Le ministre des Affaires étrangères turc Feridun Sinirlioglu :
«ISIS menace notre mode de vie et notre sécurité … Nous avons des plans pour agir militairement contre eux dans les prochains jours. Vous verrez.»
Par Mike Whitney – Le 6 novembre 2011 – Source CounterPunch
Sa victoire écrasante aux élections anticipés en Turquie le 1er novembre a supprimé le dernier obstacle dans le mouvement du président Recep Tayyip Erdogan vers la guerre. Le résultat surprise du vote, qui a été largement dénoncé comme «déloyal et gâté par la crainte et la violence par des observateurs internationaux », a donné au Parti de la Justice et du Développement d’Erdogan (AKP) 49 % du vote reconstituant ainsi le règne d’un parti unique à Ankara.
Peu de temps après que les résultats d’élection ont été annoncés, le Premier Ministre Ahmet Davutoglu a invité les partis politiques de Turquie à abandonner la constitution existante pour pouvoir accorder au Président Erdogan une autorité exécutive presque illimitée.
Selon Turkeys Today (Journal Turque) Davutoglu avait dit, «J‘invite tous les partis entrant au parlement à former une nouvelle constitution nationale civile … Travaillons ensemble pour une Turquie où le conflit, la tension et la polarisation sont inexistants et où tout le monde se salue dans la paix.»
Autrement dit, le vote est utilisé pour saboter la démocratie et établir le pouvoir suprême du président. Moins de 24 heures après que Erdogan avait regagné le contrôle du gouvernement par le parti unique, il a réaffirmé l’appel de Davutoglu à étendre les pouvoirs présidentiels par un référendum national.
Ainsi, selon Erdogan, lors de sa conférence de presse. «Une question comme le système présidentiel ne peut pas être décidée sans la nation…Si le mécanisme exige un référendum, alors nous ferons un référendum…La présidence exécutive n’est pas une question pour l’avenir personnel de notre président. Il est déjà entré dans l’histoire. La motivation de base est de rendre le système en Turquie aussi efficace que possible.»
Ainsi, les pouvoirs dictatoriaux du président ont déjà été établis et le référendum est simplement une formalité.
Clairement, Erdogan veut utiliser le référendum pour consolider son pouvoir, établir la gouvernance d’une seule personne et mettre fin au gouvernement représentatif en Turquie. C’est un Islamiste engagé qui veut abroger la démocratie et créer un régime islamique qui s’étend au-delà des frontières présentes de la Turquie dans l’Irak et la Syrie. C’est pourquoi il a été un partisan si enthousiaste des groupes djihadistes se battant en Syrie.
Plus important, Erdogan a l’intention d’utiliser sa victoire électorale écrasante pour persuader le Haut commandement Militaire qu’il a un mandat populaire pour sa politique étrangère, une politique qui a amassé des milliers de troupes turques, des véhicules blindés et des chars à la frontière syrienne pour une invasion possible. Jusqu’ici, l’armée a résisté à Erdogan à ce sujet, mais maintenant que le major général de l’Armée, le général Necdet Özel, a été remplacé comme responsable des Forces armées turques (TSK) par un général beaucoup plus accommodant, le général Hulusi Akar, le plan d’envahir la Syrie et garantir «une prétendue zone de sécurité» devient beaucoup plus probable.
Le plan pour annexer des territoires syriens souverains et les utiliser pour lancer des attaques contre le gouvernement de Président syrien Bashar Assad Al date de 2012. En 2015, cependant, la stratégie a été étendue selon l’analyste de Brookings Michael E. O’Hanlon dans un article intitulé
«Déconstruire la Syrie : une nouvelle stratégie pour la guerre la plus désespérée de l’Amérique». Voici un extrait :
«…le seul chemin réaliste serait un plan qui, en réalité, déconstruit la Syrie … La communauté internationale devrait travailler pour créer, au fil du temps, des poches de sécurité et de gouvernance en Syrie … L’idée serait d’aider des éléments modérés à établir des zones sûres en Syrie dès qu’ils auront les moyens de le faire. Les forces américaines, saoudiennes et des forces arabes turques, britanniques, jordaniennes et autres agiraient comme des assistants, non seulement dans les airs, mais également au sol via des forces spéciales. … Les forces occidentales elles-mêmes resteraient en général dans des positions plus sécurisées – dans les zones sûres, mais en arrière des lignes du front – au moins jusqu’à ce que la fiabilité des défenses et des forces alliées locales, permettent de se déployer et de vivre dans des d’emplacements avancés.
La création de ces sanctuaires ouvrirait des zones autonomes qui ne devraient jamais plus faire face à la perspective d’être soumises à l’autorité par l’un ou l’autre Assad … Le but provisoire pourrait être une Syrie confédérale, avec plusieurs zones autonomes… Une confédération qui exigerait probablement l’assistance d’une force de maintien de la paix internationale…. pour rendre ces zones défendables et gouvernables, … pour former et équiper plus de recrues afin de stabiliser ces zones et ensuite les étendre progressivement.»
Ceci est le plan de base de l’administration Obama pour renverser Assad et réduire la Syrie à un état ingouvernable, dirigé par des chefs militaires régionaux, des milices renégates et des extrémistes islamiques. Le Secrétaire d’État américain John Kerry a confirmé nos pires soupçons concernant ce plan sinistre dans un discours qu’il a livré à la Carnegie Endowment for International Peace, juste la semaine dernière. Voici en partie ce qu’il a dit :
«En Syrie du nord, la coalition et ses partenaires ont repoussé Daesh (ISIS) de plus de 17 000 kilomètres carrés du territoire et nous avons sécurisé la frontière turco-syrienne à l’est de l’Euphrate. C’est environ 85 % de la frontière turque et le président [Obama] autorise de nouvelles actions pour sécuriser le reste.
Nous augmentons aussi notre campagne aérienne pour aider à chasser Daesh qui a par le passé dominé la frontière turco-syrienne, hors des derniers 110 km de terrains frontaliers qu’il contrôle. »
Répétons : «c’est environ 85 % de la frontière turque et le Président autorise de nouvelles activités pour sécuriser le reste.»
Pourquoi Obama «a-t-il autorisé de nouvelles activités pour sécuriser le reste» ?
Parce que personne à Washington ne croit que les djihadistes soutenus par les États-Unis battront les forces combinées de la coalition menée par les russes qui annihilent progressivement les milices terroristes à travers la Syrie. Alors maintenant, Obama avance son plan B, la création d’un sanctuaire terroriste du côté syrien de la frontière turque où les US et leurs partenaires peuvent continuer à armer, former et déployer leurs fous-maniaques djihadistes en Syrie quand ils le voudront. Sans aucun doute, les forces spéciales d’Obama seront utilisées pour surveiller cette opération et s’assurer que tout ira comme prévu.
Il y a, bien sûr, la question du rôle des milices Kurdes dans cette stratégie. Récemment, les États-Unis ont parachuté des cargaisons d’armes et de munitions au PYD (Parti démocrate Unie Kurde) dans l’espoir que ce groupe pourrait aider les US à sécuriser le dernier bout de terrain le long de la frontière à l’ouest de l’Euphrate, gardant ainsi les lignes logistiques essentielles ouvertes pour les djihadistes en établissant une zone de sécurité sur le territoire syrien. Erdogan s’oppose violemment à n’importe quelle opération qui créerait un état Kurde contigu sur le côté syrien de la frontière.
Alors comment cette situation va-t-elle évoluer ? Obama restera-t-il fidèle aux Kurdes ou se réalignera-t-il sur Erdogan en échange de soldats turques sur le terrain ?
Personne ne le sait encore, mais une alliance turco-américaine serait certainement plus formidable qu’une alliance des États-Unis et du parti kurde PYD. Connaissant la longue histoire de Washington qui choisit toujours la solution la plus opportuniste pour réaliser ses buts politiques, nous nous attendons à ce qu’Obama s’aligne sur Ankara.
Cela vaut la peine de noter que le Parlement turc a déjà, en octobre 2014 «… approuvé un déploiement possible de forces terrestres turques en Syrie et a ouvert la porte à des bases de troupes étrangères en Turquie». En utilisant le prétexte «du combat contre le terrorisme» comme excuse pour l’invasion, Erdogan a dit, «Nous sommes ouverts et prêts pour n’importe quelle sorte de coopération… Par contre, la Turquie n’est pas un pays qui s’engagera dans des solutions provisoires … Le départ immédiat de l’administration actuelle à Damas, l’unité territoriale de la Syrie et l’installation d’une administration qui réunira toutes les parties continueront d’être nos priorités.»
Autrement dit, Erdogan ne fournira pas des forces terrestres à moins que les US ne disent qu’il sont engagés dans le changement de régime en Syrie.
Erdogan a été le partisan le plus zélé des zones sûres, une idée qui exigerait que des avions de guerre américains patrouillent dans les cieux sur la Syrie du Nord avec de petits groupes de troupes américaines sur le sol. Ce plan augmente grandement la probabilité d’un heurt inattendu avec les avions de guerre russes, ce qui pourrait mener à une confrontation directe entre les deux puissances nucléaires.
Regardez maintenant cet article qui a paru dans le UK Telegraph britannique en juin 2015, qui était très clairvoyant dans sa prédiction. Le texte est intitulé «La Turquie planifie d’envahir la Syrie» :
«Le président Recep Tayyip Erdogan a autorisé un changement des règles d’engagement, accepté par le Parlement turc, pour permettre à l’armée de frapper l’État Islamique en Irak et du Levant (Isil), aussi bien que le régime Assad, selon des journaux locaux. Le but est d’établir une zone tampon pour des réfugiés et contre Isil…»
La Turquie a pressé la création d’une zone tampon protégée par des forces internationales au nord de la Syrie depuis que la guerre civile a poussé des centaines de milliers de réfugiés à travers la frontière.
Des médias turcs ont été mis au courant des nouveaux ordres donnés aux militaires pour préparer l’envoi d’une force de 18 000 hommes à travers la frontière. Les troupes saisiraient un territoire de 100 km de long et 32 km de profondeur, y compris les frontières de Jarablus, actuellement dans les mains de Isil, puis Aazaz, actuellement contrôlé par l’Armée syrienne Libre (FSA).
Les lecteurs remarqueront la similitude saisissante entre le plan d’Erdogan et la stratégie de Brookings. Washington et Ankara semblent partager la même vision sur la façon de partager la Syrie après l’invasion éventuelle. Cela dit, il serait surprenant que Erdogan et Obama ne puissent pas outrepasser leurs différences et se mettre d’accord sur une façon de réaliser leur objectif commun.
Erdogan a fait un effort considérable pour lever les obstacles l’empêchant de lancer une invasion de la Syrie. Il a reçu le feu vert du Parlement pour déployer l’armée s’il estime qu’il y a une menace à la sécurité nationale de la Turquie. Il a effectivement internationalisé le conflit en permettant aux US de baser des avions de guerre britanniques et français à Incirlik – ce qui absoudra Erdogan et ses favoris de la responsabilité légale future de la guerre et de ses crimes. Et, pour finir, les élections ont fourni a Erdogan le mandat dont il avait besoin pour convaincre l’armée que sa politique étrangère a le plein soutien du peuple turc. Ainsi maintenant qu’il a mis ses oies au pas, la seule question restante est celle-ci : lancera-il vraiment l’invasion ou non ?
Mercredi, le ministre des Affaires Étrangères turc Feridun Sinirlioglu a confirmé qu’Erdogan planifiait d’envahir la Syrie sous le prétexte «du combat contre le terrorisme».
Voici un extrait d’un article dans Daily Sabah (Quotidien Turque) :
«La Turquie a des plans pour lancer une opération militaire contre ISIS dans un proche avenir», a dit mercredi le ministre des Affaires Étrangères turc. Feridun Sinirlioglu était à une conférence sur le futur du Moyen-Orient, tenue à Erbil, la région Kurde de l’Irak du nord.
«Daesh (ISIS) menace notre mode de vie et notre sécurité. […] Nous avons des plans pour agir militairement contre eux dans les jours suivants. Vous verrez. Nous devrions tous tenir ensemble contre ce danger» a-t-il ajouté.
«Nous continuerons nos efforts pour éliminer toutes les organisations terroristes. Nous agirons d’une façon responsable pour que la région Kurde et l’Iraq puissent réussir dans la lutte contre le terrorisme. Ceci est un message clair envers l’Iraq et la région Kurde pour un avenir radieux»
Naturellement, rien de tout ceci n’est en rapport avec la lutte contre le terrorisme, en fait, Erdogan a été le meilleur ami des terroristes, leur permettant de passer librement dans les deux sens à travers sa frontière. Ce que l’annonce de Sinirlioglu veut dire est que la Turquie est finalement prête à saisir les 3 200 km2 de terrain mentionnés dans l’article du Telegraph.
Au moment de l’écriture de cet article, nous ne savons pas ce que sera la réaction de la Maison blanche à cette annonce de Sinirlioglu, mais nous savons qu’Obama à prévu de rencontrer Erdogan à Ankara dans moins de deux semaines. D’ici là, l’administration aura [peut-être ?, NdT] décidé si elle reste fidèle aux Kurdes ou si elle joint son destin à celui d’Erdogan. Dans tous les cas, il y aura une tentative de créer une zone sûre d’où Washington pourra continuer à poursuivre sa guerre contre Assad.
Cela au moins est un certitude.
Ces développements suggèrent que Poutine devra se dépêcher s’il veut sceller la frontière et faire dérailler le plan d’Erdogan. Le président russe pourrait déployer des Forces Spéciales russes et des divisions blindées dans le nord pour décourager l’aventurisme des turco-étasuniens et empêcher la guerre de se transformer en bourbier.
Ceci est une situation où la préemption par les russes pourrait vraiment apporter un très grand profit.
Mike Whitney vit dans l’État de Washington. Il est un collaborateur à Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion (Désespéré : Barack Obama et la Politique d’Illusion) (AK Press. Hopeless est aussi disponible dans une édition de Kindle. Il peut être contacté à fergiewhitney@msn.com.
Traduit par Jefke, édité par jj, relu par Literato pour le Saker Francophone