Autopsie d’une guerre hybride diaboliquement élaborée, menée par les États-Unis en Syrie, pour parvenir à dépecer le pays dans les urnes, malgré l’intervention russe
Par Andrew Korybko – Le 3 juin 2016 – Source katehon
La guerre en Syrie entre dans une nouvelle phase qualitative, d’où il ressort qu’il devient de plus en plus clair pour le monde, que les États-Unis ne sont plus en mesure de poursuivre activement leur objectif de changement de régime contre le président Assad. Au lieu de cela, une nouvelle stratégie a vu le jour, par laquelle les États-Unis tentent de façonner l’espace de combat syrien d’une manière telle que les circonstances entraîneront une fédéralisation post-Daesh du pays, qui résultera, de facto, dans un partitionnement interne le long des lignes d’identité et l’affaiblissement dramatique de ce qui avait été, il y a une demi-décennie, le pays le plus solide et stable du Moyen-Orient.
Cela permettrait également aux États-Unis de diviser habilement et de gouverner le reste de la Syrie par l’exploitation attendue des lignes de faille identitaires officielles. Les Kurdes sont la clé pour l’actualisation de ce scénario, ils sont poussés vers l’avant et le centre pour jouer, sur le terrain, le rôle d’avant-garde pour le compte des États-Unis. L’auteur a précédemment écrit une longue série en trois parties au sujet des propos haineux du manifeste du PYD [Parti Kurde] qui définit la fédéralisation de la Syrie comme un de ses objectifs, et le lecteur est invité à se reporter à ces articles pour trouver des informations spécifiques sur les motivations Kurdes autoproclamées et leur vision, mais le présent texte sort de la sphère de la théorie pour entrer dans une enquête sur la façon dont les États-Unis et leurs partenaires pourraient pratiquement concrétiser ce plan.
La première partie parle de la présente situation stratégique en Syrie et le rôle que la course pour Raqqa aura dans la détermination de l’avenir post-Daesh du pays. Ensuite, l’article détaille la posture politique qui se jouera après la défaite du groupe terroriste le plus connu du monde, et comment la Syrie pourrait désormais se trouver divisée en deux blocs électoraux concurrents, les fédéralistes d’une part, et les partisans unitaires de l’autre, dans la perspective des prochaines élections. Enfin, la dernière partie met en garde contre le risque d’une scission intra-patriote entre le Parti Baas, supporter de l’unité, et le Parti social nationaliste syrien (NSPS), et comment le NSPS pourrait soudainement devenir le parti le plus influent dans toute la Syrie, en particulier s’il fait défection aux fédéralistes.
Les douze mois du compte à rebours
La nature et le rythme de tout ce qui se passe en Syrie en ce moment sont directement influencés par la résolution 2254 du Conseil de Sécurité de l’ONU de décembre 2015, qui stipule qu’une nouvelle constitution et une élection doivent être mises en place sous la supervision des Nations Unies dans les 18 mois. Il dit aussi que « tous les Syriens, y compris les membres de la diaspora (réfugiés / immigrants) », doivent pouvoir participer. En regardant les délais convenus dans le texte, il est clair que juin 2017 sera la date limite pour que cela se produise. En outre, le document met l’accent sur « la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne », ce qui signifie qu’aucun des signataires – y compris les États-Unis – n’est officiellement, de jure, favorable à la dissolution du pays. Cette clause est évidemment soumise à une large interprétation, car les Kurdes font valoir que la fédéralisation conserve encore chacun de ces quatre principes, alors que Damas voit un État unitaire (non fédéraliste) comme la seule solution et maintient la position officielle selon laquelle la fédéralisation « menaçant directement l’intégrité de notre pays, est contraire à la Constitution, en contradiction avec les concepts nationaux, et même en contradiction avec les résolutions et les décisions internationales. »
Néanmoins, alors qu’il est prévu que des affrontements pourront se produire entre l’armée arabe syrienne (SAA) et le YPG kurde (aile combattante du PYD), les États-Unis vont, pour l’essentiel, probablement retenir leur allié et le forcer à se conformer à la résolution du Conseil de sécurité, qui a convenu de dispositions démocratiques et électorales dans la résolution de la guerre en Syrie. Une partie de la raison de cette mascarade, est que les États-Unis veulent que leur plan post-Daesh ait une légitimité internationale et qu’aucun membre de la communauté mondiale ne s’oppose au démantèlement légal, démocratique, et électoral de la Syrie en une fédération de petits états identitaires. Bien sûr, les Kurdes vont se battre pour empêcher l’armée syrienne (SAA) de libérer une partie de leur territoire occupé, dans la perspective de la nouvelle constitution et des élections connexes. Mais ils n’auraient aucune raison plausible d’étendre davantage leurs conquêtes après la défaite de Daesh et on peut prédire qu’ils resteront assis en essayant plutôt de formaliser leurs gains. La raison pour laquelle la SAA n’ira pas de l’avant en libérant le reste du pays pendant cette période, tient au fait que les États-Unis et la Russie pourraient conclure un accord pour faire appliquer strictement la ligne de contrôle SAA-YPG immédiatement après la fin de la course pour Raqqa. Il y a des chances que Washington fasse le premier geste en déclarant qu’il frapperait unilatéralement la SAA si elle empiète sur les territoires conquis par les Kurdes, Moscou répondant qu’il ferait la même chose contre le YPG s’il attaque la SAA.
De cette manière, une paix très froide et fragile régnera sur la Syrie, la menace d’une intervention militaire décisive, par chacune des deux plus importantes grandes puissances, étant la seule chose qui retiendra la SAA et l’YPG de s’attaquer mutuellement, au risque de transformer ainsi la guerre en Syrie en une guerre civile réelle, pour la première fois depuis qu’elle a commencé. Ni la Russie, ni les États-Unis ne veulent une plus grande confrontation entre eux – et encore moins de nature militaire conventionnelle – il est donc probable qu’ils travaillent dur pour faire en sorte que la ligne de contrôle ne change pas sensiblement après les élections prévues. Les deux principaux points de tension qui pourraient apparaître au cours des douze mois du compte à rebours pour le vote selon le mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU et la date limite de la réforme constitutionnelle sont à Raqqa et au Nord d’Alep, que les Kurdes avaient menacé d’annexer à leur future fédération.
Ceci risque de provoquer des conflits avec les habitants non-kurdes, ce qui pourrait être l’une des raisons pour lesquelles les Kurdes ont clarifié que leur fédération n’est pas seulement pour eux, mais aussi composée du « Kurdistan syrien et de la Syrie du Nord », étendant ainsi la coopération à d’autres groupes anti-gouvernementaux non-kurdes dans les territoires occupés. Néanmoins, on s’attend à rencontrer des personnes et des groupes, à l’intérieur de cette frontière unilatéralement fédérée, qui n’ont pas perdu leur patriotisme syrien, civique et civilisationnel, et n’ont aucun attrait pour les classifications d’identité ethnique sectaire exclusives, que les États-Unis et leurs alliés ont essayé si difficilement de forcer dans le pays, c’est alors que l’Armée syrienne (SAA) pourrait fournir, derrière les lignes, un soutien en aidant les mouvements de combat de la liberté anti fédéralistes. On peut s’attendre à ce que cela attire la colère militarisée des États-Unis et de l’YPG, incitant la Russie à intervenir pour son allié en menaçant l’YPG d’une action directe en représailles, gardant ainsi la Syrie dans l’actualité mondiale, même après l’élimination de Daesh.
Positionnement politique post-Daesh
Malgré le potentiel très réel que la guerre en Syrie dérape progressivement vers un conflit civil entre la SAA et YPG, il est prévu que la Russie et les États-Unis gardent une mainmise forte sur leurs alliés, pour faire en sorte que cela ne se produise pas. Alors que les affrontements entre les deux pourraient devenir plus fréquents, la ligne de contrôle post-Daesh entre eux ne changera probablement pas beaucoup, en l’absence d’une campagne tous azimuts d’un côté ou de l’autre, et les deux combattants accepteront plutôt la réalité de la situation et travailleront sur la maximisation de leurs positions politiques, dans la période précédant les élections et la réforme constitutionnelle. La tendance nationale sera que les Kurdes vont essayer de souder les autres organisations anti-gouvernementales autour d’une fédéralisation, tandis que Damas va faire le contraire en ralliant ses alliés à la cause d’une Syrie unie et indivisible.
Les pro-fédéralisation
En ce qui concerne la fédéralisation dirigée par le mouvement kurde, le PYD va tenter de trouver des alliances politiques à court terme avec tous les rebelles modérés des groupes salafistes qui sont autorisés à participer à l’élection, les convaincre qu’ils ont tous un intérêt commun à continuer d’affaiblir l’autorité de Damas sur le pays (en particulier dans les régions périphériques du nord et de l’est) afin d’approfondir leur propre puissance retrouvée. Par exemple, les Kurdes aimeraient avoir leurs propres petits états quasi-indépendants dans la partie nord du pays, tout comme les Salafistes voudraient introduire la loi islamique sur les zones qu’ils contrôlent et influencent actuellement. Même après la défaite conventionnelle de Daesh et la libération de Raqqa (ou son annexion par les Kurdes), certains de ses habitants, sympathisants locaux, conserveront leurs points de vue extrémistes, et aucun combat ne les purifiera de ces idéaux corrompus. Les effets mentaux de cinq ans de guerre, et de manipulation idéologique unipolaire soutenue, ne peuvent être retournés en réintégrant psychologiquement les partisans d’une politique identitaire ethnique sectaire dans un patriotisme civique et civilisationnel syrien, en seulement une petite année avant les élections.
Inutile de dire que beaucoup de ces gens vont s’agiter pour une sorte de représentation politique salafiste, même si les groupes qui émergent finalement de ces demandes ne peuvent pas légalement affirmer leur adhésion publique à ces idéaux comme condition préalable pour se présenter aux élections – pour ne pas violer la loi syrienne existante. Dans leur quête pour acquérir autant d’indépendance de fait qu’ils peuvent, pour imposer la charia dans les zones sous leur contrôle et/ou influence, ces partisans salafistes ont une convergence stratégique totale avec les Kurdes, qui veulent aussi une quasi-indépendance, mais pour des raisons ethno-nationalistes laïques. Ces deux groupes n’auraient naturellement rien en commun à part cela, et ils ont même combattu les uns contre les autres à de nombreuses reprises dans le passé, mais ce qui pourrait transformer leur mariage de complaisance à court terme en un avenir commun à durée indéterminée, serait la structure unique de l’autonomie compartimentée que les Kurdes proposent pour leur fédération. La raison pour laquelle ils ont fait la promotion d’une entité politique imaginée par l’union du Kurdistan syrien et du Nord de la Syrie, est parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas soutenir de façon réaliste leurs conquêtes, car ils sont en fait une minorité dans les régions mêmes du Kurdistan syrien qu’ils revendiquent comme leur appartenant. Ainsi, il y a une nécessité politique existentielle pour eux de faire équipe avec d’autres groupes anti-gouvernementaux pour l’élargissement de leur fédération unilatéralement proclamée, en incluant la région non définie du Nord de la Syrie et l’octroi d’une autonomie – y compris le droit à la charia – à toute identité non-kurde en son sein.
Un autre facteur qui doit être inclus dans le contexte, lors de la discussion avec les alliés pro-fédéralisation des Kurdes, sont les millions de réfugiés syriens et les migrants qui ont quitté le pays au cours de la guerre, dont beaucoup ont de fortes tendances anti-gouvernementales. La résolution 2254 de l’ONU dit qu’ils ont tous le droit de participer au processus politique, mais une fois de plus, on ne sait pas comment cela peut se faire dans la pratique, et ceci est à nouveau un sujet de division dans l’interprétation. Damas pourrait affirmer à juste titre que seuls les Syriens ayant un document prouvant leur nationalité peuvent voter aux élections, et en outre, que seuls ceux qui sont dans les pays où la Syrie a encore une présence diplomatique sont fonctionnellement admissibles à le faire en personne, ce qui dans les deux cas est une précaution nécessaire pour la protection contre la fraude. D’autre part, les États-Unis et leurs alliés de l’UE pourraient affirmer que tous les réfugiés et les migrants doivent pouvoir voter, quel que soit leur statut officiel et peu importe si Damas a une présence officielle dans leur nouveau pays d’accueil ou non, autorisant en fait les bulletins de vote par correspondance comme mesure de contournement, à condition pour eux d’accepter en retour de reconnaître l’élection décrétée par le Conseil de Sécurité. Damas ne serait probablement pas d’accord à ce sujet, mais un compromis pourrait être trouvé si l’UE permet aux ambassades syriennes et aux consulats à l’étranger de rouvrir, ce qui serait une reconnaissance implicite du gouvernement légitime et un renversement majeur de la politique actuelle, bien que potentiellement une victoire à la Pyrrhus.
Les pro-unité
D’un autre côté, Damas va mobiliser sa large base de supporters dans la société civile, afin de protéger électoralement le caractère unitaire de la Syrie et de contrer le schéma fédéraliste des Kurdes. Le gouvernement peut compter sur le soutien qu’il a reçu du Front national progressiste, un large éventail de forces patriotiques, pour faire en sorte que le prochain gouvernement soit, une fois de plus, dirigé par le parti Baas au pouvoir. Ce groupe politique a présidé la Syrie depuis des décennies et il est encore de loin le plus populaire, mais il a besoin de se préparer à une réalité post-Daesh, dans laquelle la coalition pro-fédérale des Kurdes et des Salafistes acquiert un public fidèle dans certains coins du pays, en particulier dans le nord, au nord-est, et à l’est. Il y a aussi la possibilité que des citoyens patriotes votent contre le parti Baas, et pour l’un de la myriade des membres du Front national progressiste, en protestation contre ce qu’ils perçoivent – ou sous l’influence des forces unipolaires – comme étant le parti au pouvoir qui a échoué avec l’idéologie pan-arabe et la corruption. Les deux facteurs en eux-mêmes ne seraient probablement pas suffisants pour affecter substantiellement la majorité parlementaire du Parti Baas, mais pris ensemble et se produisant en même temps – en particulier lorsqu’ils sont combinés avec le joker du vote des réfugiés/migrants – ils pourraient finalement constituer une menace importante. On a déjà décrit pourquoi certaines circonscriptions voteraient pour la coalition pro-fédéraliste kurde et salafiste (autrement que sur des motivations identitaires régionales réactionnaires avec lesquelles jouent les fédéralistes), alors maintenant il est temps d’expliquer comment des forces au sein de la coalition patriotique pourraient abandonner le parti Baas et finalement mettre en danger sa majorité parlementaire.
Sur l’ensemble des groupes du Front national progressiste, le plus susceptible de siphonner les votes du parti Baas est le Parti social nationaliste syrien (PSNS). Cette organisation, fondée au Liban, a une histoire très riche et travaille à la reconstitution officielle de la Grande Syrie, qu’ils décrivent en détail sur leur site Web, comme comprenant l’essentiel du Croissant Fertile, Chypre et des parties de la Turquie, de l’Égypte et de l’Iran. Aussi appelée Syrie naturelle, un auteur affilié au PSNS a écrit que les régions kurdes inhabitées du sud-est et du sud de la Turquie en font partie, en faisant valoir qu’elles formaient historiquement une partie de la civilisation syrienne qui pourrait être rétablie par l’intermédiaire de l’occasion en or apportée par la fédéralisation. La pensée officieuse est que le PSNS – et comme ils le voient, toute la Syrie (l’actuelle et la Grande) – bénéficieraient sans équivoque du biais de la fédéralisation, parce qu’elle permettrait un mécanisme par lequel les Kurdes de Turquie pourraient quitter Ankara et rejoindre Damas, en supposant au passage que leurs sentiments sauvages pro-indépendance pourraient être tempérés et que tous ces processus compliqués de verrouillage pourraient être réalisés pacifiquement. Bien sûr, les États-Unis ne permettront jamais à leur allié turc de l’OTAN d’être démembré au profit de la Grande Syrie – bien qu’ils puissent le tolérer en faveur d’un Kurdistan unipolaire indépendant aligné – et c’est en fait la Syrie elle-même qui serait, probablement par inadvertance, démembrée de façon boomerang à travers la facilitation fédérale du Grand Kurdistan, mais néanmoins, les partisans du PSNS sont probablement les membres du Front national progressiste à être les plus attirés par cette idée dangereuse et réactionnaire.
En outre, l’establishment US semble curieusement être sur le point d’accepter le PSNS comme un parti légitime en Syrie, ce qui est extraordinairement étrange, car elle n’a jusqu’ici accordé ce droit qu’aux seuls terroristes rebelles modérés soutenus par la coalition pour le changement de régime. Le lecteur doit porter son attention vers un article de mars 2016, publié par le magazine influent Foreign Policy, qui, bien que n’étant pas reconnu pour la qualité de son écriture ou l’objectivité de ses évaluations, est néanmoins un baromètre très fiable pour évaluer les attitudes prévalentes de l’establishment US dans la mise en place de sa politique étrangère. Dans l’article intitulé « The Eagles of the Whirlwind », l’un des partenaires du magazine, basé au Liban, s’est infiltré dans le PSNS pendant un certain temps et a produit un rapport étonnamment objectif et équitable. Ce qui est remarquable, au sujet de cet article, est qu’il n’a pas dénaturé ni offensé les activités ou la vision du PSNS, bien qu’il parle de la façon dont le groupe a combattu au côté de la SAA pour protéger le pays du genre de terroristes étrangers que les États-Unis et leurs alliés aident activement. Il est plutôt sans précédent qu’un magazine haut de gamme US, lié à l’establishment, fasse quelque chose comme cela, et parce que c’est un tel accroc à la tendance en vogue durant les cinq dernières années, qu’il faut le considérer comme faisant partie d’une stratégie calculée qui sera expliquée dans la section suivante.
La déchirure entre les patriotes
Les États-Unis veulent que le PSNS divise le vote patriotique lors des prochaines élections et force le parti Baas à conclure un accord de coalition sur une base plus formelle et plus égale qu’elle n’est actuellement avec le Front national progressiste. Les États-Unis semblent avoir identifié le PSNS comme le parti patriotique le plus susceptible de siphonner les votes du parti Baas, d’où la raison pour laquelle ils paraissent être sur le point de changer leur position envers le groupe, pour l’accepter comme un acteur politique à l’intérieur du pays. Les États-Unis sont dans une position délicate où il ne peuvent pas intervenir directement dans la relation PSNS-Baas, car ils seraient vivement rejetés, donc tout ce qu’ils peuvent faire c’est fournir une assistance d’information non sollicitée au groupe PSNS, comme ce qui a été fait dans l’article de Foreign Policy évoqué ci-dessus. Ce groupe a patriotiquement combattu bec et ongles aux côtés de l’Armée syrienne (SAA) pour la défense du pays, et son chef, Ali Haidar, a été nommé, bien qu’appartenant à l’opposition de l’époque, ministre d’État et des affaires de réconciliation nationale, dans un mouvement stratégique avisé de Damas au début de la guerre. Comme c’est typique pour quelqu’un qui a été opposé au gouvernement, Haidar a eu quelques critiques choisies sur les autorités et il a même dit une fois qu’« il y a des extrémistes dans le régime », mais sa loyauté envers la Syrie, et la décision du président Assad de le nommer, ne devraient pas être mises en doute une seconde.
Même patriotisme, différentes expressions
L’auteur veut attirer l’attention sur un fait, auquel il croit lui-même, à savoir que ce qui intéresse les États-Unis, c’est que les membres bien alignés du PSNS peuvent avoir une perspective plus ambitieuse pour leur parti dans la réalité post-Daesh, considérant en particulier que certains d’entre eux combattent vraiment sur les lignes de front et meurent pour protéger leur pays, mais un point à ne pas oublier non plus est qu’ils font aussi cela au nom de leur parti et de ses idéaux. Quelles que soient leurs raisons personnelles, ils ne font pas cela au nom du parti Baas, mais pour leur propre organisation politique, ce qui, bien sûr, ne les rend pas moins patriotes que tout membre du parti Baas qui risque sa vie pour la même cause nationale. Elle permet cependant aux observateurs d’analyser la logique à l’œuvre, derrière cette différence, et pourquoi certaines personnes seraient prêtes au martyr pour la Syrie sous le nom du PSNS et non du parti Baas.
Vu de l’extérieur, une explication plausible est que le PSNS conserve sa tradition d’opposition depuis des décennies et ne semble pas croire que l’avenir de la Syrie soit intrinsèquement lié au sort du président Assad. A leurs yeux, la Syrie est une civilisation multi-millénaire qui ne fonde pas sa survie sur une seule personne, peu importent les circonstances actuelles, et que seule la pression d’une convergence d’intérêts les voit combattre au côté du gouvernement dans la défense patriotique de leur patrie commune. Cela contraste avec le Parti Baas, qui – sans diviniser la famille Assad – la tient en haute estime comme gardienne de l’État syrien et place une énorme importance dans sa contribution historique au développement durant la période de transformation à l’échelle mondiale des 45 dernières années. Eux aussi comprennent que la Syrie est une civilisation multi-millénaire, qui va continuer à survivre en dépit de ses souffrances présentes, mais ils croient que le président Assad est de loin la meilleure et la seule personne pour diriger leur pays en ces temps difficiles et dans ces circonstances historiques.
Comparativement, quelques différences stratégiques peuvent être notées entre les deux parties. Les deux sont patriotiques et aiment sincèrement leur patrie, mais ils ont des attitudes différentes envers le président Assad et la mise en œuvre de la politique étrangère syrienne. Le PSNS n’est pas anti-Assad mais pas non plus exagérément pro-Assad, leur soutien actuel au président syrien étant surtout une réaction à la trahison extérieure contre lui. En temps de paix, ils seraient qualifiés comme une partie de l’opposition patriotique – des fiers défenseurs de leur pays – mais se différenciant de l’establishment au pouvoir dans un cadre légal et acceptable. Une part de leurs différences avec le parti Baas concernerait évidemment le président Assad parce que, comme tout parti d’opposition, ils préféreraient voir leurs propres dirigeants aux manettes du gouvernement à la place du titulaire. Une autre divergence entre le PSNS et le Parti Baas concerne la portée de la politique syrienne, estimant qu’elle devrait être centrée sur la Syrie et non pan-arabe, ou dans un sens plus pratique, devrait se concentrer davantage sur la Syrie proprement dite et la relance opérationnelle de la Grande Syrie, que sur l’engagement avec le monde arabe plus large – avec lequel ils ne s’identifient pas nécessairement dans tous les cas.
Pour être juste, le parti Baas et le président Assad se concentrent plus sur les affaires intérieures de nos jours et vont probablement continuer dans l’avenir, en raison de la trahison générale du monde arabe contre la Syrie, bien qu’ils ne partagent pas la vision du PSNS de redessiner les frontières nationales, et éventuellement d’entrer en guerre avec leurs voisins ou de fédérer leur propre état afin d’atteindre cet objectif. En ce sens, le Parti Baas est beaucoup plus modéré et réaliste dans sa politique que le PSNS, bien qu’en temps de guerre et sous la contrainte extraordinaire que la Syrie a subie non stop depuis déjà cinq ans, il est facile de voir comment des gens pourraient être attirés vers le patriotisme relativement radical et unique du PSNS. Lorsque le pays est attaqué par des menaces extérieures, de telles différences apparemment mineures entre le SSNP et le Parti Baas, sont pour la plupart sans intérêt, mais dans les suites de la guerre et au milieu d’une période transitoire de restructuration politique et de révisionnisme constitutionnel, elles prennent un sens accru et pourraient offrir un aperçu du comportement futur des deux partis.
Comment passer d’une position marginale au devant de la scène
En l’état, le PSNS est le seul parti qui pourrait vraiment détourner les votes patriotiques du Parti Baas et affaiblir le mandat populaire de la majorité gouvernementale. La réputation de protecteurs loyaux et aguerris du statut de l’État syrien a été gagnée par ses membres avec le sang d’innombrables martyrs et ne peut être réfutée; de plus leur chef politique est symboliquement ministre d’État et des Affaires de réconciliation nationale, un poste national d’importance substantielle pour l’avenir de la Syrie. Il est peu étonnant que le PSNS se sente enhardi et enthousiaste au sujet de ses futures perspectives électorales, surtout parce qu’il a manifesté une bonne volonté sincère auprès de larges segments de la population. Étant un parti de gauche stéréotypé, il évite la politique identitaire et se présente totalement intégrateur, imitant ainsi le Parti Baas et fournissant à ses membres mécontents ou déçus, une organisation familière à travers laquelle ils peuvent exprimer leur dissidence. Cette facilité d’appel transversal est le plus fort avantage politique du PSNS pour la prochaine élection, mais un autre de ses atouts majeurs est son approche marketing. En tant que parti d’opposition sans quasiment de représentation parlementaire en ce moment et sans aucun moyen réaliste d’influer sur la politique nationale, ses membres s’adonnent sans retenue à flatter les émotions des éléments les plus hyper-patriotiques de la société, en parlant ambitieusement de leur volonté de créer la Grande Syrie, alors qu’ils n’ont aucune responsabilité pour les conséquences.
La combinaison d’une réputation bien méritée, de l’appel transversal opportuniste, et des messages hyper-patriotiques, font du PSNS l’alternative la plus viable au parti Baas au sein du Front national progressiste et le groupe le plus susceptible d’attirer le vote dans les circonscriptions du parti au pouvoir. Cela ne justifierait pas nécessairement beaucoup d’attention dans des circonstances normales, mais dans le contexte de la guerre contre la Syrie et du plan B des États-Unis de fédéralisation du pays, au lieu de renverser le gouvernement, il devient peut-être la variable électorale la plus importante au cours des douze prochains mois. Le parti Baas a absolument besoin de gagner une majorité convaincante des votes lors des prochaines élections, afin de résister aux pressions en cours venant de la coalition pro-fédérale, dont nous rappelons au lecteur que la dernière en date est un assemblage cosmopolite de Kurdes, de salafistes et de réfugiés-immigrants – la diaspora – votant par correspondance. Même si les anciens modèles électoraux restent valables dans un système politique nouvellement révisé et que le Parti Baas sort en tête à nouveau, il aurait encore besoin de gérer l’existence d’un soutien important à la prospective fédéraliste dans certaines régions, afin de prouver que cette prospective unilatérale n’est pas la volonté des populations locales qui y vivent et se trouve donc soumise aux mesures post-électorales d’application de la loi mises en œuvre par l’Armée syrienne (SAA).
Mais, si une flambée électorale en faveur du PSNS taille dans l’électorat du parti Baas en détournant une partie de l’électorat patriotique, cela pourrait affaiblir le parti au pouvoir et enterrer ses espoirs de gouverner sans entrer dans une sorte de coalition bilatérale plus formelle avec le PSNS que le Front national progressiste multilatéral et général. En vertu de cette nouvelle réalité politique intérieure, le Parti Baas aurait besoin du PSNS pour ajouter un avantage qualitatif à son soutien électoral déjà existant – peut-être pour le pousser au-dessus d’un seuil prédéterminé de soutien civil, arbitrairement estimé à 60-70% avec la participation des Kurdes, des salafistes, et de la diaspora – mais inversement, ce serait aussi se rendre excessivement dépendant du PSNS pour ces mêmes raisons et donc propulser le parti marginal auparavant mineur, à l’avant-garde nationale comme la seule organisation capable d’influencer le parti régnant en vertu de cet arrangement. La raison pour laquelle il s’agit d’une question majeure, est que les divergences stratégiques mentionnées ci-dessus entre les deux groupes, pourraient revenir à la surface et motiver un PSNS enhardi qui commencerait à flirter avec le fédéralisme comme moyen de pression sur le parti Baas, en acceptant certaines de ses idées politiques et de ses réformes les plus radicales. Après tout, le Parti Baas est complètement opposé au fédéralisme sous quelque forme que ce soit, mais s’il devient dépendant de son partenaire junior, le PSNS, comme pilier important de son soutien post-électoral, ce dernier pourrait timidement jouer avec l’idée afin d’effrayer son important partenaire de coalition, en adhérant aux demandes fédéralistes – selon le scénario Démocratique Occidental de la politique de la coalition.
Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions
La pire chose qui puisse arriver, serait que le PSNS soit réellement sérieux au sujet de son engagement envers le fédéralisme et qu’il ne s’agisse pas seulement de vouloir l’utiliser dans un jeu politique pour gagner une meilleure main post-électorale contre le Parti Baas. Il n’y a aucune raison de douter des informations d’identification patriotique du parti, mais il se pourrait qu’il devienne trop patriotique, dans le sens de croire – aussi bien intentionné soit-il – que la fédéralisation est l’occasion en or pour réaliser son rêve de Grande Syrie. Si cela se produit, alors le PSNS se trouverait en opposition ouverte avec le Parti Baas et, par pure coïncidence, du même côté de la question que les États-Unis et ses alliés Kurdes-salafistes. Il en résulte que la position du PSNS sur le fédéralisme est en train de devenir une question de première importance pour la sécurité nationale de la Syrie, et que cela pourrait être la raison pour laquelle les États-Unis ont commencé à afficher publiquement une attitude positive envers ce parti. Ce n’est pas parce que les USA ont une relation de travail quelconque avec ce parti, mais que Washington veut présenter ce groupe d’opposition minoritaire patriotique comme un moyen plus pragmatique pour déjouer le parti Baas, en suscitant des tensions inter-syriennes et en sapant le gouvernement du président Assad après les élections à venir.
Le lecteur doit se rappeler que la fédéralisation (partition interne) de la Syrie est le plan B des États-Unis, ils ont donc toutes les raisons de présenter les groupes favorables à la fédéralisation et ceux qui pourraient le devenir, sous leur meilleur jour, expliquant ainsi la couverture positive sans précédent que le magazine Foreign Policy a donnée au PSNS à la fin mars. Il est intéressant de noter que, par hasard ou à dessein, cette histoire est sortie peu de temps après que les Kurdes aient déclaré unilatéralement la fédéralisation – ce qui aurait évidemment été connu par les planificateurs stratégiques américains bien à l’avance – donc cela pourrait être relié, en quelque sorte. Encore une fois, le PSNS n’a pas de relation avec le gouvernement des États-Unis et il est totalement opposé à lui, ce qui explique pourquoi Foreign Policy a utilisé l’un de ses partenaires locaux libanais pour atteindre le PSNS, au lieu de compter sur un journaliste américain.
Néanmoins, le parti n’a pas réfuté, en disant qu’il avait été induit en erreur par le journaliste, donc on peut en déduire qu’il était au courant que l’histoire avait été écrite pour un magazine populaire représentant l’establishment des États-Unis. Il n’y a rien de mal, pour un groupe syrien patriotique ou pour le gouvernement lui-même, à faire des apparitions médiatiques dans n’importe quelle publication US, pour révéler la vérité sur la guerre contre la Syrie, il s’agit de quelque chose qui doit être félicité en tout état de causes et surtout célébré chaque fois que c’est rapporté avec exactitude; il est donc très peu probable que le PSNS se soit même rendu compte qu’il était utilisé par les États-Unis afin de présenter indirectement le parti comme un acteur approuvé par l’establishment US.
La motivations des États-Unis pour agir de la sorte, comme il a été expliqué précédemment, est de commencer un rude programme test pour familiariser l’Occident avec le PSNS, en espérant que cela va naturellement l’amener tout seul à accepter l’idée de fédéralisation et à devenir un promoteur important de celle-ci dans le futur – peut-être même après les élections et à la suite d’un changement de politique. Si cela se produit, alors cela réaliserait la définition, donnée par le professeur canadien de renom, et fondateur de Global Research, Michel Chossudovsky, d’un agent manipulé, qu’il décrit essentiellement comme « n’étant pas conscient du fait d’être soutenu et contrôlé par les services de renseignement occidentaux ». Les États-Unis ne voient aucune possibilité pour que le PSNS prenne jamais le pouvoir en Syrie et réussisse dans sa revendication d’une Grande Syrie contre la Turquie membre de l’OTAN – qui, en tout cas, n’aurait pas le soutien de la Russie, en raison de la réticence de Moscou à entrer en guerre avec les États-Unis sur cette question, mais ils identifient le groupe comme étant capable de rompre les rangs du Parti Baas s’il décide d’adopter le fédéralisme comme son véhicule préféré pour probablement faire avancer ses conceptions idéologiques dans la région. Cela affaiblirait le parti au pouvoir, au moment précis où il a besoin de tout le soutien pro-unitaire qu’il peut rassembler pour déjouer la dernière agression asymétrique très sophistiquée des États-Unis à travers le Plan B de fédéralisation (partition interne) de la Syrie, comme un moyen de substitution pour renverser le gouvernement.
Réflexions pour conclure
La guerre en Syrie est sur le point d’entrer dans une nouvelle étape, avec les États-Unis et leurs alliés sur le terrain, à majorité kurde, préparant une campagne pour reprendre Raqqa, pour autant que la visite secrète – et illégale – du chef du CENTCOM, le général Joseph Votel, dans le nord de la Syrie, soit une indication. L’environnement de l’immédiate après-guerre sera façonné par les forces fédérales et unitaires qui rivalisent pour le positionnement politique dans la perspective des prochaines élections et du remaniement constitutionnel mandaté par la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU. Prévu pour avoir lieu avant la fin de juin 2017, il reste un peu plus d’un an avant que tous les morceaux ne se mettent en place et que le dernier chapitre de la guerre en Syrie ne soit politiquement clos – mais peut-être aussi pas totalement terminé. Les États-Unis et leurs alliés ont indiqué qu’ils ne visent pas à démembrer légalement la Syrie, mais ils sont plus que disposés à utiliser des mouvements démocratiques pour une division de facto en une collection de petits états identitaires fédérés. Tout sera dénoué lors des prochaines élections, quand les partisans fédéraux et unitaires s’affronteront dramatiquement pour une décision épique concernant le futur politique interne de la Syrie dans les années à venir, et il est plus important que jamais que le Parti Baas obtienne autant de soutien politique qu’il peut, pour conjurer la coalition pro-fédéraliste kurde, salafiste – et la diaspora potentielle.
Le PSNS, bien qu’actuellement partenaire très proche, fiable et digne de confiance du gouvernement, court le risque d’être induit en erreur par sa perception que la fédéralisation est la façon la plus rapide et la plus efficace de réaliser son rêve de Grande Syrie. En outre, la réputation de patriotisme et de combativité prouvée de ce parti, est susceptible de très bien lui réussir dans les urnes, il est donc vraiment capable de diviser le vote patriotique et de diminuer la part globale du parti Baas. Comme avec tout dans la vie, pour gagner, les capacités doivent être accordées avec les intentions. Si les intentions du PSNS sont d’abandonner l’attitude pro-gouvernementale pour soutenir des intérêts idéologiques propres en embrassant le fédéralisme, dans la période précédant les élections ou en changeant d’avis pour le faire par la suite – peu importe s’il croit vraiment que ce soit dans le projet civilisationnel, d’intérêt collectif national, de la Grand Syrie ou non – alors il pourrait soudainement devenir l’acteur central de toute la Syrie en inclinant vers l’initiative fédéraliste, affaiblissant ainsi irrémédiablement la position du parti Baas.
Cela pourrait même être pour cette raison que le magazine Foreign Policy, représentant l’establishment des États-Unis, a donné une telle marque d’approbation, inhabituelle et sans précédent, au PSNS, il y a quelques mois dans un de ses articles remarquables, familiarisant le public occidental avec ce parti, en prévision de la suite, lui fournissant un discret soutien informationnel non sollicité, si ce scénario se concrétise jamais. Après tout, les États-Unis n’ont rien à craindre du PSNS et de son idéologie de Grande Syrie, mais le PSNS et le reste de la Syrie ont tout à craindre de la manipulation de cette idée par les États-Unis, à leurs propres fins de fédéralisation, en divisant démocratiquement la Syrie après la défaite de Daesh.
Andrew Korybko
Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone
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