Nos «ennemis» écrivent l’avenir de la Syrie


Assad devrait prévaloir. La Russie, l’Iran et la Chine en profiteront également


Par Geoffrey Aronson – Le 4 octobre 2017 – Source theamericanconservative

Le président syrien Bachar al-Assad est bien engagé sur la voie d’une victoire militaire sur ses nombreux ennemis. Une coalition du gouvernement syrien, des forces iraniennes, libanaises et russes contrôle maintenant plus de 80% du pays, signalant une fin prochaine de la guerre de six ans.

La victoire militaire, durement gagnée par Assad, sur une coalition hétéroclite d’ex-baathistes, de forces islamistes et d’État islamique [soutenue par les États-Unis, NdT], n’apportera pas la paix nécessaire à la Syrie. La compétition permanente pour le contrôle de la destinée de la Syrie est sur le point d’entrer dans une nouvelle phase – la bataille pour la reconstruction du pays.

La guerre a causé des ravages dans tout le pays, tuant près d’un demi-million de personnes, déplaçant de force plus de la moitié de la population qui était, avant-guerre, de 21 millions. Deux Syriens sur trois vivent dans l’extrême pauvreté, dans une économie de guerre qui, en 2016, n’a généré qu’un tiers de sa richesse d’avant-guerre, en 2010. La Banque mondiale et d’autres ont estimé que la reconstruction de la Syrie exigerait plus de 200 milliards de dollars.

Il fut une époque où la guerre était l’arbitre ultime. La coalition rejointe par Washington et ses alliés a échoué, au prix fort, à vaincre Assad sur le champ de bataille. Mais alors que rien de ce qu’elle a fait prévaloir n’a fonctionné, ses membres ne sont pas prêts à concéder la défaite. Au lieu de cela, ces soi-disant « Amis de la Syrie » sont prêts à utiliser l’aide à la reconstruction comme une arme dans la prochaine étape de ce qui se profile : une bataille sans fin pour saper l’effort du régime victorieux, après-guerre pour consolider son pouvoir.

L’aide à la reconstruction est considérée par ces promoteurs comme offrant le meilleur moyen pour provoquer un changement de régime. Moyen qui se substituera à la politique, maintenant discréditée, mais certainement pas abandonnée, d’armement de l’opposition. Le consensus qui émerge, entre les gouvernements de l’Ouest et leurs institutions internationales, est que l’aide à la reconstruction syrienne ne se fera pas tant que Assad dirigera la Syrie. Une déclaration conjointe de CARE International, du Comité international de secours, du Conseil norvégien pour les réfugiés, d’Oxfam et de Save the Children soutient que l’aide à la reconstruction de la Syrie dans les conditions actuelles renforcera le régime et « risque de faire plus de mal que de bien ».

À la fin d’une réunion du 18 septembre des « Amis de la Syrie » dirigée par les États-Unis, le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, a déclaré :

« Nous croyons que la seule voie à suivre est de faire progresser le processus politique et d’annoncer clairement aux Iraniens, aux Russes et au régime d’Assad que nous, le groupe solidaire, ne soutiendrons pas la reconstruction de la Syrie tant qu’il n’y aura pas un tel processus politique et cela signifie, comme le résume la résolution 2254, une transition à Assad. »

Les partisans de cette stratégie croient apparemment que le régime victorieux de Assad va maintenant abandonner la paix [qu’il a restaurée, NdT] afin d’avoir accès aux coffres-forts de l’Ouest et bénéficier du privilège d’être attiré et écartelé à La Haye.

Malgré les meilleurs efforts des « amis » de la Syrie, la Russie, l’Iran et même le Hezbollah sont aujourd’hui bien mieux placés que Washington pour décider du genre de gouvernement à asseoir à Damas. Qu’est-ce-que cela dit de la politique des États-Unis ? Eh bien, qu’elle continue d’être enracinée dans les hypothèses qui ont produit un tel résultat.

La volonté de maintenir une misère persistante en Syrie tant qu’Assad et sa cohorte restent en place est le non-dit de cette stratégie, qui ressemble à la politique draconienne adoptée par le Quatuor dirigé par les États-Unis envers le Parti Hamas en Palestine il y a une décennie. L’opposition généralisée à une aide pour l’économie palestinienne à la suite d’une victoire électorale du Hamas en janvier 2006, et l’effort international visant à maintenir « à la diète » la bande de Gaza dirigée par le Hamas après une défaite du Fatah à Gaza en juin 2007, offre un précédent utile et instructif sur la façon dont un boycott dirigé par les États-Unis contre une Syrie d’après-guerre sous Assad pourrait se dérouler.

Le fonctionnaire du Département d’État, David Satterfield, un haut diplomate du Moyen-Orient, a expliqué le 18 septembre que les États-Unis continueraient à fournir des aides humanitaires, mais pas d’aide à la reconstruction – totalisant plus de 4 milliards de dollars depuis 2001 – aux Syriens assiégés.

Une telle politique montrera que les Syriens, comme les Palestiniens à Gaza, ne meurent pas de faim ou de maladie. Ils survivront – tout juste – mais l’engagement des États-Unis envers leur bien-être n’ira pas jusqu’à leur fournir les outils nécessaires pour reconstruire leur pays et leurs vies brisées.

Gaza continue de souffrir d’une politique similaire. La Banque mondiale a noté que la poursuite de la privation d’infrastructure pour les deux millions de Palestiniens de Gaza pourrait rendre l’enclave isolée « inhabitable » d’ici à 2020.

La campagne dirigée par les États-Unis contre les efforts de reconstruction actuels vise à maintenir la Syrie dans le même état que Gaza. Cela retardera, mais n’empêchera pas, la reconstruction de la Syrie, ni ne forcera le retrait d’Assad.

Mais dans ce cas, Washington ne joue pas aux échecs avec lui-même. Aussi instructif que puisse être le précédent de Gaza, il existe des différences substantielles et qualitatives qui militent contre le succès des politiques anti-Assad – et risquent également de miner les alliés américains (Liban, Jordanie).

Cette approche perpétuera les tourments des réfugiés syriens apatrides et renforcera le pouvoir régional de la Russie, de l’Iran et de la Chine. Peut-être que cela ne nous plait pas, mais la victoire en temps de guerre du système de gouvernance mis en œuvre par Hafez al-Assad, et poursuivie par son fils, équivaut à un référendum sur l’équilibre historique des forces au sein de la société syrienne.

Le régime d’Assad est beaucoup mieux placé que Gaza et le Hamas après 2007 pour réussir : premièrement, Assad a des bienfaiteurs puissants, l’Iran, la Russie et la Chine, qui l’ont aidé à gagner la guerre, et ont un enjeu dans la paix de l’après-guerre. Ces alliés se mobilisent déjà pour la reconstruction, l’envoi de délégations et la réalisation de contrats pour reconstruire les infrastructures critiques, peu importe la volonté de Washington de financer de tels efforts. Assad lui-même a déclaré que les partisans de ses opposants en temps de guerre, dont certains ont des raisons impérieuses de s’inquiéter d’un rapprochement, ne sont pas les bienvenus pour participer à la reconstruction.

Certains à l’Ouest peuvent ne pas aimer le fait, mais les Syriens sont de plus en plus assurés que les armes se sont tues – relativement – et votent déjà avec leurs pieds, revenant de plus en plus nombreux dans leur pays et leurs maisons. « Le nombre de nouveaux déplacés intérieurs s’est considérablement réduit, et tout aussi important, les personnes déplacées à l’extérieur des frontières de la Syrie ont commencé à revenir en grand nombre », a expliqué Satterfield.

Le Liban et la Jordanie, qui ont accueilli à grands frais financiers et politiques des millions de Syriens déplacés, sont impatients de mettre fin au séjour amer des réfugiés. Le retour de ceux-ci en Syrie, ainsi que le désir de saisir une partie des bénéfices de la reconstruction du pays, sont des incitations puissantes pour Beyrouth et Amman à se réconcilier avec Damas, processus qui est en cours.

L’aide humanitaire fournie par les États-Unis et d’autres a de l’importance. Mais les pays engagés dans la reconstruction de la Syrie poursuivent une stratégie politiquement et économiquement plus agréable et efficace. Organiser la pénurie en Syrie, qui souffre depuis longtemps – et consolider une diaspora syrienne énorme et perturbatrice en Jordanie, au Liban et en Turquie – n’est pas une recette pour le succès.

Gregory Aronson est président et cofondateur de The Mortons Group et universitaire non résident à l’Institut du Moyen-Orient.

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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