US–Iran :
la valse à deux temps. Menace? Pas menace?


Par Toni Cartalucci – le 16 mars 2015 – Source New Eastern Outlook

Peut-on qualifier l’Iran de menace globale, quand des conseillers politiques US-américains admettent que le pays ne fait que se défendre ?

Des conseillers politiques US-américains ont admis que la stratégie iranienne était principalement défensive, et que les tendances agressives comme défensives adoptées par le pays, étaient d’abord influencées par la politique des USA au Moyen-Orient et en Asie Centrale.

La RAND Corporation, basée aux Etats-Unis, qui se présente comme une institution à but non lucratif aidant à améliorer les politiques et la prise de décision au travers de recherches et d’analyses, a publié en 2009 un rapport pour les forces aériennes des USA intitulé Dangereuse, mais pas omnipotente: de l’étendue et des limites de l’influence iranienne au Moyen-Orient. Celui-ci examine les structures, l’attitude et l’armement de l’armée iranienne, et notamment du corps des Gardiens de la révolution islamique, autant pour la situation présente que pour les futurs envisageables, et en arrive à la conclusion que la république islamique cherche a protéger ses frontières et ses intérêts contre les agressions extérieures.

Le rapport admet que :

La stratégie iranienne consistant à protéger le régime contre les menaces intérieures, dissuader les agressions, protéger la patrie en cas d’agression, et étendre son influence est en grande partie de nature défensive, mais elle exprime certaines tendances agressives lorsqu’elles sont couplées avec les aspirations régionales iraniennes. C’est en partie une réponse aux politiques, annonces et postures adoptées par les USA dans la région, en particulier depuis les attaques du 11 septembre 2001. Le commandement iranien prend la menace d’invasion très au sérieux, étant données les évocations constantes de changement de régime par les USA, les discours définissant l’Iran comme une partie de l’axe du Mal, et les efforts des USA pour établir des bases terrestres dans les États voisins de l’Iran.

De telles affirmations sont en contradiction flagrante avec la propagande quotidienne émanant des médias occidentaux majoritaires, qui présentent l’Iran comme une menace globale à la paix et à la stabilité, avec notamment l’affirmation que le pays tiendrait mordicus à attaquer les USA et leurs alliés, notamment Israël, et ce, sans autre raison valable qu’un fanatisme total couplé à une haine idéologique acharnée.

Ces derniers temps, la scène politique s’est concentrée sur les USA et Israël, décrivant des USA cherchant un compromis avec l’Iran, alors qu’Israël serait en train de mener une bataille existentielle contre un agresseur déterminé. Cependant, derrière la rhétorique, la Rand Corporation indique des faits spécifiques, qui dessinent une réalité bien différente.

Elle nous montre un Iran assiégé, cherchant à conjurer l’encerclement étranger, la déstabilisation et jusqu’à une invasion réelle. La RAND note de façon ouverte que ce conflit ne concerne pas la défense d’Israël, ou la préservation de la sécurité nationale des USA, mais, bien au contraire, a tout à voir avec une tentative des USA de renforcer leur influence au Moyen-Orient, de l’autre côté de la planète, vu de leurs territoire. Ce conflit a tout à voir avec la tentative iranienne de résister à l’hégémonie étrangère.

La question de la menace potentielle posée par l’Iran, dans le cas où le pays obtiendrait une arme nucléaire, est également évoquée dans le rapport. Celui-ci admet franchement que l’Iran voit les armes nucléaires comme un outil dissuasif, et pas un moyen opérationnel de mener une guerre. Le rapport indique que :

D’autres ont affirmé que l’Iran cherchera à remettre en cause les pratiques de déploiement et d’utilisation actuelle des armes nucléaires, supposant que la simple acquisition d’une bombe (ou juste de la technologie nucléaire) sera un outil de dissuasion suffisant. Les communiqués de presse, les articles dans les journaux militaires, et d’autres aperçus de la pensée iranienne sur ce sujet semblent indiquer que Téhéran regarde les armes nucléaires comme un puissant outil psychologique, plutôt que comme des moyens militaires utiles.

Il est également rapporté que :

Les composants militaires concrets de cette stratégie de dissuasion incluent, de façon évidente, la recherche d’une capacité d’enrichissement autonome de l’uranium et de production d’une arme nucléaire potentielle, l’acquisition de missiles balistiques a courte et moyenne portée, le recours à la guerre asymétrique, au terrorisme et à la mobilisation populaire pour la défense de la patrie, dans le cas d’une invasion. Bien que tout ceci puisse, vu d’Occident, ressembler à une course vers l’hégémonie, Téhéran voit probablement ces efforts comme la création d’une défense stratégique à plusieurs niveaux s’étendant profondément dans le camp ennemi et recouvrant une large variété de leviers politiques, militaires et économiques.

Les affirmations faites par les politiciens et les commentateurs à travers l’ensemble des médias occidentaux, décrivant l’Iran comme un régime à vocation hégémonique, voué à la recherche de l’holocauste nucléaire, sont mises en accusation par les analyses des propres conseillers politiques de l’Occident, que ce soit au niveau tactique, stratégique ou politique.

En parcourant le rapport de la RAND, il est impossible de trouver une allusion à une supposée volonté iranienne de fournir des armes nucléaires à des acteurs non étatiques. En fait, la possession et le contrôle d’une arme nucléaire hypothétique serait confiée au corps des Gardiens de la révolution islamique iranienne (GRI), qui contrôle actuellement le stock d’armes chimiques et biologiques du pays, supposé atteindre plus de 2 000 tonnes, d’après un autre document de la RAND. Si, pendant des décennies, ces armes de destruction massive ont été gardées sous le contrôle des GRI, sans être transférées aux multiples intermédiaires régionaux de l’Iran, pourquoi le pays se risquerait-il à fournir des armes nucléaires à ces groupes ?

Certains conseillers politiques US-américains vont jusqu’à admettre que l’Iran hésiterait sans doute à mener une simple guerre conventionnelle contre ses ennemis. En 2009, un autre groupe de réflexion politique d’importance aux USA, la Brookings Institution, a produit un document entièrement construit autour de leurs lamentations à propos des réticences iraniennes à se laisser entraîner dans une guerre avec les USA et leurs alliés régionaux, notamment Israël.

Dans ce rapport, intitulé Quel chemin vers la Perse ? Les options pour une nouvelle stratégie américaine à l’encontre de l’Iran, (Which Path to Persia? Options for a New American Strategy Toward Iran ), la Brookings commence par admettre ouvertement qu’il existe une conspiration dont le but n’est pas la défense contre une agression iranienne, mais sa provocation intentionnelle et malintentionnée. Il est dit dans le rapport:

 

…il serait préférable que les USA puissent citer une provocation iranienne afin de justifier leurs frappes aériennes avant leur lancement. Il est clair qu’au plus cette provocation serait scandaleuse, meurtrière et sans cause justifiable apparente, au mieux elle servirait les intérêts des USA. Bien sûr, il serait très difficile, pour les USA, de pousser l’Iran à une telle provocation, sans que le reste du monde ne s’aperçoive de la manœuvre, ce qui en détruirait les avantages (une méthode qui aurait quelques chances de réussir, serait de promouvoir de façon déguisée les mouvements appelant à un changement de régime, dans l’espoir que Téhéran y réagisse de façon ouverte, ou même de façon à moitié ouverte. Cette réaction pourrait alors être décrite comme un acte d’agression iranien, réalisé sans provocation).

[…]

De façon similaire, toute opération militaire contre l’Iran serait sans doute très peu populaire dans le reste du monde et il est nécessaire qu’existe le contexte international approprié pour qu’elle soit déclenchée, afin d’assurer le soutien logistique que requerrait cette opération, et en minimiser les conséquences négatives. La meilleure manière de minimiser l’opprobre internationale et de maximiser le soutien mondial (même de mauvaise volonté ou clandestin), serait de ne frapper qu’après la dissémination de la conviction générale que les Iraniens auraient refusé une offre superbe qui leur aurait été faite, une telle offre ne pouvant être refusée que par un régime déterminé à acquérir des armes nucléaires pour les mauvaises raisons. Dans de telles circonstances, les USA (ou Israël) pourraient présenter leurs opérations comme étant issues de la nécessité, et non pas de leur propre volonté, et une partie au moins de la communauté internationale en conclurait que les Iraniens l’ont bien cherché en refusant une offre très avantageuse.

Et malgré les provocations ouvertes que les conseillers politiques US-Américains prévoyaient de déchaîner contre l’Iran, ils craignaient encore que le pays ne se laisse pas entraîner à riposter. Ils affirment que :

Il n’est pas certain que l’Iran riposte violemment en réponse à une campagne aérienne américaine, mais aucun président américain ne devrait considérer cette possibilité avec joie.

En effet, continue le rapport,

Puisque de nombreux dirigeants iraniens chercheraient sans doute à gagner la meilleure position stratégique possible à la fin des combats, et puisqu’ils calculeraient sans doute que jouer les victimes serait le meilleur moyen d’atteindre cet objectif, ils pourraient bien décider de ne pas riposter par des bombardements de missiles.

En conclusion, au-delà de la rhétorique occidentale décrivant un Iran dangereux et voué à une politique d’hégémonie régionale, menant à un holocauste nucléaire, des analyse plus honnêtes, bien que moins connues du grand public, montrent que cette nation recherche avant tout sa propre préservation, au point qu’elle pourrait résister aux tentatives de la mener à la guerre, alors même que l’Occident arme et fonde des partis politiques séditieux et des mouvements terroristes sur son territoire, et envisage des attaques militaires non-justifiées contre elle.

A cette lumière, le public mondial pourrait trouver des conclusions différentes à la question de savoir qui est derrière le chaos régional et global que nous expérimentons. Ce sont bien ceux qui, en privé, admettent l’absence de danger posé par cette nation, alors qu’ils la présentent publiquement comme une menace, justifiant des guerres illégitimes ayant pour objectif l’hégémonie plutôt que l’auto-défense.

Traduit par Etienne, relu par jj pour le Saker Francophone

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