Les renseignements allemands exonèrent la Russie de toute interférence.


Exclusif : les médias américains ne veulent que des histoires sur la perfidie russe, alors quand les Renseignements allemands exonèrent Moscou de toute subversion présumée de la démocratie allemande, le silence médiatique accompagnant ces résultats est assourdissant, dit l'ex-analyste de la CIA, Ray McGovern.

Par Ray McGovern – le 15 février 2017 – Source ConsortiumNews

Après une enquête de plusieurs mois, politiquement chargée, les services de renseignement allemands n’ont trouvé aucune preuve solide de cyber-attaques dirigées par Moscou ou d’une campagne de désinformation visant à subvertir le processus démocratique en Allemagne. Du coup, la chancelière Angela Merkel a ordonné l’ouverture d’une nouvelle enquête.

L’an dernier, les deux principales agences de renseignement de Berlin, la BND et la BfV (équivalentes de la CIA et du FBI) ont lancé une enquête conjointe pour étayer les allégations selon lesquelles la Russie s’ingérerait dans les affaires politiques allemandes et tenterait d’influencer les élections de septembre prochain.

Comme la grande majorité des Américains mal alimentés par les « grands médias », la plupart des Allemands ont été amenés à croire que, par le piratage et la « propagande », le Kremlin s’est ingéré dans les récentes élections américaines et a aidé Donald Trump à devenir président.

Les agences de renseignement allemandes mordent rarement la main qui les nourrit et se rendent compte que la partie la plus abondante de la gamelle vient de la station de la CIA à Berlin avec des conseils ultimes venant du siège de la CIA à Langley, en Virginie. Mais cette fois, dans un rejet inhabituel des pratiques courantes, les analystes de la BND et BfV ont décidé d’agir seuls, comme des adultes responsables.

Alors que l’ancien directeur de la CIA, John Brennan, a forcé ses analystes à recourir à une argumentation anémique et légère pour « évaluer » que la Russie avait bien tenté d’influencer le résultat des urnes en faveur de Donald Trump, les services de renseignement de Berlin ont eux trouvé que les preuves manquaient et ont terminé leur enquête sur une telle conclusion.

Encore mieux, les conclusions ont été rapportées par un grand quotidien allemand, le Sueddeutsche Zeitung, apparemment parce qu’un patriote des Renseignements pensait que le peuple allemand devrait aussi le savoir.

Plus de moutons ?

Si le président du BND, Bruno Kahl, pensait que ses propres analystes allaient suivre leurs homologues américains comme des moutons de Panurge et trouver des preuves – dans le genre Curveball – pour appuyer les allégations américaines, il a été soumis à un rude réveil.

Pendant que l’enquête conjointe suivait son cours et les analystes faisant de leur mieux pour trouver des preuves fiables de la perfidie russe, Kahl s’est comporté comme ses prédécesseurs du BND, répétant tel un perroquet les accusations faites par son homologue de la CIA, c’est-à-dire que les Russes fomentent l’incertitude et l’instabilité en Allemagne, comme ailleurs en Europe.

Dans une rare interview avec Süddeutsche Zeitung, le 28 novembre 2016, Kahl à parlé de ce qu’il pensait probablement être un renseignement sûr, dénonçant une « ingérence » subversive de la part des Russes (« comme ils l’ont fait aux États-Unis »). Il venait de prendre ses fonctions depuis quelques mois et était peut être assez naïf pour considérer que ce que John Brennan dit est vérité d’Évangile. (S’il est si crédule, Kahl n’est pas dans le bon métier.)

Dans l’interview, Kahl a joué la marionnette Charlie McCarthy avec Brennan dans le rôle du ventriloque de Charlie, Edgar Bergen. Kahl a dit à la Süddeutsche qu’il était d’accord avec l’évaluation des services de renseignement américains selon lesquelles le Kremlin était derrière les cyber-attaques visant à influencer les élections américaines.

Il a ajouté : « Nous savons que des cyber-attaques ont lieu et qu’elles n’ont d’autre but que de créer une instabilité politique. […] et pas seulement cela. Les auteurs de ces attaques ont intérêt à délégitimer le processus démocratique lui-même. […] J’ai l’impression que le résultat de l’élection américaine n’a pas suscité de tristesse en Russie jusqu’à présent. […] »

L’Europe est [maintenant] le centre de ces expériences de déstabilisation, et l’Allemagne en particulier. […] La pression sur le discours public et sur la démocratie est inacceptable. »

Pourtant, on peut excuser le président novice du BND de supposer que ses analystes se souviendraient par qui leur pain est beurré et qu’ils suivraient les méthodes du passé en arrivant à des conclusions connues pour être désirées par leurs maîtres à Berlin et à la CIA.

Donc cela a dû être une mauvaise surprise pour Kahl quand il a découvert que, cette fois, les analystes du BND s’en tiendraient aux principes et refuseraient d’être aussi malléables que leurs homologues de Washington. Ses analystes n’ont donc pu trouver aucune preuve que le Kremlin travaillait dur pour miner le processus démocratique en Allemagne, et l’ont annoncé.

Pire encore du point de vue des États-Unis, les deux services de renseignement allemands ont résisté à la pression habituelle de certains hauts dirigeants de Berlin (y compris Kahl lui-même) pour utiliser toute information inoffensive qu’ils puissent trouver et en faire une mosaïque anti-russe, comme à Washington, en une sorte de version cubiste déformée de la réalité.

Et alors on recommence

Alors, que font les hauts fonctionnaires quand la bureaucratie arrive avec des conclusions « incorrectes » ? Ils renvoient les analystes et les enquêteurs au travail jusqu’à ce qu’ils trouvent des réponses « correctes ». Et cela ne fait pas exception. En l’absence de preuve de piratage dirigée par le Kremlin, les Allemands ont maintenant opté pour une approche dans laquelle l’information peut être manipulée plus facilement.

Selon le Süddeutsche, « le bureau de la chancelière Merkel a maintenant ordonné une nouvelle enquête. Un groupe d’opérations psychologiques dirigé conjointement par la BND et le BfV examinera en particulier la couverture des agences de presse russes en Allemagne ». On peut s’attendre à ce que tout article qui ne représente pas Vladimir Poutine en costume du diable sera jugé de la « propagande russe ».

Pour les guider, Merkel pourrait bien donner aux nouveaux « enquêteurs » une copie du rapport conjoint  CIA / FBI / NSA intitulé : « Évaluation : une campagne d’influence russe cible les élections présidentielles américaines de 2016. » Publié le 6 janvier dernier, ce rapport a offusqué et embarrassé les professionnels de renseignement les plus sérieux. Les « preuves » présumées présentées, ainsi que toutes les « évaluations » effectuées par les analystes américains, n’ont pu remplir cinq pages. Il fallait quelque chose pour remplir, de préférence quelque chose pouvant ressembler à de l’analyse.

Et donc, sept autres pages ont été ajoutées à l’évaluation de la CIA / FBI / NSA, même si les informations qui y sont présentées n’ont rien à voir avec le fameux piratage russe. Mais aucun problème : les sept pages supplémentaires portaient ce titre de mauvais augure : « Annexe A : Russie – la télévision du Kremlin cherche à influencer la politique, en alimentant des troubles aux États-Unis. »

Les pages supplémentaires, à leur tour, ont ensuite été utilisées pour étayer l’acte d’accusation suivant : « La machine de propagande de l’État russe a contribué à la campagne d’influence en servant de plate-forme aux messages du Kremlin envers le public russe et international. »

Est-ce une fuite venant de l’intérieur des services ?

On ne sait pas comment le quotidien allemand Süddeutsche a récupéré les conclusions de cette enquête commune ou même s’il a eu accès à la copie complète des 50 pages du rapport final. Le journal a toutefois précisé qu’il réalisait maintenant que Kahl les avait menés en bateau avec ses accusations non étayées de novembre dernier.

D’après ce que le journal dit, les analystes semblaient prêts à donner au patron ce qu’il avait déjà déclaré être sa conclusion souhaitée, mais les preuves n’étaient tout simplement pas là. L’article cite un expert de la sécurité disant : « Nous aurions été heureux de donner à la Russie un carton jaune », une métaphore de football se référant à une mauvaise conduite. Une source du cabinet y déplore : « Nous n’avons trouvé aucune pièce à conviction. »

Initialement, la BND et BfV prévoyaient de publier des extraits de leur enquête encore classifiée, a rapporté le Süddeutsche, mais la date de publication ou même l’assurance que le rapport complet soit publié manque toujours.

Le lendemain de l’apparition de l’histoire dans le Süddeutsche, d’autres médias en ont fait rapport, brièvement. Newsweek et Politico en ont tout juste extirpé trois phrases chacun. Ne s’inscrivant pas dans le récit préféré qu’est « la Russie-est-coupable-de-tout », ce rapport a fait long feu dans les médias. Je n’ai trouvé cette histoire mentionnée dans aucun des « grands médias » américains.

Si les Américains ont pris conscience de l’histoire, c’est probablement par Russia Today – la bête noire du rapport CIA / FBI / NSA susmentionné condamnant la « propagande » russe. Cela montre clairement  pourquoi RT America et RT International sont méprisés par le gouvernement américain et les « médias traditionnels ». Beaucoup d’Américains se rendent compte, lentement, qu’ils ne peuvent pas compter sur le réseau américain et la télévision par câble pour avoir des informations objectives et se branchent sur RT pour au moins avoir accès a une autre version de ces importantes histoires.

C’est grâce à un appel matinal de RT International que j’ai appris l’existence du rapport du 7 février du  Süddeutsche Zeitung sur la vaine chasse aux preuves d’ingérence russes de la part de l’Allemagne.

Ray McGovern est un ancien officier des renseignements américains ou il a travaillé pendant 30 ans. Il a été un haut officier de la CIA délégué au BND allemand à la fin des années 70.

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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