L’effondrement culturel est déjà là


Par Dmitry Orlov – Le 17 mai 2018 – Source Club Orlov

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Il y a douze ans, en 2006, j’ai été invité à prendre la parole lors d’une conférence sur l’énergie à Manhattan, à Cooper Union. C’était la première fois que je parlais de ce sujet. La transcription complète et les diapositives sont toujours disponibles ici. Ma thèse était (et reste à ce jour) que l’URSS était beaucoup mieux préparée pour survivre à un effondrement que les États-Unis ne le sont ou ne le seront jamais.

Si vous n’êtes pas familier avec cette approche, vous devriez peut-être d’abord y jeter un coup d’œil. Ici, je vais la résumer très brièvement. Après avoir exploré toutes les nombreuses symétries entre l’URSS et les États-Unis, j’ai montré comment l’URSS était par inadvertance bien mieux préparée à l’effondrement à cause de la façon dont la vie quotidienne y était structurée. Le logement était fourni par le gouvernement, et le chômage de masse n’a pas entraîné d’itinérance. Le transport était public et bon marché. L’emploi était également lié au secteur public, peu adossé à la recherche du profit et non sujet à la faillite instantanée. Les familles étaient soudées par nécessité et les membres de la famille étaient prêts à s’entraider pendant les moments difficiles. L’argent avait une valeur symbolique et être fauché menaçait rarement votre vie. La nourriture provenait des stocks gouvernementaux et des potagers plutôt que du supermarché. La médecine et l’éducation étaient publiques et libres. L’énergie ne provenait pas des importations.

Ma conclusion était que l’Union soviétique était beaucoup mieux préparée à l’effondrement économique que les États-Unis. J’ai ensuite exploré diverses approches qui pourraient être utilisées pour combler cet « écart d’effondrement ». Aucune des solutions de rechange n’a été très utile. Douze ans plus tard, je vois que j’avais raison : les États-Unis sont beaucoup plus proches de l’effondrement qu’ils ne l’étaient à l’époque (nous ne saurons à quel point que rétrospectivement) et rien n’a été fait pour réduire les vulnérabilités décrites.

Cependant, beaucoup a été fait pour réduire leur impact, ou du moins pour rendre cet impact moins visible. Dans mon livre de 2013, Les cinq stades de l’effondrement, j’ai conceptualisé l’effondrement en cinq étapes : financière, commerciale, politique, sociale et culturelle. J’y expliquais qu’un effondrement se déroulait généralement dans une cascade canonique, en commençant par le plus fragile (financier) et en se terminant par le plus durable (culture). La société et la culture ne se sont pas effondrées en URSS. Au lieu de cela, les gens se sont accrochés et après une période très difficile, la plupart des régions de l’URSS (l’Ukraine est la seule exception) ont réussi à ressusciter un système politique, une économie et un secteur financier. Mais que se passe-t-il si la société et la culture s’effondrent en premier ?

C’est ce que je vois se produire aux États-Unis et, à divers degrés, dans différentes parties de l’Union européenne : une tentative de saper et de détruire la société et la culture commune cohésives avant l’effondrement financier, commercial et politique à venir. Cela peut sembler une chose bizarre à rechercher, mais considérez ceci : si la société et la culture sont détruites par avance, alors quand l’effondrement se produit, il n’y a plus aucune communauté intacte d’humains pour l’observer et comprendre ce qui se passe. Les capacités de raisonnement de Monsieur tout le monde étant maintenant bien limitées, il sera trivial de propager le blâme pendant la suite de la séquence d’effondrement, de faire en sorte que les gens se blâment eux-mêmes ou s’insultent mutuellement, ou simplement l’ignorent parce que la plupart des gens auront de plus gros problèmes que de s’inquiéter de l’effondrement, que ce soit avec leurs familles dysfonctionnelles, leurs diverses addictions, leur zèle religieux ou leur politique extrémiste.

Les approches prises pour détruire la société et la culture peuvent sembler disparates et manquer d’unité dans leurs objectifs… jusqu’à ce que vous compreniez que leur but est de détruire la société et la culture. En terme d’éducation, l’accent est mis sur la formation à des tests standardisés évinçant tout apprentissage réel. Le tout est prétendument motivé par le désir d’inclure les minorités désavantagées et intellectuellement défavorisées, mais cela crée des cohortes de jeunes qui ne sont plus capables d’une pensée indépendante et rationnelle.

  • En politique, les vraies préoccupations sont remplacées par des fausses, centrées sur des épouvantails comme « l’agression russe » ou « l’ingérence russe », renforcées sans cesse par la répétition sans qu’aucune preuve réelle ne soit montrée, jusqu’à ce que des positions politiques raisonnées et motivées deviennent impossibles.
  • En matière de politique sociale, la substitution du sexe par le genre, soi-disant pour combattre la discrimination mais en réalité déniant les impératifs biologiques, dénature la nature humaine au point que les gens ne se sentent plus redevables les uns envers les autres.
  • Dans le cadre de la politique d’immigration, l’inclusion d’une grande population de migrants de cultures incompatibles crée une sorte de conflit ethnique qui ne dit pas son nom : souligner que les migrants des pays islamiques sont responsables d’une très grande proportion de la criminalité est considéré comme politiquement incorrect. En Suède, cela a même été rendu illégal.
  • En terme de relations internationales, nous avons assisté à un effort concerté visant à détruire la souveraineté nationale et à dénuer les frontières nationales de sens, transformant les nations autrefois fières en groupes de migrants qui parlent un anglais approximatif.
  • En économie, tous les efforts sont déployés pour démanteler et réprimer la puissance du travail organisé, ouvrant le marché du travail aux migrants économiques et supprimant les entreprises locales en faveur des sociétés transnationales.

Pour survivre à l’effondrement, il est essentiel de s’entourer de gens qui sont comme vous, avec lesquels vous pouvez trouver des buts communs, dont vous pouvez immédiatement évaluer le caractère et à qui vous pouvez faire confiance. Sans cela, vous serez plongé dans un environnement dangereux, une guerre de tous contre tous. Mais cette guerre de tous contre tous crée une excellente couverture pour ceux qui occupent des postes de direction et d’autorité et qui auraient pu faire quelque chose pour atténuer les pires effets de l’effondrement à venir, mais n’ont rien fait. Eh bien, pas tout à fait ; ils ont fait quelque chose. Ils ont tout fait pour détruire la société et la culture.

Il est important de noter que la participation à ce juggernaut pour provoquer cet effondrement culturel n’est pas universel. Même en Europe, certains membres, comme la Hongrie et la Pologne, commencent à s’y opposer, sans parler des très grands acteurs comme la Chine, la Russie et l’Iran, qui ont réussi à résister à beaucoup de ces tendances. Ces différences seront probablement utiles pour prédire quels pays survivront à l’effondrement et lesquels ne le pourront pas.

Les cinq stades de l'effondrementDmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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