Par Ambrose Evans-Pritchard & Mehreen Khan – Le 2 avril 2015
La Grèce se prépare à un défaut de paiement vis à vis du FMI et à un retour à la drachme.
La Grèce est en train de préparer des plans drastiques pour nationaliser le système bancaire du pays et mettre en place une monnaie parallèle afin de pouvoir payer ses factures, à moins que l’eurozone ne prenne les mesures nécessaires pour atténuer la crise en cours en adoucissant ses exigences.
Des sources proches du parti au pouvoir, Syriza, ont dit que le gouvernement est déterminé à garder ses services publics ouverts et à payer ses retraites même si les fonds disponibles sont très bas. Il pourrait être obligé de prendre une décision sans précédent en ne respectant pas une obligation de paiement au FMI la semaine prochaine.
La Grèce n’a plus assez d’argent pour rembourser €458 millions au FMI le 9 avril et pour couvrir les paiements, salaires et charges le 14 avril, sauf si l’eurozone est d’accord pour débourser la prochaine tranche de son prêt d’urgence dans les temps.
«Nous sommes un gouvernement de gauche. Si nous devons choisir entre un défaut envers le FMI ou un défaut envers notre propre peuple, le choix est vite fait, nous a dit un membre du gouvernement grec. Nous risquons de nous engager dans un processus silencieux d’arriérés de paiement envers le FMI. Cela provoquera la fureur des marchés et voudra dire une accélération du compte à rebours final». a-t-il ajouté.
Le gouvernement Syriza, de gauche radicale, préférerait que ses disputes restent confinées aux créditeurs de l’Union européenne, mais les premiers paiements à rembourser concernent le FMI. Alors que le parti ne désire pas vraiment provoquer un défaut de paiement officiel envers ce dernier, il envisage de plus en plus des arriérés de paiement pouvant tourner au défaut comme une escalade nécessaire dans son rapport de force avec Bruxelles et Francfort.
La vision des choses à Athènes est que les puissances créditrices d’Europe n’ont pas encore réalisé que le paysage politique a radicalement changé depuis l’élection de Syriza en janvier, et qu’ils devront faire de vraies concessions s’ils veulent empêcher une catastrophique rupture de l’Union monétaire, une possibilité qu’ils ont souvent repoussée, parce qu’inimaginable.
«Ils veulent nous imposer leur rituel humiliant et nous forcer à la saisie. Ils veulent nous obliger à choisir entre renier nos promesses envers notre peuple ou signer un accord qui nous soit politiquement toxique. Si tel est leur objectif, ils devront faire sans nous», nous a confié la source.
S’engager dans un arriéré de paiement envers le FMI, même de quelques jours, est une stratégie très risquée. Aucun pays développé n’a encore fait défaut envers les institutions de Bretton Wood. Malgré la période de grâce de six semaines avant que le comité directeur du FMI ne déclare la Grèce en défaut de paiement, le processus pourrait déraper à n’importe quelle moment.
Ceux qui parlent au nom de Syriza sont totalement conscients qu’une attitude ferme envers leurs débiteurs risque d’enclencher une réaction en chaîne impossible à arrêter. Mais ils insistent pour dire qu’ils sont prêts au pire plutôt que d’abandonner leurs promesses électorales envers le peuple grec. Un plan de retrait d’urgence est déjà dans les dossiers.
«Nous fermerons et nationaliserons les banques et nous éditerons, si c’est nécessaire, des reconnaissances de dettes; nous savons tous ce que cela veut dire. Mais nous ne deviendrons jamais un protectorat de l’Union européenne», dit une des sources. Tout le monde, à Athènes, comprend qu’une telle action est la porte ouverte à un retour à la drachme (l’ancienne monnaie grecque), même si Syriza préférerait un accord à l’amiable dans le cadre de la zone euro.
Les créditeurs de l’eurozone pourraient décider de lâcher assez d’argent pour couvrir les frais de fonctionnement du gouvernement grec le 14 avril, mais seulement dans le cas ou Syriza rembourse d’abord le FMI. Le niveau de confiance est cependant tombé à un niveau tel que les ministres grecs ne croient plus aux promesses de Bruxelles, craignant plutôt que cela soit un piège. L’ambiance est devenue empoisonnée.
«Ils veulent que l’on impose un contrôle des capitaux, que cela provoque une crise du crédit au point de rendre le gouvernement si impopulaire qu’il chuterait», nous dit un des officiels.
«Ils veulent faire de nous un exemple et démontrer ainsi qu’aucun gouvernement de l’eurozone n’a le droit de décider de ses propres affaires. Ils croient que nous ne sortirons pas de l’Europe ou que le peuple ne nous suivra pas, mais ils ont tort sur ces deux points», ajoute-t-il.
Syriza espère encore que la chancelière allemande, Angela Merkel, pourra atténuer la crise, en la présentant comme un véritable allié, mais craint surtout qu’elle ne soit placée devant un fait accompli (en français dans le texte) qui échappe à son contrôle.
Bank of America a averti qu’une «série d’événements critiques risquent de se dérouler» une fois que la Grèce aura failli à un paiement. Cela pourrait entraîner un défaut de paiement parallèle pour les fonds d’aide de l’eurozone (EFSF) sous accord-cadre, forçant ce fonds à annuler ses prêts et à demander un remboursement immédiat. En retour cela entrainerait un défaut sur les bons du trésor grec sous garantie de l’EFSF.
La situation est donc précaire. Même si la Grèce réussit à rassembler assez d’argent pour couvrir les paiements d’avril, elle doit encore au FMI €200 millions le 1er mai et encore €763 millions le 12 mai. Un officiel grec a dit à ses collègues de l’Eurogroupe, au cours d’une téléconférence mercredi, que le pays était à court de liquidités. «Il est impossible pour nous d’aller au delà du 9 avril», aurait dit l’officiel.
Ce drame arrive juste à la suite du refus, par les créditeurs, d’agréer à la dernière tentative d’Athènes pour débloquer des fonds, demandant à Syriza de renoncer à son intention d’augmenter le pouvoir des syndicats dans les discussions collectives et d’augmenter les retraites des plus défavorisés.
Bruxelles continue d’insister pour des engagements plus concrets, même après avoir reçu, mercredi, une liste de réformes de 26 pages. Athènes espère lever $6,1 milliards d’euros en 2015 en s’attaquant au marché noir sur l’essence et à l’évasion fiscale, en introduisant de nouvelles taxes sur les produits de luxe et en reformant le systèmes d’offre d’achats publics. Ses besoins de fonds sont estimés à plus de €19 milliards pour l’année qui vient, ce qui annonce d’inévitables nouvelles tensions pour cet été, même si un accord temporaire de financement est trouvé jusqu’en juin.
L’ancien chef de la commission européenne Jose Manuel Barroso a averti la Grèce qu’elle avait une obligation morale envers les autres États, et a qualifié la demande de répit comme complètement inacceptable.
«Nous devons nous souvenir que des pays plus pauvres qu’elle ont prêté de l’argent à la Grèce et donc une demande de réduction de leur dette sera sûrement refusée par ses partenaires», a-t-il-dit.
Traduit par wayan, relu par jj pour le Saker Francophone