Par Vladimir Terehov – Le 19 septembre 2017 – Source New Eastern Outlook
À la fin du mois d’août, la ministre allemande de l’Économie et de l’Énergie, Brigitte Zypries, a écrit une lettre officielle au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans laquelle elle proposait de resserrer les conditions de fusion et d’acquisition appliquées dans le cas où une société européenne sera achetée par des entités juridiques opérant hors de l’UE.
Que ce soit surtout des chefs de grandes entreprises chinoises qui ont fait, au cours des dernières années, des « voyages d’achats » en Europe pour acquérir une poignée d’entreprises à chaque fois, n’est pas un secret. En général, ils achètent des fabricants de produits high-tech en investissant dans leur capital ou simplement en les acquérant.
La lettre mentionnée ci-dessus était basée sur une étude menée par un institut privé pour l’étude de l’économie chinoise, basé à Berlin, l’Institut Mercator pour les études chinoises (MericS), créé en 2013 par Stiftung Mercator. Le rapport présenté par MericS observe un pic dans les investissements chinois à l’étranger (ICE) ces dernières années, qui a atteint le chiffre de 200 milliards de dollars l’année dernière.
L’Europe est la principale région d’investissement pour la Chine, et son volume d’investissement a augmenté de 77% en un an seulement, un tiers de cette somme ayant été investi en Allemagne. Avant la Grande-Bretagne et la France, l’Allemagne reçoit près de 60% des investissements chinois directs dans la zone de l’UE.
Par contre, le volume total des investissements directs chinois dans les pays d’Europe de l’Est reste plutôt faible, malgré la rhétorique officielle sur les projets visant à faire de cette région une partie du projet One Belt One Road (OBOR). Cette dernière observation du rapport MericS va devenir particulièrement intéressante si vous vous donnez la peine de terminer la lecture de cet article.
L’étude fournit des exemples de plusieurs milliards d’investissements chinois dans des entreprises européennes engagées dans le développement et la production de produits de haute technologie. À cet égard, l’Allemagne fait preuve d’une inquiétude croissante, craignant que ces investissements étrangers puissent constituer une menace pour la sécurité de l’État, car Berlin risque de perdre les avantages concurrentiels qu’apportent les succès technologiques de ce pays.
Il convient de noter que l’étude MericS ne peut guère être considérée comme révolutionnaire, car il y a déjà eu, en mars, beaucoup de discussions sur la nécessité d’empêcher les investissements étrangers « politiquement motivés » de pénétrer les économies de l’UE.
Mais maintenant, ainsi que le montre la lettre de Brigitte Zypries, comme l’Allemagne s’est retrouvée, sur cette question dans le même bateau que les représentants politiques de la France et de l’Italie, il semble que l’UE soit sur le point de réagir à ces appels.
New Eastern Outlook a déjà abordé, à plusieurs reprises, les différents défis qui attendent les relations économiques sino-européennes, même si, à première vue, ces relations semblent assez saines. Le niveau du commerce bilatéral annuel, par exemple, a récemment atteint le niveau impressionnant de 600 milliards de dollars.
Mais le déficit commercial est pour l’UE, celui-ci dépassant déjà les 200 milliards de dollars, il n’est donc pas étonnant qu’il y ait eu des discussions sur la faillite imminente de certaines industries européennes en raison de la nature des relations commerciales entre l’UE et la Chine. Par conséquent, depuis l’année dernière, l’UE s’est engagée dans une sorte de guerre de l’acier avec la Chine, pour empêcher cette dernière d’acquérir le statut d’« économie de marché ».
Cette démarche germano-franco-italienne a poussé le Global Times, un journal chinois, à publier un article sur les points « décevants » qui gênent les relations bilatérales entre la Chine et l’UE. L’article est précédé d’une illustration montrant un gentleman qui ferme prestement une vanne étroite reliant les investissements chinois à l’économie européenne.
La liste des facteurs négatifs que l’on peut observer aujourd’hui confirme cette illustration. En plus de celles énumérées ci-dessus, on peut mentionner l’absence de personnalités politiques européennes de premier plan lors du récent Sommet du OBOR à Pékin ; l’absence d’un communiqué conjoint suite à la rencontre entre le Premier ministre chinois Li Keqiang et les dirigeants de l’UE et le sabotage par les responsables européens de la mise en œuvre du projet chinois de construction d’un TGV qui devrait s’étendre de la Méditerranée à la mer Baltique.
Il est important de noter que les relations euro-chinoises actuelles sont quand même beaucoup moins motivées par la politique que les relations américano-chinoises.
Il n’est pas nécessaire de se tourner vers des théories conspirationnistes comme celle sur le soi-disant « serment de loyauté envers les États-Unis » pour expliquer l’approche que les principaux dirigeants de l’UE montrent dans leurs relations avec la Chine. Tout peut être ramené à l’économie pure.
Bruxelles reste très sceptique quant aux perspectives du projet One Belt, One Road et elle ne ressent aucun besoin d’adoucir ce scepticisme.
Ceux qui soutiennent ce projet décrivent des images à couper le souffle de milliers de kilomètres d’autoroutes et de TGV, des ports géants pour l’infrastructure de transport maritime. Cependant, tout cela coûte de l’argent, et cette infrastructure n’est pas créée pour permettre au prochain journaliste qui surveille son processus de construction de s’exciter.
Donc, il ne fait aucun doute que l’Europe ne montera à bord du projet OBOR que lorsqu’elle aura des garanties fiables et à long terme du rendement de ces investissements.
Mais puisque les relations économiques existantes entre l’UE et la Chine sont déjà source de mal de tête pour Bruxelles, pourquoi voudrait-elle l’aggraver encore en facilitant la création d’infrastructures de transport ?
Vladimir Terekhov
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.