En réunissant les BRICS, l’OCS et les dirigeants de l’Union eurasienne en un seul lieu à Oufa, chez elle, la Russie a envoyé un message géographique annonçant l’émergence d’une Eurasie coordonnée avançant vers un ordre mondial non dicté par l’ouest
Par Pepe Escobar – Le 14 juillet 2015 – Source Russia Insider
Pendant que l’Europe, ravagée par l’austérité, regarde ses institutions antidémocratiques aux prises avec la tragédie grecque, et que les États-Unis font marche arrière sur un accord nucléaire correct avec l’Iran [finalement signé depuis la parution de cet article, NdT], les plaques tectoniques géopolitiques sont en train de dériver dans l’Oural.
Pouvez-vous imaginer un monde multipolaire rudimentaire? Eh bien, il suffit de regarder ici la déclaration BRICS 2015 Ufa. L’UE est à peine en vedette dans la déclaration BRICS et non par accident.
Oubliez le nouveau G7 (G8-1) mort-né. Ce sommet conjoint BRICS / OCS est la grande affaire de 2015. Le coup de maître diplomatique de la Russie a été de fusionner deux sommets – BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) – avec une troisième organisation informelle, l’Union économique eurasienne (EEU).
Après tout, les dirigeants présents à Oufa sont membres d’au moins une de ces organisations. Mais le point décisif est que la réunion du BRICS, de l’OCS et de l’EEU en un seul endroit est un coup de poing géographique montrant l’émergence d’une approche coordonnée, à l’échelle de l’Eurasie, et pour certains aspects à l’échelle mondiale, conduisant vers un ordre mondial plus équitable qui ne sera pas soumis à la dictature des exceptionnalistes.
Conséquence… Voici le message de l’Empire du Chaos, à peine voilé, dirigé vers Rouhani et son ministre des Affaires étrangères Zarif: l’Iran sera puni pour sa trop grande proximité de Moscou. Le président Rouhani a rencontré le président Poutine à Oufa pour discuter d’un grand nombre de sujets. Le plus important étant l’acceptation par l’Iran de l’adhésion à l’OCS, en supposant qu’il existe un accord à Vienne et après que les sanctions de l’ONU sont levées.
Juste au bon moment, et pas non plus par hasard, le président américain Barack Obama a publié un ordre de marche au secrétaire d’État John Kerry lui demandant de revenir en arrière sur des points que l’ensemble du corps diplomatique de l’Iran et du P5+1 avaient déjà considéré comme acquis – c’est ce que m’a confirmé, à Vienne, un négociateur iranien.
Avoir une stratégie, ça aide
Seule la Russie est membre des trois organisations – BRICS, SCO et EEU. La Russie et la Chine sont les principaux membres de deux d’entre elles – BRICS et SCO. L’EEU entraînée par la Russie est lentement mais sûrement en cours de fusion avec les Nouvelles routes de la soie, pilotées par la Chine. Le cadre structurel capital est le partenariat stratégique de plus en plus solide entre la Russie et la Chine.
Alors que le Pentagone reste égocentré sur sa doctrine de Full Spectrum Dominance [supériorité dans tous les domaines,NdT] concoctée en 2002, la Russie et la Chine contre-attaquent avec une coopération dans le spectre complet de la politique, de l’économie, des finances, de la diplomatie et de la défense.
La fin de partie – qui sera le sommet du Nouveau Grand Jeu en cours en Eurasie – est une nouvelle structure géopolitique mondiale ancrée sur l’intégration eurasienne. D’où l’importance de l’Iran : peu importe ce qui se passe à Vienne, l’Iran est une plate-forme vitale de distribution en Eurasie.
La route a été longue pour l’OCS. Je me souviens quand les Eurocrétins-bureaucrates, il y a quelques années seulement, l’ont rejetée comme un simple salon où l’on cause. Ce qui a commencé comme un forum de sécurité, pour intégrer les stans d’Asie centrale, afin de les protéger du terrorisme et de l’extrémisme, a évolué vers une organisation économico-politique sérieuse.
Alors maintenant, l’OCS commence à s’ajouter aux BRICS, et à s’appuyer sur eux pour l’expansion de la coopération économique, qui dispose déjà de deux piliers essentiels : l’Asie Infrastructure Investment Bank (AIIB) et la Nouvelle banque de développement (NDB). Quant à l’EEU, elle est également indirectement liée à la Chine, dans le cadre du partenariat stratégique Russie-Chine.
Tout cela va se traduire dans les prochaines années par un labyrinthe complexe de réseaux économiques et commerciaux traversant l’Eurasie. Appelez cela la feuille de route principale de la myriade de Nouvelles Routes de la Soie.
Plus Vite, l’Otan ! Déterrez la hache de guerre !
Voici juste un échantillon de ce qui a été décidé à Oufa : Poutine et le président chinois Xi Jinping ont activement discuté, face-à-face, des liaisons de la Nouvelle Route de la Soie. L’Inde va devenir un membre à part entière de l’OCS l’année prochaine ; le ministre russe des Finances Anton Siluanov a été nommé président de la Nouvelle banque de développement des BRICS (NDB), qui financera des projets d’infrastructure, non seulement dans les cinq pays des BRICS, mais dans d’autres pays en développement. Et tout ceci repose sur leurs propres devises, en contournant le dollar américain.
La NDB a le potentiel d’accumuler $400 Mds de capital, selon le chef de la banque KV Kamath. Le capital de départ est de $100 Mds.
Les échanges [swaps] de devises seront l’outil. Il s’applique déjà à la Russie et à la Chine pour le commerce des contrats à terme, et Poutine a jugé son expansion à d’autres nations comme intéressante.
Une stratégie de partenariat économique des BRICS a été élaborée qui «touche à la responsabilité de différents ministres et nécessite une coordination de haut niveau», selon le ministre du Développement économique de la Russie Aleksey Ulyukaev, ce qui signifie, en substance, rendre plus facile le commerce entre les nations des BRICS.
Tant la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) que la NDB ont leur siège social en Chine. Cependant, ces banques ne seront pas en compétition les unes avec les autres ; elles vont se compléter mutuellement.
Le Fonds d’investissement direct de la Russie (RDIF) a signé un protocole d’entente avec les autres pays des BRICS. De manière significative, le Fonds pour la Route de la soie de la Chine et l’IDFC (Infrastructure Development Finance Company) de l’Inde sont des partenaires clés.
La Russie va lever les restrictions pour les banques chinoises travaillant en Russie, et accélérer les investissement de Pékin dans tous les secteurs de l’économie russe.
La Russie a proposé une feuille de route pour la coopération dans les investissements. Fondamentalement, selon Poutine, cela inclut la possibilité d’une association dans le secteur de l’énergie, ainsi que la création d’un centre de recherche international sur l’énergie.
Le thème de l’énergie nous ramène à la Grèce. Le pipeline turc de la Russie, Turkish Stream, sera relié à la Grèce, encore une autre contre-attaque diplomatique, dans le domaine de l’énergie, après que l’UE a marqué un but proverbial contre son camp en bloquant le South Stream.
Pas étonnant que tout cela suscite la panique dans les rangs des exceptionnalistes. Que faire si le flirt avec Moscou de Syriza devient un changement stratégique, provoquant ainsi le délitement du flanc oriental de l’Otan?
Peu importe que la Russie veuille une UE forte – et l’UE ne sera pas forte sans la Grèce, a souligné à Oufa le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov.
Alors qu’est-ce que l’Otan propose pour convaincre quiconque dans toute l’Eurasie de s’éloigner de l’activité politico-économique frénétique des BRICS, äOCS et EEU? Rien de moins que l’obsession de repenser la stratégie. En d’autres termes, les scénarios secrets détaillés pour une guerre sur le sol européen.
Voilà tout ce qu’il faut savoir sur qui veut quoi dans le nouvel ordre géopolitique émergent.
Article original paru sur Russia Today
Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone