Par Andrew Korybko − le 24 avril 2018 − source orientalreview.org
Les motivations des USA, du Royaume-Uni et de la France n’étaient pas les mêmes pour bombarder la Syrie.
La plupart des gens ont entendu nombre de commentaires sur les raisons qui ont poussé les USA à lancer ces frappes, constituant un signal à l’Iran et au Hezbollah, et repoussant les limites de ce que la Russie laisse faire dans l’espace aérien syrien. Mais on a eu beaucoup moins de commentaires sur les raisons anglaises et françaises de rejoindre l’intervention. Londres est engluée dans un chaos politique intérieur post-Brexit et avait besoin d’une diversion, celle-ci fut bien opportune, d’autant que l’affaire Skripal a commencé à s’éclaircir et à apparaître comme l’attaque chimique sous faux drapeau que la Russie dénonce depuis le départ. Le Royaume-Uni veut également conserver son statut international après que les médias mondiaux ont plutôt réussi à faire croire aux foules que le pays perdrait de son importance sur la scène mondiale à l’issue du Brexit.
Une autre raison de la décision anglaise de prendre part à ces frappes réside dans l’enthousiasme que la France leur portait − la France faisait tout pour mener la charge. Londres ne veut pas perdre sa « relation privilégiée » avec Washington au bénéfice de Paris, sa rivale, qui n’a eu de cesse de se présenter comme alliée principale des USA à la faveur de la dégradation des relations entre les USA et l’Allemagne − sur fond de raisons idéologiques et économiques. La France est la seule puissance européenne dont les anciennes possessions coloniales pourraient faire le poids en termes géographiques face à celles du Royaume-Uni, et Paris veut se repositionner comme grande puissance mondiale ; il n’y a qu’à considérer ses incursions diplomatiques et militaires au Moyen-Orient, comme en témoignent l’intervention de Macron au cours de l’épisode Hariri, et son déploiement de soldats au nord de la Syrie tout récemment.
Il en ressort que la combinaison USA, Royaume-Uni et France dans ces frappes en Syrie rassemble donc les trois cinquièmes des membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui représente symboliquement l’Occident aux yeux du monde. L’Allemagne, aussi importante soit-elle, ne reste une puissance qu’au sein de l’UE et ne dispose pas du même héritage d’influence en dehors du continent que les trois autres grandes puissances. Ces trois États occidentaux s’opposent à la Russie, à l’Iran et à la Chine aussi bien dans le contexte des événements du week-end dernier que plus largement, ce qui nous permet de définir les contours géopolitiques généraux de ce que même le Secrétaire général des Nations Unies a récemment reconnu être une nouvelle guerre froide. Cette fois-ci, il s’agit des partisans de systèmes de relations internationales unipolaire et multipolaire qui s’opposent, et non plus des idéologies capitalistes et communistes.
On a assisté la semaine dernière à une frénésie hystérique sur une imminente « troisième guerre mondiale » et l’apocalypse nucléaire que les gens ont été conditionnés et manipulés à attendre n’est jamais arrivée, mais quoi qu’il en soit, ne nous y trompons pas : une lutte mondiale a commencé pour définir la nature des relations internationales dans le futur. Les USA, le Royaume-Uni et la France dirigent le camp unipolaire, tandis que la Russie, l’Iran et la Chine portent le drapeau du camp multipolaire. Cela n’empêche pas que des divergences existent entre les membres de chaque camp, qui ne vivent pas l’« harmonie parfaite », ni que des différences persistent. Cela étant dit, même si de nombreux théâtres d’affrontement par procuration existent, et que certains domaines intangibles voient la compétition mondiale faire rage, la Syrie reste de loin le plus important; c’est pour cela que les escalades du week end dernier étaient si importantes.
Andrew Korybko
Cet article est une retranscription partielle du programme CONTEXT COUNTDOWN de Sputnik News, diffusé le vendredi 20 avril 2018.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone