Par Pepe Escobar – Le 6 juin 2015 – Source : Russia Today
Les membres de la coalition de volontaires créée par les USA pour (supposément) combattre EIIS/EIIL/Da’ech en Syrak se sont réunis la semaine dernière à Paris. En théorie, ils devaient se pencher sur les suites à donner à la chute de Ramadi en Irak et de Palmyre en Syrie.
Le scénario de la réunion, quant à lui, était directement tiré du Manifeste du surréalisme.
Le numéro deux du Département d’État des USA, Tony Blinken, a juré que Washington n’avait aucune réserve à propos de sa stratégie gagnante. Il a précisé que la stratégie gagnante avait tué au moins 10 000 djihadistes du faux califat. Ce qui en a fait sourciller plus d’un dans le chœur de l’armée d’espions de la CIA.
Blinken a également insisté sur les progrès accomplis. Il doit avoir confondu cela avec la prise des grosses légumes de la FIFA par le FBI. La coalition a évidemment accordé tout son soutien à Bagdad, sous forme de belles paroles et d’une vague promesse de fournir plus d’armes, sans toutefois manquer d’exhorter le gouvernement à être plus accueillant envers les tribus sunnites.
Personne n’a soulevé le fait que le succès du faux califat dans la province d’Al Anbar, est dû au soutien des baathistes parmi les sunnites, que Donald Rumsfeld qualifierait de restes du régime de Saddam. C’est cela qui empêche Bagdad d’être plus accueillant.
La coalition a évidemment à peine parlé de la Syrie. Il n’y a absolument aucune différence idéologique et religieuse entre le Front al-Nosra (la branche d’al-Qaïda en Syrie), et EIIS/EIIL/Da’ech. Pourtant, le Qatar et la Turquie partagent le même lit avec le Front al-Nosra, tout en laissant entendre qu’ils s’opposent au faux califat.
La coalition perpétue aussi la fiction par son soutien à ce qui reste des rebelles modérés de l’Armée syrienne libre. Des rebelles modérés, il n’en reste plus. Ils sont tous passés au Front al-Nosra ou à EIIS/EIIL/Da’ech, car c’est là que l’action se passe, avec des tonnes d’armes et la possibilité de prouver sa valeur militaire sur le terrain.
Puis il y a la Jaish al-Fatah, l’Armée de la Conquête, une mixture sémantique digne de la novlangue qui dissimule le fait que l’Occident progressiste, de concert avec ses proverbiaux vassaux des pétromonarchies du Golfe, la couvre d’armes et d’argent liquide. L’Armée de la Conquête est en fait un collectif nébuleux formé de groupes takfiris comme le Front al-Nosra. Toutes les alliances qu’ils forment se dissolvent aussi vite dans les sables du désert.
Les choses prennent une tournure encore plus mauvaise lorsqu’on sait que Doha [capitale du Qatar], par l’entremise d’al-Jazeera arabique, est devenu maintenant le commanditaire officiel du Front al-Nosra, en invitant ses dirigeants à s’exprimer sur ses ondes et en s’efforçant d’établir une différence (pratiquement nulle) entre le Front al-Nosra et EIIS/EIIL/Da’ech. Dans l’une de ces entrevues, le Front al-Nosra a été limpide : l’Occident ne fera pas l’objet d’une attaque à la al-Qaïda tant que des armes, des dollars US et des euros continueront de pleuvoir sur le groupe. Sa mission en Syrie demeure un changement de régime, ce qui correspond exactement à ce que veulent Doha, Ankara, Riyad, Tel-Aviv et, bien sûr, Washington.
Al-Qaïda, la nouvelle normalité
Le journal turc Cumhuriyet a fourni un lien vers une vidéo montrant l’agence d’espionnage turque MIT armant al-Qaïda en Syrie par camions entiers.
Cela se passe pendant qu’Ankara persiste et signe dans la fiction en prétendant former des modérés pour combattre le faux califat. C’est insensé. Je le dis et le répète, il n’y a plus de modérés, seulement des groupes takfiris. Dès que des modérés franchissent la frontière turco-syrienne, ils deviennent des takfiris.
Pour sa part, EIIS/EIIL/Da’ech progresse constamment en direction d’Alep, en essayant de capturer des villages au nord-est de la ville. Inutile d’ajouter que la coalition se contente de regarder. Ce qui rend les choses encore plus absurdes, c’est que bon nombre de groupes d’opposants qui refusent d’être qualifiés de takfiris, comme le Front révolutionnaire syrien et le Front du Levant, mais qui combattent aux côtés des takfiris, ont demandé au Pentagone de bombarder les brutes du calife, mais en vain.
Ainsi, pendant que le Pentagone se plaint d’être à court de cibles tout en étant incapable de bombarder des colonnes de djihadistes en plein désert, pendant que les vestons cravates poursuivent leurs beaux discours à Paris, EIIS/EIIL/Da’ech est sur le point de conquérir une zone extrêmement stratégique s’étendant d’Alep dans le nord jusqu’à la frontière turque.
S’il réussit, cela aura pour effet de couper les liens de tout le monde, des soldats d’Assad aux supposés rebelles modérés.
Un des groupes modérés, le Front al-Izz, est sur le point de quitter la coalition. Son chef, Mustafa Sijari, a fait une révélation pour le moins extraordinaire. Il a prétendument été sommé par le Pentagone d’oublier Damas et de combattre EIIS/EIIL/Da’ech. Si cela est vrai, c’est une autre preuve que le Pentagone joue un rôle de figurant, en laissant les Arabes s’entretuer de la manière qui leur plaît, peu importe leur conviction religieuse.
Quant à la stratégie de Washington, c’est plutôt l’absence de stratégie qui prime. Les conseillers en matière de politique étrangère de l’administration-évitons-les conneries-Obama ne peuvent être pris au sérieux.
Les factions favorables à l’administration dans les officines à Washington soutiennent que les USA ne peuvent s’aliéner Téhéran en attaquant Damas, parce que les USA ont besoin du soutien iranien, par l’entremise d’une myriade de milices chiites, pour combattre EIIS/EIIL/Da’ech en Irak. En Syrie pourtant, les USA comptent sur les modérés en voie de disparition non seulement pour combattre le faux califat, mais aussi pour infliger des coups à Damas.
Nous pouvons déjà commencer à compter les multiples permutations des retours de flamme que pareil scénario trouble ne manquera pas de susciter. L’Empire du Chaos excelle dans l’art de fomenter (évidemment !, sinon quoi d’autre ?) le chaos. Quant à la destruction qui en découle, c’est aux habitants locaux d’en supporter le fardeau, pendant que l’Empire reste sur la touche.
Il demeure important de rappeler que les milices tribales sectaires qui ont été lâchées en Irak puis, des années plus tard, en Syrie, étaient une conséquence directe de la politique Made in USA de diviser pour mieux régner, mise en œuvre après la destruction initiale de l’État irakien.
Bref, le chaos prévaudra encore. EIIS/EIIL/Da’ech poursuivra son avance en Syrie, hors d’atteinte de la puissance de feu du Pentagone. Mais une contre-attaque efficace est cependant possible en Irak, non pas grâce à la puissance de feu du Pentagone, mais plutôt des milices chiites. C’est cela que le Département d’État définit comme une stratégie gagnante.
Traduit par Daniel, relu par Diane pour Le Saker francophone
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).