorussie pour infliger une nouvelle défaite désastreuse à l’armée ukrainienne. Washington comprend aussi que la prochaine catastrophe est susceptible d’être la dernière – même si le nombre de milices novorusses ne suffit pas à occuper l’ensemble du territoire de l’Ukraine, un putsch à Kiev et l’anarchie qui en découlerait, à part dans les zones contrôlées par la milice de Novorussie, seraient inévitables. En tout cas, il n’y aurait plus d’Ukraine (ni unie ni divisée).

En d’autres termes, tout le monde se prépare à la guerre, en pleine connaissance du résultat de cette guerre. Les manœuvres des vrais acteurs du conflit, qui se trouvent derrière les dirigeants à Kiev, à Donetsk et à Lougansk, visent à rendre les adversaires responsables de la reprise des combats, de son escalade inévitable et de sa brutalité croissante. Oui, Moscou et Bruxelles n’ont pas besoin de la guerre en Ukraine. Oui, il serait souhaitable de trouver une solution pacifique. Mais comme Washington insiste pour combattre et que Kiev n’a pas d’autre choix que de se battre, même si le début de la deuxième phase de la guerre civile ukrainienne pourrait être retardée, l’armée de Novorussie pourrait être préparée au point qu’une intervention officielle de l’armée russe pourrait être évitée, mais que la guerre ne pourrait pas être empêchée.

Londres et Paris voulaient en 1939 que l’URSS combatte l’Allemagne. Staline voulait retarder le début de la guerre au moins jusqu’en mai 1942 (à ce moment la mise à niveau de l’armée soviétique devrait être achevée). La guerre a commencé en 1941. De toute évidence, Poutine serait heureux de repousser le conflit en 2017. A ce moment, il aurait une bonne chance d’obtenir le contrôle de l’Ukraine sans escalade et sans autres pertes. Il est tout aussi évident que les États-Unis auraient préféré voir la Russie commencer le combat en avril ou mai 2014. Il semble que la Russie a réussi à éviter de participer directement au conflit, mais au prix d’une guerre civile en Ukraine en 2015 (de Lvov à Kharkov et de Kiev à Odessa).

Le retour de l’Empire

La dernière question qui peut, peut-être, nous intéresser est : que va-t-il arriver à la suite de la guerre avec l’Ukraine? Rien. Il n’y aura plus d’Ukraine. Le simple fait que, jusqu’ici aucune structure gouvernementale adéquate n’ait encore été créée en RPD et en RPL avec l’aide de Moscou suggère que ces républiques ne sont pas nécessaires. La Novorussie reste un terme géographique et historique, mais n’est pas une réalité politique. L’armée était nécessaire – elle a été organisée – tandis que les structures gouvernementales ne sont pas nécessaires, et elles n’ont pas évolué. Cela signifie que la Novorussie n’est pas prévue. Les patriotes alarmistes en tirent la conclusion que la Novorussie trahirait Kiev. Mais Kiev est, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, une trahison en soi, et l’auto-dissolution du régime est tout simplement une question de temps et pas de principe ; et nous parlons d’une brève période, donc à qui la Novorussie devrait-elle être livrée?

Elle ne sera livrée à personne, et personne ne le fera. Pourquoi la Russie aurait-elle besoin d’une nouvelle Ukraine sous couvert de la Novorussie? La Russie n’a pas besoin d’un État tampon entre l’Union eurasienne et l’UE. Il serait seulement un obstacle. De toute façon la Russie a déjà des frontières avec les pays de l’Otan (Norvège, Estonie, Lettonie). La Russie a besoin de l’ensemble de l’Ukraine, ou de la quasi-totalité de l’Ukraine. Il est maintenant évident non seulement pour Moscou, mais aussi pour Bruxelles, que cette zone est incapable de développement indépendant et seulement une source de problème. Par conséquent, la Novorussie est possible en tant que région fédérale, mais pas en tant qu’État indépendant. Le monde n’a plus d’argent pour l’indépendance, que ce soit pour l’Ukraine ou pour la Novorussie – c’est aussi simple que cela.

Il est temps que l’Empire revienne à ses frontières naturelles (au moins dans le sud-ouest).

Traduit par Hiéronymus, relu par Diane et jj pour le Saker francophone

   Envoyer l'article en PDF   

1 réflexion sur « L’Ukraine, un État béni qui a misérablement échoué [2/2] »

  1. Ping : L’Ukraine du Maïdan – Titre du site

Les commentaires sont fermés.