Russie et islam, Acte VIII : travailler ensemble, comment faire ?

The Saker

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Par le Saker original – Le 18 décembre 2013 – Source vineyardsaker

PREMIÈRE PARTIE – INTRODUCTION ET DÉFINITIONS.
SECONDE PARTIE  – LE CHRISTIANISME ORTHODOXE
TROISIÈME PARTIE – LA RUSSIE ACTUELLE
QUATRIÈME PARTIE – LA MENACE ISLAMIQUE
CINQUIÈME PARTIE – L’ISLAM, UN ALLIÉ
SIXIÈME PARTIE      – LE KREMLIN
SEPTIème partie   – les échappatoires de M. Météo

Aujourd’hui, je vais étudier le thème de la coopération entre orthodoxes et musulmans, suggèrer une approche possible pour cette question et donner un exemple pratique sur ce qui pourrait être fait immédiatement et avec beaucoup d’avantages pour toutes les parties impliquées.

Je considère cet article aujourd’hui comme le huitième épisode de ma série La Russie et l’islam et je pense que ceux qui n’ont pas lu les épisodes précédents devraient le faire avant de lire ce dernier épisode.

Pour des raisons évidentes aux yeux de quiconque a lu ces séries, je vais limiter mon champ au sujet de la coopération entre chrétiens orthodoxes et musulmans non wahhabites. En tant que chrétien orthodoxe, je ne crois pas que toute coopération est possible entre l’Église orthodoxe et la papauté ou l’église réformée [les confessions protestantes], je ne crois pas non plus qu’il y ait quoi que ce soit à discuter avec les wahhabites. Alors, quand je vais parler de chrétien ce sera strictement en référence à des chrétiens orthodoxes et musulman fera référence à tout musulman, sauf les wahhabites.

L’approche, encore typique, fondamentalement erronée

Ayant eu de nombreuses occasions d’échanger des vues avec des musulmans de différents pays et ayant également entendu des personnalités religieuses musulmanes engagées dans divers débats, dialogues et discussions chrétiennes, je peux décrire le scénario typique à partir duquel ces dialogues sont menés.

Les deux parties tentent d’établir une liste de toutes les questions sur lesquelles l’islam et le christianisme sont d’accord. Ceux-ci admettent que Dieu est amour, que la Mère de Jésus était une vierge, que l’anté-Christ viendra avant la fin des temps, que Moïse était un grand prophète, que les anges sont des messagers de Dieu, ainsi que beaucoup d’autres choses. Ajoutées à cette liste de sujets d’accord, il y a généralement des déclarations sur la manière dont chrétiens et musulmans ont vécu en paix côte à côte et comment cela devrait se poursuivre aujourd’hui. C’est une façon bien intentionnés et polie d’engager un dialogue, mais c’est aussi une manière fondamentalement erronée pour la simple raison qu’elle néglige des questions théologiques et des problèmes historiques absolument fondamentaux. Prenons-les un par un.

Différences théologiques irréconciliables entre le christianisme et l’islam

La formulation dogmatique la plus sacrée et la plus élevée du christianisme est le Credo ou Symbole de la foi (plus d’infos ici). Littéralement, chaque lettre jusqu’au plus petit iota [i, NdT] de ce texte est, du point de vue chrétien, la formulation dogmatique la plus sacrée et parfaite, soutenue par la pleine autorité des deux conciles œcuméniques qui l’ont proclamée et de tous les Conseils qui l’on avalisée. En termes simples : le Symbole de la foi est absolument non négociable, non redéfinissable, non réinterprétable, vous ne pouvez pas en retirer quoi que ce soit, et vous ne pouvez pas ajouter quoi que ce soit. Vous pouvez soit l’accepter tel qu’il est, dans sa totalité, ou le rejeter.

Le fait est que les musulmans auraient beaucoup de problèmes avec ce texte, mais une de ses parties, en particulier, est absolument inacceptable pour tout musulman :

Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, l’Unique, Fils unique du Père avant tous les siècles, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non pas créé ; de la même essence que le Père 1 par qui tout a été fait.

Cette partie affirme clairement et sans ambiguïté que Jésus-Christ était non seulement le Fils de Dieu, mais en fait Dieu Lui-même. Ceci se traduit par la formulation anglaise d’une seule essence avec le Père (ὁμοούσιον τῷ Πατρί en grec avec les clés homousios, terme signifiant consubstantiel). Ceci est le noyau du christianisme : que Jésus était le Théanthropos, l’Homme-Dieu ou Dieu incarné. Cette croyance est catégoriquement inacceptable pour l’islam, qui dit que le Christ était un prophète et par essence un être humain normal.

Pour l’islam, la définition même de ce que doit être un musulman se trouve dans la Shahada ou le témoignage / témoin. C’est la fameuse déclaration par laquelle un musulman témoigne et proclame qu’il n’y a de dieu que Dieu, Muhammad est le messager de Dieu. On peut souvent l’entendre formulée comme: il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah, Mahomet est son prophète.

Maintenant, sans même entrer dans la question de savoir si les chrétiens peuvent se mettre d’accord ou pas que Allah est le nom approprié pour Dieu (certains le font, certains refusent – ce qui est vraiment hors de propos ici), c’est la deuxième partie qui est cruciale ici : le christianisme ne reconnaît pas du tout Mahomet comme un prophète. En fait, techniquement parlant, le christianisme aurait probablement classé Muhammad comme un hérétique (ne serait-ce qu’en raison de son rejet du Credo). Saint Jean Damascène lui-même l’a appelé un faux prophète. Autrement dit : il n’y a aucune façon pour un chrétien d’accepter la Shahada sans renoncer à son christianisme, tout comme il est impossible pour un musulman d’accepter le Credo sans renoncer à son Islam.

Alors à quoi bon?

Ne serait-il pas plus logique d’accepter qu’il existe des différences fondamentales et inconciliables entre le christianisme et l’islam et abandonner tout simplement la quête inutile des points d’accord théologiques ? Qui se soucie que nous soyons d’accords sur le secondaire et catégoriquement en désaccord sur le primaire ? Je suis en faveur des chrétiens qui étudient l’islam et pour les musulmans qui étudient le christianisme (en fait, je les exhorte tous deux à le faire !). Je pense qu’il est important que les fidèles de ces religions se parlent et s’expliquent leurs points de vue, aussi longtemps que cela n’est pas présenté comme une sorte de quête d’une position théologique commune. Les différences devraient être étudiées et expliquées, pas occultées, minimisées ou négligées.

Le prochain sujet de discorde est la vision historique.

Chrétiens et musulmans – amis ou ennemis ? Qu’est-ce que l’histoire nous montre ?

Une autre approche fondamentalement significative et erronée, souvent repérée dans les dialogues entre chrétiens et musulmans, est la tentative de présenter l’histoire des relations entre ces deux religions comme une longue idylle festive ininterrompue. C’est historiquement faux et naïf à l’extrême.

Tout d’abord, les musulmans et les chrétiens sont des êtres humains, des êtres humains imparfaits et pécheurs (les deux religions sont d’accord là-dessus). Deuxièmement, et pour faire empirer les choses, tant l’islam que le christianisme ont été, à certains moments, des religions d’État officielles , ce qui signifie que les États ont agi au nom de leur religion. En conséquence, il y a eu beaucoup de moments dans l’Histoire où chrétiens et musulmans se sont affrontés. Oui, il est vrai que les musulmans et les chrétiens ont pu souvent vivre en paix côte à côte, mais à moins d’être un vrai bigot ignorant, il est tout simplement impossible d’ignorer le fait que les chrétiens et les musulmans ont aussi fait la guerre, persécuté et maltraité les autres, parfois violemment.

Et alors?

Ce qui doit être discuté n’est pas de savoir si chrétiens et musulmans se sont fait du mal dans le passé, mais s’ils peuvent vivre en paix maintenant. Et la réponse à cette question est un oui ! sonore et retentissant . Je sais, certains pessimistes vont immédiatement objecter que le christianisme et l’islam ont un bilan réciproque d’interprétation du fait que convertir l’autre à sa propre religion est un devoir religieux, ou non. La question ici n’est pas de savoir si certains chrétiens ou musulmans font (ou ont fait) croire qu’ils doivent convertir l’autre à tout prix, mais s’ils font partie de ceux qui le croient, ou pas. Tant que cela est une possibilité compatible avec sa foi, c’est suffisant.

Je pense que l’histoire, et beaucoup de déclarations de personnalités religieuses des deux côtés, prouvent que cela est possible – il y a une quantité de preuves pour le démontrer – que les chrétiens et les musulmans peuvent accepter que la décision d’être un musulman ou un chrétien devrait être prise librement à l’intérieur du cœur de chaque personne, sans contrainte ni interférences. Le fait de pouvoir interpréter le christianisme et l’islam de façon différente est pertinent, tant qu’il est également possible d’accepter la même position de base sur les choix religieux.

Oui, je sais que dans l’Islam l’apostasie est un crime capital, mais je sais aussi qu’au cours des siècles les musulmans ont également choisi de ne pas appliquer cette loi. Ce n’est pas à moi, chrétien orthodoxe, de dicter ce que les dirigeants musulmans doivent décider sur ce sujet, mais il est également clair pour moi qu’il y a suffisamment de dirigeants musulmans sages et pragmatiques pour comprendre pleinement les conséquences de l’application de la peine de mort à quelqu’un choisissant d’abandonner l’islam.

Alors, où allons-nous à partir de là ?

Il est très simple d’obtenir des chrétiens et des musulmans qu’ils expriment une hostilité l’un envers l’autre. Tout d’abord, faire quelques déclarations théologiques qui sont inacceptables pour l’autre partie, appeler l’autre hérétique ou incroyant, puis mentionner quelques épisodes sanglants et les plus controversés de l’histoire, et bientôt vous aurez une situation très désagréable sur les bras. C’est aussi facile que stérile car rien ne peut sortir de là que la haine.

Heureusement, il est tout aussi facile à accepter qu’il existe des différences irréconciliables entre les croyances fondamentales des deux religions et que chaque personne devrait avoir les moyens de faire librement son choix entre ces deux confessions selon sa conscience. Quant à l’histoire, c’est une évidence d’accepter que les deux parties ont, à certains moments, fait du mal à l’autre et que nous ne sommes pas responsables pour ce qui est arrivé dans le passé, mais seulement pour ce que nous faisons de notre présent et de notre avenir.

Pourtant, après avoir réglé nos différences, nous devons toujours nous demander si nous avons quelque chose en commun, un intérêt commun ou des valeurs communes, que nous pourrions vouloir défendre conjointement. Et nous le faisons très certainement : notre éthique.

Le terrain d’entente – l’éthique

Toute religion a deux composants principales : la foi (ce que je proclame croire) et les règles de vie qu’elle prescrit, le comment de l’existence quotidienne. En termes chrétiens, il y a la doxa (ce que vous annoncez ou glorifiez) ​​et la praxis (la façon dont vous vivez votre vie spirituelle sur une base quotidienne). Ce sont des règles de base communes à la plupart des religions : ne pas tuer, ne pas voler, vivre une vie de modestie, protéger les faibles [prier, respecter ses parents, NdT], etc. Lorsque l’on compare l’islam et le christianisme, on peut trouver les différences et les similitudes entre leurs praxis et l’éthique. Les différences dans la praxis ne sont pas importantes, car elles touchent principalement la vie privée des fidèles : les musulmans jeûnent pendant le mois de Ramadan, les chrétiens pendant les quatre grands jeûnes de l’année et les mercredis et vendredis. Alors laissez-les faire, qui s’en soucie ? Cela ne gêne pas l’autre, en fait, ils sont généralement respectueux des traditions de chacun. Sur l’éthique, par ailleurs, les deux religions sont relativement d’accord à la fois sur le plan social et individuel. À une exception notable dont je vais parler ci-dessous, le christianisme et l’islam ont des idées très semblables sur ce qui est bien ou mal et sur ce que la société devrait défendre ou activement rejeter. Plutôt que de faire une longue liste de ce sur quoi l’islam et le christianisme sont d’accord, je vais tout simplement introduire un nouvel acteur pour la pertinence de la comparaison : l’Ouest séculaire post-chrétien.

Que signifie l’Occident post-chrétien et laïc aujourd’hui ?

Tout d’abord, l’Occident post-chrétien et laïc représente la liberté de chacun de choisir son propre système de croyance, ses codes de conduite, son système moral, son mode de vie, etc. En d’autres termes, l’Occident post-chrétien et laïc  rejette catégoriquement l’idée qu’il existe quelque chose appelé La Vérité. De cela il est logiquement inévitable de conclure qu’il n’y a pas vraiment de concept juste ou faux. En fait, une croyance de base de la post-chrétienté laïque de l’Occident est que votre liberté s’arrête où commence la mienne (autrement exprimée ainsi : le droit de balancer mon poing se termine où commence le nez de l’autre). Donc, tant que les autres ne sont pas affectés par ma liberté, je peux faire ce que je veux. Chaque personne a sa vérité et ce que vous considérez comme correct, une autre personne pourrait le considérer comme incorrect et vice-versa.

Deuxièmement, et comme une conséquence directe du premier point, l’Occident post-chrétien et laïc place le bien-être de l’individu au-dessus du bien-être de la communauté. Ceci est parfaitement exprimé par le célèbre La vie, la liberté et la poursuite du bonheur, phrase de la Déclaration d’indépendance américaine, qui stipule que ce sont des droits inaliénables de chaque individu. Le contraste avec le christianisme et l’islam ne pouvait pas être plus grand que pour ces religions qui considèrent que la vraie vie est la vie éternelle, que l’être humain doit obéir à Dieu et que le vrai bonheur est spirituel et non terrestre. Alors que l’Occident considère la vie comme la valeur suprême, le christianisme et l’islam accueillent la mort et considèrent que mourir au nom de Dieu est l’acte le plus désirable pour témoigner de sa foi  (martis [martyr] en grec a exactement la même signification que shahid en arabe : témoin).

Le veau d’or est toujours debout

Enfin, et comme une conséquence directe des deux points précédents, la seule valeur commune à tous les peuples de l’Occident post-chrétien et laïc est, bien sûr, l’argent. L’argent est, littéralement, la seule monnaie commune d’une société sans valeurs suprêmes, dans laquelle chaque personne est libre de définir bien et le mal selon son souhait. Il en résulte une monétisation inévitable de tout, y compris de la vie d’un être humain.

Ceci est vraiment un système très minime de valeurs, mais cela suffit à en faire l’anti-religion par excellence. En comparaison de cela, les différences entre l’orthodoxie et l’islam apparaissent soudainement minuscules, presque hors de propos. Aujourd’hui, le meilleur exemple est en Russie, où le christianisme orthodoxe et l’islam sont soumis à une attaque directe à plusieurs niveaux, par les efforts déterminés de l’Occident post-chrétien et laïque, qui ne ménage aucun effort pour renverser et détruire les principes de ces religions et les remplacer par les valeurs occidentales promues dans des campagnes de propagande de plusieurs milliards de dollars, y compris par la musique, les films, les livres, la mode, la télévision, des talk-shows, des magasins, des politiciens, des personnalités célèbres, etc.

Les cas récents et célèbres de Pussy Riot et du droit supposé des homosexuels de Russie d’organiser des défilés de la fierté [Gay Pride] à Moscou sont les parfaits exemples de l’ordre du jour de la post-chrétienté laïque de l’Occident. Et bien que cela ne soit pas rapporté dans les médias de masse occidentaux, je peux attester du fait que les dirigeants musulmans en Russie comprennent tous parfaitement qu’ils sont aussi l’objet d’attaques et que ce n’est pas seulement un problème orthodoxe.

Donc, que peut-on faire à ce sujet, en Russie ?

Une occasion parfaite – la Constitution russe

Les hommes politiques russes ne sont pas aveugles à ce qui se passe et, à l’exception de quelques libéraux pathologiquement naïfs ou malhonnêtes, ils comprennent tous que ce qui se passe aujourd’hui : un choc de civilisations entre l’Ouest post-chrétien laïc et la Russie post-soviétique. Le fait que ce choc de civilisations est non seulement idéologique, mais aussi politique et même militaire (comme le montrent les exemples de l’Euromaïdan en Ukraine et le déploiement du système anti-missile américain en Europe de l’Est ) ne rend que plus urgentes ces questions.

Il se trouve que la Constitution russe célèbre son 20e anniversaire et que des changements possibles à cette Constitution sont en cours de discussion dans de nombreuses parties de la société russe. L’une des caractéristiques les plus bizarres de la Constitution russe actuelle est qu’elle interdit à l’état d’avoir une idéologie. L’article 13.2 de la Constitution actuelle stipule: «Aucune idéologie d’état ne peut être ni établie ni obligatoire». Les racines de cet étrange paragraphe peuvent être attribuées à un mélange du rejet général de l’ancienne idéologie soviétique officielle, marxiste-léniniste, communiste, et une tentative transparente de la part des conseillers étrangers de Eltsine en 1993 de s’assurer absolument que rien d’intrinsèquement russe ne trouverait jamais sa place dans la nouvelle Constitution.

Certains politiciens orthodoxes russes ont suggéré que ce paragraphe 13.2 devrait être radié et que certaines formulation devront être trouvées pour exprimer la notion que la religion orthodoxe a joué un rôle historique important dans la culture et le système de principes de la Russie moderne, que les valeurs orthodoxes sont à la base de l’idéologie moderne de la Russie. Jusqu’à présent, aucune formulation précise n’a été suggérée et il y a même un débat pour savoir si une telle phrase devrait être incluse dans la Constitution elle-même ou dans son préambule.

Inutile de dire que le simple fait de soulever une telle question a entraîné une réaction outragée par la petite, mais très bruyante, minorité de politiciens pro-occidentaux libéraux. Plus important encore, beaucoup de chrétiens orthodoxes russes ont également de profondes réserves quant à la sagesse d’un tel amendement, parce qu’il pourrait aliéner toutes les personnes non orthodoxes en Russie, qui comprennent non seulement les musulmans ou les bouddhistes, mais une probable majorité des agnostiques. Les dirigeants musulmans ont également exprimé la crainte que ce serait officiellement donner à l’islam un statut de religion de seconde catégorie (même si c’est exactement le statut des dhimmis chrétiens prévu dans la charia), en attribuant à l’orthodoxie, un rôle de premier plan.

Je crois fermement que c’est là le parfait exemple où les chrétiens et les musulmans peuvent facilement trouver un terrain d’entente et unir leurs  forces : pourquoi ne pas simplement reconnaître le rôle particulier de l’orthodoxie et de l’islam dans la formulation historique de la culture russe, la société et le système de valeurs ?

Tout d’abord, c’est historiquement vrai. Non seulement il y avait un grand nombre de musulmans parmi les Mongols qui occupaient la Russie, en particulier dans la dernière période de l’occupation, mais l’expansion de l’État russe a inclus de nombreux territoires avec une population à majorité musulmane qui sont devenus des citoyens de l’Empire russe. Les musulmans ont combattu dans la défense de l’État russe et de la nation au cours de nombreuses guerres à l’époque de Saint Alexandre Nevski, durant la Seconde Guerre mondiale et la guerre contre la Géorgie 08.08.08. Dernier point, mais certainement pas le moindre, Akhmad Kadyrov et son fils Ramzan Kadyrov ont joué un rôle absolument crucial pour chasser les wahhabites de Tchétchénie et, ainsi, ils ont non seulement sauvé la nation tchétchène de ce qui aurait été une agression absolument dévastatrice contre la Russie, mais ils ont également probablement sauvé la Russie d’une guerre très dangereuse et sanglante dans le Caucase. La même chose peut être dite des Daghestanais qui, pendant plusieurs jours, ont à eux seuls combattu l’invasion de la Brigade internationale islamique de Chamil Bassaïev et Khattab en Tchétchénie en 1999, jusqu’à ce que les principales forces fédérales se soient impliquées. La Russie moderne est, sans aucun doute possible, un état multi-ethnique et multi-religieux dont le bien-être et la prospérité dépendent en grande partie de la nature de l’islam que les Russes musulmans vont choisir : l’islam de Ramzan Kadyrov ou l‘islam de Doku Umarov (le Satan qui se prétend Président de la République tchétchène d’Itchkérie et Émir de l’Émirat du Caucase).

Deuxièmement, en reconnaissant le rôle des deux, christianisme orthodoxe et islam, les partisans de cet amendement constitutionnel pourraient obtenir le soutien de ce qui est de loin le plus grand segment de la population religieuse. En effet, les bouddhistes, les papistes, les protestants, les juifs et les autres confessions en Russie, sont minuscules par rapport aux deux grandes religions. Personnellement, je voudrais également inclure les bouddhistes dans cette liste de cultures structurantes, dont les valeurs religieuses ont façonné la société russe. Parce que – contrairement aux autres petites religions – ils sont vraiment indigènes de la Russie alors que les autres dénominations, papistes, protestants, juifs sont des importations étrangères qui, bien sûr, ont le droit d’exister en Russie, mais qui n’ont eu une aucune influence sur la formation de l’identité nationale russe et de son système de valeurs.

Quant aux gens nominalement religieux et surtout agnostiques, le simple fait que deux (ou trois) religions soient reconnues dans un rôle spécial devrait apaiser leurs préoccupations au sujet de la prééminence d’un quelconque système de valeurs ou d’une idéologie officielle au détriment de tout le monde. Après tout, la plupart des gens en Russie seraient d’accord pour penser que l’éthique de l’islam et celle du christianisme ont beaucoup en commun. Le seul problème sociétal et moral important dans lequel le christianisme orthodoxe et l’islam sont vraiment en désaccord est la question de la peine capitale. Mais cela n’a pas d’importance puisque la Russie a, de toute façon, promis un moratoire sur les exécutions (et de se joindre – devinez à quoi ? – au Conseil de l’Europe); par ailleurs une majorité de Russes reste toujours en faveur de la peine de mort, au point qu’elle pourrait même être réintroduite dans le futur.

Conclusion

Contrairement à ce que beaucoup de gens semblent penser, la coopération entre christianisme orthodoxe et islam est en fait très facile à réaliser. Les deux parties doivent accepter le fait de désaccords théologiques irréconciliables, les deux parties doivent accepter le fait qu’ils ont fait du mal les uns aux autres dans le passé, et les deux parties doivent affirmer le droit de chaque individu à choisir librement sa religion, y compris le droit d’en changer. Tout cela devrait être une évidence.

Ensuite, chrétiens et musulmans ont besoin de définir un ensemble de questions civilisationnelles qu’ils acceptent pleinement. C’est aussi une évidence.

Enfin, les deux parties devraient systématiquement défendre leurs valeurs culturelles, sociales et civilisationnelles ensemble, côte à côte. En fait, aussi longtemps que leurs valeurs culturelles, sociales et civilisationnelles ne sont pas en conflit les unes avec les autres, chrétiens et musulmans orthodoxes devraient défendre les valeurs de l’autre côté sur le principe que ce sont des valeurs formatrices et fondamentales de la Russie. Par exemple, les chrétiens orthodoxes russes devraient défendre le droit des jeunes filles musulmanes à porter un foulard à l’école et ailleurs. Non seulement parce que c’est beau ou parce que, avant Pierre Ier toutes les femme russes portaient les mêmes foulards non seulement à l’église, mais toute la journée, mais aussi parce que le soi-disant voile islamique n’est en aucune façon une menace pour le christianisme : il suffit regarder une icône de la Mère de Dieu.

Récemment, une église orthodoxe a été incendiée la nuit au Tatarstan par quelques voyous wahhabites. La communauté musulmane locale s’est réunie et a fait don de tout l’argent nécessaire pour une reconstruction complète. De même, en Tchétchénie, Ramzan Kadyrov a personnellement supervisé la reconstruction de nombreuses églises russes détruites au combat ou par les wahhabites, et le gouvernement local a alloué de l’argent pour la construction d’une cathédrale orthodoxe dans le centre de Grozny. Dans l’intervalle, les autorités de la ville de Stavropol ont ordonné la destruction de deux mosquées illégales. C’est dans une ville qui ne possède qu’une seule mosquée, actuellement utilisée comme musée, elle est minuscule de toute façon, et une population musulmane de 60 000 et 500 000 personnes (ça dépend à qui vous demandez et comment vous mesurez). Les autorités de la ville ont promis de construire un centre islamique intégral (avec mosquée, école, hôtel, etc.) qui est excellent, mais rien n’a été fait jusqu’ici. Certes, la situation dans Stavropol est particulièrement mauvaise et elle est compliquée par de nombreux autres facteurs tels que l’existence de gangs, nominalement musulmans, de voyous et de l’hostilité de la population locale à ce qu’ils perçoivent comme une islamisation de leur ville et la région. C’est le cas typique où les autorités fédérales doivent intervenir énergiquement, comme Poutine l’a souvent fait dans de tels cas, et faire face à ce problème comme à un cas d’espèce (contrairement au pilotage automatique bureaucratique). Dans l’ensemble, jusqu’à présent, le bilan de la coopération entre orthodoxes et musulmans est mitigé.

Si les chrétiens orthodoxes et les musulmans pouvaient se réunir et promouvoir ensemble un changement de la Constitution russe, ce ne serait pas seulement faire le travail, mais ce serait une nouvelle ère pour la Russie, car cela enverrait un signal fort au niveau local en Russie (comme à Stavropol) et à l’étranger (Iran, Syrie, Liban) indiquant que la Russie a pris la décision fondamentale de travailler avec tout parti musulman disposé à le faire sur la base de quelques principes clairement définis, mutuellement acceptés et simples.

Un mot encore à touts les opposants

Personnellement, je trouve tout ce qui précède vraiment basique et évident. Mais après avoir rencontré les opposants des deux côtés, je sais que certains d’entre vous ne seront pas convaincus. Vous savez que les chrétiens sont des impérialistes auxquels on ne peut pas faire confiance et que les musulmans veulent établir un Califat mondial sur nos cadavres. Bien, okay. Maintenant, permettez-moi de vous poser la question avec laquelle les enfants Américains aiment se défier les uns les autres : «Et qu’est-ce que tu vas faire à ce sujet?» Expulser tous les musulmans de Russie et bloquer le Caucase ? Tuer tous les infidèles et organiser un califat islamique en Russie ? Mener votre juste lutte contre tout le monde, sur tous les fronts en même temps, par vos propres moyens? Convaincre tout le monde pour les convertir ?

Je ne pense pas.

En fait, en faisant tout cela vous ferez exactement ce que les élites politiques occidentales attendent vraiment de vous! Personne ne sera plus heureux que Tamir Pardo, Zbigniew Brzezinski et Hillary Clinton. La politique est l’art du possible et viser l’impossible est tout simplement une forme de suicide politique. Ceux qui veulent désespérément dresser les chrétiens contre les musulmans n’arriveront jamais à rien, mais délivreront seulement encore un coup de plus contre la religion même qu’ils prétendent défendre. Par expérience, j’ai constaté que ces gens ont une éducation religieuse très pauvre et superficielle, et habituellement pas de formation  historique du tout. Ils prennent leur haine envers l’autre pour un zèle religieux qui plaît à Dieu, et ils agissent non pas tant par amour pour leur propre religion que par haine pour la religion de l’autre. Ce sont les gens qui ne peuvent pas voir, dans les belles paroles d’Alexandre Soljenitsyne que :

Toutes les tentatives pour trouver un moyen de sortir de la situation du monde d'aujourd'hui sont vaines si nous ne redirigeons pas notre conscience, dans la repentance, vers le Créateur de toutes choses: sans cela, nous ne trouverons pas la lumière pour sortir, et nous chercherons en vain. Les ressources que nous avons mises de côté pour nous-mêmes sont trop pauvres pour la tâche. Nous devons d'abord reconnaître l'horreur perpétrée non par une force extérieure, une classe ou un ennemi national, mais à l'intérieur de chacun de nous individuellement, et au sein de chaque société. Cela est particulièrement vrai d'une société libre et très développée, car ici en particulier, nous avons tout édifié par nous-mêmes, de notre propre volonté. Nous-mêmes, dans notre égoïsme irréfléchi quotidien, avons resserré l'étau sur nous- mêmes...

Craignant Dieu, les musulmans et les chrétiens pieux doivent aussi bien comprendre et accepter que l’humilité et le repentir sincère pour nos propres péchés est ce que Dieu nous appelle à faire, et que la recherche d’un ennemi extérieur à nos peurs et à notre haine n’est pas satisfaisante pour l’âme. Notre diversité de croyances n’a pas d’autre cause que notre propre péché, qui lui-même est une conséquence directe de notre humanité commune, une humanité que nous partageons tous, indépendamment de nos convictions. Ayant trouvé et épousé la vraie foi ne fait pas nécessairement de nous de meilleures personnes, cela nous rend seulement plus chanceux et privilégiés, et ce privilège impose un fardeau spécial sur nous pour pardonner et manifester de la compassion envers nos compatriotes égarés. Enfin, si notre but est vraiment de convertir l’autre, la meilleure façon de le faire est par l’exemple de la vraie piété individuelle, la pureté et l’amour, et non par la tentative de gagner une lutte politique.

Le Saker

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

  1.  Opposition entre les mots grecs homoousi, de même substance, et homoiousi, de substance semblable; la différence entre les deux mots est la lettre i, iota, d’où l’expression ne pas bouger d’un iota. Des discussions homériques sur ce point ont occupé les théologiens pendant quatre cents ans au début de l’ère chrétienne, notamment au premier Concile de Nicée, en 325 après JC où la question a été provisoirement réglée
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