Par Ron Unz − Le 24 juin 2024 − Source Unz Review
En 2019, une personnalité publique de tout premier plan — dont le nom est extrêmement connu — s’est rendue à Palo Alto pour partager un dîner privé avec moi. Apparemment, il était au courant des écrits controversés que j’avais produits l’année précédente, au sujet de l’assassinat de JFK et, à la veille des révélations sur Jeffrey Epstein, il avait conclu que j’avais probablement raison sur l’idée qu’Israël et le Mossad portaient sans doute une lourde responsabilité dans la mort du 35ème président des États-Unis. Alors que nous discutions de ce sujet, j’ai adhéré à certains éléments de son raisonnement, et ai expliqué que le Mossad avait également joué un rôle central dans les attentats du 11 septembre, chose qui le surprit grandement, car il n’avait apparemment jamais creusé ce sujet-là.
Mais malgré mon insistance sur l’existence de preuves très solides impliquant le Mossad dans les événements survenus en 1963 à Dallas, une possibilité qui n’était encore évoquée que via des chuchotements dans la plupart des cercles discutant de l’assassinat de JFK, je pensais que les éléments les plus solides impliquaient le président Lyndon B. Johnson, successeur immédiat de JFK et à qui le crime profitait de toute évidence en premier chef.
Le silence quasi total et continu autour du rôle probable du Mossad n’est guère surprenant, au vu des conséquences géopolitiques colossales si cette idée de culpabilité d’Israël venait à se répandre parmi la population étasunienne. Les derniers mois écoulés ont démontré la puissance politique et médiatique impressionnante du lobby israélien, quiconque évoquerait des accusations aussi incendiaires à l’encontre de l’État juif devrait certainement subir des conséquences très sévères.
En contraste, la page historique de LBJ est tournée depuis longtemps, puisqu’il est mort en 1973, il y a plus de cinquante ans, et que presque tous ses partisans actifs ont également quitté la scène, souvent depuis des dizaines d’années. Pour la plupart des Étasuniens contemporains, Johnson n’est sans doute qu’un nom dans les manuels d’histoire, une personnalité politique semblable à McKinley ou à Collidge, et ce nom n’est pas propre à embraser les émotions de nos jours. La réticence à envisager les preuves très solides de sa culpabilité dans la mort de son prédécesseur découlent sans doute d’autres facteurs.
Les États-Unis ont certes entretenu de nombreuses controverses conspirationnistes au cours du dernier siècle écoulé, mais je pense que l’assassinat du président John F. Kennedy en 1963 a fait l’objet d’une attention plus soutenue que tout autre.
Ce ne sont sans doute pas moins de mille ouvrages qui auront été publiés à ce sujet, la grande majorité de ces livres remettant en cause le récit officiel, et nombre de ces ouvrages sont devenus des bestsellers, atteignant parfois le tout premier rang des ventes nationales. Oliver Stone est considéré comme l’un des meilleurs producteurs, et son film étoilé de 1991, JFK, consacre plus de trois heures à présenter le récit de cette conspiration supposée, ce qui lui a valu un Oscar et lui attiré un large public. Au cours des trois dernières décennies, son spectacle passionnant a sans doute été vu par des dizaines de millions de personnes aux États-Unis et dans le monde entier. Des années plus tôt, en 1978, le Comité choisi par la Chambre sur les Assassinats avait produit son rapport final, proclamant que Lee Harvey Oswald n’avait pas agi seul, et déclarant donc que notre 35ème président était bien mort en raison d’une conspiration.
Mais malgré ces éléments, les médias établis ont maintenu un blocus contre ces théories durant plus de soixante ans. Tucker Carlson était le présentateur le plus populaire de l’histoire de la télévision câblée lorsqu’il a déclaré, fin 2022, à ses millions de téléspectateurs, que JFK était bel et bien mort d’une conspiration ayant lourdement impliqué des éléments de la CIA, une présentation que Robert F. Kennedy a immédiatement salué, et qu’il a reconnu comme étant la plus courageuse de ces soixante années. Malgré les scores d’audience stellaires obtenus par Carlson, il s’est fait éjecter de FoxNews quelques mois plus tard, et nombreux ont été ceux qui ont pensé que sa sortie sur JFK avait constitué un facteur important de cette purge.
De nos jours, on trouve de nombreuses controverses historiques stigmatisées sans égards par les médias comme « complotistes », mais je ne connais pas d’exemple en la matière à avoir été autant promu dans divers canaux établis d’information, et à avoir reçu un soutien officiel de la part du gouvernement. Croire que l’assassinat de JFK a relevé d’un complot est régulièrement dénoncé comme un exemple typique d’une pensée « complotiste », mais n’en a pas moins reçu des soutiens majeurs par des canaux de distribution ou par les autorités.
Et pourtant, étrangement, jusqu’il y a une bonne dizaine d’années, je n’avais jamais soupçonné que des controverses historiques aussi graves aient jamais pu exister, car j’avais passé la plus grande partie de mon existence sans rien connaître à ce sujet.
J’avais bien évidemment su que JFK s’était fait assassiner, et également qu’on trouvait des gens pour affirmer qu’un complot avait été responsable de sa mort. Mais j’avais toujours considéré ces gens comme des débiles et des cinglés ne disposant d’aucune preuve pour étayer leurs étranges opinions, des activistes marginaux semblables à ceux qui sont obsédés par les OVNI, la Scientologie ou les perceptions extrasensorielles, si bien que je ne leur avais jamais accordé la moindre attention.
La raison pour laquelle je suis resté totalement éloigné de ce sujet durant des décennies était le cocon médiatique au sein duquel je vivais, qui n’exposait que des faits très limités ou présentés de travers, tout en ricanant à l’envi face aux opinions complotistes et à leurs soutiens naïfs. Je savais depuis toujours que les médias étaient malhonnêtes sur certains sujets, mais je n’avais jamais imaginé que leur malhonnêteté allait jusqu’à ces événements fatals de l’année 1963 à Dallas, événements que j’avais toujours considérés comme trop importants pour pouvoir rester dissimulés sur une longue durée.
D’autres que moi ont sans doute été beaucoup moins naïfs au fil du temps, mais auront maintenu un silence prudent. Il y a deux mois, j’ai pris un café avec un ami universitaire de premier plan qui connaissait bien les nombreux articles « complotistes » que j’ai pu produire au cours des dernières années, et il a déclaré tranquillement avoir toujours été très sceptique vis-à-vis du récit officiel de l’assassinat de JFK. L’un de ses manuels scolaires, utilisé dans le secondaire, avait incorporé la célèbre photo d’Oswald au moment où il se faisait tirer dessus par Jack Ruby, dans un poste de police de Dallas, et alors qu’il n’était encore que lycéen, il avait conclu que le meurtre du supposé assassin du président peu de temps après sa capture et sous le nez même des forces de police locales ressemblait de toute évidence à une preuve de complot. En contraste, j’ai sans doute juste hoché la tête avec crédulité lorsque ces faits sont parvenus à ma connaissance dans mes manuels scolaires, et suis sans doute passé au sujet suivant sans m’y attarder.
Des observateurs avisés ont souligné que les gens se laissent plus facilement prendre par de gros mensonges que par des petits, et c’est sans doute en partie pour cela que je n’avais jamais remis en question le récit officiel de l’assassinat de JFK. Le début des années 1960 a constitué l’apogée du Siècle Américain, et notre puissance et notre prospérité nationales ont alors semblé atteindre un point culminant, sans que des nuages fussent visibles sur notre horizon intérieur. JFK était devenu le président le plus jeune de notre histoire, et avec Jackie, sa jeune et jolie épouse, ils constituaient presque un couple de cinéma en comparaison avec les Eisenhower démodés ; ils bénéficiaient également de la puissance du nouveau média que constituait la télévision, et les expositions en couleur qu’ils recevaient dans des magazines hebdomadaires aussi influents et distribués que Life. La mort violente d’un président américain apparaissait alors comme presque inimaginable, et la dernière fois qu’un tel événements s’était produit remontait à 1901, avec l’assassinat par un anarchiste de William McKinley, plus de soixante ans plus tôt, à l’aube du XXème siècle. En atteignant l’âge adulte, j’avais toujours considéré vaguement les Kennedy comme la famille royale des États-Unis, et il me semblait totalement impensable que l’ensemble des médias étasuniens aient pu aussi longtemps dissimuler le fait que sa mort ait été le résultat d’une conspiration.
Après avoir découvert que la réalité universellement décrite d’un Saddam Hussein détenant des armes de destruction massives en Irak n’avait guère constitué qu’un canular médiatique, je suis devenu nettement plus soupçonneux sur les autres sujets, et le développement de l’Internet m’a fait connaître de nombreuses affirmations complotistes, dont j’ai commencé peu à peu à soupçonner la véracité. Mais la possibilité d’un complot derrière l’assassinat de JFK n’en faisait pas partie, et cette idée fait partie des dernières conspirations modernes d’envergure que j’ai fini par considérer comme vraies.
Et même lorsque j’ai fini par partir dans cette direction, accepter cette possibilité est resté chose difficile. Après avoir buté sur des faits anormaux qui avaient soulevé mes soupçons, j’ai lu avec attention Brothers par David Talbot et JFK and the Unspeakable par James Douglass, qui exposaient des preuves convaincantes en quantité. Mais je continuais de trouver difficile à faire mienne la possibilité qu’un fait historique aussi énorme ait pu rester dissimulé au milieu du paysage pendant toute ma vie.
Comme je l’ai expliqué par la suite :
Après avoir lu quelques livres qui ont complètement remis en question les opinions qui étaient implantées en moi au sujet d’un sujet central de l’histoire du XXème siècle, je me retrouvais véritablement décontenancé. Au fil des années, mes propres écrits m’avaient permis de développer des liens d’amitié avec une personne bien connectée que je considérai comme membre de l’élite bien établie, et dont l’intelligence et le jugement m’étaient toujours apparus comme extrêmement solides. J’ai donc décidé d’aborder le sujet avec cette personne, non sans précautions, et de voir s’il avait jamais douté de l’orthodoxie autour du « tireur solitaire ». À ma grande stupéfaction, il m’a expliqué que dès le début des années 1990, il était absolument convaincu de la réalité d’une « conspiration JFK » et qu’au fil des années, il avait dévoré, sans en parler, une grande quantité d’ouvrages sur ce sujet, mais sans jamais rien laisser transparaître en public, de crainte de voir s’évanouir sa crédibilité et détruire tout son potentiel politique.
Au cours des dernières années passées, quelques autres révélations ont également contribué à renverser totalement ma vision de la réalité. Même une ou deux années plus tard, j’ai trouvé très difficile de revenir sur le concept, comme je l’ai décrit dans une autre note envoyée à cet ami bien connecté :
En outre, je déteste broder sur ce sujet, mais chaque fois que j’examine les implications de l’affaire JFK, je suis de plus en plus stupéfait.
Le président des États-Unis. L’héritier de l’une des familles les plus riches et les plus puissantes des États-Unis. Dont le frère est le chef du maintien de l’ordre dans le pays. Ayant pour ami proche Ben Bradlee, éditeur parti sans peur en croisade dans l’un des médias les plus influents de la nation. Premier président catholique des États-Unis, une icône sacrée pour des millions de familles irlandaises, italiennes et hispaniques. Chéri au plus haut point par les plus grands d’Hollywood et par de nombreux intellectuels de premier plan.
Son assassinat est à classer parmi les événements les plus choquants et les plus spectaculaires du XXème siècle, qui a inspiré des centaines de livres et des dizaines de milliers d’articles de presse et de magazines, s’attardant sur chaque détail imaginable. L’argument du silence des médias dominants m’était toujours apparu comme décisif.
Dès mon enfance, il m’est toujours apparu comme évident que les médias dominants sont tout à fait malhonnêtes sur certains sujets, et au cours de la dernière décennie, j’ai développé des soupçons de plus en plus nourris sur toute une gamme d’autres sujets. Mais si vous m’aviez posé la question il y a deux ans de savoir si JFK fut tué par une conspiration, j’aurais répondu « ma foi, tout est possible, mais je suis certain à 99% qu’il n’existe aucune preuve substantielle dans cette direction, car les médias dominants en auraient certainement fait leurs gros titres des millions de fois. »
Il m’a fallu plusieurs années pour assimiler pleinement ces révélations choquantes. Après cela, celles-ci ont joué un rôle important pour me convaincre que de nombreuses autres anomalies historiques sur lesquelles j’étais tombé au fil des ans étaient bel et bien réelles, et ne constituaient pas un produit de mon imagination débordante. Aussi, lorsque j’ai fini par lancer ma longue série la Pravda américaine, qui s’emploie à en cataloguer et analyser un grand nombre, plusieurs de mes premiers articles décrivirent ma découverte tardive et mon analyse de la conspiration sur l’assassinat de JFK. J’ai publié ces deux articles il y a presque exactement six ans.
- La pravda américaine : l’assassinat de JFK, première partie – Que s’est-il passé ?
Ron Unz — The Unz Review — 18 juin 2018 — 4800 mots — 1257 commentaires - La Pravda américaine. L’assassinat de JFK – 2e partie
Ron Unz — The Unz Review — 25 juin 2018 — 8000 mots — 1034 commentaires
Au moment où j’ai publié ces articles, j’avais lu une bonne dizaine d’ouvrages sur l’assassinat de JFK, et ils m’avaient convaincu et re-convaincu que l’opération avait été le produit d’une conspiration. Les livres de Talbot et de Douglass avaient fait l’objet d’une couverture presse favorable dans les médias dominants, et à eux deux, ils résumaient très bien un demi-siècle de recherche sur la conspiration, et apportaient une quantité colossale de preuves détaillées. Mais quelques années plus tôt, une grande partie de ces éléments me seraient apparus comme relevant du fantasme paranoïaque :
Oswald semble avoir œuvré de concert avec divers groupes anti-communistes et présente également des liens importants avec les services de renseignements des États-Unis, et son marxisme supposé n’aura constitué qu’un déguisement très léger. Au sujet de l’assassinat en soi, il a été exactement un « pigeon », tel qu’il l’a affirmé publiquement, et n’a sans doute jamais tiré le moindre coup de feu. Face à cela, Jack Ruby présentait un long historique en lien avec le crime organisé, et a certainement tué Oswald pour le faire taire.
Il se peut que de nombreux autres personnages aient eu à subir le même sort. Des conspirateurs assez téméraires pour s’en prendre au président des États-Unis n’hésiteraient guère à utiliser des moyens mortels pour se protéger des conséquences de leurs actions, et au fil des années, c’est un nombre considérable d’individus associés à l’affaire d’une manière ou d’une autre qui ont connu une fin prématurée.
Moins d’un an après l’assassinat, Mary Meyer, la maîtresse de JFK, ex-femme de Cord Meyer, un haut gradé de la CIA, a été retrouvée tuée par balles dans une rue de Washington DC — un meurtre sans aucune indication de tentative de vol ou de viol, et l’affaire n’a jamais été résolue. Juste après cela, James Jesus Angleton, chef du contre-espionnage de la CIA, s’est fait prendre alors qu’il cambriolait le domicile de cette dame à la recherche de son journal intime, qu’il affirma par la suite avoir détruit.
Dorothy Kilgallen était une éditorialiste connue à l’échelon national, et une personnalité de la télévision, et elle a réussi à batailler pour obtenir une interview exclusive de Jack Ruby, et s’est ensuite vantée auprès de ses amis sur l’idée qu’elle allait faire éclater au grand jour l’affaire de l’assassinat de JFK en produisant le plus grand scoop de sa carrière. Au lieu de cela, on l’a retrouvée morte dans sa maison d’Upper East Side, morte apparemment d’une overdose d’alcool et de somnifères, et l’on n’a jamais retrouvé ni son travail de rédaction sur Jack Ruby, ni ses notes.
Peu de temps avant que Jim Garrison produisît ses accusations d’assassinat, son principal suspect, David Ferrie, a été retrouvé mort à l’âge de 48 ans, possiblement de cause naturelle, bien que le DA ait soupçonné un crime.Au milieu des années 1970, le Comité choisi par la Chambre sur les Assassinats a tenu une suite d’auditions de haut niveau pour rouvrir et enquêter sur l’affaire, et deux des témoins convoqués, Sam Giancana et Johnny Rosselli, étaient des figures de la mafia, fortement soupçonnés d’avoir été reliés à l’assassinat. Le premier fut tué par balles dans le sous-sol de son domicile une semaine avant son témoignage, et le corps du second a été retrouvé dans un bidon de pétrole flottant au large de Miami après qu’il a reçu une convocation à se présenter pour témoigner.
Et il ne s’agit là que d’un échantillon des personnes reliées en premier chef avec l’assassinat de Dallas à avoir vu leur vie prendre fin dans les années qui ont suivi, et malgré le fait que toutes ces morts puissent constituer une pure coïncidence, la liste complète de ces morts est relativement longue.
Lorsque j’ai écrit ces mots en 2018, le nom de Dorothy Kilgallen ne me disait rien du tout, mais j’ai découvert par la suite que durant de nombreuses années, elle avait été l’une des journalistes les plus puissantes des États-Unis, tenant un éditorial influent et apparaissant toutes les semaines dans une émission télévisée populaire. C’est ce dernier facteur qui a pu la précipiter vers sa fin, car elle avait réussi à déployer sa stature médiatique pour persuader les geôliers de Dallas d’enfreindre les ordres qu’ils avaient reçus et de lui permettre d’interviewer Ruby à titre exclusif. Peu de temps après, elle a commencé à se vanter dans son cercle social de l’élite new-yorkaise qu’elle allait bientôt faire éclater l’affaire JFK au grand jour, ce qui allait constituer la plus grande affaire de toute sa carrière. Sa mort subite et hautement douteuse et la disparition simultanée de son manuscrit sur JFK et des documents dont elle disposait peut avoir tenu lieu d’avertissement ferme aux autres journalistes. Ce n’est que des décennies plus tard qu’un livre est paru, documentant ses travaux importants et sa mort subite, et lorsque j’ai lu The Reporter Who Knew Too Much, il y a quelques années, j’ai trouvé cet ouvrage très détaillé et très convaincant.
Un autre ouvrage, publié à peu près à la même période, a reçu une attention bien plus importante de la part des cercles discutant de la conspiration autour de JFK, mais je ne l’ai pas encore lu. Mary’s Mosaic, écrit par Peter Janney, présente l’histoire de Mary Meyer, maîtresse de JFK de longue date, qui connut une mort violente dans une rue, l’année ayant suivi l’assassinat du président. Ancienne épouse de Cord Meyer, un haut gradé de la CIA, et belle-sœur de Benjamin Bradlee, éditeur du Washington Post et ami proche de JFK, Meyer avait été membre de la haute société de Washington DC, et une fois de plus, les détails de son importante histoire n’ont finalement été publiés que plus d’un demi siècle après son décès.
Les mondes de l’élite journalistique et politique de New York et de Washington étaient des petits cercles, et je soupçonne fortement que les décès subits de Kilgallen et de Meyer aient fortement endigué toute velléité de leurs anciens amis et collègues à remettre en question le verdict public établi par la commission Warren. En ces temps de contrôle médiatique fortement centralisé de l’avant-Internet, il était extrêmement difficile pour les points de vue alternatifs de se frayer un chemin vers l’attention du public, même quand les circonstances étaient des plus favorables, si bien que l’intimidation d’un groupe relativement restreint de personnalités proéminentes a pu avoir un impact considérable sur le débat public.
Alors que j’explorais les éléments d’un récit gigantesque que j’avais tranquillement ignoré toute ma vie, certaines ironies colossales me sont apparues. J’ai été frappé par la facilité absolue avec laquelle l’ensemble de notre establishment politique et médiatique se sont alignés derrière un récit officiel aussi peu plausible. De fait, j’ai expliqué qu’en dépit de l’apparition généralisée d’un scepticisme public vis-à-vis de la thèse selon laquelle le président Kennedy avait été tué par un tireur solitaire et dérangé, des idées aussi controversées ont eu de la chance de décoller.
Notre réalité est fabriquée par les médias, mais ce que présentent les médias est souvent déterminé par des forces complexes, et non par des éléments factuels apparaissant sous leurs yeux. Et les enseignements de l’assassinat de JFK peuvent apporter des éclairages d’importance à cet état de fait.
Un président était mort, et peu de temps après, son assassin supposément solitaire a subit le même sort, ce qui a produit un récit propre et parvenant à un point final bien pratique. Évoquer des doutes ou pointer du doigt des éléments contraires risquait d’ouvrir des portes qu’il valait mieux laisser fermées, pouvant mettre en danger l’unité nationale, voire risquer un conflit nucléaire dans le cas où la piste nous conduirait à l’étranger. Le plus haut responsable du maintien de l’ordre du pays était le propre frère du président tué, et comme il semblait accepter ce cadre simple, quel journaliste ou rédacteur en chef responsable aurait pu se lever et affirmer le contraire ? Quel centre de pouvoir ou d’influence étasunien pouvait-il avoir un intérêt fort à s’opposer à ce récit officiel ?
Sans doute le scepticisme fut-il immédiat et total à l’étranger, et rares furent les dirigeants étrangers à jamais croire le récit, et des personnalités telles que Nikita Krouchtchev, Charles De Gaulle ou Fidel Castro parvinrent immédiatement à la conclusion unanime qu’un complot politique était responsable de l’élimination de Kennedy. Des figures médiatiques de premier plan, en France et dans le reste de l’Europe occidentale, se montrèrent tout aussi sceptiques vis-à-vis de la « théorie du tireur solitaire », et certaines des premières critiques les plus conséquentes face aux affirmations du gouvernement étasunien ont été produites par Thomas Burnett, un Étasunien expatrié écrivant pour l’un des plus grands magazines hebdomadaires de France. Mais en ces jours où Internet n’existait pas, seule une toute petite frange du grand public étasunien disposait d’un accès régulier à ces publications étrangères, et leur impact sur l’opinion intérieure aux États-Unis resta donc nul.
Au lieu de nous demander pourquoi le récit du « tireur solitaire » fut accepté, nous devrions peut-être nous poser la question de savoir pourquoi il fut aussi vigoureusement remis en question, au cœur d’une ère où le contrôle médiatique était extrêmement centralisé entre les mains de l’establishment.
Étrangement, la réponse réside peut-être dans la détermination d’un seul individu, du nom de Mark Lane, un avocat libéral de gauche de la ville de New York, et activiste au sein du parti démocrate. Bien que les livres sur l’assassinat de JFK aient fini par se compter en milliers et que les théories du complot qui en sortirent teintèrent la vie publique étasunienne au cours des années 1960 puis 1970, sans son implication initiale, ces sujets auraient pu prendre une trajectoire totalement différente.
Dès le tout début, Lane s’était montré sceptique vis-à-vis de la théorie officielle, et moins d’un mois après l’assassinat, le National Guardian, un petit journal national de gauche, publia sa critique longue de 10 000 mots, qui mettait en lumière des failles béantes dans la « théorie du tireur solitaire ». Bien que son article ait été rejeté par toutes les autres publications nationales, l’intérêt public pour ce sujet fut énorme, et une fois que l’édition fut entièrement vendue, on réimprima des milliers d’autres copies de sa publication sous forme d’opuscule. Lane loua même un théâtre de New York, et donna durant plusieurs mois des conférences face à une salle comble.
Après que la commission Warren produisit son verdict officiel totalement contraire, il se mit à travailler sur un manuscrit, et bien qu’il fût confronté à d’immenses obstacles pour trouver un éditeur aux États-Unis, son ouvrage Rush to Judgment, une fois publié, resta pendant deux années, une durée remarquable, sur la liste des best-sellers nationaux, et n’eut aucune peine à se hisser en première place du classement. Un succès économique aussi colossal persuada bien entendu toute une gamme d’autres auteurs de prendre la suite, et un genre entier fut bientôt établi. Lane a ensuite publié A Citizen’s Dissent, qui raconte ses premiers combats pour briser le « blackout médiatique » total appliqué aux États-Unis à quiconque remettait en question les conclusions officielles. Alors qu’on n’aurait jamais rien misé sur sa cause au départ, il avait réussi à allumer un soulèvement populaire massif très critique vis-à-vis du récit produit par l’establishment.
Selon Talbot, « à la fin de l’année 1966, il devenait impossible pour les médias établis de s’en tenir au récit officiel », et l’édition du 25 novembre 1966 du magazine Life, alors au plus haut absolu de son influence nationale, produisit en première page le récit remarquable « Oswald a-t-il agi seul ? » avec pour conclusion que tel n’était sans doute pas le cas. Le mois suivant, le New York Times annonça constituer un groupe de travail spécial pour enquêter sur l’assassinat. Ces éléments allaient bientôt fusionner avec la fureur médiatique autour de l’enquête Garrison, qui commença l’année suivante, une enquête dans laquelle Lane prit une part active.
Mais j’ai expliqué qu’une puissante contre-attaque médiatique était déjà en préparation dans les coulisses :
En 2013, le professeur Lance deHaven-Smith, ancien président de la Florida Political Science Association, a publié Conspiracy Theory in America, une exploration fascinante de l’histoire du concept et des origines probables de ce terme. Il note que durant l’année 1966, la CIA s’était alarmée du scepticisme qui montait dans tout le pays face aux conclusions de la commission Warren, surtout après que le public s’était mis à tourner des yeux soupçonneux en direction de l’agence de renseignements. Aussi, au mois de janvier 1967, les hauts dirigeants de la CIA ont distribué un mémo à tous leurs établissements de terrain, les enjoignant de faire usage de leurs contacts dans les médias et au sein des élites pour réfuter ces critiques en usant de divers arguments, comme en soulignant le soutien supposé de Robert Kennedy pour la conclusion du « tireur solitaire ».
Ce mémo, récupéré par la suite au travers d’une demande suivant le Freedom of Information Act, faisait un usage répété du terme « théorie du complot » dans un sens très négatif, suggérant que les « théories du complot » et les « théoriciens du complot » devaient être décrits comme irresponsables et irrationnels. Et comme je l’ai écrit en 2016,
Peu de temps après, les médias se sont mis à affirmer de manière répétée ces points exacts, avec certaines tournures de phrases, arguments, et schémas d’usage exactement semblables aux lignes de conduite énoncées par la CIA. Le résultat a été un énorme accroissement de l’utilisation péjorative de cette phrase, qui s’est répandue dans tous les médias étasuniens, et son impact s’est poursuivi jusqu’à nos jours.
Il existe d’autres éléments pour étayer cette possible relation de cause à effet. Peu après avoir quitté le Washington Post en 1977, Carl Bernstein, le célèbre journaliste du Watergate, a publié un article de couverture de 25 000 mots dans Rolling Stones sous le titre « La CIA et les médias » révélant qu’au cours des vingt-cinq années précédentes, plus de 400 journalistes étasuniens avaient secrètement mené des missions pour la CIA selon des documents détenus au quartier général de cette organisation. Ce projet d’influence, connu sous le nom d’« opération Mockingbird », avait supposément été lancé vers la fin des années 1940 par Frank Wisner, un haut dirigeant de la CIA, et comprenait des éditeurs et rédacteurs positionnés au plus haut de la hiérarchie des médias dominants.
Au moment où j’ai pris de l’âge et me suis mis à suivre les médias nationaux, sur la fin des années 1970, l’histoire de JFK commençait déjà à relever de l’histoire ancienne, et tous les journaux et magazines que je lisais donnaient l’impression que les « théories du complot » autour de l’assassinat étaient totalement absurdes, avaient été réfutées depuis longtemps, et n’intéressaient que des excentriques entretenant des idéologies marginales. J’avais certes bien conscience de la profusion énorme de livres populaires traitant de conspirations, mais je n’avais jamais eu le moindre intérêt à en consulter un. L’establishment politique étasunien et ses proches alliés médiatiques avaient survécu à la rébellion populaire, et le nom de « Mark Lane » ne me disait quasiment rien, sauf peut-être une espèce de débile marginal, auquel les grands journaux pouvaient de temps à autre faire mention, car il faisait l’objet d’un traitement semblable à celui accordé aux scientologues ou aux activistes sur le sujet des Ovnis.
Après m’être imprégné de divers livres récents et majeurs traitant de l’assassinat de JFK, j’ai compris qu’ils présentaient une reconstruction des événements très convaincante. Les travaux de Talbot, Douglass, et d’autres résument un demi-siècle de recherche sur la conspiration, et documentent de manière écrasante la manière dont une conspiration a été responsable, et esquissent les identités de certains des participants de rang moyen à faible, pointant du doigt des membres du crime organisé, des éléments de la CIA, et des Cubains opposés à Castro, et tous ces groupes se mélangent et se recoupent souvent. Tout ce travail est utile et absolument nécessaire, ses auteurs remettant en cause une campagne de réfutation uniforme et étalée sur des décennies menée par les médias dominants.
Mais après m’être laissé convaincre cinq ou six fois de la réalité de cette conspiration, je me suis intéressé de plus en plus au « Qui » et au « Pourquoi » des organisateurs ultimes, plutôt qu’uniquement au « Comment » de ceux qui ont appliqué le plan, et j’ai souvent été déçu à ce sujet. La plupart de ces livres semblent ignorer ce sujet, ou suggèrent vaguement que le complot fut ourdi par de sombres membres de l’extrême droite, intégrant peut-être des généraux anti-communistes de la branche dure ou des magnats du pétrole texans sans foi ni loi, mais n’apportent guère d’éléments solides ou de logique pour soutenir ces soupçons.
Il arrive qu’un néophyte remarque des éléments qui échappent à l’attention de ceux qui ont déjà passé des années ou des décennies à explorer un domaine, et j’ai par la suite exposé ce que je considérais comme une omission des plus étranges :
Si l’on retrouve le corps sans vie d’un époux ou d’une épouse, et que l’on n’a pas sous la main de suspect évident, la réponse habituelle de la police est d’enquêter minutieusement sur le membre survivant du couple, et très souvent on trouve ainsi le coupable. De même, si vous lisez dans les journaux que dans un obscur pays du Tiers Monde, deux dirigeants farouchement hostiles, tous deux affublés de noms imprononçables, partagent le pouvoir politique suprême jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit mis à bas par un assassinat mystérieux ourdi par de mystérieux conspirateurs, vous allez presque certainement orienter vos soupçons dans une direction évidente. Au début des années 1960, la plupart des Étasuniens ne percevaient pas le système politique de leur propre pays sous cet éclairage, mais peut-être avaient-ils tort. Fraîchement débarqué dans le monde énorme et caché de l’analyse de la conspiration contre JFK, j’ai immédiatement été frappé par un soupçon affûté dirigé vers le vice-président Lyndon B. Johnson, successeur immédiat du dirigeant défunt et bénéficiaire le plus évident de son assassinat.
Les deux ouvrages de Talbot et celui de Douglass, totalisant quelque 1500 pages, ne consacrent qu’à peine quelques paragraphes à des soupçons sur l’implication de Johnson. Le premier livre écrit par Talbot rapporte que juste après l’assassinat, le vice-président avait exprimé une préoccupation paniquée auprès de ses aides personnels qu’un coup d’État militaire pût être en cours, ou qu’une guerre mondiale fût en train d’éclater, et suggère que ces quelques mots démontrent son innocence, mais un observateur plus cynique peut se demander si ces remarques ont été prononcées précisément à cette fin. Le second livre de Talbot cite un conspirateur du bas de la pyramide affirmant que Johnson avait apparemment approuvé le complot, et reconnaît que Hunt avait la même opinion, mais traite ces accusations peu étayées avec un énorme scepticisme, avant d’ajouter une seule phrase reconnaissant que Johnson put bien soutenir de manière passive, ou constituer un complice de l’opération. Douglass et Peter Dale Scott, auteur du livre influent Deep Politics and the Death of JFK (paru en 1993), ne semble jamais avoir même envisagé cette possibilité.
Une réticence aussi patente peut sans doute découler de considérations idéologiques. Les libéraux se sont mis sur la fin des années 1960 à vilipender LBJ pour son escalade dans la guerre impopulaire du Vietnam, mais ces sentiments se sont évaporés au fil des décennies, et la mémoire confortable de sa loi emblématique sur les Droits Civils ainsi que la création par ses soins des programmes Great Society ont élevé sa stature dans ce camp idéologique. En outre, ces lois étaient restées depuis longtemps bloquées par le Congrès, et n’avaient été ratifiées que suite au glissement de terrain démocratique qui intervint au Congrès suite au martyr de JFK, et il pourrait s’avérer pour les libéraux de reconnaître que leurs rêves les plus chers n’ont pu devenir réalité que grâce à un acte de parricide politique.
Kennedy et Johnson étaient peut-être des personnalités intensément rivales, mais on ne trouvait guère de différences idéologiques profondes pour séparer les deux hommes, et la plupart des personnalités du gouvernement nommé par JFK ont continué leur mandat sous son successeur, ce qui constitue certainement une source d’embarras considérable pour tout ardent libéral venant à soupçonner que le premier ait pu être tué par une conspiration ayant impliqué le second. Talbot, Douglass et de nombreux autres avocats plutôt de gauche d’une conspiration de l’assassinat préfèrent pointer du doigt des méchants bien plus cordiaux, comme les Soldats de la guerre froide anti-communiste ou des éléments de droite, comme l’ancien directeur de la CIA Allan Dulles ou d’autres hauts dirigeants de cette organisation.
Un autre facteur contribue à expliquer l’extrême réticence de Talbot, Douglass et d’autres à considérer Johnson comme un suspect évident : les réalités de l’industrie de publication de livres. Dans les années 2000, les conspirations sur l’assassinat de JFK relevaient du passé ancien, et étaient traitées avec dédain par les cercles dominants. La forte réputation de Talbot, ses 150 interviews originales, et la qualité de son manuscrit ont brisé cette barrière et amené The Free Press à devenir son éditeur respectable, en lui attirant également par la suite une critique très positive par un universitaire éminent dans le New York Times Sunday Book Review, et une émission d’une heure à la télévision diffusée dans C-Span Booknotes. Mais s’il avait consacré une partie de son livre à évoquer des soupçons à l’encontre de notre 36ème président, envisagé comme meurtrier du 35ème, sans doute le poids de cet élément supplémentaire de « théorie du complot aberrante » aurait-il garanti que le livre aurait coulé à pic sans laisser de trace.
Quoi qu’il en soit, si nous nous libérons de ces barrières idéologiques et des considérations pratiques sous-jacentes à la publication d’un ouvrage aux États-Unis, le sujet de l’implication de Johnson nous saute aux yeux.
Examinons un point très simple. Si un président est mis à bas par un groupe de conspirateurs inconnus, son successeur devrait disposer de l’incitation la plus élevée qui soit à les poursuivre, de crainte de devenir leur prochaine victime. Pourtant, Johnson n’a rien fait : il s’est contenté de nommer la commission Warren qui a dissimulé toute l’affaire, fait porter le chapeau à un « tireur solitaire » erratique, et qui plus est mort peu après. Voilà qui semble bien étrange de la part d’un LBJ innocent. Cette conclusion n’exige pas que LBJ fût le cerveau de l’opération, ni même un participant actif à celle-ci, mais elle lève un soupçon très fort sur l’idée qu’il pût au moins être au courant du complot, et jouît de bonnes relations personnelles avec certains de ses principaux acteurs.
Et l’analyse opposée parvient à une conclusion similaire. Si le complot a réussi et que Johnson est devenu président, les conspirateurs durent certainement se sentir suffisamment en confiance d’être protégés, et non pas pourchassés et punis comme traîtres par le nouveau président. La réussite pleine et totale de l’assassinat induisait des risques énormes, à moins que les organisateurs crussent que Johnson ferait exactement ce qu’il a fait, et le seul moyen de s’en assurer à l’avance était de lui faire connaître le projet, au moins de manière vague, et d’obtenir son acquiescement passif.
Et ces considérations rendent très difficiles d’envisager que la conspiration de l’assassinat de JFK pût se produire sans que Johnson en fût plus ou moins informé, ou qu’il ne fut pas une figure centrale de la dissimulation qui s’ensuivit.
J’ai pour impression que jusqu’à la dernière décennie, seule une toute petite partie des livres et articles consacrés à l’assassinat de JFK aient jamais ne serait-ce qu’évoqué le rôle possible de LBJ, considérant apparemment cette notion comme trop radioactive pour pouvoir y faire mention, et ignorant les éléments logiques laissant à penser qu’il y fût impliqué. Mais même durant les tous premiers jours, lorsque les chercheurs de la conspiration se concentrèrent presque complètement à remettre en cause le récit du « tireur solitaire » entériné par la commission Warren, je pense qu’il est possible que de forts soupçons circulaient déjà à titre privé.
J’ai par exemple discuté il y a peu de ce sujet avec une ancienne activiste libérale, qui a désormais plus de 80 ans, une personne qui jusqu’il y a peu n’avait jamais lu le moindre ouvrage sur l’assassinat de JFK. Comme elle n’avait jamais prêté d’attention à la controverse, elle a été choquée d’apprendre que la thèse de la conspiration était aussi bien étayée. Mais elle a également évoqué le fait qu’après la mort de Kennedy, ses amis et elles s’étaient parfois posé la question de savoir si Johnson avait pu être impliqué, pour écarter cette possibilité comme trop horrible à envisager, de crainte que si de telles idées gagnaient en popularité, elles pourraient déboucher sur des émeutes à l’échelle nationale et une déstabilisation totale du système politique démocratique des États-Unis.
Lorsque la guerre du Vietnam et le président Johnson sont devenus des objets de haine intense de la part des cercles de gauche, je pense que les soupçons de son rôle personnel dans la mort de son prédécesseur ont pu se répandre peu à peu. En 1966, une jeune activiste anti-guerre de Berkeley, répondant au nom de Barbara Garson, a modernisé la trahison et le régicide du personnage MacBeth de Shakespeare pour en faire un ouvrage moderne impliquant la mort récente de notre président des mains de son successeur ; dans ce récit, l’usurpateur meurtrier subissait une vengeance de la part du personnage représentant Robert F. Kennedy et mourait à son tour. MacBird! a d’abord été publié dans Ramparts, une publication de premier plan contre la guerre, portée par la gauche, et elle s’est ensuite développée en pièce de théâtre, et a fait l’objet de centaines de représentations à New York, Los Angeles et en d’autres lieux, malgré des pressions exercées par les autorités. Mais ce petit ouvrage de fiction allégorique et presque satirique ciblant Johnson n’aura guère été qu’une exception dans le paysage général.
Le film d’Oliver Stone de 1991, primé par les Oscar, n’évoque pas le moindre soupçon à l’encontre de Johnson, et un livre proche de ce film et soutenu par ce célèbre réalisateur adopte une position similaire. Le colonel L. Fletcher Prouty a été un important dirigeant du Pentagone au début des années 1960, tenant lieu d’officier de liaison à la CIA, et il a nourri des soupçons très forts sur les circonstances du décès de son président. Les théories développées par Prouty ont inspiré le film de Stone, pour lequel il a été conseiller technique, tandis que son rôle étant joué par Donald Sutherland. En 1992, Prouty a publié JFK : la CIA, le Vietnam et le complot en vue d’assassiner John F. Kennedy, pour lequel Stone a écrit une longue et brillante introduction, faisant les éloges de l’auteur comme figure historique. J’ai lu cet ouvrage récemment, et noté que l’auteur accusait également de l’assassinat des éléments de notre « État Profond » de la sécurité nationale et ne consacrait qu’une attention fort réduite à Johnson, décrit comme un spectateur absolument innocent.
La parution de livres sur l’assassinat de JFK a eu pour tendance à se produire par vagues. Le succès éclatant du film de Stone, en 1991, a amené les éditeurs à ouvrir leurs portes, et une autre vague semblable a suivi la parution de best-seller de Talbot, en 2007, et s’est maintenue au vu du succès colossal des ventes et au vu des critiques positives du travail publié en 2009 par Douglass. Mais cette dernière période a fini par donner lieu à la parution de plusieurs livres importants, qui dénoncent le positionnement central de Johnson dans le complot.
Le premier de ces travaux, et le plus important, est LBJ : Le Cerveau de l’Assassinat de JFK, un lourd volume comprenant plus de 600 pages, et écrit par Phillip F. Nelson, un homme d’affaires texan à la retraite. Presque cinquante ans s’étaient écoulés depuis la mort de Johnson, et Nelson a réalisé un excellent travail de collecte et de compilation des preuves écrasantes sur la longue est extrêmement sordide carrière politique qui fut celle de Johnson, une carrière qui a sans doute culminé avec le meurtre de son prédécesseur.
Johnson fut le produit de la politique texane, et durant la première moitié du XXème siècle, cet État semble avoir présenté de fortes ressemblances avec un pays corrompu du Tiers Monde, auquel l’importante richesse pétrolière et les programmes fédéraux ont apporté d’énormes opportunités financières pour qui se montrait assez malin et assez impitoyable pour en tirer parti. Ainsi, Johnson naquit dans une famille pauvre, et occupa des emplois gouvernementaux mal payés durant toute sa vie, pour en 1963 prêter serment comme président le plus riche de l’histoire moderne des États-Unis, ayant accumulé une fortune personnelle de plus de 100 millions de dollars (en dollars d’aujourd’hui), tout en blanchissant les indemnités financières versées par diverses entreprises qu’il favorisa au travers de l’entreprise dirigée par son épouse. La richesse frappant de Johnson a été oubliée de nos jours, au point qu’un éminent journaliste politique ayant des racines texanes a exprimé des doutes plus qu’importants lorsque j’ai fait mention devant lui de ces faits il y a une quinzaine d’années.
La montée politique et financière de Johnson s’appuya sur des élections volées et des pratiques massives de corruption gouvernementale, ce qui eut parfois pour effet de le mettre légalement en péril. Au vu de ces difficultés, Nelson expose un dossier solide montrant que le futur président a pu se protéger en faisant commettre tout une suite de meurtres, et certains des récits qu’il en fait sont absolument stupéfiants, mais apparemment réels. Par exemple, au cours d’un étrange incident survenu en 1961, étrangement précurseur de la conclusion du « tireur solitaire » de la commission Warren, un inspecteur du gouvernement fédéral qui enquêtait au Texas sur une énorme affaire de corruption impliquant un proche allié de LBJ rejeta plusieurs tentatives de corruption à son propre égard, et fut ensuite retrouvé mort, atteint de cinq balles de fusil à la poitrine et au ventre ; mais son décès fut officiellement classé comme « suicide » par les autorités locales, et rapporté comme tel dans les pages du Washington Post.
Il se peut que l’exécuteur de nombre de ces meurtres fut un certain Malcolm « Mac » Wallace, identifié par Nelson comme homme de main personnel de Johnson, dont le salaire était versé par le Département de l’Agriculture entre ses diverses missions mortelles. Au cours d’un incident remarquable survenu en 1951, Wallace abattit en plein jour un professionnel du golf, célèbre localement, qui avait été impliqué dans une affaire trouble avec la sœur à problèmes de Johnson, Josefa, ce qui amena un jury à le déclarer coupable de meurtre au premier degré. La loi du Texas édicte en ce cas une peine de mort obligatoire, mais Wallace s’en sortit spectaculairement avec une suspension de peine, qui lui permit de quitter le tribunal libre, grâce à l’influence politique colossale exercée par Johnson. À cette époque, le Texas semblait présenter des caractéristiques semblables à celles de Chicago sous le règne d’Al Capone.
Bien qu’il se comportât bien plus prudemment lorsqu’il agissait en dehors de son fief du Texas, Johnson semble avoir adopté les mêmes méthodes brutales à Washington DC., s’appuyant massivement sur la corruption et le chantage pour consolider sa base de pouvoir au Sénat des États-Unis, sur laquelle il régna durant une grande partie des années 1950. Il reconnut également immédiatement le pouvoir exercé par J. Edgar Hoover, dont il se fit l’un des alliés politiques les plus proches, et acheta astucieusement une maison à quelques portes de celle du directeur du FBI de longue date, et vivant comme proche voisin durant presque vingt ans.
Après avoir passé les années du second mandat d’Eisenhower en étant considéré comme le Démocrate le plus puissant des États-Unis, Johnson décida de se présenter à la présidence en 1960, en ne considérant pas vraiment comme une menace un Kennedy bien plus jeune que lui, et qu’il dépassait largement en stature politique, et méprisait même quelque peu. Sa confiance fut renforcée par le fait qu’aucun Catholique n’avait été désigné par un parti majeur depuis le désastre épique d’Al Smith, en 1928.
Malheureusement pour les projets politiques de Johnson, le patriarche Joseph Kennedy avait déjà passé un quart de siècle au statut de figure politique puissante, jalonnant sans relâche la voie de sa propre famille vers la Maison-Blanche. Sa fortune était nettement plus importante que celle de Johnson, et il était prêt à dépenser sans compter pour faire progresser son fils vers la nomination, en engloutissant tous les autres candidats dans les pots de vin et les tractations secrètes qui déterminaient les résultats des votes dans des États centraux mais très corrompus comme la Virginie Occidentale. Ainsi, au moment de la convention démocrate, c’est la nomination du jeune Kennedy qui fut verrouillée, et Johnson se vit humilié politiquement.
À ce stade, les affaires prirent un étrange tournant. Kennedy comme son plus jeune frère Robert détestaient Johnson, et ils avaient déjà choisi pour vice-président le sénateur Stuart Symington, lorsque subitement, au tout dernier moment, Johnson fut mis à sa place. Nelson et Seymour Hersh, dans The Dark Side of Camelot, ont raconté cette histoire et affirment avec force que c’est l’exercice de chantages personnels qui fut responsable de ces changements de projets politiques, et pas un équilibrage géographique électoral, ou tout autre facteur légitime. Mais la victoire de justesse obtenue par Kennedy en 1960 aurait été bien plus difficile si le Texas ne s’était pas prononcé en faveur du camp démocrate, et la fraude électorale massive organisée par la machine politique impitoyable de Johnson joua un rôle crucial pour parvenir à ce résultat.
Johnson avait commencé l’année 1960 avec le statut de Démocrate le plus puissant des États-Unis, et il pensait raisonnablement que ses efforts avaient été centraux pour remporter les élections du mois de novembre, si bien qu’il s’attendait naturellement à jouer un rôle majeur au sein de la nouvelle administration, et proclama des demandes grandioses en vue d’obtenir un portefeuille politique colossal. Mais au lieu de cela, il fut immédiatement mis sur la touche et traité avec le mépris le plus complet, devenant bientôt une figure délaissée de Washington sans autorité ni influence. Après qu’il perdit sa base de pouvoir établie de longue date au Sénat, les Kennedy établirent des plans pour se débarrasser de sa personne, et quelques jours avant l’assassinat, ils discutaient déjà de la personne à désigner comme vice-président pour les nouvelles élections de 1964 à sa place. Ils savaient qu’une fois purgé, Johnson pouvait devenir un adversaire politique dangereux et vindicatif, si bien qu’ils décidèrent de l’en empêcher en utilisant son historique de corruption massive et ses nombreux crimes commis au Texas pour le détruire totalement.
La chute récente de Bobby Baker, le principal homme de main politique de Johnson au Sénat, constituait une excellente opportunité. Et les Kennedy se sont mis à orchestrer une campagne médiatique pour mettre Johnson en lumière, visant à détruire sa carrière politique et peut-être le mettre pour longtemps sous les verrous. James Wagenvoord, alors âgé de 27 ans, était l’assistant du rédacteur en chef du magazine Life, et début novembre 2009, il a rompu par courriel un silence long de plusieurs décennies relatant la mise en lumière de Johnson qui fut lancée au tout dernier moment. Nelson a relaté en détail cette révélation fulgurante par des citations, en ne corrigeant au passage que quelques erreurs et fautes de frappe mineures :
À partir de la fin de l’été 1963, le magazine [Life], sur la base d’informations fournies par Bobby Kennedy et par le Département de la Justice, avait développé un énorme scoop au sujet de Johnson et de Bobby Baker. Une fois cet article publié, Johnson serait fini et privé de la candidature pour 1964 ([la] raison pour laquelle ces éléments nous furent envoyés) et aurait sans doute du temps à passer en prison. À l’époque, le magazine Life était potentiellement la source d’informations générales la plus importante des États-Unis. La haute direction de Time Inc. était étroitement alliée avec les diverses agences de renseignements des États-Unis et nous étions utilisés… par le Département de la Justice de Kennedy comme un tuyau à destination du public… L’article sur LBJ/Baker était en phase d’édition finale et il était prévu qu’il parût dans l’édition du magazine qui devait sortir durant la semaine du 24 novembre (plus probablement l’une des éditions suivantes, le 29 novembre ou le 6 décembre, distribués quatre ou cinq jours plus tôt que ces dates). Il avait été préparé dans un relatif secret par une petite équipe éditoriale spéciale. Au moment du décès de Kennedy, les fichiers contenant les recherches et toutes les copies numérotées du brouillon quasiment finale furent assemblés par mon chef (qui avait été l’éditeur en chef de l’équipe) et détruits. L’édition du magazine qui devait mettre Johnson en lumière présenta à la place le film de Zapruder. Sur la base de notre réussite à mettre en valeur le film de Zapruder, je suis devenu chef des services éditoriaux de Time/Life et suis resté à ce poste jusqu’en 1968. (les parties en italique ont été ajoutées par l’auteur de l’article).
Aussi, à la mi novembre 1963, Johnson apparaissait comme une personnalité politique désespérée, dont la carrière touchait absolument à sa fin. Mais une semaine plus tard, il devint président des États-Unis, et tout ce tourbillon de scandales qui fut subitement oublié ; l’important espace ouvert dans les magazines à destination de cette destruction politique fut semble-t-il remplie par la couverture de l’assassinat qui l’institua à la Maison-Blanche.
Ces faits centraux au sujet de la situation personnelle désespérée répondent à une critique souvent soulevée par ceux qui se montrent sceptiques vis-à-vis de la conspiration, comme Stephen Ambrose, l’historien de l’establishment. En 1992, le film très réussi d’Oliver Stone avait permis la publication d’un grand nombre d’ouvrages sur l’assassinat de JFK, et Ambrose publia une longue critique de 4100 mots les réfutant dans le New York Times Sunday Book Review, soulignant la très longue liste de conspirateurs supposément opposés à Kennedy dans tous ces divers ouvrages, y compris des éléments de la Mafia, de la CIA, du Pentagone, de J. Edgar Hoover, du vice-président Johnson, des millionnaires du pétrole texan, des racistes venant du Sud, des contractants de la défense, et des banquiers internationaux. Mais la victoire très étroite de Kennedy de 1960 avait fortement dépendu d’un Sud solidement démocrate, et au vu de son basculement vers les Droits Civils des Noirs qui se produisit ensuite, il était peu probable que cela se produisît de nouveau, ce qui remettait sérieusement en cause ses perspectives de réélection. Les élections de 1964 devaient se produire moins d’un an plus tard, et Ambrose avançait que tous ces âpres ennemis des Kennedy allaient certainement centrer leurs efforts pour lui faire perdre les élections dans les urnes, peut-être en révélant ses nombreuses incartades sexuelles, au lieu de prendre le risque sans précédent d’organiser l’assassinat d’un président. Mais bien que cet argument s’appliquât à la liste des divers puissants ennemis de Kennedy, LBJ faisait d’évidence exception, car sa vie politique et sa liberté personnelle ne tenaient qu’à un fil. Aussi, sur cette longue liste, Johnson était le seul à disposer des motivations de frapper sans attendre.
Johnson et ses proches alliés contrôlaient totalement la ville de Dallas, et Nelson a expliqué comment le vice-président y a attiré Kennedy pour l’y déchoir. Durant ce cortège fatal, Johnson occupait un véhicule suivant celui de Kennedy, et Nelson a consacré plus d’une dizaine de pages à discuter les photographies et les témoignages démontrant que Johnson savait qu’un coup de feu allait être tiré, puisque ce vice-président très nerveux a trouvé des excuses multiples pour baisser la tête alors que son véhicule approchait de la zone ciblée, puis qu’il a réagi avant quiconque au sein du cortège, en se recroquevillant totalement dans sa voiture dès que le premier coup de feu fut tiré. Bien que cela ne prouve pas en soi que Johnson fût le cerveau central du complot, cela semble accréditer de manière extrêmement solide l’idée qu’il connaissait par avance les événements qui allaient se produire ce jour là.
Nelson a également rapporté les détails frappants qui suivent : plus de trois décennies après l’assassinat, une empreinte digitale jusqu’alors non identifiée, prélevée sur une boîte qui se trouvait au cinquième étage où se trouvait supposément le poste de tir d’Oswald, dans le dépôt de livres de Dallas, a finalement été détectée comme appartenant à Mac Wallace, l’homme de main de Johnson depuis longtemps. Wallace ne fut pas forcément l’un des tireurs, et Nelson suggère plutôt que son rôle fut d’être sur place pour déposer les cartouches et nettoyer la scène, mais cette découverte renforce évidemment fortement la thèse de l’implication de Johnson dans l’assassinat.
La réussite qu’a connu le long ouvrage fortement documenté par Nelson a incité d’autres auteurs à s’y mettre également. Roger Stone, un activiste politique républicain de longue date, avait commencé à y travailler sous Richard Nixon, et le jour du cinquantième anniversaire de l’assassinat de JFK, il a marché sur les traces des recherches édifiantes pratiquées par Nelson pour publier son propre ouvrage : The Man Who Killed Kennedy : The Case Against LBJ, avec pour co-auteur Mike Colapietro ; cet ouvrage implique Johnson de manière similaire. Le livre de Stone est devenu un best-seller national et en le lisant en 2016, je me suis confronté pour la première fois à l’analyse de Nelson, des années avant d’avoir lu l’ouvrage de celui-ci sur le sujet. Stone a réussi à apporter les éléments avancés par Nelson à l’attention d’un lectorat bien plus étendu, mais il a également ajouté plusieurs éléments importants qui lui sont propres, comme je l’ai expliqué en 2016 :
Outre documenter dans les faits l’histoire personnelle sordide de Johnson et la destruction terrible à laquelle il était voué du fait des Kennedy à la fin 1963, Stone ajoute des éléments fascinants provenant de témoignages personnels, qui pourrait s’avérer plus ou moins fiables. Selon lui, alors que son mentor Nixon regardait la scène au poste de police de Dallas au cours de laquelle Ruby tira sur Oswald, il devint livide comme un fantôme et expliqua avoir connu personnellement le tireur sous le nom de naissance de Rubenstein. Alors qu’il travaillait pour un comité de la Chambre en 1947, Nixon avait reçu pour conseil par un allié proche et éminent avocat d’engager Ruby comme enquêteur, se voyant affirmer qu’« il était l’un des gars de Lyndon Johnson. » Stone affirme également que Nixon souligna à une reprise qu’en dépit de sa volonté de longue date de briguer la présidence, contrairement à Johnson, « je n’étais pas prêt à tuer pour cela. » Il rapporte également que Henry Cabot Lodge, ambassadeur au Vietnam, et plusieurs autres figures politiques éminentes de Washington DC étaient absolument convaincus de l’implication directe de Johnson dans l’assassinat.
Stone a opéré impitoyablement durant un demi-siècle dans la vie politique, si bien qu’il dispose de liens personnels uniques avec les personnes qui ont pris part aux grands événements du passé, mais il porte avec lui la réputation peu gratifiante attachée au rôle qu’il a joué, et il appartient à chacun d’évaluer ces facteurs antagonistes et d’en faire le bilan. J’ai personnellement tendance à accorder du crédit aux témoignages qu’il apporte. Mais même le lecteur qui restera totalement sceptique devrait considérer le grand nombre de références et de sources que l’ouvrage apporte sur le sujet des détails sordides de l’histoire de LBJ.
Même si l’ouvrage de Stone m’avait déjà apporté un aperçu par rebond d’une grande partie des recherches extraordinaires menées par Nelson, j’ai fini fin 2021 par lire le livre de ce dernier, et je l’ai trouvé extrêmement détaillé et convainquant, car il produit de nombreux éléments d’importance que Stone n’a pas intégrés à son volume nettement plus court et plus personnel. Je pense que le livre de Nelson figure dans les dix ouvrages centraux que toute personne s’intéressant à l’assassinat de JFK devrait avoir lu.
Suite à cette impression très favorable, j’ai lu plus récemment la longue suite écrite en 2024 par Nelson LBJ: From Mastermind to « The Colossus, » qui étend le sujet aux années passées à la Maison-Blanche par Johnson. Mais il m’est apparu que cette suite ne contenait que peu de révélations majeures, et que le texte n’était pas très bien écrit, qui comprend diverses affirmations et descriptions répétées à de multiples reprises ; cela suggère que l’ouvrage a été imprimé en hâte pour tirer profit d’une opportunité commerciale.
En plus du reste, Nelson consacre quelques pages à affirmer que Johnson avait des ancêtres juifs et tenait cela secret, et c’est peut-être pour cela que l’on s’est mis à en faire mention à grande échelle dans les cercles complotistes, mais les preuves de cela sont très ténues. Nelson note le long passif de soutien au sionisme et à Israël manifesté par Johnson ainsi que la mention faite dans un journal juif local, reprise à grande échelle sur Internet, selon laquelle deux des grands parents maternels de Johnson, immigrés d’Allemagne au milieu du XVIIIème siècle, étaient juifs. Mais les seules preuves de ce dernier point résident dans leur nom de famille — Huffman et Perrin — qui sont supposés être des noms juifs courants, chose qui semble très exagérée ; pour ma part je n’ai jamais rencontré de Juifs portant l’un ou l’autre de ces noms. Qui plus est, leurs prénoms — John et Mary — étaient extrêmement rares chez les Juifs européens de cette époque, au point que je n’ai pu en trouver aucun autre exemple, et je note que leurs activités et emplois familiaux ne suggéraient aucune origine juive non plus. Qui plus est, la raison évidente du philosémitisme extrême manifesté par Johnson et ses vues favorables à Israël s’expliquent évidemment par la richesse et l’influence politique de la communauté juive, et c’est également par ces facteurs que l’on peut expliquer son soutien tout aussi important pour les millionnaires du pétrole texan et pour de nombreux intérêts d’affaires.
J’ai trouvé un complément très différent à ces travaux très documentés sur LBJ dans un ouvrage nettement plus court. Texas in the Morning a été publié en 1997 par Madeleine Duncan Brown, qui fut longtemps l’une des maîtresses de Johnson, et qui est supposée lui avoir donné un fils en 1950. Il appartiendra au lecteur de décider s’il apporte ou non du crédit aux mémoires qu’elle propose, écrits vingt-cinq ans après la mort de LBJ, mais j’ai trouvé pour ma part son récit plutôt crédible. Son fils ressemble raisonnablement bien à son père supposé, et la plupart de ses affirmations correspondent à tout ce que j’ai pu lire par ailleurs au sujet de ce personnage politique puissant et sans pitié.
L’auteur affirme continuer cultiver un profond amour pour son soupirant décédé, mais nombre des récits qu’elle apporte ne présentent guère ce dernier sous un jour favorable, et l’un d’entre eux a particulièrement marqué ma mémoire. Peu de temps après que Johnson ait été investi vice-président, elle a emmené ses deux jeunes enfants à Washington DC pour le voir, et elle a emmené avec elle sa nounou et femme de ménage noire, qui après dix années de bons et loyaux services était devenue membre de la famille. Mais lorsque cette nounou a amené les deux enfants dans la suite de l’hôtel pour ce rendez-vous attendu de longue date, Johnson s’est montré très soucieux et agité, préoccupé qu’elle ait découvert son identité, une chose particulièrement dangereuse au vu de son élévation politique récente. Il a immédiatement exhorté Brown à « se débarrasser d’elle » mais elle a rechigné à renvoyer une personne qui était presque devenue la mère de substitution de ses deux enfants. Après cela, peu de temps après leur retour au Texas, la nounou demanda à prendre son après-midi pour rencontrer quelqu’un sur un sujet personnel important, et elle disparut complètement : personne ne l’a plus jamais revue après cela, ni ses amis, ni sa famille, ni ses proches. Cela a amené Brown à soupçonner le pire, une conclusion fortement étayée par les récits détaillés d’autres incidents semblables apportés par Nelson, Stone, et d’autres auteurs.
Ces divers ouvrages apportent une quantité colossale d’informations très factuelles, mais les récits dominants sur la vie et la carrière de Johnson semblent avoir ignoré presque toutes ces informations. À partir de la mort de LBJ en 1973, le biographe Robert Caro a passé des décennies à produire des écrits très complets sous le titre The Years of Lyndon Johnson, en quatre gros volumes déjà publiés, et l’homme aujourd’hui âge de 88 ans espère pouvoir terminer le cinquième et dernier tome. Bien que son travail magistral ait été salué massivement par la critique, selon les nombreuses sources dont je dispose, il a choisi d’exclure presque totalement les éléments controversés » de ses plus de 3500 pages de texte, une décision extrêmement étrange puisque nombre de ces éléments sont solidement documentés.
La plupart des écrits de Caro sont devenus des best-sellers nationaux, et je suppose qu’ils ont dû se vendre tous cumulés en centaines de milliers d’exemplaires. Mais étrangement, un petit livre de poche, imprimé à peu de frais, et publié par un auteur obscur dix ans avant que Caro ait même commencé ses recherches monumentales produit une vision nettement plus réaliste de notre 36ème président. Plus étrange encore, ce petit livre en auto-publication, qui ne comporte ni index ni bibliographie, s’est nettement mieux vendu que la suite écrite par Caro, à pas moins de 7,5 millions d’exemplaires.
Il y a soixante ans, à la veille des élections de 1964, J. Evetts Haley, un démocrate texan conservateur, et historien, qui s’était présenté sans succès aux élections pour devenir Gouverneur en 1956, a publié A Texan Looks at Lyndon, une attaque accablante contre l’occupant de la Maison-Blanche, entièrement centrée sur la face sombre d’une figure politique extrêmement obscure, et qui présente nombre des mêmes faits et soupçons raisonnables au sujet de la corruption massive et des multiples meurtres qui allaient être documentés en détail par Nelson presque un demi-siècle plus tard. Selon une rétrospective brève et hostile parue en 1987 dans le libéral Texas Monthly, aucun éditeur n’a accepté de prendre le livre de Haley, et avec les pressions exercées par les alliés de Johnson, il a fini par être banni des kiosques et des aéroports, mais il se vendait à un certain moment à 50 000 exemplaires par jour, ce qui en a fait le livre politique ayant connu la plus grande réussite de tous les temps.
Haley était membre de longue date de la John Birch Society, un cercle de droite, et certaines de ses accusations d’influence communiste apparaissent comme considérablement exagérées, mais selon le verdict méprisant de ce critique texan travaillant pour un média dominant à la fin des années 1980 :
Haley insinue de manière scandaleuse que Johnson aurait été impliqué dans l’assassinat de Kennedy. Le problème est que la polémique de Haley est sans lien avec la réalité.
Il est donc tout à fait étrange de découvrir que durant soixante années, un récit plutôt raisonnable des sinistres activités menées par LBJ a sans doute trôné dans des millions de bibliothèques privées à travers tous les États-Unis, tout en restant presque entièrement ignoré par l’ensemble de notre classe politique et médiatique. En 1966 et 1967, les activistes libéraux étaient devenus fortement hostiles envers Johnson, et émettaient parfois sans grand bruit l’hypothèse qu’il était parvenu à la Maison-Blanche en pratiquant le meurtre, pourtant seul un très petit nombre d’entre eux allaient ouvrir les pages d’un livre publié à peine quelques années plus tôt, et qui apportait à ce sujet nombre de détails centraux, préférant rejeter ce travail écrit par un soutien zélé de Birch et de Goldwater.
Je soupçonne également qu’à droite de l’échiquier politique, peu de gens ont porté attention aux hypothèses de Haley au sujet de l’assassinat de JFK. Au mois de mars 1964, le professeur Revilo Oliver, une figure très influente de l’extrême droite, qui avait contribué à fonder la John Birch Society et qui était l’éditeur de son magazine mensuel, avait publié « Marxmanship in Dallas, » qui accusait les Communistes de l’assassinat, et c’est cette thèse qui est devenue le récit le plus accepté dans ce cercle idéologique.
Chose ironique, Johnson lui-même a adopté la même position au cours de ses conversations privées avec des dirigeants politiques étasuniens de premier plan, en redirigeant régulièrement les soupçons vers les Communistes soviétiques, et l’on dispose d’éléments considérables indiquant que cette ruse intelligente aura constitué un élément planifié dans le cadre du complot, depuis le tout début.
John Newman a passé vingt ans dans les Renseignements Militaires, et est après cela devenu professeur d’histoire à l’Université du Maryland. Au fil des décennies, il a appliqué ses compétences acquises au service du gouvernement à analyser les détails administratifs de documents déclassifiés par le gouvernement, et en 1993 il a publié Oswald and the CIA, un ouvrage important dont la nouvelle édition de 2008 contient un nouvel épilogue, qui résume certaines de ses conclusions importantes.
Le professeur Newman produit un dossier très solide établissant qu’au cours des mois ayant précédé l’assassinat, une fausse piste de renseignements a été délibérément créée pour suggérer qu’Oswald ait pu être un agent soviétique. Cela a permis à Johnson d’utiliser ces fausses informations pour amener les personnalités dirigeant la commission Warren à retirer toutes les preuves d’une conspiration à Dallas pour éviter « de nous pousser dans une guerre qui peut tuer quarante millions d’Américains en une heure. » Si les découvertes importantes menées par Newman ne prouvent pas que Johnson ait été membre du complot, elles sont d’évidence très cohérentes avec cette hypothèse.
Si Johnson ne fut certes pas le seul conspirateur important, des éléments accablants indiquent qu’il en fut l’une des figures centrales, ce qui présente des implications énormes sur notre compréhension de l’histoire moderne des États-Unis.
Il nous faut bien reconnaître qu’au plus haut du sanctifié Siècle Américain, l’un de nos présidents est parvenu au pouvoir en organisant l’assassinat de son prédécesseur. Qui plus est, cet acte de haute trahison a par la suite été protégé et dissimulé, à l’époque et pour longtemps, par la quasi-totalité de notre establishment politique et médiatique, et c’est presque la totalité des membres du cabinet de JFK qui ont continué d’assurer leurs fonctions sous l’homme qui l’avait assassiné et remplacé.
Après avoir pleinement digéré cette réalité choquante, je me suis creusé la mémoire pour trouver des exemples parallèles dans d’autres pays majeurs dans les temps modernes, mais je n’ai rien trouvé. Les États-Unis et leurs médias divertissants ont toujours dépeint les États-Unis comme uniques parmi les nations du monde, mais l’unicité que j’ai pu découvrir n’a rien de très enviable. Au cours des derniers siècles écoulés, aucun exemple d’événements similaires ne s’est produit en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Autriche, en Italie ou en Russie, malgré leurs révolutions, purges et coups d’État militaires occasionnels.
Nous avons souvent regardé de haut les dizaines de pays d’Amérique latine et leur vie politique turbulente, en les stigmatisant sous le terme de « républiques bananières. » Comme la Bolivie a à elle seule subi 190 différents coups d’État militaires depuis son indépendance acquise en 1825, peut-être que cette attitude est justifiée, et peut-être que certaines histoires nationales ont pu connaître des événements semblables.
Mais la seule affaire qui m’est venue à l’esprit a été l’élévation de Manuel Noriega, en 1983, au Panama, suite à la mort de son prédécesseur, le général Omar Torrijos, sans un accident d’avion suspect, et les preuves semblent loin d’être solides dans cette instance. Malgré cela, si l’analogie la plus proche avec l’histoire de JFK et de LBJ ne peut être déterrée que dans la dictature militaire d’un narco-État établi dans l’un des plus petits pays d’Amérique latine, et l’un des plus corrompus, il va de soi que les Étasuniens n’ont guère de fierté à ressentir envers leur système de gouvernance.
Je soupçonne que ce facteur, mieux que tout autre, explique le silence quasiment continu que nous voyons encore plus de soixante années après l’accession à la présidence de LBJ au travers de l’orchestration de l’assassinat de JFK. La fierté démesurée de l’establishment politique et médiatique étasunien ne peut pas survivre facilement une fois que l’on aura compris que cet establishment a toléré cette état de fait puis à travaillé à dissimuler les événements au peuple étasunien durant les soixante années qui ont suivi.
Durant la semaine qui a suivi la publication de mes premiers articles sur l’assassinat de JFK, j’avais ouvert le nouvel épisode de ma suite de la Pravda Américaine par les paragraphes qui suivent.
… Je n’avais jamais eu le moindre intérêt envers l’histoire des États-Unis du XXème siècle. Pour commencer, il m’apparaissait que tous les faits politiques fondamentaux étaient déjà bien connus et bien relatés dans les pages de mes manuels scolaires d’histoire, ce qui ne laissait guère de place pour des recherches originales, hormis dans les coins les plus obscurs du domaine.
La politique ancienne était également souvent pleine de couleurs et d’exaltations ; on voyait des dirigeants grecs et romains si souvent déposés par des révolutions de palais, ou victimes d’assassinats, d’empoisonnements, et d’autres décès prématurés d’une nature extrêmement suspicieuse. En contraste, l’histoire politique des États-Unis était remarquablement fade et ennuyeuse, et n’était teintée d’aucun événement constitutif propre à l’épicer. Le chambardement politique le plus spectaculaire de toute ma vie avait été le départ forcé du président Richard Nixon sous la menace d’une destitution, et les causes de son départ — des abus insignifiants suivis d’une dissimulation importante — étaient tellement inconséquentes qu’elles affirmaient pleinement la force de notre démocratie étasunienne et le soin scrupuleux avec lequel nos médias gardiens du temple veillaient sur les méfaits des personnages jusqu’aux plus puissants.
Rétrospectivement, je me dis que j’aurais peut-être pu m’interroger sur le fait que les coups d’État et empoisonnements de l’époque impériale romaine furent rapportés de manière exacte à l’époque, ou si la plupart des citoyens porteurs de toges de l’époque purent rester béatement inconscients des événements malfaisants qui déterminèrent la gouvernance de leur propre société.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone