Le pacte Molotov–Ribbentrop : 80 ans à se battre contre la Russie


Le 23 août 2019 − Source Oriental Review

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Le débat sur le traité de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS a été délibérément utilisé par l’Occident pour émettre divers griefs historiques, politiques, et même financiers envers la Russie, et jeter le discrédit sur les politiques étrangères et intérieures du pays. À cette fin, une suite de résolutions furent passées entre 2006 et 2009 par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, par le Parlement Européen, et par l’assemblée parlementaire de l’OSCE. Dans ces résolutions, on voit les structures politiques de l’URSS des années 1930 et 1940 comparées au régime nazi en Allemagne, la responsabilité de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale est attribuée aux deux pays, et le jour de signature du traité — le 23 août 1939 — devient la journée européenne de commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme.

Les spéculations quant aux traités entre l’URSS et l’Allemagne commencèrent dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, le Royaume-Uni et les USA cherchaient à justifier de nouveaux projets d’agression contre l’URSS et à détourner l’attention du public mondial quant à leur propre collaboration avec l’Allemagne nazie. Mais la plus grande diabolisation du pacte appelé Molotov–Ribbentrop intervint dans les dernières années de l’URSS, et gagna encore après son effondrement. Cette diabolisation fut utilisée comme outil politique dans la séparation des états baltes et de la Moldavie de l’URSS, puis dans l’accélération de leur intégration à l’UE et à l’OTAN.

Quelle est donc la justesse des évaluations du traité de non-agression entre l’Allemagne et l’Union des républiques socialistes soviétiques? Ce document différa-t-il d’autres accords comparables remontant à la même époque? Contribua-t-il à, ou gêna-t-il, l’avènement de la Seconde Guerre mondiale? Essayons d’y voir plus clair.

Contexte historique

Lorsque le traité fut signé, la Seconde Guerre mondiale avait déjà commencé en Europe, et était déjà en cours dans le monde plus généralement depuis quelque temps déjà (cela fut une guerre mondiale, après tout). Depuis juillet 1937, un conflit armé avait fait rage en Extrême-Orient entre le Japon et la Chine, participants à la guerre mondiale à venir. Et en Europe, l’Allemagne avait déjà pénétré le territoire de la Tchécoslovaquie (Bohême et Moravie) le 14 mars 1939, en violation des termes de l’accord anglo-franco-germano-italien, connu sous le nom d’Accords de Munich, qui encadrait la cession à l’Allemagne des territoires tchécoslovaques des Sudètes. Plus tôt encore, en septembre 1938, la région tchécoslovaque de Cieszyn s’était vue occupée par la Pologne, qui agissait en opposition à Hitler, et, en mars 1938, l’Ukraine subcarpatique s’était vue occupée par la Hongrie. Début avril 1939, Hitler ordonna l’exécution du plan Fall Weiss — le plan d’invasion de la Pologne — dont le lancement avait précédemment été planifié au 25 août de la même année.

Neville Chamberlain, premier ministre britannique, à gauche, et Hitler, scellant le pacte de Munich en septembre 1938. [Au passage, voilà une poignée de main beaucoup moins condamnée que celle de Montoire, NdT]

En opposition avec cette trame de fond, accuser l’URSS d’avoir démarré la Seconde Guerre mondiale par la signature d’un pacte de non-agression avec l’Allemagne apparaît étrange, c’est bien le moins que l’on puisse dire. Au contraire, en anticipation de la catastrophe à suivre, qui, chacun l’avait alors compris, était devenue inévitable, chaque pays faisait de son mieux pour retarder son éclatement sur son territoire.

Depuis 1938, l’Union soviétique avait de fait été en guerre en Extrême-Orient avec l’un des agresseurs à venir de la Seconde Guerre mondiale – le Japon. Faire la guerre sur deux fronts n’était pas dans les intérêts stratégiques du pays. Aussi, lorsqu’un autre potentiel agresseur — l’Allemagne — approcha les dirigeants soviétiques et proposa un accord de paix, la décision de l’URSS resta-t-elle complètement compréhensible.

La Pologne avait signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne en 1934. L’Angleterre et la France avaient signé des pactes de non-agression mutuels avec l’Allemagne en 1938. Quant à l’Estonie et la Lettonie, elles avaient formalisé leurs relations avec Berlin sur le même sujet en 1939. Au vu des circonstances, l’action que mena Moscou n’apparaît pas seulement naturelle, mais logique.

Évaluation légale

Il faut reconnaître ce talent aux propagandistes occidentaux : l’idée selon laquelle le traité de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS constitua une conspiration criminelle entre les deux « empires du mal » totalitaires a bien pénétré l’esprit public, et est de fait considérée comme établie par de nombreuses personnes. Mais les accusations criminelles ne devraient pas reposer uniquement sur des facteurs émotionnels ; il convient également de considérer quelles dispositions spécifiques des lois internationales furent piétinées (« violées ») par le pacte signé entre l’Allemagne et l’URSS. Depuis toutes ces années, personne n’a été en mesure d’en avancer une seule !

Blindés polonais à Cieszyn, en Tchécoslovaquie, en 1938

D’un point de vue légal, le pacte de non-agression en soi est irréprochable. Oui, les dirigeants soviétiques étaient au fait de l’invasion programmée de la Pologne, comme les britanniques, soit dit en passant. Mais aucune disposition de droit international n’obligeait de ce fait l’URSS à abandonner sa neutralité pour autant, ni à rejoindre la guerre du côté de la Pologne. Il est également important de noter que, premièrement, c’est la Pologne qui poursuivit un projet hostile contre l’Union soviétique, et que, second point, la Pologne refusa officiellement d’accepter, peu avant que le pacte fût signé, les garanties de Moscou quant à sa sécurité.

Les protocoles secrets du pacte, qui ont joué le rôle d’ogre pour faire peur aux petits enfants depuis 30 ans, relèvent de la pratique diplomatique habituelle, répandue des temps anciens jusqu’à nos jours.

Les protocoles secrets n’étaient pas illégaux, en forme ni en substance. Aucune disposition de droit international n’a jamais interdit aux états de délimiter leurs sphères d’intérêts. Si les choses étaient différentes, les pays subiraient l’obligation absurde de ne s’affronter que sur les territoires d’États tiers.

La délimitation des sphères d’intérêts ne contredit pas non plus le principe de l’égalité de la souveraineté de tous les états, entériné par le droit international. Le pacte ne contenait aucune décision qui aurait contraint un pays tiers à quoi que ce soit. S’il en avait été autrement, pourquoi ces dispositions auraient-elles été tenues secrètes vis-à-vis de ceux qui auraient dû les appliquer? L’accusation répandue, selon laquelle Hitler donna à Staline les états Baltes, l’est de la Pologne et la Bessarabie dans les protocoles secrets relève de la pure démagogie. Fondamentalement, Hitler n’aurait pas pu donner à quiconque quelque chose qui ne lui appartenait pas, même s’il l’avait voulu.

« L’Humanité progressiste », en apparence si préoccupée des défauts du pacte Molotov-Ribbentrop, devrait se pencher sur le Royaume-Uni et les USA, qui ne se partagèrent pas les « sphères d’intérêts » de pays tiers, mais les ressources naturelles présentes dans des pays tiers. « Le pétrole perse… est à vous. Nous partageons le pétrole d’Irak et du Koweït. Quant au pétrole d’Arabie Saoudite, il est à nous » (Franklin Roosevelt à l’ambassadeur britannique Lord Halifax, le 18 février 1944). L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’OSCE, le congrès des USA et les autres, qui ont tous adopté diverses résolutions condamnant le pacte Molotov-Ribbentrop, semblent présenter une mémoire bien sélective, et avoir oublié cette conspiration criminelle.

Aspect moral

L’idée selon laquelle le traité de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS serait immoral a également été instillée dans l’esprit public, encore plus fermement que l’idée soutenant la criminalité de l’action. Politiciens et historiens mentionnent cette immoralité presque à l’unanimité, sans s’inquiéter des raisons d’une telle évaluation. Elle relève en général de considérations pathétiques quant à quelque complicité avec l’Allemagne nazie et quant à Hitler étant comparable au diable en personne. Mais ici également, c’est à une démagogie délibérée et cynique que nous avons affaire.

Jusqu’au 22 juin 1941, Hitler était le dirigeant légitime et internationalement reconnu de l’une des principales puissances européennes, pour autant que l’URSS pouvait en juger. Les crimes nazis n’avaient pas encore été commis quant le traité fut signé. L’Allemagne constituait-elle un adversaire potentiel pour l’URSS ? Sans aucun doute. Mais, dans le même temps, la France et le Royaume-Uni constituaient également des adversaires potentiels aux yeux de l’URSS. Il suffit de se souvenir qu’en 1940, ces deux pays préparaient une attaque contre l’URSS pour donner à la guerre mondiale les traits d’une « croisade européenne contre le bolchevisme », et au moins forcer le troisième Reich à aller vers l’est, empêchant ainsi le scénario développé par les stratèges britanniques de s’effondrer.

Le président étasunien Franklin Delano Roosevelt et le premier ministre britannique Winston Churchill

Comme on le voit, aucune des nombreuses accusations proférées à l’encontre du traité de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS ne présente de base historique, légale, ni morale. Alors, pourquoi, exactement, cultive-t-on une telle haine pour un document qui expira il y a 78 ans (le 22 juin 1941) ?

Une analyse attentive, et une compréhension entière des sous-jacents aux événements historiques de la Seconde Guerre mondiale, éclairent la réponse à cette question. Le traité a modifié le calendrier de la guerre inévitable et de l’équilibre des pouvoirs d’après-guerre. Il a rendu impossible aux USA et au Royaume-Uni de pénétrer en Europe de l’Est au début de la guerre, parce qu’ils ont dû défendre l’Europe de l’Ouest. Et, après la victoire, l’URSS y était déjà.

Comme Winston Churchill, le premier ministre britannique, l’écrivit dans ses mémoires, le fait que l’accord entre Berlin et Moscou ait pu exister constitua un échec diplomatique des diplomaties britannique et française : elles échouèrent à diriger l’agression nazie contre l’URSS, et ne réussirent pas à s’attirer l’alliance de l’Union soviétique préalablement à la Seconde Guerre mondiale.

Note du Saker Francophone

Cet article donne des éléments intéressants et un point de vue oriental sur la question du pacte germano-soviétique, et de l'utilisation abusive que peut en faire la propagande occidentale. On peut conseiller la lecture du chef d’œuvre du capitaine anglais Russell Grenfell (pas franchement pro-russe ni pro-soviétique, c'est le moins que l'on puisse dire), "haine inconditionnelle", qui explique, du point de vue occidental et principalement britannique, le profond échec politique et diplomatique que constitua le positionnement occidental, et surtout britannique en la matière.
Et l'on conseille également la lecture de l'excellent article de Jacques Sapir : "Le 80ᵉ anniversaire du pacte germano-soviétique"

Traduit par Vincent, relu par olivier et San pour le Saker Francophone

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