Les Panzer des banques allemandes écrasent la Grèce, Washington grimace


Par Finian Cunningham – Le 18 juillet 2015 – Source  strategicculture

Le payeur allemand de l’Europe a soumis la Grèce avec une cruauté à couper le souffle. En 1941, l’Allemagne nazie a écrasé la Grèce avec ses chars Panzer. Aujourd’hui, sans coup férir, les banques Panzer allemandes ont accompli la même chose, transformant le pays de facto en un protectorat allemand dont les actifs et la souveraineté nationale sont remis par diktat entre les mains des financiers de Berlin.

Tout est d’être tout calme sur le front sud. Le gouvernement grec est désormais confronté à une révolte au sein de ses propres rangs alors que le parlement du pays absorbe les chocs de l’attaque de Berlin sur son économie et sa souveraineté. La France, l’Italie et d’autres pays du sud de la zone euro fortement endettés sont également ébranlés par la tyrannie financière allemande. Les secousses font trembler tout l’édifice de l’UE et de ses supposées valeurs d’égalité et de solidarité européenne.

Washington est beaucoup moins préoccupé par les dommages aux valeurs européennes que par l’ouverture de clivages politiques profonds entre les capitales de l’UE, qui pourrait alors compromettre l’architecture de son hégémonie en Europe et vers la Russie.

Lorsque l’accord sur le plan de sauvetage financier a été conclu, après des négociations tortueuses le week-end dernier, les dirigeants de l’Union européenne ont fait de leur mieux pour présenter les résultats comme un compromis Embrassons-nous Folleville. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, l’a salué comme «un contrat type entre partenaires européens». Le président français François Hollande a déclaré : «L’Europe a gagné !» Alors que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a dévoilé, en toute sobriété [ça arrive, NdT], le pot-aux-roses en déclarant: «La Grèce n’a pas été humiliée.»

Mais les mesures d’austérité radicales que Athènes est obligée de mettre en œuvre afin de se prévaloir d’un troisième plan de sauvetage de €86 Mds ($95 Mds) est loin d’être un compromis. C’est une capitulation du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, et de son gouvernement Syriza anti-austérité. Environ €50 Mds d’actifs publics grecs vont être séquestrés, sous le contrôle des créanciers de confiance de l’UE, pour être vendus si Athènes ne met pas en œuvre les exigences d’austérité draconiennes. Par créanciers de l’UE, on veut dire les banques allemandes, qui sont les payeurs pour Athènes et pour une grande partie du reste de l’UE.

Le Washington Post n’a pas tergiversé sur les conditions brutales de l’accord, bien qu’il ait masqué le rôle sinistre de Berlin avec l’euphémisme de «dirigeants européens». Il a indiqué : «La Grèce a acquiescé lundi matin à un ultimatum punitif des dirigeants européens, acceptant une mise en œuvre immédiate des réformes et promettant de se sangler dans un carcan budgétaire rigide pour sauver ses banques et rester dans l’euro.» Le rapport ajoute : «Un pistolet financier a été braqué sur la tempe de la Grèce.»

Reuters a ostensiblement rapporté que la Grèce avait «cédé». «Les dirigeants de la zone euro ont obligé la Grèce à abandonner une grande partie de sa souveraineté à une supervision extérieure, en retour d’avoir accepté de tenir des discussions sur un plan de sauvetage de €86 Mds pour garder le pays, proche de la faillite, dans la zone euro.»

Dans un deuxième article du Washington Post, le titre trahit les réticences américaines sur les termes de Berlin. «L’Allemagne ne veut pas sauver la Grèce. Elle veut humilier la Grèce.»

Quand la poussière sera retombée sur une Allemagne prenant, de facto, le relais de la souveraineté grecque, Washington se lancera dans un combat d’arrière-garde pour tenter d’atténuer les conditions de la cession. Le Fonds monétaire international (FMI) dominé par Washington a renouvelé ses appels à la restructuration de la dette d’Athènes. «Le FMI appelle à une plus grande réduction de la dette grecque que la proposition actuelle de l’UE», a rapporté France 24, tandis que la BBC titrait : «Le FMI attaque l’UE sur les conditions du renflouement [de la Grèce].» Encore une fois, l’euphémisme de «dirigeants de l’UE» est utilisé, alors que Berlin est la cible spécifique tacite de l’avertissement de Washington.

Les États-Unis s’alarment des retombées géopolitiques de la crise grecque. Explicitement, les États-Unis craignent que la débâcle financière entraînée par le diktat extrémiste de l’Allemagne puisse conduire la Grèce à sortir de l’UE. Cela pourrait à son tour conduire à un démantèlement du bloc des 28 membres de l’UE et au fiasco du projet anti-russe de Washington. Ce projet est dépendant d’une mise en œuvre cohérente, par l’UE sous le contrôle des États-Unis, des sanctions diplomatiques contre Moscou, ainsi que de l’existence d’une plate-forme pour l’agression américaine contre la Russie sous le couvert de l’alliance militaire de l’Otan.

Comme indiqué dans une chronique précédente, quelques jours avant l’accord sur le plan de sauvetage grec, Washington a fait une pression intense pour pousser l’Allemagne à adoucir ses revendications sur la Grèce. Le secrétaire au Trésor américain Jack Lew et la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, ont appelé Berlin à autoriser une restructuration importante de la dette de la Grèce, actuellement $350 Mds , dont l’essentiel est détenu par des banques allemandes.

Il est notable de remarquer que le gouvernement britannique, qui sert de porte-parole de Washington en Europe, a également appelé Berlin à adoucir sa politique sur les finances grecques – ceci en même temps que le chancelier britannique George Osborne dévoilait un plan de réduction drastique des dépenses publiques pour sa propre population. Montrant ainsi que Londres n’était pas tant préoccupée par la pauvreté desGgrecs que par la nécessité de relayer un message géopolitique au nom de Washington.

Les appels de Washington à Berlin sont tombés dans l’oreille d’une sourde, qui comme on l’a vu, a poussé Athènes à une reddition financière sur les ruines de la Grèce. La chancelière allemande Angela Merkel et son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, tout puissants, n’ont montré aucune pitié pour le gouvernement d’Athènes. Tous deux ont exclu toute restructuration de la dette. Mme Merkel a déclaré à propos des conditions de sauvetage que la Grèce «avait devant elle une route difficile».

Mais il n’y a pas que Washington qui est énervé par la truculence retrouvée de l’Allemagne à l’égard de finances de l’UE. Même en Allemagne, les rapports des médias ont exprimé la crainte que les diktats financiers de la chancellerie de Berlin à l’encontre de la Grèce ne mettent à rude épreuve les fondations de l’UE. Le journal allemand Der Spiegel a déclaré que Berlin montrait une dangereuse hypocrisie par son insistance sur le remboursement de la dette grecque, compte tenu du soulagement historique sur ses dettes de guerre, dont l’Allemagne a elle-même bénéficié après la Seconde Guerre mondiale.

Un autre média allemand, DWN, a averti que l’impérium financier de Berlin menaçait l’UE d’écroulement. Selon le journal : «Angela Merkel et Wolfgang Schäuble ont transformé, du jour au lendemain, l’UE en une entité d’où la confiance a disparu, remplacée par la peur nue et brutale. Avec la signature de cet accord, le cauchemar de l’UE a commencé. La vie en Europe ne repose plus sur des contrats, mais sur la loi de la jungle.»

Le Washington Post a commenté les tensions au sein de l’UE au sujet des négociations de la dette grecque à Bruxelles. «Les dirigeants européens se sont sérieusement affrontés sur l’affaire pour sauver [sic] la Grèce, avec l’Allemagne et la Finlande sur une ligne dure et les dirigeants de la France et de l’Italie exprimant leur gêne sur la position allemande – inquiets des conséquences sur l’idéal européen.»

Le ministre français des Finances Michel Sapin a croisé le fer avec le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, en insistant sur la nécessité d’une indulgence partielle à propos de la dette grecque. En fin de compte, Schäuble a rejeté l’opinion de son homologue français, arrachant à Athènes une reddition humiliante.

Mais à la suite de la conquête financière par Berlin, le gouvernement français soutient maintenant à fond l’appel renouvelé de Washington pour l’allégement de la dette, redemandé cette semaine par le FMI. Nous pouvons être sûrs que Berlin n’est pas d’humeur à faire des concessions sur son diktat financier, ceci ne pouvant que conduire à plus de confrontation avec Washington, ainsi qu’avec Paris et Rome.

Les derniers chiffres d’Eurostat sur les ratios d’endettement public des pays montrent qu’il y a un clivage nord-sud clair dans l’UE sur la question des finances nationales. En dehors de la Grèce, dont la dette publique totale a atteint un sommet de 180% du produit intérieur brut (PIB), la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal sont également sérieusement surchargés avec des chiffres respectifs de 95%, 130%, 97% et 130%.

En revanche, les pays d’Europe du Nord ont des niveaux d’endettement beaucoup plus faibles. La Pologne 50%, la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie moins de 40%, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Finlande, le Danemark en moyenne 50%, toujours selon les chiffres d’Eurostat. L’Allemagne elle-même est au niveau de 77%.

Cette différence dans le ratio de la dette est corrélée avec la politique différente dans ces capitales en ce qui concerne la Grèce. La position intransigeante de l’Allemagne est soutenue par les pays faiblement endettés. Il y a des raisons structurelles à cette diversité des ratios d’endettement variables. Elle découle des avantages concurrentiels que l’euro a accordés à une économie industrielle orientée vers l’exportation telle que l’Allemagne.

Nul doute que le malaise ressenti par la France, et par les autres membres fortement endettés de l’UE, est que le payeur de Berlin viendra tôt ou tard frapper à leurs portes pour le remboursement – et dans les mêmes conditions draconiennes qui sont actuellement appliquées à la Grèce. Cela expliquerait pourquoi la France et l’Italie, en particulier, sont secouées par le diktat financier de Berlin et ont appelé à un peu de mou pour Athènes. Ils sentent qu’ils pourraient être les prochaines victimes des banques Panzer allemandes et de leurs troupes de choc en costumes trois-pièces.

D’autre part, l’inquiétude de Washington provient du jeu géopolitique d’une Europe déchirée par les rivalités et l’acrimonie. Du point de vue de Washington, efficience financière de Berlin en direction des membres plus faibles de l’UE est un outil dans ses desseins géopolitiques face à la Russie. Les États-Unis veulent garder l’Europe unie, tandis que Berlin cherche la domination économique et financière dans l’UE, même si cela signifie que les états plus faibles soient éjectés.

Les résonance historiques abondent. Comme pendant l’ascension de l’Allemagne nazie, Washington et son allié britannique devront agir de manière décisive pour faire dérailler la machine de Berlin qui travaille pour des intérêts stratégiques égoïstes à l’égard de l’Europe et de la Russie. Dans ce cas, nous pouvons anticiper le montage d’une campagne politique de Washington et de ses laquais de Londres visant à rabaisser la puissance allemande – avant que Paris ne cède devant l’avancée des banques Panzer.

Finian CUNNINGHAM

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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