Par Pepe Escobar – Le 28 mai 2015 – Source strategic-culture
Pas un jour ne passe sans que les crânes d’œuf du Think-Tankland washingtonien ne fassent ce qu’ils font de mieux ; promouvoir toutes sortes de scénarios pour la guerre avec la Russie, froide et chaude, ainsi que des myriades de confrontations avec la Chine et l’Iran.
Cela correspond aux cinq menaces existentielles contre les États-Unis, débusquées par le Pentagone, où la Russie et la Chine trônent tout en haut et où l’Iran traîne à la quatrième place – tous avant la variété du terrorisme version Califat bidon de Daesh.
J’ai exposé ici quelques faits de realpolitik concis pour contrer l’hystérie, soulignant la façon dont l’avantage russe dans les missiles hypersoniques rend inutile toute la construction de rhétorique et de fanfaronnade paranoïaque de l’OTAN.
Le système américain de défense Aegis a été transféré des navires sur la terre. Le système de défense antimissile Patriot est sans valeur. Aegis est environ 30% plus efficace que le système THAAD ; il peut être plus efficace, mais sa portée est également limitée.
Aegis n’est pas du tout une menace pour la Russie – pour l’instant. Pourtant, lorsque le système sera mis à niveau – et cela peut prendre des années – il pourra causer à la Russie une inquiétude sérieuse, car l’Exceptionalistan le pousse de plus en plus vers l’est, près des frontières de la Russie.
Quoi qu’il en soit, la Russie reste à des années-lumière d’avance dans les missiles hypersoniques. Le Pentagone sait que contre le système S-500, le F-22, le F-35 horriblement coûteux [et qui ne vole pas encore, NdT] et les avions furtifs B-2, grandes vedettes d’un programme d’avions de chasse multimilliardaire en dollars, sont totalement obsolètes.
Donc, le vieux gène culturel est de retour : «l’agression russe», sans laquelle le Pentagone ne peut absolument pas se battre pour son droit divin à être inondé de fonds sans limites.
Washington avait 20 000 planificateurs au travail à la fin de la Seconde Guerre mondiale, axés sur la reconstruction de l’Allemagne. Il n’en restait plus que six pour reconstruire l’Irak, après sa destruction lors de l’opération Shock and Awe en 2003.
Ce n’était pas de l’incompétence ; c’était le Plan A depuis l’origine. L’ex-URSS a été considérée comme une menace puissante à la fin de la Seconde Guerre mondiale – donc l’Allemagne devait être reconstruite. L’Irak était une guerre choisie pour faire main basse sur les champs de pétrole – en tandem avec la mise en œuvre d’un capitalisme de catastrophe pur et dur [style théorie du chaos]. Personne à Washington ne s’est jamais soucié de reconstruire, encore moins de le faire.
L’agression russe ne marche pas pour l’Irak ; tout concerne l’Europe de l’Est. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a clairement déclaré, et ce, de toutes les façons, que le déploiement de l’Aegis sera contrecarré de manière appropriée – au même moment où les médias du Big Business américain commencent à admettre que l’économie russe se remet des effets de la guerre des prix du pétrole.
Jetez un œil à mon trésor en cash
Dans cet article, mon but était de montrer que la Chine n’est pas House of Cards. Quelle que soit la dette réelle chinoise par rapport au PIB – les chiffres varient entre 23% et 220% – ce n’est rien pour une économie de la taille de la Chine, en particulier parce qu’elle est entièrement contrôlée en interne.
La Chine conserve plus de $3 000 milliards en dollars américains et autres monnaies occidentales dans ses réserves, alors qu’elle éloigne progressivement son économie de la vraie House of Cards : l’économie du dollar américain.
Donc, dans ces circonstances, que signifie la dette extérieure ? Pas grand chose. La Chine pourrait – même si elle ne le fait pas encore – produire plus de yuans et racheter sa dette, exactement comme ce qu’ont fait les États-Unis avec l’assouplissement quantitatif (QE) et la Banque centrale européenne (BCE) avec sa demande à certains pays favoris – les partisans acharnés de l’OTAN – de fournir plus que leur part.
Et pourtant, Pékin n’a pas vraiment besoin de le faire. La Chine, la Russie, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et ce qui reste des BRICS – le Brésil est sur le banc de touche jusqu’à au moins 2018 – sont lentement mais sûrement en train de forger leur propre monnaie interne et leur système de transfert de devises – en Chine et en Russie, cela fonctionne déjà en interne – en marginalisant SWIFT et la Banque des règlements internationaux (BRI).
Quand ils seront prêts à proposer au reste du monde de se joindre à eux, alors la dette extérieure libellée en dollars US sera insignifiante.
Le Think-Tankland US, comme d’habitude, reste sans voix. Comme l’explique une de mes sources chinoises : «Chaque fois qu’une grande gueule occidentale mentionne le problème de la dette chinoise, elle cite un chiffre qui semble sortir d’un chapeau, incluant toutes les dettes, du gouvernement central, des provinces, de toutes les entreprises, les prêts des banques étrangères. Puis elle compare ce chiffre total en Chine avec la seule dette centrale publique des pays occidentaux et du Japon.»
La source ajoute : «La Chine a un bilan équivalent à $60 000 milliards. Les prêts provenant de sources externes sont de l’ordre de $11 000 milliards, tandis que la trésorerie et équivalent, est comprise entre $3600 et 4 000 milliards. Tout cet argent – ou ces actifs très liquides – est la plus grande force discrétionnaire entre les mains des dirigeants de la Chine, alors qu’il ne vaut pas la peine de mentionner ce dont dispose tout autre gouvernement occidental.»
Sans oublier que, globalement, Pékin parie sur ce que le Forum économique mondial appelle la quatrième révolution industrielle. La Chine est déjà la plate-forme centrale mondiale pour la production, l’approvisionnement, la logistique et la chaîne de valeur. Ce qui nous ramène aux Routes de la soie : One Belt, One Road (OBOR). Tous les chemins mènent à ces nouveaux axes qui relieront, de plus en plus profondément, l’économie chinoise aux infrastructures dans toute l’Eurasie. Ces routes permettront, simultanément, de développer la puissance globale de la Chine, de contrecarrer géopolitiquement le pivot vers l’Asie des US, jusqu’à ce jour sans effet – incluant les provocations du Pentagone dans la mer de Chine méridionale – et d’améliorer la sécurité énergétique de la Chine.
Les sanctions, comme les diamants, sont éternelles
Un autre grand morceau de bravoure du récit de l’Exceptionalistan, est que les États-Unis sont inquiets à propos de l’incapacité des banques européennes à faire des affaires en Iran. C’est n’importe quoi. En fait, c’est le département du Trésor des États-Unis qui menace des flammes de l’enfer toute banque européenne qui oserait faire des affaires avec Téhéran.
L’Inde et l’Iran ont conclu un contrat, qui fait date, de $500 millions pour développer le port iranien de Chabahar – un nœud clé dans ce qui pourrait être surnommé la Nouvelle Route de la soie Indo-Iranienne, reliant l’Inde à l’Asie centrale, via l’Iran et l’Afghanistan.
Immédiatement après, le département d’État américain a le culot d’annoncer que l’accord sera examiné, car les sénateurs américains – dont l’allégeance à Israël est proverbiale – demandent si l’accord viole les sanctions persistantes contre l’Iran qui refusent de disparaître. Cela se produit en parallèle avec le récit officiel, en cours de montage, concernant des troubles qui contamineraient les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale – en particulier le Kazakhstan et le Tadjikistan. Les pirates à la solde de la CIA devraient bien connaître ces troubles – que la CIA fomente elle-même.
L’Inde faisant des affaires avec l’Iran est suspectée. Mais, par ailleurs, elle est plus qu’autorisée à formaliser un accord de coopération militaire historique avec les États-Unis, vaguement surnommé Accord de soutien logistique (LSA) – selon lequel les deux armées peuvent utiliser leurs bases aériennes et navales pour le réapprovisionnement, la réparation et des opérations vaguement définies.
Il ne manque donc plus un bouton de guêtre dans l’arsenal de l’Exceptionalistan pour contrer la Russie, la Chine et empêcher toute normalisation réelle avec l’Iran. Ces offensives localisées – pratiques et rhétoriques – sur tous les fronts signifient une seule et unique chose ; le fractionnement et la fracturation, par tous les moyens nécessaires, de l’intégration des Routes de la soie eurasiennes. On peut simplement parier que Moscou, Pékin et Téhéran ne seront pas dupes.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.
Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone
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