Par Pepe Escobar – Le 31 mars 2015 – Source : Sputnik
Me voici sur une terre sacrée au Donbass, qui était aussi une terre sacrée à l’époque de l’Union soviétique. Du haut de cette colline se trouvant à peu près à mi-chemin entre Donetsk et Lougansk, s’érigeait un monument à la mémoire des héros de la Deuxième Guerre mondiale qui ont défait le nazisme et le fascisme.
Dans le cadre de ce qu’il appelle ses opérations antiterroristes, Kiev, qui continue de diaboliser toute la population du Donbass, a tout mis sens dessus dessous. L’an dernier, les forces de Kiev ont pris Saur-Mogila et bombardé tout le monument. Les forces armées des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ont repris la colline depuis, non sans peine. Aujourd’hui, le drapeau rouge, blanc et bleu de la résistance, qui flotte au vent, domine le paysage.
En montant la colline, je suis tombé accidentellement sur une vision aussi nette qu’éloquente de la guerre civile en cours en Ukraine, théâtre à échelle réduite de la Guerre froide 2.0, cette confrontation géopolitique par procuration à laquelle se livrent les USA et la Russie et qui ne fait pas de quartier.
Une des statues du monument, qui représente un héros de la Deuxième Guerre mondiale, est en fragments, mais pas détruite. Son torse déchiré surgit du sol. Soixante-dix ans après la victoire contre le nazisme et le fascisme, la statue a failli être réduite en poussière par les forces de Kiev, alliées à des éléments nazis et fascistes qui les ont aussi infiltrées. L’Europe, qui refuse de voir ce qui se passe vraiment dans ses régions frontalières orientales, fait de nouveau preuve d’une insensibilité extraordinaire.
Du haut de la colline, j’ai fini par obtenir une perspective géographique complète des batailles de l’été dernier. Au loin en direction du nord-est, se trouvaient les forces armées du chef fasciste du Secteur droit Dmytro Yarosh. La Russie se trouve à droite.
Le chaudron de Debaltsevo (trois chaudrons en fait), où les forces de Kiev ont été encerclées, prises en étau et détruites par la résistance, se trouve au nord-ouest, à 40 kilomètres de distance. Les habitants de Donetsk disent qu’il pourrait y avoir eu au moins 10 000 morts du côté de Kiev pendant toute la durée du siège.
« Leurs enfants seront terrés dans des caves »
Saur-Mogila représente une grande victoire militaire pour le Donbass. Mais ce qui importe le plus pour les simples citoyens, c’est la situation humanitaire, qui demeure grave. Le médecin en chef spécialiste des traumatismes de l’hôpital général de Donetsk m’a assuré que l’aide de la Croix-Rouge ou de la communauté internationale n’a jamais atteint la ville.
Après tout, pour les bureaucrates corporatistes manucurés de Washington et Bruxelles, les habitants du Donbass sont tous des terroristes, conformément au scénario préparé par Kiev, qui sort tout droit de l’ère Debeliou Bush dominée par les néocons.
L’Occident, ô combien civilisé, mais peu enclin à tirer des leçons de l’histoire, devrait plutôt s’attarder davantage à la valse des oligarques à Kiev qui, telles des araignées dans une bouteille, ne présentent qu’un simulacre de démocratie en ces temps orwelliens.
Voici comment l’oligarque théoriquement à la tête de l’État (il ne l’est pas; ce rôle revient à la CIA et au département d’État des USA), Petro Porochenko, traite toute la population du Donbass: Nos enfants iront à l’école et à la maternelle, tandis que leurs enfants seront terrés dans des caves!
Ce sont là les paroles du dirigeant d’un État (en déliquescence) aspirant à rejoindre l’Union européenne qui, c’était prévisible, regarde ailleurs.
Des gens terrés dans des caves, c’est ce que j’ai vu à Donetsk (ça aussi c’était prévisible), dans des centres pour anciens combattants transformés en refuges et dans des abris antiaériens de l’ère soviétique avec toute l’iconographie de l’époque peinte sur les murs. Des familles entières, des vieillards, des gens qui n’osent même pas sortir en plein jour et des dizaines de bébés, enfants et adolescents traumatisés.
D’après Iskander Sultan, un coordonnateur de groupes formés de bénévoles basé à Moscou, pas moins de deux millions de réfugiés auraient quitté le Donbass au cours de la dernière année. Au début des années 2000, quatre millions de réfugiés afghans avaient fui les talibans.
D’autres ont décidé de rester, notamment les retraités dont les pensions, gelées par Kiev, leur seront de nouveau versées par les deux Républiques populaires (leur parlement compte 60 membres; 30 de Donetsk et 30 de Lougansk, qui travaillent en étroite collaboration).
Vu de Donetsk, le sort de tant de familles de la classe ouvrière et de la classe moyenne inférieure, qu’on pourrait aussi bien retrouver à Manchester, Lille, Bologne ou Valence, qui ont été déplacées par une guerre par procuration qu’elles n’ont jamais voulue, qui sont diabolisées en bloc comme des méchants terroristes, qui sont menacées de déportation et complètement ignorées par l’Occident, ô tellement civilisé, est tout aussi ahurissant que l’arrogance et l’ignorance crasse du discours civilisé, qui ne voit en Ukraine qu’une lutte sans merci entre les bons démocrates de Kiev et les méchants rebelles contrôlés à distance par la Russie.
La population civilisée n’est au courant de rien, parce que les médias institutionnels occidentaux ne sont pas autorisés à l’informer. À Donetsk, en revanche, l’avenir du Donbass est amplement débattu. Certains favorisent l’établissement d’une région autonome au sein de l’Ukraine (sauf qu’ils reconnaissent la minute suivante qu’après le massacre d’Odessa en mai dernier et avec cette junte à Kiev qui les traite de terroristes, cela n’arrivera jamais). D’autres préfèrent l’annexion à la Russie (sauf qu’ils reconnaissent la minute suivante que ce serait un fardeau que Moscou ne devrait pas endosser).
Dans l’intervalle, c’est la lutte pour la survie qui prime. Primorka (terre à l’orée de la mer), qui borde la mer d’Azov dans la région de Rostov, est l’un des camps de réfugiés de l’est de l’Ukraine en territoire russe. Il abrite actuellement 246 personnes, y compris 51 enfants qui vont à l’école et trois nouveau-nés. La plupart des réfugiés sont âgés, proviennent surtout de Donetsk, n’arrivent pas à trouver du travail, mais rêvent de retourner chez eux. Une des familles est même parvenue à sortir du chaudron de Debaltsevo.
Le lieu a déjà été un camp d’été pour les enfants, qui a fermé il y a quelques années. Sa réouverture est due à l’initiative d’un simple citoyen, Alexander Dobrovolsky, qui a vendu son appartement pour financer l’opération. Au départ, Primorka comptait plus de 1 300 réfugiés. Le camp a depuis fini par obtenir une aide financière municipale et fédérale.
Parmi les chiens errants se promenant dans le camp très propre et bien entretenu situé juste au bord de la mer, il y en a un qui s’appelle Obama. Un autre s’appelle Yats. Il y avait aussi un chien qui s’appelait Porochenko, mais il est mort il y a deux semaines.
Pepe Escobar s’est rendu à Donetsk à l’invitation du projet médiatique Europa Objektiv, basé en Allemagne.
Traduit par Daniel, relu par jj et Diane pour Le Saker francophone.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
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