Par James Howard Kunstler – Le 20 août 2018 – Source kunstler.com
Qui ne veut pas penser qu’il est un bon être humain ? Qu’il est une personne aux bonnes intentions, à la conscience claire, impartiale, généreuse, aimante et compatissante ? Au contraire, qui veut être un perdant ?
La situation politique actuelle aux États-Unis a fait que les vainqueurs américains sont devenus des perdants et la douleur qui en a résulté a mis les nouveaux perdants désignés dans une fureur d’indignation morale. Les déplorables insurgés de Trump étaient censés être remis à leur place le 8 novembre 2016, replacés dans leurs WalMart, mais leur champion avec ses cheveux plaqués or préside la nation dans la maison où Lincoln, les Roosevelt et Hillary ont vécu. « J’ai gagné … ! » comme le nouveau président aime à le tweeter.
« Quel développement pour cette révolte », comme le disait Chester A. Riley dans l’émission The Life of Riley en 1955, quand l’Amérique était géniale (du moins en théorie). Riley était un déplorable original avant même que le concept n’ait émergé du murmure de la culture pop naissante. Il a travaillé dans une usine aéronautique quelque part dans le sud de la Californie, qui était la Mecque des générations précédentes de perdants : les Oakies et autres réfugiés des tempêtes de poussières et qui sont allés vers l’Ouest pour cueillir des fruits ou faire du cinéma.
Chester A. Riley a soutenu une famille avec ce travail en tant que riveteur d’ailes. Tous les hommes de cet âge avaient traversé la Seconde Guerre mondiale, mais ils étaient revenu de très loin d’une horreur dont le public n’avait jamais entendu parler. C’était le but : oublier tout ça et se lancer dans les nouvelles envies de barbecue dans leur arrière-cour, voir les États-Unis depuis votre Chevrolet, profiter du pack Lucky Strikes, « apportant la santé », dans la vallée du Jolly Green Giant… amusant… et si loin des ennuis…
Comme Tom Wolfe l’a fait remarquer il y a quelques années, le trait le plus négligé de la vie américaine de l’après-guerre était la façon dont la vieille paysannerie américaine se voyait mieux vivre que Louis XVI et sa cour à Versailles. L’eau courante chaude et froide, tous les gâteaux de Betty Crocker, délicieusement préparés, que vous pourriez manger, la dentisterie indolore et les matchs des Yankees sur Channel 11, avec Pabst Blue Ribbon ! En 1960 ou à peu près, la télévision couleur et la climatisation ont fait leur apparition, et dans des endroits comme Atlanta, St. Louis et Little Rock, il ne fallait presque plus sortir, Dieu merci ! Plus de coup de chaleur, d’ankylostome ou de chiggers.
C’était une sacrée avancée, bien mieux que les classes paysannes précédentes, certes, mais regardons cela en face : c’était une sorte de nirvana de qualité inférieure. Et quelques générations plus tard, après The Life of Riley, tout s’est effondré. Il y a peu d’emplois à portée de main qui permettent à un homme de subvenir aux besoins d’une famille. Et que voudrions-nous dire par là ? Coller les femmes dans la cuisine et la buanderie ? Quel gaspillage de capital humain (même pour les socialistes qui s’opposent au capital). Ce qui est étrange, c’est qu’il y a de moins en moins de choses à faire dehors à part tenir la porte du WalMart, et si les entrepreneurs technologiques de ce pays arrivent à y placer de la robotique, vous pouvez être sûr qu’il y aura moins que rien pour eux… Sauf ramper et mourir tranquillement, sans laisser de désordre odoriférant.
Quel commentateur politique n’a pas remarqué que le prétendu sauveur de cette classe paysanne est lui-même une espèce de version minable de Louis XVI, avec ses sièges de toilette dorés, sa marque et sa chevelure si particulière ? Une paysannerie heureuse a besoin d’un bon roi, et c’est le rôle que M. Trump semble avoir joué. Je suppose qu’il veut très sérieusement être considéré comme une bonne personne, bien que tous ses efforts pour le démontrer aient été étonnamment maladroits et surtout inefficaces.
La seule chose qu’il a vraiment accomplie est de pousser ses adversaires de la classe dominante hors de leurs gonds avec répulsion et ressentiment. (Je pense que le terme « classe dominante »/« overclass » a été déposé par l’excellent essayiste Michael Lind). Il s’agit d’un terme merveilleusement inclusif, car il décrit essentiellement tous ceux qui ne font pas partie de la sous-classe, ce royaume désormais horrible de diabétiques tatoués qui traînent dans les auditoriums et sur les terrains de base-ball pour leur héros et leur chef, descendu comme un Deus ex machina de l’hélicoptère présidentiel pour leur rappeler à quel point ils sont en train de gagner.
Pendant ce temps, la classe d’anciens gagnants devenus perdants – les dirigeants de la Silicon Valley, les grands manitous de Hollywood, les hipsters de Brooklyn, les facultés de la Ivy League, les rédacteurs des lignes à suivre du Deep State, les consultants de K-Street, les femmes pratiquant le yoga de Fairfield County dans le Connecticut, les acolytes d’Oprah Winfrey et d’Elizabeth Warren – ont recours à de justes procès dans leur croisade pour rétablir l’ordre dans ce pays, le leur. Quand ils arriveront au pouvoir, la ville brillante sera à portée de main…
J’en doute un peu. En vérité, tous les gagnants et les perdants actuels vivent dans l’ombre d’un système financier qui ne fonctionne plus vraiment, car il ne représente pas la réalité d’une richesse qui n’existe plus. La consolation est peut-être qu’il y aura beaucoup pour tous ceux qui survivront à l’effondrement de ce système le moment venu. Mais ce sera dans une disposition des choses et de pouvoir que nous ne pouvons pas connaître d’où nous sommes.
James Howard Kunstler
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone