La volte-face de Trump envers le Pakistan est un moment de vérité pour l’Inde


Par M. K. Bhadrakumar − Le 11 juillet 2019 − Source Indianpunchline.com

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On ne peut considérer l’annonce faite mercredi par Washington sur la visite aux États-Unis du Premier ministre pakistanais, Imran Khan, que comme un tournant de la politique régionale.

À son niveau le plus visible, l’annonce coïncide avec les informations de Doha selon laquelle les États-Unis et les talibans ont réglé leurs différends sur les quatre questions qui ont été débattues au cours des sept cycles de négociations qui ont eu lieu dans la capitale qatarie : des garanties contre le terrorisme, un retrait militaire, un cessez-le-feu et les pourparlers inter-afghans.

Le négociateur en chef des talibans, Abbas Stanekzai, a déclaré aux journalistes à Doha lundi : « Nous n’avons aucun désaccord avec les Américains. Seulement, le projet [d’accord] doit être finalisé. Lorsqu’il sera finalisé, nous le partagerons avec les médias. » L’annonce faite mercredi par la Maison-Blanche indique qu’un projet d’accord de paix entre les États-Unis et les Talibans concernant le retrait et le cessez-le-feu des troupes américaines est sur le point d’être signé dans un proche avenir.

Parallèlement, les factions rivales afghanes se sont également manifestées, à la suite de l’annonce des soi-disant négociations inter-afghanes faite à Doha lundi. Ces pourparlers sont parrainés par le Qatar et l’Allemagne, sous le regard attentif des diplomates américains, suivant une « feuille de route pour la paix » qui vise à « réduire les pertes civiles à zéro ».

Le Représentant spécial des États-Unis pour la réconciliation en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, quittant Doha, s’est rendu en Chine avant de rentrer à Washington. Il est clair que Pékin a joué un rôle clé dans les pourparlers de paix, et que la visite du chef des talibans Mullah Baradar à Pékin le mois dernier a probablement constitué le tournant des négociations de Doha. Cela souligne une fois de plus la complexité croissante de la « rivalité » entre États-Unis et Chine, que nous, en Inde, avons parfois tendance à négliger allègrement.

Une délégation talibane conduite par Abdul Ghani Baradar (au centre) a récemment visité la Chine, selon Pékin.

Car dans les six semaines qui ont suivi le Rapport sur la stratégie Indo-Pacifique du Pentagone, qui condamne sans réserve la Chine en tant que « puissance révisionniste » que les États-Unis sont déterminés à contrer sur tous les fronts avec des partenaires comme l’Inde, nous assistons à ce geste curieux de Khalilzad destiné à désigner Pékin comme interlocuteur indispensable pour mettre fin à la « guerre sans fin » en Afghanistan et créer les conditions d’un retrait ordonné des militaires des États-Unis et de l’OTAN de cette région. En effet, c’est un spectacle incroyable que d’assister au changement de priorités de la diplomatie des États-Unis quand leurs propres intérêts sont concernés.

Le cœur de la question est que l’invitation du Président Trump à Imran Khan va bien au-delà d’une démonstration de gratitude symbolique pour sa coopération dans la conclusion de l’accord de paix avec les Talibans. En fait, le Pakistan n’a fait aucune concession majeure sur son agenda afghan. Il a simplement facilité les pourparlers de paix en utilisant le levier de son influence sur les Talibans. L’objectif pakistanais consistant à restaurer les Talibans dans la politique afghane officielle (et fort probablement avec un rôle de premier plan) ainsi que de créer une « profondeur stratégique » vis-à-vis de l’Inde demeure intact.

Qu’on ne s’y trompe pas, le refrain du rapprochement États-Unis – Pakistan démontre qu’un nouveau paradigme de sécurité régionale prend forme. Le Pakistan se voit attribuer un rôle pivot pour veiller à ce que l’Afghanistan ne soit plus jamais un « laboratoire de terroristes » (dixit Trump) menaçant le monde occidental. Le Pakistan a énormément d’expérience dans la gestion de ses relations avec les États-Unis et il veillera bien sûr à ce que les États-Unis rendent la pareille sur les plans politique, financier et militaire.

Même si Trump avait fait l’éloge de l’Inde comme « élément essentiel » dans le déploiement de sa stratégie afghane en août 2017, il la remplace maintenant par le Pakistan à l’occasion d’un curieux renversement des rôles dans le paradigme de sécurité régionale sud-asiatique. L’annonce faite par la Maison-Blanche indique explicitement que la visite d’Imran Khan « mettra l’accent sur le renforcement de la coopération entre les États-Unis et le Pakistan pour apporter la paix, la stabilité et la prospérité économique à une région qui a connu beaucoup trop de conflits. » La Maison-Blanche poursuit en expliquant que les États-Unis répondent à la demande de longue date du Pakistan d’entretenir des relations étendues et solides, sur le même plan que les relations indo-américaines, « y compris dans la lutte contre le terrorisme, la défense, l’énergie et le commerce ». Plus important encore, dans ce qui ne peut être considéré que comme une référence discrète à la question du Cachemire et des tensions indo-pakistanaises, la Maison-Blanche affirme que les États-Unis garderont pour objectif « l’objectif de créer les conditions d’une Asie du Sud pacifique et d’un partenariat durable entre nos deux pays ».

Pour s’en assurer, Washington a marginalisé l’Inde et ignoré ses sentiments face à la situation afghane en chorégraphiant le scénario d’après-guerre presque exclusivement avec le Pakistan – et la Chine. Pourtant, les liens entre l’Inde et les États-Unis étaient censées être une relation entre des « alliés naturels » et décrites jusqu’à tout récemment comme le « partenariat déterminant » du XXIème siècle.

Du point de vue indien, par conséquent, l’invitation lancée par Trump à Imran Khan de visiter la Maison-Blanche est une pilule difficile à avaler. Au mieux, l’Inde peut jeter le voile du courage sur l’échec colossal de ses stratégies régionales au cours des cinq dernières années. Ces stratégies ont continûment refusé d’engager le dialogue avec le Pakistan, cherché à « isoler » le Pakistan en tant qu’État parrainant le terrorisme, considéré l’Afghanistan principalement comme une guerre par procuration avec le Pakistan, refusé de considérer les Talibans comme une entité afghane et mis en scène une convergence américano-indienne sur la sécurité régionale à l’égard de l’Afghanistan.

De toute évidence, lorsqu’il s’agit de l’Afghanistan, le Pakistan est le partenaire privilégié de Washington, tandis que le rôle assigné à l’Inde sera de servir de paillasson pour les politiques de confinement des États-Unis envers la Chine, qualifiée de « stratégie Indo-Pacifique ». Les élites diplomatiques de l’Inde doivent expliquer comment cette situation bizarre est apparue : la sinophobie enracinée dans la mentalité indienne a obscurci leur pensée rationnelle.

Le schéma émergent de la sécurité régionale expose clairement les mythes qui entourent la « définition du partenariat » de l’Inde avec les États-Unis. Il disperse également la pensée délirante selon laquelle ce qui constitue la quintessence de la relation repose sur des « valeurs partagées » et des « préoccupations communes » entre les deux pays. Il n’a jamais vraiment été question d’une relation d’égalité fondée sur le respect, la confiance ou la transparence, sans même évoquer une convergence stratégique.

Rétrospectivement, l’initiative prise au cours des 18 derniers mois par le Premier ministre Narendra Modi d’établir une relation personnelle chaleureuse avec le Président Vladimir Poutine en vue de relancer la relation Inde – Russie qui avait été systématiquement écartée de la politique indienne au cours de la dernière décennie (avec l’intention tacite de donner davantage de poids aux liens militaires naissants avec les États-Unis), ainsi que d’élargir et d’approfondir la communication stratégique avec la Chine à la suite du sommet de Wuhan avec le président Xi Jinping avec l’objectif d’améliorer les relations entre l’Inde et la Chine, est arrivée au bon moment.

Cette transition providentielle, qui n’est toujours pas totalement acceptée par notre communauté stratégique, renforce considérablement la capacité actuelle de l’Inde à s’adapter aux conséquences de l’accord américano-pakistanais sur l’après-guerre en Afghanistan.

M. K. Bhadrakumar

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker Francophone

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