Les milliardaires américains se rassemblent autour de Warren et Buttigieg


Par Eric Zuesse – Le 31 août 2019 – Strategic Culture

warren

Elizabeth Warren

Les candidats Démocrates à la présidence qui ont été les plus soutenus par les milliardaires n’ont pas obtenu de bons résultats dans les sondages, jusqu’à présent, et ce fait perturbe grandement ces derniers. Ils savent que le candidat Démocrate sera choisi lors du dernier tour des primaires, et ils ont toujours voulu que Pete Buttigieg y participe [Il est titulaire d’une bourse Rhodes, NdSF]. Par conséquent, ils l’ont soutenu plus que tous les autres candidats. Mais ce qui les inquiète aujourd’hui, c’est que son adversaire pour ce dernier tour pourrait bien être Bernie Sanders, qu’ils considèrent tous comme leur ennemi juré. Ils veulent à tout prix éviter ce résultat. Et ils ont peut-être trouvé un moyen de le faire : Elizabeth Warren.

Voici comment et pourquoi :

Parmi les trois premiers dans les sondages – Joe Biden, Bernie Sanders et Elizabeth Warren – seul Biden figure parmi les cinq premiers par le nombre de milliardaires qui l’ont soutenu, et chacun des quatre autres candidats obtient un score supérieur à celui de Biden pour le nombre de milliardaires qui les soutiennent. En outre, Biden est en train de s’effondrer dans les sondages. Par conséquent, les milliardaires du Parti Démocrate craignent de plus en plus que leur parti ne nomme à la présidence une personne qu’ils ne soutiennent pas. Cette personne serait Sanders. Et le Comité National Démocrate (DNC), qui compte beaucoup sur ses partisans milliardaires pour gagner les élections (tout comme le Comité National Républicain compte sur les partisans Républicains milliardaires pour les gagner), est terrifié par cette possibilité (s’aliéner des financements essentiels au parti politique).

La grâce salvatrice pour ces milliardaires (et pour le DNC) semble de plus en plus susceptible d’être la candidature de la sénatrice Warren, qui pourrait s’attirer des partisans de Sanders, et donc donner à Buttigieg une chance de remporter finalement la nomination.

Le 27 août, le meilleur site Web pour les militants du parti Démocrate, Political Wire, titrait « Warren dépasse Biden en tant que candidat favori », et rapportait que non seulement Warren devance désormais Biden et Sanders en terme de candidat favori net, mais qu’elle domine aussi tout le peloton de candidats dans cette mesure extrêmement importante. Warren est de loin le deuxième choix le plus souvent mentionné des électeurs primaires du parti Démocrate, ce qui signifie que non seulement les électeurs qui ont l’intention de voter pour elle aux élections primaires seraient ravis si elle devenait candidate Démocrate – ce résultat serait également le plus susceptible de produire le Parti le plus unifié à l’élection générale. Cela signifierait que les milliardaires du parti Démocrate, au lieu des milliardaires du parti Républicain, contrôleraient presque certainement le pays après 2020. Il serait contrôlé par des gens comme Thomas Steyer et Donald Sussman, plutôt que par des gens comme Sheldon Adelson et Paul Singer. Ce serait une démocratie différente, sans être vraiment différente ; ce serait comme la différence entre George W. Bush et Barack Obama, différent dans la rhétorique et les slogans promotionnels, mais très similaire dans les politiques réelles. (Par exemple : alors que Bush a envahi et détruit l’Afghanistan et l’Irak, Obama a envahi et détruit la Libye et la Syrie ; et, pendant tout ce temps, les deux ont soutenu les Saouds et Israël ; et, de plus, les deux ont soutenu Wall Street, même si Obama les a frappés avec la langue, ce que Bush ne fit pas.) Ainsi, bien que la rhétorique soit parfois différente, les politiques de base ne le sont pas. Les politiques des milliardaires républicains et des milliardaires démocrates sont fondamentalement similaires.

Il y a quelques semaines à peine, les cinq principaux candidats à la présidence américaine du parti Démocrate, qui avaient reçu le soutien le plus fort de la part des milliardaires américains, étaient, dans l’ordre : Pete Buttigieg, Cory Booker, Kamala Harris, Michael Bennett et Joe Biden. Warren n’était qu’en 12e position dans le soutien des milliardaires. Sanders était lui tout en bas de l’échelle, zéro milliardaire le soutenant (il est le seul des 17 candidats déclaré qui n’ait aucun soutien de milliardaire).

Les milliardaires du parti Démocrate sont tout simplement fous de Buttigieg, mais la question qui se pose maintenant est de savoir qui ils vont choisir pour se présenter contre lui lors du dernier tour décisif des primaires ? Préféreraient-ils que ce soit Sanders ? Ou à la place Warren ?

Ils préfèrent définitivement Warren. Ses récents sondages d’opinion, dont le nombre ne cesse d’augmenter, montrent un tel soutien que le néoconservateur et libéral (c’est à dire pro milliardaires) magazine The Atlantic de David Bradley titrait « Elizabeth Warren arrive à amadouer l’establishment Démocrate », en une du 26 août dernier. Ce magazine disait que (en utilisant mon langage et pas le leur) les rats du navire Joe Biden en train de couler ont commencé à sauter à bord du navire flottant de l’U.S.S. Elizabeth Warren, qui est peut-être déjà à égalité avec les deux autres navires principaux, le Biden et le Sanders. Comme Sanders est le seul candidat à la présidence américaine qu’aucun milliardaire ne soutient, tout porte à croire que Warren éloignera certains d’entre eux de Biden. Cela pourrait transformer la course à l’investiture, en fin de compte, en un match Buttigieg contre Warren (qui sont tous deux acceptables pour les milliardaires), plutôt qu’en Buttigieg contre Sanders (ce qui représenterait pour eux la menace de résulter en une présidence Sanders). Il y a peu de raisons de penser que Buttigieg va décliner à la position #2 dans le soutien des milliardaires ; mais, si ce concours se transforme en Sanders v. Buttigieg, au lieu de Warren v. Buttigieg, alors les milliardaires du parti Démocrate non seulement verseraient encore plus d’argent dans la campagne contre Sanders, mais ils finiraient probablement par financer le candidat Républicain si Sanders se mettait à battre Buttigieg (comme c’est presque certain si l’on en croit les sondages). En revanche, si cette course à l’investiture finit par avoir lieu entre Warren contre Buttigieg, alors les milliardaires du Parti ne soutiendraient probablement pas le candidat Républicain, ils continueraient à faire des dons au Parti Démocrate, quel que soit le candidat qui l’emporte, afin de battre Trump (ou tout autre candidat Républicain), et prendre le contrôle du pays des mains des milliardaires Républicains (comme c’est maintenant le cas).

Par conséquent, les organes de propagande de David Bradley sont au rouge, très rouges. À titre d’exemple typique, des histoires récentes à son sujet ont fait la une de The Atlantic : « Elizabeth Warren a du charisme et se lance dans la course à la présidentielle », et « la folle nuit d’Elizabeth Warren », et « l’activiste de gauche sait déjà qui elle veut comme président ». Par exemple : le dernier de ces articles parlait de « Netroots Nation, une conférence qui existe depuis le début des années 2000 », qui « est dirigée par le blog politique libéral Daily Kos ». Voilà ce qu’il cache : Le Daily Kos a été fondé et détenu par l’agent de la CIA et aristocrate salvadorien Markos Moulitsas, un ancien républicain d’extrême droite, qui a créé son site web en 2002 et s’est soudainement spécialisé dans la tromperie des Démocrates progressistes pour soutenir ceux décidés par le Comité national Démocrate c’est-à-dire par les milliardaires. Contrairement aux torchons Démocrates modérés de David Bradley, le torchon Démocrate progressiste de Moulitsas, le Daily Kos, vise à manipuler les pigeons Démocrates qui pourraient voter dans les primaires pour des gens que les milliardaires craignent réellement – et c’est maintenant le cas pour Sanders – afin de les tourner plutôt vers le candidat mainstream (comme Biden, Buttigieg et Harris – et non Warren, le chouchou de David Bradley en tant que cheval de traque de Buttigieg). En 2016, ce candidat mainstream était Hillary Clinton (le DNC avait même truqué les primaires pour la faire gagner contre Sanders), mais plus récemment c’était Joe Biden et Pete Buttigieg ; et, maintenant, ce mainstream commence à inclure (du point de vue des milliardaires) Elizabeth Warren. C’est parce que Warren est beaucoup plus préféré par les milliardaires que Sanders, et ils veulent donc que les progressistes du Parti la choisissent, au lieu de Sanders, de sorte que le dernier concours présidentiel démocrate sera entre Warren contre le favori réel des milliardaires, qui est Buttigieg. S’ils ne peuvent pas le faire élire, au moins ils pourront la faire élire.

Le 19 avril, Jonathan Martin faisait la une du New York Times en titrant « Les Démocrates ‘Stop Sanders’ font une apoplexie devant la popularité de Sanders », et il commence ainsi :

Lorsque Leah Daughtry, une ancienne responsable du parti Démocrate, s'est adressée à San Francisco le mois dernier à une assemblée à huis clos d'une centaine de riches donateurs libéraux, il n'a fallu qu'un rapide examen des règles primaires de 2020 pour leur faire peur. ... "Je crois que je leur ai fait peur", se souvient Mme Daughtry en riant, une évaluation qui a été confirmée par trois autres participants. Ils ne sont pas les seuls. ... Mais arrêter M. Sanders pourrait s'avérer difficile pour les Démocrates.

Martin poursuit en disant :

Sa force sur la gauche lui donne une réelle chance de remporter l'investiture démocrate et pourrait le rendre compétitif pour la présidence si son message de justice économique résonne dans le Midwest autant que l'appel de M. Trump au nationalisme dur et tranchant l’avait fait en 2016. Et pour de nombreux partisans de Sanders, les inquiétudes des Démocrates de l'establishment ne sont pas un problème.

Cette perspective fait peur aux Démocrates alignés sur l'establishment. ... David Brock, l'organisateur libéral [et fondateur du site Web anti-progressif du Parti démocrate Media Matters contre les républicains], ... a dit qu'il a eu des discussions avec d'autres collègues sur une campagne anti-Sanders et qu'il croit que celle-ci devrait commencer "le plus tôt possible". …

Howard Wolfson [voici son wiki], qui a passé des mois immergés dans les sondages Démocrates et les groupes de discussion au nom de l'ancien maire de New York, Michael R. Bloomberg, a lancé un franc message aux sceptiques des capacités de Sanders : "Les gens sous-estiment la possibilité qu'il devienne candidat à leurs propres risques et périls." …

La question de "que faire" avec Bernie et l'impératif plus large de l'unité du parti ont, par exemple, plané sur une série de dîners Démocrates à New York et à Washington organisés par un ancien financier du parti, Bernard Schwartz [le milliardaire ancien vice-président de Lockheed Martin]. … Gifford [le directeur des finances de l'ancien président Barack Obama pour 2012, qui]... a rendu public ces derniers jours sa consternation à l'égard des principaux collecteurs de fonds Démocrates qui restent sur la touche, a déclaré au sujet de M. Sanders, "J'ai l'impression que tout ce que nous faisons joue en sa faveur". Mais le danger de rallier l'élite donatrice du parti contre un candidat dont toute la vie publique a été organisée autour de la confrontation à la concentration de la richesse est évident : M. Sanders saisirait avec joie n'importe quelle tentative des Stop Bernie. "Vous pouvez le voir en train de lire les gros titres", s'est demandé M. Brock : "Les riches ne m'aiment pas."

Ainsi, la montée en puissance d’Elizabeth Warren donne aux milliardaires un candidat progressiste qui pourrait soit remporter la nomination, soit au moins diviser les électeurs progressistes lors des primaires (entre Sanders et Warren) et donc donner la nomination à Buttigieg, qui est leur premier choix (surtout depuis que Biden et Harris sont si mal en point).

C’est ce qui explique les apparitions soudaines de Warren dans les torchons néoconservateurs tels que The Atlantic, The New Republic, New Yorker et Mother Jones. C’est fait pour mettre en place le dernier round, afin que son résultat soit acceptable pour les milliardaires qui financent le parti Démocrate. Son bilan au Sénat américain est invariablement en faveur des invasions, des coups d’État et des sanctions contre les pays qui n’ont jamais envahi ou menacé d’envahir les États-Unis, comme le Venezuela, la Palestine, la Syrie et l’Iran ; elle est 100% néoconservatrice (tout comme G.W. Bush, Obama et Trump l’étaient ou le sont) ; et, pour les milliardaires, c’est encore plus important que son dossier politique concernant Wall Street, car le complexe militaro-industriel qu’elle représente est encore plus important pour imposer et étendre le grand empire américain que les entreprises d’investissement ne le sont. Ainsi, alors qu’ils seraient en mesure de traiter avec Warren, ils ne seraient pas en mesure de traiter avec Sanders, dont le dossier politique est remarquablement progressiste à tous les égards, et pas seulement sur les questions intérieures américaines. Alors que le public ne s’intéresse pratiquement qu’aux affaires intérieures, les milliardaires se préoccupent encore plus des affaires étrangères que des affaires intérieures, et ce fait plus que toute autre chose rend Sanders tout à fait inacceptable pour eux. Sous un président Warren, la série d’invasions, de coups d’État et de blocus économiques (sanctions) de l’Amérique se poursuivrait ; mais, sous un président Sanders, tout cet argent gaspillé serait dépensé pour améliorer la vie du peuple américain plutôt que pour détruire la vie des résidents de ces pays étrangers afin de conquérir leurs terres au nom des droits de l’homme et de la démocratie, et pour « défendre l’Amérique » face à un ennemi qui ne nous a jamais menacés. C’est une réalité que les Démocrates et les Républicains de l’Establishment (le fonctionnement collectif de tous les milliardaires et de leurs médias d’information et groupes de réflexion, etc.) cachent au public. Et c’est pourquoi, par exemple, l’Amérique a envahi l’Irak sur la base de mensonges en 2003, à envahi la Libye sur la base de mensonges en 2011, et la Syrie sur la base de mensonges en 2013, et peut-être le Venezuela et l’Iran sur la base de mensonges après la prochaine élection présidentielle.

Eric Zuesse

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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