Poutine défie son parlement sur le dossier de la Géorgie, et montre à l’Occident qu’il est « modéré »


Par Andrew Korybko − Le 17 juillet 2019 − Source orientalreview.org

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La semaine dernière, le président Poutine a refusé de mettre en œuvre les sanctions importantes que la Douma avait proposé plus tôt : une opportunité pour le dirigeant russe de se présenter aux yeux de l’occident comme un « modéré » et de contribuer à la restauration en cours de sa réputation. Sur le fond, la Russie essaye de progresser vers une « Nouvelle détente » avec les USA et l’UE.

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Des manifestants de l’opposition en Géorgie, exigeant la démission du Ministre de l’Intérieur Giorgi Gakharia, face au parlement, le 29 juin, à Tbilisi.

Les membres de la communauté des médias alternatifs qui exigeaient du sang après l’éruption de désordres de type Révolution de Couleur anti-russe en Géorgie le mois dernier, et après la charge télévisuelle menée contre la famille du président Poutine dans ce même pays, en seront pour leur frais : le dirigeant russe a défié la Douma la semaine dernière, et refusé de mettre en œuvre les dures sanctions qu’elle avait proposée d’exercer envers le pays du Caucase. Le parlement voulait interdire les importations de vin et d’eau, et limiter les transferts de fonds, ce qui aurait immédiatement catalysé une crise économique dans la nation voisine. Mais le président Poutine les a battus en brèche, « par respect pour ce peuple » : il sait qu’avancer de telles sanctions contribuerait fortement à perdre les cœurs et les âmes géorgiens pour toujours.

Il est vrai que des sanctions de facto viennent d’entrer en vigueur, la Russie ayant prohibé toute liaison aérienne directe avec la Géorgie, ce qui devrait frapper très fort le secteur touristique de cette dernière, et priver le pays de millions de dollars du fait de ces sanctions, mais l’explication derrière cette décision fait sens : les autorités veulent s’assurer qu’aucun émeutier russophobe ne s’en prenne à ses ressortissants. Par ailleurs, les russes intrépides, ou ayant déjà procédé à leurs réservations, peuvent toujours revoir leur feuille de route et passer par un pays tiers, comme l’Arménie, et pourront se rendre tout de même en Géorgie, si bien que les effets que cette mesure engendrera resteront sans doute dans le domaine du gérable, à l’inverse des conséquences instantanées qui auraient été déclenchées si la proposition de sanctions de la Douma avait été suivie.

En défiant son parlement, le président Poutine a réussi à se présenter comme un « modéré » plutôt que comme un « dur » (pour utiliser la terminologie employée par l’occident pour décrire les factions des « États profonds » dans les nations qui lui tiennent tête), représentation qui est faussement faite de lui depuis déjà plus de cinq ans. Cet événement contribuera fortement à réhabiliter sa réputation à l’Ouest, et à compléter l’attention mondiale dont il a fait l’objet, après avoir été dépeint comme un dirigeant socio-conservateur lors de son interview du Financial Times, devenue virale. Tout ceci fait progresser les tentatives russes en direction d’une « Nouvelle Détente » avec les USA et l’UE (cette dernière étant également ciblée par des opérations coordonnées par Moscou à Paris et à Rome). Et dans la mesure où cette détente contredit les attentes du grand public, celui-ci pourrait bien en venir à se demander si on ne lui aurait pas menti depuis le début.

Par ailleurs, en refusant d’imposer les sanctions proposée par la Douma contre la Géorgie, la Russie évite le piège stratégique, qui aurait été de poursuivre sa spirale infernale dans la gestion de ses relations avec son voisin, ce qui constitue une possibilité de point d’inflexion dans cette crise, du fait de la désescalade mature décidée par Moscou. La présidente de Géorgie a également fait sa part de chemin, juste avant, en condamnant les calomnies télévisuelles dont son homologue russe faisait l’objet sur ses ondes nationales, prouvant l’existence d’une volonté réelle entre les deux parties de s’assurer que la crise politique qui les sépare ne parte pas en vrille. On devrait féliciter les dirigeants russe et géorgien d’avoir su reculer d’un pas face à la mêlée, et d’avoir privilégié les intérêts de leurs peuples et de la stabilité régionale malgré la pression intérieure énorme qu’ils subissent de la part d’éléments nationalistes, qui veulent l’escalade.

Avec le recul, cette décision pourrait également apparaître comme point d’inflexion d’une autre courbe : l’image du président Poutine pourrait se trouver sur une trajectoire d’adoucissement dans les médias occidentaux, qui ont ces dernières années fortement conditionné leurs auditeurs par l’application d’une propagande intensive à s’attendre à ce que Poutine, pour le moins, valide toute sanction anti-géorgienne proposée par la Douma. Voici que, d’un seul coup, le dirigeant russe démontre sa vraie indépendance politique, et son inclinaison naturelle à la « modération », en opposition frontale à la ligne de « dureté » dont les organes de presse occidentaux l’ont emballé ces dernières années. Certes, ceci peut énerver quelques uns de ses fervents soutiens à l’international dans la communauté des médias alternatifs, mais c’est pour la bonne cause, qui consiste à démonter les nombreux mythes qui ont été cultivés autour de sa personne, aussi bien par ses sympathisants que par ses critiques, et cela laisse enfin le monde voir le vrai Poutine.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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