Par Salman Rafi Sheikh – Le 21 septembre 2017 – Source New Eastern Outlook
La politique des sanctions n’est pas connue pour son efficacité en matière de changement politique. C’est particulièrement évident dans la façon dont l’Iran a déjoué les sanctions des États-Unis et de l’Union européenne ces dix dernières années, en gros, et ça l’est encore plus dans la manière dont la Corée du Nord, malgré le rôle que jouent les alliés des pays sanctionnés, a mis en échec les États-Unis sur son programme nucléaire. La Corée du Nord a une infrastructure nucléaire efficace, et il n’y a apparemment rien dans l’air indiquant que le pays pourrait être tenté de faire marche arrière. Ni que les États-Unis aient un autre choix que celui d’imposer des sanctions pour atteindre directement la Corée du Nord et, indirectement, ses alliés. Pourtant, ils en ont imposé et même celles du Conseil de sécurité de l’ONU semblent avoir peu contribué à « convaincre » la RPDC de la nécessité de revenir sur son programme nucléaire. D’autre part, le Conseil de sécurité de l’ONU a imposé de nouvelles sanctions, et leur dynamique et les intérêts politiques internationaux divergents impliqués ont prouvé une fois de plus que la Corée du Nord a peu à s’en inquiéter. Rien ne pourrait mieux expliquer les derniers tests de missiles nord-coréens, et le fait que tant la Chine que la Russie continuent à s’opposer, malgré les pressions des États-Unis, à tout geste contre la Corée du Nord qui pourrait déclencher un scénario de changement de régime ou permettre l’usage de la force armée.
Nonobstant le fait que les dernières sanctions sont sévères comparées aux précédentes, ce nouveau round est encore loin de ce que le président américain, Donald Trump, avait espéré depuis le début de son mandat. Ce que les États-Unis espéraient inclure, outre un embargo total sur le pétrole, était un gel des actifs et une interdiction de voyager pour Kim Jong-un et d’autres responsables nord-coréens spécifiquement désignés. Le projet de résolution couvrait aussi des points supplémentaires sur les ADM ainsi qu’une disposition pour une inspection régulière des navires nord-coréens dans les eaux internationales. Tandis que le scénario ainsi conçu n’empêche ni la Chine ni la Russie d’exercer des pressions politiques et diplomatiques, puisque la Corée du Nord sera confrontée à une réduction de 30% de ses importations de pétrole brut et raffiné, le duo sino-russe a aussi tracé la ligne qui ne peut être franchie qu’au prix de la provocation d’une crise internationale majeure. Bref, la Russie et la Chine se sont limitées à une application mesurée de la pression diplomatique, qui inclut explicitement, outre d’autres choses, la stabilité à Pyongyang, aucun changement de régime, pas de changement majeur sur l’échiquier géopolitique et pas de crise massive des réfugiés.
Dans ce cadre apparemment admis, il reste peu ou pas du tout d’espace aux États-Unis et à leurs alliés pour fabriquer un scénario par lequel le régime nord-coréen pourrait être renversé. N’oublions pas non plus que le duo Chine–Russie a été obligé de clarifier cet aspect à cause de la remarque de Nikki Haley indiquant que les États-Unis agiraient seuls si le régime de Kim ne cessait pas de tester des missiles et des bombes. Ces remarques ont été suivies par la déclaration du ministre chinois des Affaires étrangères affirmant que « la question de la péninsule doit être résolue pacifiquement. La solution militaire n’a aucune issue. La Chine ne permettra pas un conflit ou une guerre dans la péninsule ». Le Russe Vladimir Poutine avait déjà averti que « couper la fourniture de pétrole à la Corée du Nord pourrait nuire aux gens dans les hôpitaux ou à d’autres citoyens ordinaires ».
Deux des aspects les plus importants de la politique étasunienne vis-à-vis de la Corée du Nord ayant été rejetés, le passage de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et l’imposition de sanctions ne reflètent guère le pouvoir que les États-Unis prétendent avoir en tant que puissance mondiale. Au contraire, qu’ils aient dû reformuler leur résolution à cause de l’opposition de la Chine et de la Russie reflète l’influence dont jouit ce duo sur la scène internationale.
Pour le dire simplement, les sanctions imposées dans cette résolution, approuvée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, ne correspondent pas à celles proposée par la représentante des États-Unis Nikki Haley. Cet échec a été suivi par un « avertissement » du président Trump, qui a menacé d’imposer des sanctions aux banques chinoises si elles ne suivaient pas les sanctions de l’ONU. Cependant, ce pas, s’il était franchi, ne ferait qu’aggraver les choses pour les États-Unis. Qualitativement parlant, les sanctions contre les banques chinoises permettront à la question nord-coréenne de passer tranquillement à l’arrière-plan et de provoquer un bras de fer mondial. Les Chinois sont conscients de cette éventualité et se préparent déjà à la contrer. Selon certains articles, on s’attend à ce que la Chine lance prochainement de futurs contrats pour du pétrole brut appréciés en yuans et convertibles en or, dont certains analystes disent que cela pourrait changer la donne pour l’industrie. Ce cadre permettrait aux pays sous sanctions américaines, comme la Russie et l’Iran, de les contourner en commerçant en yuans. Tandis que ce programme fait partie des tentatives de la Chine de réduire la domination que le dollar US exerce sur le marché des produits de base, il signifie également qu’en ouvrant des transactions en yuan, la Chine évolue vers la création d’un espace économique séparé qui ne peut pas être frappé par les sanctions américaines.
Ce mouvement provoquera certainement une sorte de « guerre commerciale » entre les États-Unis et la Chine, mais à long terme il se transformera en élément central du monde multipolaire que la Chine comme la Russie essaient de construire, et leur permettra de suivre des pistes politiques plus indépendantes sur des questions comme celle de la crise nucléaire nord-coréenne.
Que la Russie et la Chine n’autorisent pas les États-Unis à poursuivre leurs tendances hégémoniques contre la Corée du Nord se manifeste également dans la manière dont la Russie se dirige vers l’intégration plutôt que vers l’isolement et le renversement final du régime nord-coréen. À Vladivostok, Poutine s’est donné beaucoup de mal pour apaiser la tension militaire et avertir que renforcer les sanctions serait une « invitation au cimetière ». En lieu et place, il a proposé l’intégration par le commerce. Le plan de Poutine s’est traduit dans une plateforme commerciale trilatérale, impliquant essentiellement Pyongyang, Séoul et Moscou, pour finalement investir dans les relations entre l’ensemble de la péninsule coréenne et l’Extrême-Orient russe.
La délégation nord-coréenne était présente à Vladivostok et a exprimé son accord le plus large à ce programme, ce qui manifeste clairement que la politique russe et chinoise vis-à-vis de la Corée est fondamentalement différente de celle des États-Unis. Et là, il y a un sujet de soulagement et matière à réfléchir pour la Corée du Nord sur la possibilité de combattre les sanctions par l’intégration dans le réseau eurasien construit par la Russie et la Chine.
Salman Rafi Sheikh, analyste chercheur en relations internationales et en affaires étrangères et intérieures du Pakistan, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone