Par Moon of Alabama – Le 18 mai 2018
Le président Trump a de nouveau fait dérailler les négociations avec la Corée du Nord. Il sera difficile de les remettre sur les rails. En raison de son attitude, il est peu probable qu’un accord soit conclu.
Mardi soir, la Corée du Nord a menacé d’annuler le sommet avec le président américain Trump. Les remarques du conseiller américain à la sécurité nationale Bolton, selon lesquelles le « modèle libyen » serait appliqué à la Corée du Nord, ont été considérées comme une insulte.
La Libye avait acheté de l’équipement qui aurait pu être utilisé pour commencer à enrichir de l’uranium. Mais elle n’a jamais eu de programme coordonné de développement d’armes nucléaires et n’a jamais eu la base industrielle et académique nécessaire à la poursuite d’un tel projet. Pour échapper aux sanctions, la Libye a renoncé au peu de matériel qu’elle avait. Tout a été expédié aux États-Unis avant la levée des sanctions. Bolton n’a probablement voulu parler que de cette partie du « modèle libyen ».
Mais il y a aussi l’autre partie. Quelques années après que la Libye a renoncé à son minuscule matériel nucléaire, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis ont mené une guerre de changement de régime contre elle. Avec l’aide des États-Unis, Mouammar Kadhafi a été assassiné par des islamistes radicaux et Hillary Clinton a même trouvé ça drôle (vidéo). Depuis, le chaos absolu règne en Libye, assorti d’une guerre tribale multiforme compliquée par une ingérence étrangère incessante.
La Corée du Nord s’est évidemment insurgée contre cette comparaison. Il n’est pas question que lui soit appliquée l’une ou l’autre partie du modèle libyen. Elle se considère, à juste titre, comme un État nucléaire à part entière. Elle exige de négocier sur un pied d’égalité.
Mercredi, après la menace nord-coréenne d’annuler le sommet, le porte-parole de la Maison-Blanche est revenu sur le « modèle libyen » de Bolton :
« Se référant à la comparaison avec la Libye, l’attachée de presse de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, a déclaré mercredi qu’elle n’avait pas ‘considéré cela comme faisant partie des discussions et je ne sais pas si c’est un modèle que nous utilisons.
Il ne me semble pas qu’il s’agisse de quoi que ce soit de concret. Je sais que cela a été dit mais il n’y a rien de précis sur la façon dont cela fonctionnerait’. »
Le train vers la rencontre au sommet semblait de retour sur les rails. Puis Donald Trump l’a encore fait dérailler.
Lors d’une conférence de presse hier, il a été interrogé sur la question du « modèle libyen » (vidéo) et, dans une remarque apparemment improvisée, il a réussi à pousser cette comparaison hasardeuse encore plus loin :
« Le modèle, si vous regardez le modèle de Kadhafi, il s’agissait d’une annihilation totale. On y est allé pour en finir avec lui. Maintenant, ce modèle sera appliqué si nous ne concluons pas d’accord, très probablement. Mais si on fait un marché, je pense que Kim Jong-un sera très, très content. »
On pourrait appeler cela « l’art de l’entente cordiale dans la mafia » : signe ici ou je te tue. »
Certains médias prétendent que Trump ne faisait que « rassurer » Kim Jong-un. Reuters a titré : Trump cherche à rassurer la Corée du Nord Kim avant le sommet ; le New York Times : Trump et la Corée du Nord rejettent le « modèle libyen » de Bolton ; Politico : Trump rassure Kim de Corée du Nord tout en le mettant en garde.
Dans mon expérience, une menace d’« annihilation totale » est bien plus qu’une « mise en garde ».
Le Guardian britannique avait un point de vue plus réaliste : Donald Trump menace Kim Jong-un : signe l’accord ou tu subiras le même sort que Kadhafi.
La menace de Trump prouve à la Corée du Nord qu’elle a eu raison d’acquérir des armes nucléaires capables d’atteindre le continent américain. Y renoncer serait suicidaire.
Trump a également marmonné qu’il donnerait de « fortes garanties » à la Corée du Nord et à Kim Jong-un pour leur sécurité s’ils concluaient un accord. Il n’a pas dit quelles seraient ces garanties. La façon dont Trump a détruit l’accord nucléaire avec l’Iran, qui avait reçu de « fortes garanties » d’un président américain ainsi que l’approbation du Conseil de sécurité de l’ONU, démontre qu’aucune garantie étasunienne ne vaut le papier sur laquelle elle est inscrite.
Lorsque la rencontre au sommet a été annoncée, j’ai tout de suite dit qu’elle avait peu de chances d’aboutir parce qu’il y a trop de fauteurs de trouble potentiels qui ont intérêt à ce que le conflit avec la Corée du Nord se poursuive. Il s’agit notamment de John Bolton, de l’armée américaine et du président japonais Abe.
La Corée du Nord répondra certainement à la menace d’« annihilation totale » de Trump. Elle se retirera probablement du sommet, prévu pour le 12 juin à Singapour. Elle pourrait revenir si la Maison Blanche revenait sur les commentaires de Trump. La Chine, qui voudrait que la Corée du Nord et les États-Unis concluent un accord, fera savoir à la Maison-Blanche ce qu’elle doit faire.
Mais je crois maintenant que le sommet, même s’il a lieu, n’a aucune chance de réussir. Trump n’a aucune connaissance des paramètres politiques et techniques et n’a aucun sens de la culture asiatique. Il va râler, rager, et insulter son partenaire de négociation. Il va probablement exiger le désarmement nucléaire total de la Corée du Nord. Il n’obtiendra pas d’accord.
Ce n’est qu’après cet échec qu’il se rendra compte qu’une « annihilation totale » de la Corée du Nord n’est tout simplement pas en son pouvoir.
Traduction : Dominique Muselet