Par Eva Bartlett – Le 24 août 2018 – Source In Gaza
Comme il fallait s’y attendre, l’administration étasunienne menace une nouvelle fois de bombarder la Syrie en cas d’« attaque à l’arme chimique ».
Cela n’a rien d’étonnant, car le même scénario d’attaque chimique est régulièrement repris, avec les mêmes larmes de crocodile, les mêmes préoccupations mensongères et la même indignation hypocrite, par les porte-paroles américains, depuis que l’ancien président américain Obama a tracé sa ligne rouge en Syrie, en 2012.
John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale du président Trump, vient à son tour, de ressortir le script de la fausse attaque chimique, en déclarant, le 22 août : « … si le régime syrien utilise des armes chimiques, nous réagirons avec toute la fermeté requise et il devrait vraiment y réfléchir à deux fois ».
Mal couverts par les lambeaux du voile de supériorité morale sous lequel se dissimule la propagande de guerre américaine, les propos de Bolton sonnaient clairement comme un ordre officiel à al-Qaïda et aux co-extrémistes de mettre en scène une nouvelle fausse attaque chimique.
La déclaration de Bolton a été précédée, le 21 août, d’une déclaration commune de la France, du Royaume Uni (UK) et des États-Unis(US), soit FUKUS, qui menaçait également la Syrie de bombardements illégaux si une attaque chimique s’y produisait (sur la base de preuves que les États-Unis n’ont pas et n’ont jamais besoin d’avoir).
Rappelons que la dernière fois qu’ils ont mis en application leur menace, en avril 2018, les États-Unis et leurs alliés interventionnistes n’avaient même pas attendu que le mensonge sur les attaques chimiques à Douma ait fait long feu, sans parler de la présentation des soi-disant preuves, avant de lancer illégalement 103 missiles sur la Syrie. Les bombardements ont eu lieu avant que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ait pu visiter les sites de Douma concernés.
Il semble que les bombardements de la Syrie d’avril 2018 et d’avril 2017, suite à des allégations non fondées sur Khan Cheikhoun, dans le gouvernorat d’Idlib, n’aient pas diminué l’appétit de destruction de FUKUS.
Les déclarations de Bolton sont reprises en boucle par les habituels médias aux ordres et faux groupes de défense des droits humains, les habituels « militants médiatiques » et individus de l’Atlantic Council, le think tank de propagande de guerre proche de l’OTAN.
Ken Roth, qui règne en maître sur Human Rights Watch (HRW) depuis vingt ans – et qui n’avait même pas été capable de faire la différence, sur une vidéo, entre la ville de Shuja’iyya de la bande de Gaza, réduite en cendres par les Israéliens, et la Syrie, lorsqu’il a tweeté qu’il s’agissait d’Alep en 2015 – s’acharne à ramener la Ghouta de 2013 sur le tapis, pour effrayer les bonnes âmes du monde entier. La narrative occidentale des événements de la Ghouta a été largement invalidée par des journalistes et par les soi-disant « rebelles » eux-mêmes.
Cependant, à force d’entendre la même chanson et d’assister aux mêmes contorsions, beaucoup de gens sont désormais sceptiques et ont du mal à croire ceux qui crient au loup. La propagande de guerre s’est intensifiée de façon dramatique avant et pendant la libération d’Alep-Est et de la Ghouta orientale, pour ne citer que deux exemples.
De fait, le fil Twitter de l’AFP sur les menaces de Bolton est plein de commentaires moqueurs sur la réédition du scénario d’attaque chimique sous faux drapeau, et autres arguments éculés et ridicules de la propagande de guerre. Et aussi sur la vidéo de NBC News où on voit Bolton faire les menaces.
Il y a cependant des gens, qui font le travail que les médias dominants ne font pas, et qui continuent de poser les bonnes questions au sujet de cette dernière vague de propagande sur les attaques aux armes chimiques.
La propagande de guerre de l’OTAN n’est même pas originale
Les accusations d’armes chimiques figurent parmi les tactiques de propagande de guerre les plus utilisées dans la guerre contre la Syrie. De fin 2012 à avril 2018, les porte-paroles de l’OTAN ont dénoncé des attaques meurtrières au chlore ou au sarin. Mais, il a été démontré à chaque fois, qu’ils étaient des menteurs sans intelligence, ni originalité, pour le dire poliment. Des voix moins audibles mais plus raisonnables ont souligné les nombreuses occasions où les soi-disant « rebelles » disposaient de gaz sarin, du contrôle d’une usine de chlore et d’un véritable mobile pour perpétrer une attaque, entre autres.
Parmi les allégations qui ont fait le plus de bruit, il y a eu : mars 2013, à Khan al-Assal, Alep ; août 2013, dans les régions de la Ghouta orientale ; avril 2017, à Khan Cheikhoun, Idlib ; et avril 2018, à Douma, Ghouta orientale.
Enlisés dans leurs mensonges, les États-Unis et leurs alliés bombardent la Syrie la veille de l’arrivée des inspecteurs internationaux (Op-Ed par @EvaKBartlett) https://t.co/TB8POO8JXrpic.twitter.com/DTUZ4Dudly – RT (@RT_com) 15 avril 2018
En ce qui concerne les allégations de Khan al-Assal, Carla Del Ponte, membre de la commission d’enquête du Conseil des droits humains des Nations-Unies, a déclaré que c’était les « rebelles » qui avaient utilisé du sarin : « J’ai été quelque peu stupéfaite par les premières indications que nous avons reçues… Elles concernaient l’utilisation du gaz neurotoxique par l’opposition. »
Un journaliste de Mint Press News qui s’est rendu dans les zones en question a écrit qu’il avait parlé à des « rebelles » et à des membres de leurs familles qui reprochaient au prince Bandar d’Arabie saoudite de leur avoir envoyé des armes qu’ils ne savaient pas être des armes chimiques et dont ils ne savaient pas se servir.
Le journaliste d’investigation Seymour Hersh a parlé des allégations de sarin, notant (entre autres) que « le sarin de l’armée syrienne a une composante chimique différente de celle du sarin d’al-Nusra ».
Parmi les nombreuses questions que les journalistes auraient dû poser à propos des allégations de Khan Sheikhoun d’avril 2017, il y avait la question de savoir comment on pouvait faire confiance aux échantillons de l’OIAC alors qu’il n’y avait manifestement pas de chaîne de traçabilité : la zone est contrôlée par al-Qaïda ou des groupes affiliés, des groupes qui ont un intérêt direct dans la falsification des résultats.
Comme l’indique un article de Moon of Alabama, il y a aussi beaucoup d’incertitudes en ce qui concerne la réalité même de l’attaque de Khan Cheikhoun. L’article note que dans le rapport de l’OIAC sur Khan Cheikhoun, il y a ce qu’il appelle des irrégularités (un euphémisme, à mon avis) : à savoir les 57 cas de patients admis à l’hôpital avant l’incident présumé et les résultats contradictoires d’échantillons de sang et d’urine chez les « victimes du sarin ».
Suite à l’accusation d’avril 2018 de la Maison Blanche selon laquelle le gouvernement syrien a utilisé du sarin à Douma, et malgré l’insistance de Damas pour qu’il y ait une enquête de l’OIAC, FUKUS a bombardé la Syrie, y compris le quartier densément peuplé de Barzeh, à Damas, détruisant un site où on fabriquait des produits pour traiter le cancer, et pas des armes chimiques.
À Douma, le personnel médical a affirmé que les patients n’avaient pas de symptômes d’attaque chimique. Les citoyens de Douma ont également déclaré qu’il n’y avait pas eu d’attaque chimique. Dix-sept civils et membres du personnel médical de Douma ont témoigné à La Haye. Les médias aux ordres ont fait l’impasse sur ces témoignages.
Dans son rapport provisoire de juillet 2018 sur Douma, l’OIAC a noté qu’il n’avait été détecté aucun produit chimique interdit par la Convention sur les armes chimiques dans les échantillons prélevés sur les sites présumés. L’OIAC a trouvé des traces de « produits chimiques organiques chlorés », mais pas de sarin, contrairement à ce qu’avaient prétendu le soi-disant expert Eliot Higgins et la Maison Blanche, entre autres.
À qui profitent ces accusations incessantes ? Quel intérêt le gouvernement syrien aurait-il eu à perpétrer l’une ou l’autre de ces attaques présumées ? Aucun. Est-il logique que le président syrien ordonne une attaque chimique qui provoquerait la colère d’Obama, de Trump et de leurs alliés ? Ces accusations profitent-elles à la coalition qui veut provoquer un changement de régime en Syrie ? Oui.
Dans son récent rapport sur les allégations de Douma, le groupe de travail sur la Syrie, Propaganda and Media, a analysé les faits concernant les allégations de Douma (et les précédentes allégations), les divergences dans les récits officiels, et les liens cachés des experts qui nous apportent des « preuves », dont un expert qui aurait des liens avec les services secrets du Royaume-Uni, le MI-6.
Autant de facteurs susceptibles d’influencer le résultat officiel des enquêtes.
Je suis en partie d’accord avec les dernières préoccupations de FUKUS au sujet d’une attaque chimique : il faut en effet s’inquiéter d’une nouvelle attaque ou d’une nouvelle mise en scène, sauf qu’elle ne sera pas le fait du gouvernement syrien. Comme ce fut le cas tant de fois déjà, l’attaque sera mise en scène par les mercenaires de l’OTAN en Syrie.
En fait, les médias syriens ont récemment mentionné la probabilité que des membres des Casques blancs et d’al-Qaïda en Syrie aient transporté une cargaison de barils d’une usine de recyclage du chlore située près de la frontière turque vers des zones d’Idlib occupées par les terroristes.
Si c’est vrai, ce sont alors en effet des activités étranges pour un groupe de « sauveteurs neutres », et l’indice inquiétant de la préparation d’une mise en scène qui servira de prétexte à un nouveau round d’accusations.
Les entraves à la lutte légitime contre al-Qaïda à Idlib
Ce que Bolton, CNN ou tous les autres adeptes des interventions illégales en Syrie évitent de mentionner, bien que ce soit gros comme le nez au milieu de la figure, c’est que c’est le groupe terroriste al-Qaïda qui contrôle Idlib sous le nom de Hay’at Tahrir al-Sham (HTS). HTS est censé avoir « coupé » ses liens avec al-Qaïda, tout en conservant la même idéologie.
Brett McGurk, l’envoyé spécial des États-Unis pour la coalition (qui prétend écraser EI) a même dit qu’Idlib était « le plus grand lieu de refuge d’al-Qaïda depuis le 11 septembre, lié directement à Ayman al-Zawahiri (leader actuel d’#al-Qaïda) & c’est un énorme problème ».
Pourtant CNN, qui revenait d’Idlib (où il était entré illégalement, une fois de plus), a passé sous silence la présence d’al-Qaïda, comme on pouvait s’y attendre, et a entamé une campagne de propagande de guerre non-stop sur Idlib.
En fait, beaucoup de gens sur les médias sociaux prédisent que la coalition de changement de régime va nous recycler les mêmes éléments éculés de propagande de guerre, y compris les « derniers hôpitaux », les comptes Twitter des enfants Bana al-Abed 3.0 (les comptes Bana 2.0 ont été créés pendant la libération de la Ghouta orientale), et le dernier hashtag émotionnel #EyesOnIdlib.
Il y a quelques jours, Abu Mohammed al-Golani de HTS s’est à nouveau prononcé contre la reddition des groupes armés à Idlib. Un autre « rebelle syrien » à Idlib, un commandant égyptien d’al-Qaïda, a menacé de crucifixion les Syriens qui auraient l’idée de se réconcilier.
Il n’y a pas que les terroristes qui s’opposent à la réconciliation. Les gouvernements occidentaux la considèrent comme un obstacle à leur projet d’intervention. La réconciliation a apporté la paix et la stabilité à beaucoup de régions de Syrie, et plus récemment au gouvernorat de Deraa. Quand j’étais à Deraa, en mai 2018, les bombes terroristes pleuvaient. Maintenant, grâce à une combinaison d’opérations militaires et de réconciliations dans toute la région de Deraa, le calme règne, comme dans la Ghouta orientale et à Alep.
Pourtant, chaque fois que le processus de réconciliation commence dans une nouvelle zone, les terroristes bombardent les couloirs humanitaires, et les dirigeants occidentaux parlent d’« atrocités » non-vérifiées, fermant délibérément les yeux sur al-Qaïda et ses affiliés en Syrie, et diabolisant les gouvernements syrien et russe qui luttent contre le terrorisme en Syrie.
La déclaration de FUKUS du 21 août disait également : « Nous implorons ces pays de reconnaître que l’utilisation incontrôlée d’armes chimiques par n’importe quel État constitue une menace inacceptable pour la sécurité de tous les États. »
Je suis presque certaine de ne pas être la seule à vouloir que les États-Unis et leurs alliés rendent des comptes sur leur utilisation documentée, incontrôlée et criminelle d’armes chimiques contre des civils partout dans le monde.
Eva Bartlett est une journaliste indépendante et une militante des droits humains qui connaît bien la bande de Gaza et la Syrie. Ses écrits se trouvent sur son blog, In Gaza.
Traduction : Dominique Muselet