Syrie, réminiscences : la guerre civile en Espagne avant-goût de la Seconde Guerre Mondiale


Par Norman Pollack – Le 27 novembre 2015 – Source CounterPunch

Le parallèle historique à propos de la Syrie est aujourd’hui la guerre civile espagnole de la fin des années 1930, une répétition générale pour la construction d’un conflit plus large, mais maintenant avec les acteurs clés disposés différemment et l’idéologie brouillée pour tenir compte de ces différences. Le nazisme n’est plus un facteur en tant que place attribuée à l’Amérique dans la mobilisation des forces naissantes du monde du fascisme pour faire face à une alternative de gauche combattant la contre-révolution et le capitalisme sauvage.

Il n’y a pas de Brigade Abraham Lincoln pour combattre aux côtés des défenseurs républicains du gouvernement démocratique. Obama est Franco, le régime a modifié la nature de l’accent mis à façonner l’alignement de l’Ouest (USA-UE-Otan) pour détruire non pas la révolution ou le communisme en soi – tous deux pratiquement inexistants puisque la Russie évolue à travers des éléments mixtes et capitalistes significatifs, bien éloignés du socialisme dynamique. La Russie est néanmoins encore dans le collimateur, avec la Chine, bloquant l’hégémonie mondiale américaine unilatérale en tant qu’avant-garde d’un système militarisé, fer de lance du capitalisme, fondé sur l’élimination des mouvements et des gouvernements socio-économiques de gauche. La vision est totalitaire : tout ce qui interfère avec la domination pure et simple de l’Ouest, avec les États-Unis au centre, à l’égard de l’Asie, de l’Amérique latine, de l’Afrique, le tout commodément  défini comme le reste du monde pour inclure tout ce qui se trouve en dehors des limites de l’Ouest, doit être tenu en échec, interdit de développement autonome, isolé et aseptisé pour assurer la subordination et la servilité.

Assad n’est pas Fidel ou le Che dans le monde postmoderne, mais la laïcité de la Syrie, en brisant le moule du Moyen-Orient, excite l’Amérique, comme la cape rouge du torero. Celle-ci trouve même ISIS plus facile à gérer – parce que faisant déjà partie du paysage géopolitique – qu’un modèle d’État laïc qui rejette la religion comme base de l’organisation sociale. La laïcité offre un potentiel pour la libération, et peut-être aussi pour la démocratisation, alors que la religion, sans parler de son expression extrémiste, comme dans ISIS, soutient un statu quo généralisé compatible avec différentes nuances de la répression, comme en Israël et en Arabie saoudite, qui, bien que nominalement différentes, sont vues du point de vue stratégique de l’Occident comme des expressions archétypales acceptables de la répression. La haine passionnée dirigée contre Assad, alors que n’importe quel dictateur corrompu reçoit une ovation à Washington ou un sauf-conduit pour sortir de prison sans se poser de questions, devrait à juste titre éveiller les soupçons. À l’instar de l’Espagne pré-Seconde Guerre mondiale, la Syrie est devenue le point chaud global, car désormais, Assad fournit l’excuse pour affronter la Russie, et la Chine ensuite, comme prochain adversaire à contenir, isoler, et si possible subjuguer, de préférence sans conflagration nucléaire mondiale. Mais qui sait, l’idéologie capitaliste croit maintenant férocement, et agit en conséquence, que même l’annihilation nucléaire peut être affrontée, sinon délibérément recherchée, comme preuve positive de la vertu morale systémique.

Poutine n’était pas taillé à l’origine pour le leadership mondial démocratique (le KGB ne mérite pas un laissez-passer), mais alors que la dynamique globale de confrontation des grandes puissances prend forme et s’installe, il assume déjà presque ce rôle par défaut. Il représente de plus en plus la voix de la raison en arrêtant la montée de la puissance de l’Ouest (US en tête) vers un monde à deux niveaux, réinventant de manière opérationnelle le colonialisme passé, mis au goût du jour par l’agrandissement du marché multinational accompagné des règles de base financières soutenues, à la fois, par un contrôle sur les organisations internationales (une ONU domestiquée ou son équivalent et, en parallèle, le FMI, la Banque mondiale, et la machination des accord commerciaux, comme le Partenariat Trans-Pacifique). Cela commence à ressembler à la notion d’ultra-impérialisme de Lénine, sauf que Lénine est intellectuellement hors d’atteinte pour nos matamores politico-militaro-financiers contemporains de la guerre froide. Je ne sais pas si Poutine et Xi le sont aussi mais, au moins, ils sont exempts de toute illusion que l’Occident cherche vraiment l’établissement de relations pacifiques, plutôt qu’à prendre tout sans faire de prisonniers. La chute de l’avion russe – non, pas le bombardement de l’avion de ligne il y a deux semaines, mais l’avion il y a deux jours – est un signe avant-coureur clair des choses à venir : des provocations empilées sur des provocations, ISIS pas complètement vaincue de manière à fournir une occasion pour l’expansion militaire et la répression policière domestique qui s’ensuivra, jusqu’à atteindre un point de rupture et que les événements prennent le dessus.

Quant à l’avion abattu, je sentais, avant que Poutine n’en porte l’accusation, que le drame avait toutes les caractéristiques d’un coup monté, à savoir, une éventualité prévue avec l’approbation des États-Unis et de l’Otan, et non pas la décision de M. Erdogan seulement dans le but d’empêcher une réponse commune entre la Russie et l’Occident à la suite du massacre de Paris. Les événements vont vite, mais même les attentats de Paris ou une attaque similaire étaient prévisibles, de sorte que le rapprochement UE / États-Unis avec la Russie devait être évité à tout prix. Obama, qui n’est plus Franco, est peut-être von Ribbentrop 1, prenant pudiquement son temps pendant que les couteaux s’aiguisent. (Poutine n’était pas loin de la vérité quand il a dit que lui et la Russie ont été poignardés dans le dos.)] Je l’ai déjà dit, la lutte contre le terrorisme [le visage terrifiant mythifié de l’autre soi-même, NdT] est la version rhabillée de l’anticommunisme; par le décalage culturel et idéologique, il s’agit toujours d’une arme utile à la fois contre la Russie et la Chine à l’étranger, et contre les radicaux, dissidents, dénonciateurs à la maison. La Syrie trouvera son parallèle dans la mer de Chine du Sud, quoi qu’il en coûte pour encourager la xénophobie et la fausse bonne conscience comme préparatoires à une posture agressive dans les affaires mondiales.

Poutine n’abandonnera pas Assad. Xi n’acceptera pas l’encerclement économique et militaire. S’il ne tenait qu’à moi, la Russie aurait coupé les livraisons de pétrole et de gaz naturel à l’Ouest jusqu’à ce qu’il concède que la Russie a le droit d’exister sans la menace de l’Otan à ses frontières, les menaces néo-fascistes de l’Ukraine et les attaques terroristes de Tchétchénie, tandis que la Chine renforcerait son rôle économique en Asie, en Afrique et en Amérique latine, déchirant le tissu de l’hégémonie américaine en le forçant à vivre selon ses moyens – la meilleure chose qui puisse lui arriver, si une société démocratique est vraiment le but aux États-Unis. Huit cents bases militaires (le décompte continue) sous bénédiction bipartisane [Démocrates et Républicains US confondus], avec le plein consentement du peuple américain, conduira, d’une part, à plus de soupes populaires, de cris d’abandon et de désespoir dans les rues, de détérioration des normes de santé et de bien-être, et d’autre part au monopolisme triomphant, aux déchets, à la ruine de l’environnement, aux interventions de type R2P [droit de protéger], à l’action secrète, et aux changements de régimes, deux faces du même désastre social et de la guerre imminente.

Norman Pollack a écrit sur le populisme. Ses intérêts sont la théorie sociale et l’analyse structurelle du capitalisme et du fascisme. Il peut être joint à pollackn@msu.edu.

Traduit et édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

  1. Ministre des Affaires étrangères nazi de 1938 à 1945
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