Quatrième semaine de l’intervention russe en Syrie : évaluation de la Déclaration de Vienne


2015-09-15_13h17_31Par Le Saker original – Le 2 novembre 2015 – Source thesaker.is

Je dirais que, du moins jusqu’à présent, la Russie a atteint de nombreux objectifs importants dans son intervention en Syrie. Plus important encore, l’intervention russe a forcé les États-Unis à accepter une conférence à laquelle tous les acteurs régionaux, y compris l’Iran, seraient invités. A la fin de ses travaux, la conférence a adopté une déclaration commune que j’ai intégralement publiée ici.

Je crois que cette déclaration constitue une défaite diplomatique majeure pour les États-Unis et donc une nouvelle victoire diplomatique pour la Russie. Voici quelques-uns des points qui ont été acceptés (avec la section correspondante de la déclaration indiquée entre parenthèses) :

  • L’Iran participera aux négociations sur l’avenir de la Syrie (Préambule)
  • Le démembrement de la Syrie ne sera pas autorisé (#1)
  • La Syrie ne sera pas gouvernée par un régime religieux (#1)
  • L’armée syrienne ne sera pas dissoute (#2)
  • Daesh et les autres terroristes doivent être vaincus (#6)
  • Le peuple syrien pourra choisir son dirigeant (#8)

Maintenant, traduisons cela en termes politiques et voyons ce que cela l’implique.

  • Les États-Unis n’ont pas réussi à isoler l’Iran, dont le rôle crucial est maintenant reconnu par tous
  • Les États-Unis n’auront pas le droit de diviser le pays entre un Wahhabistan et un Alaouistan
  • Aucune des factions soutenues par les États-Unis (toutes étant religieuses) ne seront autorisées à gouverner
  • L’Armée syrienne (qui est solidement pro-Assad) ne sera ni dissoute ni désarmée
  • Toutes les factions soutenues par les États-Unis (toutes étant des extrémistes wahhabites) doivent être vaincues militairement
  • Assad sera autorisé à rester au pouvoir (puisqu’il est de loin le dirigeant le plus populaire)

Maintenant, je ne suis pas assez stupide ou naïf pour croire une seconde que les États-Unis respecteront ces termes. Bien au contraire. Tout ce que je dis est que la Russie a infligé encore une autre défaite diplomatique massive aux États-Unis, semblable à celle de Lough Erne ou aux Accords de Minsk-1 et Minsk-2. A Lough Erne, par exemple, les États-Unis ont dû accepter la déclaration suivante : «Nous appelons les autorités et l’opposition syrienne à la Conférence de Genève à s’engager conjointement à détruire et à expulser de Syrie toutes les organisations et individus affliés à al-Qaïda et tous les autres acteurs non étatiques liés au terrorisme.» En d’autres termes, on disait aux wahhabites liés à Daesh de joindre leurs forces à celles de l’Armée syrienne pour vaincre Daesh !  Bien sûr nous savons tous que cela ne s’est pas passé comme ça. Mais l’important ici est que les actions et les politiques des américains sont tellement indéfendables que les États-Unis doivent les condamner ou, au moins, les contredire, dans tout forum public.

Permettez-moi de le répéter une fois de plus : ce que font les États-Unis sur le terrain est, en réalité, en totale contradiction avec la politique qu’ils déclarent :

Actions/politiques/objectifs US Politique officielle US en Syrie
Soutien militaire total à Daesh Opposition catégorique à Daesh
Promotion d’un régime wahhabite Promotion d’un régime laïque
Partition de la Syrie Maintien d’une Syrie unie
Destruction de l’armée syrienne Maintien de l’Armée syrienne
Destitution de Assad à tout prix Peuple syrien libre d’élire Assad
Sabotage de tous les efforts russes Collaboration avec la Russie
Changement de régime en Iran Iran comme partenaire

Alors que, du moins jusqu’à maintenant, les États-Unis avaient réussi à faire l’exact opposé de ce qu’ils déclaraient, cela devient extrêmement difficile une fois que l’armée russe est directement impliquée. Cela a été parfaitement illustré par le moment surréaliste où suite aux accusations US que la Russie bombardait les faux terroristes, les États-Unis ont refusé de donner à la Russie une liste des vrais et une liste des faux.

Cette tactique visant à forcer les États-Unis à accepter formellement quelque chose à quoi ils s’opposent est aussi celle que Poutine avait utilisée pour l’Accord de Minsk-2, où les Russes, fondamentalement, ont contraint les États-Unis et leur régime de marionnettes à accepter un dialogue avec les Novorusses, même si un tel dialogue est absolument hors de question. C’est ce que fait la Russie aujourd’hui : forcer les États-Unis à négocier avec Assad et l’Iran.

Par contraste, la politique et les actions que déclare la Russie sont aussi simples, directes et en totale conformité les unes avec les autres : vaincre les terroristes, soutenir le gouvernement légal de la Syrie, respecter le droit international. Dans le cas de la Russie, pas besoin de cacher quoi que ce soit et, en fait, les Russes ont été étonnamment transparents sur leurs opérations.

Cela fait maintenant des années que les États-Unis ont rêvé de faire à Assad ce qui avait été fait à Hussein et à Kadhafi, et ils ont très certainement la puissance militaire pour le faire : ce qu’ils découvrent, à leur grand dam, est que la Russie est capable de défaire les projets américains en recourant habilement à un mélange de diplomatie intense et d’efforts militaires limités. Jusqu’ici, les États-Unis n’ont pas trouvé le moyen de faire face à cette situation.

Sur le front militaire la situation reste, au mieux, compliquée. Les meilleurs articles que j’ai trouvés sur la situation de combat sont, encore une fois, sur le site internet du Colonel Cassad. Pour résumer brièvement une longue histoire et vous épargner tous les détails de chaque bataille, il semble que l’Armée syrienne progresse lentement dans de nombreuses directions, mais qu’elle a été incapable de capitaliser sur les frappes aériennes russes et que ces modestes succès tactiques n’ont pas débouché sur des percées opérationnelles. Pour le dire simplement : les forces gouvernementales combattent très dur pour atteindre des succès modestes.

Je ne blâme d’ailleurs absolument pas les Syriens pour ça. Les lignes de front sont longues, complexes, les wahhabites y sont bien enfouis, le contingent de l’armée de l’air russe est très petit et ne peut pas tout faire. Un expert russe a déclaré aujourd’hui qu’il croit que l’Armée syrienne a perdu environ 85 000 hommes depuis que la guerre a commencé. Si c’est vrai, cela expliquerait, au moins en partie, que les Syriens sont débordés et ont du mal à concentrer suffisamment de forces en un endroit pour opérer une percée.

Pourtant, il est tout à fait possible que les efforts combinés des Russes et des Syriens remportent finalement un succès opérationnel et que les forces de Daesh s’effondrent soudainement, au moins sur une partie du front. Le problème est que les deux camps sont dans une course contre la montre : la prochaine séance de négociations est prévue dans deux semaines déjà et, jusqu’ici, aucune des deux parties ne montre qu’elle viendra à la table des négociations en position de force. Apparemment, les Américains projettent une sorte d’attaque sur Raqqa, et ils veulent utiliser pour cela principalement des forces kurdes. Si c’est ainsi, alors c’est un plan plutôt bizarre. Après tout, pourquoi les forces kurdes seraient-elles d’accord avec une opération aussi dangereuse et potentiellement coûteuse (en termes de matériel et de vies humaines), si loin de leurs propres zones, qu’elles doivent protéger dans plus ou moins toutes les directions ?!  En comparaison, le plan russe visant à débloquer l’armée syrienne en l’aidant à reconquérir Alep et la route stratégique qui relie Damas à Homs et Alep paraît beaucoup plus réaliste, même si elle est pleine de difficultés potentielles. Si les Syriens échouent à atteindre ces deux buts au cours des deux prochaines semaines, cela compliquera énormément les prochaines négociations et pourrait contraindre l’Iran et le Hezbollah à engager des forces beaucoup plus importantes pour soulager l’armée syrienne.

Les prochaines semaines seront cruciales.

The Saker

Traduit par Diane, édité par jj pour le Saker Francophone

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