La Pravda américaine : Les attentats à l’anthrax si vite oubliés


L’immense importance historique des attentats à l’Anthrax


Par Ron Unz − Le 17 octobre 2023 − Source Unz Review

On vient de commémorer le 22ème anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, la plus importante attaque terroriste de l’histoire de l’humanité, un événement dont les répercussions politiques ont dominé la scène politique mondiale durant la plus grande partie des vingt années qui ont suivi. Conséquence de ces attentats, notre guerre en Irak en a rapidement découlé, suivant une décision désastreuse qui a transformé de manière spectaculaire la carte politique du Moyen-Orient et qui a fini par provoquer la mort ou le déplacement de personnes par millions, et l’occupation de l’Afghanistan, pratiquée également par nous en représailles, a fini par se terminer de manière humiliante en 2021.

La société étasunienne a également connu des changements colossaux, marqués par une érosion considérable de nos libertés civiles traditionnelles. D’un point de vue fiscal, Joseph Stiglitz, le lauréat du prix Nobel de l’Économie, et ses collaborateurs avaient estimé prudemment en 2008 que le coût total de notre réponse militaire avait dépassé les 3 000 milliards de dollars, un nombre que des études ultérieures ont porté à 6 400 milliards de dollars en 2019, soit plus de 50 000 $ par ménage étasunien.

Au cours des journées qui ont suivi ces événements spectaculaires, les images des tours embrasées du World Trade Center et de leur effondrement subi ont été diffusé à l’envi sur nos écrans de télévision, accompagnées du verdict quasiment universel que la vie aux États-Unis serait modifiée à jamais par l’attentat terroriste énorme qui s’était produit. Mais une petite poignée de sceptiques soutenaient une position divergente.

L’Internet en était encore à ses balbutiements, et la première bulle des dot-com était déjà en train de se dégonfler ; Mark Zuckerberg était encore au lycée, et les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Mais l’un des tous premiers pionniers du journalisme sur Internet était Mickey Kaus, un ancien journaliste de The New Republic, qui venait récemment de commencer à publier un ou plusieurs petits papiers informels par jour sur ce qu’il appelait son « web log », un terme qui fut bientôt contracté en « blog ». Avec un ancien camarade de The New Republic, Kaus est devenu l’un de nos premiers bloggers, et avait pour tendance d’adopter des positions contrariennes sur les sujets majeurs.

Ainsi, alors même que le monde éberlué contemplait les ruines fumantes des tours du World Trade Center et que les présentateurs du câble déclaraient que la vie aux États-Unis ne serait jamais plus comme avant, Kaus adopta une position très différente. Je me souviens que peu de temps après les attentats, il affirma que notre cycle d’émissions d’informations sur 24 heures avait tellement réduit l’attention populaire que la couverture des attentats terroristes énormes allait bientôt provoquer l’ennui pour la plupart des Étasuniens. Il prédit par suite qu’avant Thanksgiving, les attentats du 11 septembre relèveraient de l’histoire ancienne dans une mémoire à faible portée, sans doute remplacés par le dernier scandale sur telle ou telle célébrité ou par un crime spectaculaire, et que l’impact à long terme sur la vie publique étasunienne des attentats du 11 septembre resterait minime.

De toute évidence, Kaus se trompait avec cette prévision, mais je pense qu’elle n’a pas été mise à l’épreuve de manière objective. Très peu de temps après qu’il a publié ces mots, notre attention nationale a subitement été absorbée par une nouvelle vague de terrorisme, au fur et à mesure que les personnalités dominantes des scènes politique et médiatique de Manhattan DC et de Floride se mettaient à recevoir des enveloppes emplies de spores d’anthrax ainsi que des petits mots louant Allah et promettant la mort aux États-Unis.

Bien que presque tous les Étasuniens aient vu sur leur écran de télévision la destruction des tours du World Trade Center et se soient indignés du coup porté à notre pays, il est probable que rares furent ceux qui se sentirent personnellement menacés par les attentats du 11 septembre. Mais voici que durant le mois d’octobre, le spectre morbide du terrorisme biologique se présentait au premier plan des préoccupations populaires, une position qu’il occupa pendant plusieurs mois.

Ces envois postaux d’anthrax avaient ciblé des personnalités particulièrement en vue, et les lettres étaient étroitement scellées, mais les médias révélèrent rapidement que les chocs et accrocs subis par le courrier dans les centres de tri postaux durant le processus de tri automatisé avaient amené de petites graines de mort à fuiter à travers les pores des enveloppes, contaminant aussi bien les bâtiments de la poste que d’autres courriers en cours de tri. Par conséquent, certains décès avaient frappé des personnes au hasard ayant reçu une lettre contaminée par accident, ce qui semblait faire courir un risque terrible à tous les Étasuniens.

En outre, malgré les scènes visuelles de destruction massive infligée le 11 septembre 2001, seulement 3000 Étasuniens étaient morts durant cet attentat, mais nos personnalités politiques et médiatiques se mirent rapidement à nous prévenir : les terroristes pouvaient utiliser l’anthrax ou la variole pour tuer des centaines de milliers, voire des millions de nos concitoyens. De fait, on nous affirma que quelques mois auparavant, au mois de juin 2001, l’exercice de simulation gouvernemental Dark Winter avait suggéré que plus d’un million d’Étasuniens pouvaient mourir d’une attaque de variole lancée par des terroristes étrangers.

Selon les premiers bulletins d’informations, l’anthrax trouvé dans les lettres avait été rendu particulièrement dangereux au moyen de techniques très au-delà des capacités rudimentaires à la portée des terroristes d’al-Qaeda, un élément qui indiquait par conséquent l’implication d’un soutien étatique. De nombreuses sources au sein du gouvernement affirmèrent que les spores mortelles avaient été enrobées de bentonite, un composé longtemps utilisé par les Irakiens pour rendre plus mortelles leurs bombes à l’anthrax, ce qui pointait directement du doigt le régime de Saddam Hussein, et bien que ces affirmations furent par la suite réfutées par la Maison-Blanche, de vastes portions de l’opinion publique étasunienne les prirent pour argent comptant.

Au fil des semaines, le FBI et la plupart des médias déclaraient que l’anthrax semblait être sorti de nos propres stocks intérieurs, ce qui suggérait que l’expéditeur était sans doute un terroriste intérieur solitaire, se faisant passer pour un Islamiste radical, mais une grande partie de l’opinion publique refusait de le croire.

De fait, un an plus tard, lorsque Colin Powell produisit sa célèbre présentation devant le Conseil de Sécurité de l’ONU dans le but de justifier l’invasion de l’Irak par les États-Unis, il brandit une petite fiole de poudre blanche, en expliquant que même une quantité aussi réduite de spores d’anthrax pouvait tuer des Étasuniens par dizaines de milliers. Cette exposition publique démontra la résonance continue des attentats de guerre biologique que notre pays avait subis plus d’un an auparavant, et dont de nombreux Étasuniens à la tête dure continuaient de penser qu’ils avaient résulté des efforts combinés menés par al-Qaeda et Saddam Hussein.

Les quelques lettres à l’anthrax n’avaient tué que cinq Étasuniens, et avaient rendu malades 17 autres, une faible portion des pertes du 11 septembre 2001, et la dernière enveloppe avait été postée le 17 octobre 2001. Mais je pense que l’impact sur l’opinion publique étasunienne durant les quelques années qui ont suivi est resté pleinement comparable à celui des attaques physiques massives que nous avions subies quelques semaines auparavant, voire plus important. Malgré toutes les pertes et destructions provoquées par l’attentat du 11 septembre, le Patriot Act n’aurait jamais été adopté tels quels par le Congrès sans les envois postaux d’anthrax qui suivirent, et le président Bush n’aurait sans doute pas obtenu un soutien suffisant pour lancer sa désastreuse guerre en Irak.

Les envois d’anthrax furent presque totalement oubliés en quelques années à peine, et de nos jours, le fait que je suggère que leur impact ait pu atteindre, voire dépasser celui des attentats du 11 septembre pourrait passer comme grotesque aux yeux de la plupart des Étasuniens. Mais lorsque j’ai relu récemment les articles publiés lors de cette période, j’ai découvert que je n’avais vraiment pas été le seul à produire cette estimation.

Glenn Greenwald, le célèbre journaliste d’investigation, en était au tout début de sa carrière, et il a rejoint Salon en 2007. Il s’est bientôt mis à publier diverses colonnes sur le sujet de l’anthrax, dont l’une des premières comprenait le paragraphe qui suit en début d’article :

Les attaques à l’anthrax de 2001 restent l’un des grands mystères de l’ère post 11 septembre. Après le 11 septembre, les attaques à l’anthrax ont sans doute constitué l’événement le plus important de la présidence Bush. On pourrait même arguer qu’elles eurent plus d’importance que le 11 septembre. Les attentats du 11 septembre furent d’évidence traumatisants pour le pays, mais en l’absence des attaques à l’anthrax, le 11 septembre aurait facilement pu être perçu comme un événement unique et isolé. Ce furent en réalité les lettres d’anthrax — dont la première fut envoyée le 18 septembre, une semaine tout juste après le 11 septembre — qui firent monter le niveau de peur et créèrent le climat qui allait dominer le pays durant les années qui ont suivi. Ce fut l’anthrax — envoyé directement au cœur des institutions d’élite du monde politique et médiatique du pays, à Tom Daschle (D-SD), alors dirigeant de la majorité au Sénat, au Sénateur Pat Leahy, à Tom Brokaw, présentateur pour NBC, ainsi qu’à d’autres organes médiatiques dominants — qui créa l’impression que l’ordre social était lui-même menacé par le radicalisme islamiste.

Je pense donc qu’il est tout à fait possible que sans ces envois d’anthrax désormais effacés de nos mémoires, la prédiction de Kaus aurait pu fort bien se révéler juste, et que les attaques du 11 septembre auraient pu s’effacer des mémoires à partir de la fin d’année 2001. Sans quelques petites enveloppes emplies d’anthrax, il n’y aurait peut-être jamais eu de guerre en Irak ni de Patriot Act, pas plus que tous les autres changements politiques et sociaux considérables que les États-Unis ont connu après le 11 septembre 2001.

Il y eut également des conséquences très directes. Le soutien du gouvernement étasunien pour la bio-défense avait été fort sous Clinton, puis fortement réduit une fois Bush au bureau ovale. Mais ces quelques enveloppes mortelles provoquèrent un changement subi, et durant les années 2002 à 2011, notre gouvernement a dépensé quelque 70 milliards de dollars sur la guerre biologique et la défense biologique, des sommes nettement supérieures à ce qu’elles avaient jamais représenté par le passé. De nos jours, les dépenses en guerre biologique ont dépassé de loin la barre des cent milliards de dollars, mais presque toute cette somme a été déclenchée par quelques enveloppes affublées d’un timbre à 0,23 $. Au mois de septembre 2001, une entreprise de défense biologique du nom de BioPort était sur le point de s’effondrer et de faire faillite, mais après que les envois d’anthrax ont commencé à faire les gros titres, l’entreprise a été sauvée par un afflux de contrats gouvernementaux de vaccins contre l’anthrax ; renommée par la suite en Emergent BioSolutions, l’entreprise a joué un rôle controversé dans la production de nos vaccins contre le Covid presque vingt années plus tard.

Si l’on demandait à des Étasuniens de citer les cinq ou six événements mondiaux les plus significatifs de notre jeune XXIème siècle, je doute que même 1 sur 1000 cite dans la liste des attaques à l’anthrax oubliées de 2001 ; alors que sans ces envois, l’ensemble de notre histoire et de celle du monde aurait peut-être suivi une trajectoire très différente.

La lettre d’Assaad, une preuve cruciale

Bien que les lettres emplies d’anthrax n’aient jamais attiré plus d’une petite partie du débat public autour des attaques du 11 septembre qui leur furent associés, elles furent également pétries d’une controverse énorme, les vrais auteurs et les vraies circonstances ayant fait l’objet de débats dès le tout début. À l’époque, et durant de nombreuses années qui suivirent, je n’avais jamais sérieusement remis en question le narratif officiel du 11 septembre, ni même enquêté de près sur ses détails. Mais les omissions flagrantes dans la couverture de presse des envois d’anthrax m’étaient toujours apparues comme très étranges et très douteuses, et ont donc joué un rôle important dans mes doutes croissant quant à la fiabilité de nos médias dominants. Lorsque j’ai publié mon premier article de la Pravda américaine il y a une dizaine d’années, j’avais donné une place de choix au récit de l’anthrax et j’y avais intégré plusieurs paragraphes qui résumaient ma propre analyse, contraire au récit dominant, et celle-ci n’a pas changée durant les nombreuses années qui se sont écoulées depuis 2001 :

Prenons les attaques par courrier à l’anthrax, presque oubliées, qui se produisirent dans les semaines qui suivirent le 11 septembre, et qui ont terrifié les élites dominantes de la côte Est et incité à l’adoption sans précédent du Patriot Act, avec l’élimination de nombreuses protections traditionnelles civiles et libertariennes. Chaque matin, durant cette période, le New York Times et d’autres journaux dominants produisaient des articles qui décrivaient la nature mystérieuse des attaques mortelles et la stupéfaction absolue des enquêteurs du FBI. Mais le soir, sur Internet, je lisais des récits produits par des journalistes absolument respectables, comme Laura Rozen, de Salon, ou par l’équipe du Hartford Courant, apportant de nombreux détails supplémentaires, et qui indiquaient un suspect ainsi qu’un mobile probables.

Bien que les lettres transportant l’anthrax fussent supposées avoir été écrites par un terroriste arabe, le FBI comprit rapidement que la langue et le style indiquaient un auteur qui n’était pas arabe, cependant que les tests désignaient les infrastructures de recherche en armes biologiques de Ft. Detrick, Md., comme source probable du produit dangereux. Mais juste avant l’arrivée de ces courriers mortels, la police militaire de Quantico, Va., avait également reçu une lettre anonyme, avertissant qu’un ancien employé de Ft. Detrick, le Docteur Ayaad Assaad, né en Égypte, était peut-être en train de préparer une campagne nationale de bioterrorisme. Les enquêteurs innocentèrent rapidement le Dr. Assaad, mais la nature très détaillée des accusations révélait une connaissance approfondie de son historique de carrière et des installations de Ft. Detrick. Au vu de la simultanéité de l’envoi des enveloppes d’anthrax et des fausses accusations en bioterrorisme, les envois postaux provenaient presque à coup sûr de la même source, et découvrir l’auteur de la lettre anonyme promettait d’être le moyen le plus simple d’attraper le tueur à l’anthrax.

Qui donc aurait pu faire accuser le Dr. Assaad de bioterrorisme ? Quelques années plus tôt, il avait été impliqué dans un conflit personnel difficile avec quelques collègues de Fort Detrick, empli d’accusations de racisme, de semonces officielles et de récriminations. Lorsqu’un dirigeant du FBI partagea une copie de la lettre accusatoire avec un expert légal en analyse linguistique, et lui permit de comparer le texte avec des écrits produits par 40 employés du laboratoire de guerre biologique, il découvrit une correspondance parfaite avec l’une de ces personnes. Durant des années, j’ai expliqué à mes amis que quiconque passerait 30 minutes sur Google pouvait sans doute déterminer le nom et le mobile du coupable probable des meurtres à l’anthrax, et la plupart d’entre eux se sont prêté au jeu de bon cœur.

Ces éléments puissants ne reçurent quasiment aucune attention de la part des principaux médias nationaux, et l’on ne dispose d’aucune indication montrant que le FBI ait suivi le fil de ces indices ou ait interrogé les suspects désignés. Au lieu de cela, les enquêteurs essayèrent d’attribuer les attaques à un certain Docteur Steven Hatfill, sur la base d’éléments négligeables, après quoi il fut totalement innocenté et reçut de la part du gouvernement une indemnisation de 5,6 millions de dollars pour les années de harcèlement qu’il eut à subir. Par la suite, une traque menée contre le chercheur Bruce Ivins et contre sa famille le poussèrent au suicide, après quoi le FBI déclara l’affaire close, bien que d’anciens collègues du Dr. Ivins démontrèrent qu’il n’avait eu aucun mobile, aucun moyen, ni aucune opportunité en rapport avec ces attaques. En 2008, j’ai fait paraître un article de 3000 mots dans mon magazine, pour résumer tous ces éléments d’importance, et une fois de plus, personne dans les médias dominants n’y a prêté la moindre attention.

Lorsque j’ai récemment décidé de revisiter le récit des attaques à l’anthrax et d’examiner de nouveau l’ensemble des informations accumulées sur une vingtaine d’années, j’ai pensé qu’il serait judicieux de commencer par le récit produit par Christopher Ketchum dans The American Conservative, que j’avais publié en 2008, et qui résumait assez bien les éléments que j’avais toujours considérées comme centraux :

Dès le mois de novembre 2001, le New York Times rapportait que les « bévues » du FBI « entravaient l’enquête. » De fait, dès le début, le FBI avait été en possession d’un élément central, qu’il avait apparemment ignoré.

Parmi les premiers suspects à entrer dans le champ de vision du FBI, on trouvait un ancien biologiste de l’USAMRIID, né en Égypte, répondant au nom d’Ayaad Assaad. Il était apparu sur le radar à cause d’une lettre anonyme envoyée au bureau, l’identifiant comme membre d’une cellule terroriste potentiellement reliée aux attaques à l’anthrax. Pourtant, selon le Hartford Courant, le FBI n’essaya pas de rechercher l’auteur de la lettre, « malgré sa synchronisation étrange, parvenant quelques jours avant que l’existence de courriers emplis d’anthrax fût connue. »

Assaad fut rapidement innocenté par les enquêteurs du FBI, et la piste fut promptement oubliée — bien que la lettre pût apporter les meilleurs éléments de preuve dans cette affaire. Elle avait été envoyée avant l’arrivée des lettres d’anthrax, suggérant une connaissance préalable des attentats, et son style de langage était semblable à celui que l’on trouvait dans les lettres mortelles. En outre, elle faisait preuve d’une connaissance étroite des opérations de l’USAMRIID, ce qui suggérait qu’elle provenait de quelqu’un parmi les chercheurs de Fort Detrick — un groupe plutôt réduit disposant de l’accès à cet anthrax et de l’expertise nécessaire à le manipuler.

Le FBI a refusé de produire publiquement une copie de la lettre — ou même d’en donner une à Assaad. Mais il a partagé le contenu de cette lettre avec un professeur du Vassar College et expert légal en analyse linguistique du nom de Don Foster, célèbre pour avoir découvert que l’auteur anonyme derrière Primary Colors était Joe Klein, et avait aidé à attraper l’auteur des attentats à la bombe des Jeux Olympiques d’Atlanta, en 1996. À la lecture des articles de presse, il demande une copie de la lettre anonyme, et suivant son analyse de documents écrits par « quelque 40 employés de l’USAMRIID », Foster « découvrit des écrits par une femme qui présentaient une correspondance parfaite, » selon un article qu’il écrivit dans Vanity Fair en octobre 2003. Lorsqu’il apporta cet indice apparemment central à l’attention du groupe de travail du FBI sur l’anthrax, le bureau refusa pourtant de suivre la piste. Selon Foster, l’agent du FBI responsable de l’affaire n’avait jamais même entendu parler de la lettre au sujet d’Assaad. (Pour la postérité, Foster n’est pas une source irréprochable. Il s’est écarté de sa zone d’expertise professionnelle et a publié des éléments circonstanciels sans lien dans son article paru dans Vanity Fair désignant à tort Hatfill, qui a poursuivi le magazine en justice et a obtenu un règlement à l’amiable dont les détails sont restés inconnus du public.)

« L’auteur de la lettre connaissait clairement l’ensemble de mon historique de carrière, ma formation aussi bien aux agents chimiques que biologiques, mon niveau d’accréditation, l’étage auquel je travaillais, le fait que j’ai deux fils, le train que je prenais pour aller au travail, et l’endroit où je vis, » a déclaré Assaad à la journaliste Laura Rozen. Comme il fut presque immédiatement innocenté, essayer de l’accuser ne servit à rien, hormis à satisfaire à une inimitié personnelle. À ce sujet, Assaad suggéra que le FBI posât des questions à une paire de collègues de l’USAMRIID, ayant les plus grandes probabilités de conserver des rancœurs à son encontre, Marian Rippy et Philip Zack, qui avaient été des années plus tôt punis pour avoir envoyé à Assaad un poème raciste. Bien que Courant ait rapporté des preuves vidéo montrant Zack se rendant en dehors des heures de travail dans les laboratoires où les agents pathogènes étaient stockés, on ne dispose d’aucune trace indiquant que le FBI ait enquêté sur lui ou sur Rippy, une collègue avec laquelle il entretenait une relation extra conjugale.

  • The Anthrax Files
    Christopher Ketchum • The American Conservative • 25 août 2008 • 3,000 mots

La longue et détaillée lettre sur Assaad démontrait une connaissance préalable des envois d’anthrax, et avait sans doute été envoyée par quelqu’un qui était au courant de ces attaques, si bien que remonter les origines de cette lettre apparaissait comme un moyen évident de résoudre l’affaire. Pourtant, elle est restée totalement ignorée par le New York Times et par le reste de nos médias d’élite, et n’a été rapportée que dans des publications relativement mineures, comme le Hartford Courant et Salon, dont la couverture avancée a joué un rôle important dans l’affaire.

La couverture des attentats à l’anthrax par les médias

Au cours des quelques premières années ayant suivi les attaques à l’anthrax, j’ai essayé de garder le fil de la couverture par les médias, dont une grande partie m’était régulièrement fournie par des sites internet aggrégateurs de nouvelles comme Antiwar.com. Dans des circonstances normales, localiser aujourd’hui ces écrits, deux décennies après leur publication, aurait été une tâche impossible, étant donné que nombre de ces publications avaient depuis longtemps purgé leurs archives ou avaient complètement disparu d’Internet.

Heureusement, Edward Lake, un auteur aux tendances néoconservatrices, s’était vivement intéressé à l’affaire de l’anthrax, et avait agrégé la plupart de ces publications sur un site internet qu’il avait créé, qui constituèrent une ressource très utile et unique. Bien que ce site ait également disparu de l’Internet il y a de nombreuses années, ses contenus sont resté accessible sur Archive.org, et voici des liens vers plusieurs des sections principales :

Le site internet de Lake a exclu certains articles qui y était publié au départ, peut-être pour des raisons de copyright, issus des plus grands journaux nationaux comme le New York Times, le Washington Post, et le Wall Street Journal. Parmi ceux-ci, cinq ou six articles du Times, publiés en 2002 par Nicholas Kristof, jouèrent un rôle particulièrement important et provoquèrent une attention considérable. Kristof avait accusé à plusieurs reprises le FBI de refuser d’arrêter un suspect évident dans cette affaire, et a fini par désigner le docteur Steven Hatfill, qui s’est avéré avoir été accusé à tort et a poursuivi en justice :

L’important article écrit par Don Foster mentionné ci-dessus était au départ paru dans Vanity Fair, mais a été par la suite publié de nouveau par le Département d’Épidémiologie de l’UCLA, qui a également produit un agenda annoté très utile sur la série d’attentats :

Début 2007, Glenn Greenwald a publié une longue suite d’article dans Salon, totalisant bien plus de 30000 mots, la plupart de ses articles remettant fermement en cause le récit officiel du FBI accusant Bruce Ivins, le chercheur sur l’anthrax de Ft. Detrick, et déclarant ensuite l’affaire comme classée :

En 2009, l’avocat Barry Kissin a publié un long mémo remettant en cause les conclusions du FBI sur de nombreux sujets techniques, qu’il a par la suite mis à jour et étendu en 2011 :

Kissin fait lourdement référence à un ou deux articles parus l’année précédente dans le Wall Street Journal et le New York Times, sous les plumes respectives d’Edward Jay Epstein et de Richard Bernstein. Ces articles indiquent les énormes trous dans le dossier opposé à Ivins, dont ils affirment qu’il n’aurait absolument pas pu créer l’anthrax dans les installations de Ft. Detrick, comme l’affirma le FBI :

Et pour finir, Wikipédia produit également un long récit sur les attentats à l’anthrax, sur la base des éléments parus dans les médias établis, comme le fait le site wikispooks, plus adepte des théories du complot, qui propose également un calendrier des événements des plus pratiques :

La manière dont les médias et le FBI ont ignoré le suspect évident

Il y a peu de temps, j’ai passé quelques jours à relire avec attention ces quelque 200 récits d’informations, et pour la plupart d’entre eux c’était la première fois en vingt ans que j’y revenais. Ayant passé en revue les plus de 250 000 mots que cela représente, je n’ai guère trouvé à redire à mon analyse originelle de 2001 sur les attentats à l’anthrax.

Dans ses nombreux articles, Greenwald avait décrit le dossier du FBI présenté contre Ivins comme extrêmement peu étayé, alors qu’Epstein, Bernstein et Kissin affirmaient avec des arguments forts à la clé qu’Ivins n’aurait absolument pas pu produire l’anthrax utilisé dans les envois postaux.

Dans le même temps, conformément au souvenir que j’en avais conservé, il semblait très probable que l’auteur de la longue lettre sur Assaad était tout à fait au courant des envois d’anthrax, et constituait par conséquent la piste la plus probable à suivre pour trouver le coupable. Le FBI, comme ses critiques les plus appuyés, ont convenu que l’anthrax utilisé provenait de Ft. Detrick, et que le calomniateur d’Assaad appartenait ou avait appartenu par le passé au personnel travaillant à Ft. Detrick. La lettre avait été postée quelques jours à peine après la première vague d’envoi d’enveloppes d’anthrax, mais bien avant que l’affaire fût portée à l’attention du public et ait pu commencer à inspirer des imitateurs, et à l’instar de ces envois d’anthrax, des accusations de bioterrorisme en avait constitué le thème principal. Ces ressemblances flagrantes semblaient bien trop nombreuses pour relever de la simple coïncidence.

Comme début 2002, j’ai trouvé extrêmement étrange qu’au même moment où Hartford Courant et Salon avaient publié de nombreux articles au sujet de la lettre sur Assaad, quasiment aucun des articles d’informations parus dans les revues dominantes n’avait fait la moindre mention de cet indice pourtant central, ce qui reflétait peut-être l’influence de leurs puissantes sources appartenant à l’establishment, y compris celles qui gravitaient aux abords de la haute direction du FBI.

Pourtant, si l’on évalue correctement les implications de la lettre de dénonciation d’Assaad, il faut distinguer nettement ce qui est solide de ce qui relève de la spéculation. Lorsqu’Assaad fut interrogé pour la première fois par le FBI, avant l’éclatement des attentats à l’anthrax, il avait suggéré les noms de Zack et de Rippy comme coupables les plus probables, car ils avaient figuré parmi ses principaux antagonistes à Ft. Detrick, mais cela relevait de pures hypothèses de sa part. Zack avait été l’un des développeurs de la guerre biologique au moyen d’anthrax, et les journalistes ont par la suite découvert qu’il avait reçu des accès indus aux installations de Ft. Detrick de la part de Rippy, avec qui il entretenait une relation extra conjugale. En outre, durant la même période, des éléments montraient que des expériences interdites avec de l’anthrax avaient secrètement été menées au sein de ces laboratoires. D’évidence, ces faits apparaissaient comme très suspectes, et l’absence totale de couverture dans les médias d’informations majeurs ou dans l’enquête visible de la part du FBI constituait une grave omission.

Mais comme Lake l’a noté dans sa réfutation lapidaire, tous ces événements s’étaient produits presque 10 ans avant les envois d’anthrax, et longtemps avant que l’anthrax envoyé par courrier ait été produit dans ces installations. Zack ainsi que Rippy avaient quitté Ft. Detrick des années avant la survenue des attentats, et Lake a suggéré qu’ils ne vivaient sans doute plus sur la côte Est à l’époque, ce qui leur apportait peut-être un alibi des plus solides. En fin de compte, la profonde hostilité manifestée par Zack à l’encontre des Arabes et des Musulmans avait débouché sur l’hypothèse répandue largement qu’il était Juif, et Lake a posément réfuté cette fausse affirmation.

Mais aucun de ces points ne diminue l’importance de la lettre contre Assaad ni n’innocente Zack. Étant un chercheur sur l’anthrax, travaillant à Ft. Detrick, et ayant par le passé été impliqué dans des activités douteuses, Zack aurait sans aucun doute dû constituer pour le FBI un suspect évident, auquel il fallait s’intéresser, ce qui n’impliquait pas qu’il fût le seul suspect. L’identification de l’auteur de la lettre dénonçant Assaad était la manière principale d’avancer, et selon le professeur Foster, après avoir passé en revue des documents écrits par « quelque 40 employés de l’USAMRIID », il avait « trouvé des écrits produits par une employée qui correspondaient parfaitement. » Que cette personne fût Rippy, l’ancienne complice de Zack, ou quelqu’un d’autre n’était que d’une importance très secondaire. Interroger comme il se devait l’auteur de la lettre impliquant Assaad aurait sans doute résolu l’affaire de l’anthrax, mais le FBI a refusé de le faire, et a même refusé de produire une copie de la lettre contre Assaad, ce qui génère diverses questions assez troublantes.

Outre Hartford Courant et Salon, l’une des très rares publications à avoir fait mention de la lettre impliquant Assaad a été le Washington Report on Middle East Affairs, dont le rédacteur en chef a écrit un article à peu près un an après les attentats, résumant les faits et suggérant que le coupable probable était Zack, indiquant à tort qu’il était juif. Outre la présentation des éléments de preuve, son article comprenait également plusieurs paragraphes troublants produits sur la base des questions qui avait été posées au Dr. Barbara Hatch Rosenberg, une figure centrale de l’affaire de l’anthrax :

Lorsque le Washington Report on Middle East Affairs a demandé à Barbara Harch Rosenber, Ph. D., une experte en contrôle des armes biologiques de l’Université d’État de New York, si les allégations au sujet du Dr. David Hatfill retiraient la pression du Lt. Col. Philip Zack, elle a répondu : « Zack n’a JAMAIS été soupçonné d’être l’auteur de l’attentat à l’anthrax. »

Il est difficile de croire qu’avec ses liens avec Fort Detrick, le Dr. Zack ne soit pas l’un des 20 à 50 scientifiques subissant une enquête intensive.

Lorsqu’on lui a demandé si Hatfill faisait partie du groupe qui s’en était pris au Dr. Ayaad Assaad, le Dr. Rosenberg a répondu : « Hatfill ne figurait PAS parmi les persécuteurs d’Assaad. »

Elle est convaincue que le FBI sait qui a envoyé les lettres au sujet de l’anthrax, mais n’arrête pas l’auteur de ces faits parce qu’il en saurait trop au sujet de la recherche et de la production des armes biologiques secrètes étasuniennes. Mais elle ne cite aucun nom. Le Dr. Assaad n’en cite lui non plus aucun, et n’a pas répondu aux sollicitations du Washington Report on Middle East Affairs.

À la lecture de cet échange, plus de vingt ans après les faits, je ne parviens pas à savoir si Rosenberg affirmait que Zack n’avait jamais été considéré comme suspect du fait qu’il disposait d’un alibi en béton, ou simplement parce que le FBI ne voulait pas enquêter sur son compte pour une autre raison, cette seconde possibilité étant évidemment très suspecte si elle est avérée.

Neuf Livres sur les Attentats à l’Anthrax

Après m’être employé à établir de solides fondations en me replongeant dans la lecture de la couverture médiatique originelle sur cette affaire d’anthrax, j’ai décidé d’examiner les livres publiés à ce sujet. Au fil des années, j’avais lu deux courts essais sur les attentats à l’anthrax, et je les ai donc relus, ainsi que huit autres ouvrages que j’ai réussi à trouver, qui constituent à ce jour la quasi-totalité de la littérature disponible sur le sujet. À une exception très notable, je n’ai pas trouvé ces ouvrages particulièrement intéressants, et leur contenu est déjà relativement flou dans mon esprit.

Le premier paru, à la fin 2002, a été Le Démon dans le Congélateur [The Demon in the Freezer, NdT], un ouvrage non fictionnel écrit par Richard Preston, un auteur de thrillers à succès, qui est devenu un best-seller national. L’ouvrage avait d’évidence été en préparation depuis un certain temps, et se concentre surtout sur les agents pathogènes tels que la variole, et discute également d’armes biologiques et des recherches menées au Ft. Detrick sur le sujet. Les événements du mois d’octobre 2001 ont donc été intégrés pour constituer le dernier tiers du récit, et la synchronisation de la publication de l’ouvrage avec l’actualité brûlante a contribué à son succès commercial. Selon les chercheurs de Ft. Detrick, le second groupe de lettres avait contenu de l’anthrax hautement mortel, un composé très au-delà de ce qu’on aurait pu produire dans un simple laboratoire, et Kissin a largement cité des descriptions produites par l’auteur dans son mémo d’analyse. Pour autant, les chercheurs de Battelle, un autre laboratoire de recherche en armes biologiques affilié au gouvernement, avaient obstinément — et de manière plutôt suspecte — remis en cause cette conclusion. Étant donné le focus établi par Preston, il n’est guère surprenant que l’on ne trouve aucune mention nulle part de la lettre mettant en cause Assaad, et malgré le fait que les autres éléments du livre soient intéressants d’un point de vue plus large, ils n’apportent guère d’information utile sur les envois d’anthrax, qui ne constituent qu’une petite partie du texte.

La page de couverture du livre La Souche Tueuse [The Killer Strain, NdT], produit en 2003 par Marilyn W. Thompson, identifie l’auteur comme étant l’Assistante du Rédacteur en Chef sur les Enquêtes du Washington Post, et affirme qu’elle a été primée pour cela, tout en indiquant que son équipe a remporté deux Prix Pulitzer pour services rendus au public, et elle intègre également des extraits favorables écrits par des personnalités journalistiques notables telles que Benjamin Bradlee, Jimmy Berslin, Michael Isikoff et Davis Maraniss. Le texte relate parfaitement bien le récit fondamental des attaques, et on peut lui accorder le crédit de consacrer, sur un total de 250 pages, trois paragraphes à la lettre qui met Assaad en cause, mais il n’apporte aucune indication de l’importance potentielle de cette lettre, et ne prend même pas la peine de faire mention de cette lettre dans son long index. Un fait important que j’ai appris est qu’avant les attentats à l’anthrax, la nouvelle administration Bush avait prévu de pratiquer des coupes franches dans les préparations à la défense biologique.

Il serait difficile pour moi de considérer comme adéquate la maigre couverture faite par ce livre sur la couverture de la lettre dénonçant Assaad, mais elle est bien plus importante que celle que l’on peut trouver dans The Anthrax Letters, un ouvrage publié la même année par le professeur Leonard A. Cole, de la Rutgers University, décrit comme un expert sur le bioterrorisme, qui a totalement exclu la lettre de mise en cause d’Assaad de ses 280 pages. À l’instar du livre de Thompson, son ouvrage produit un récit utile des faits de base, cite des éloges de la part de plusieurs organes de presse importants et du Sénateur Daschle, mais semble peu utile pour quiconque dont l’intérêt principal serait de résoudre l’affaire. La première édition du livre remonte à 2003, mais il a été réédité en 2009, suite à la déclaration du FBI selon laquelle l’affaire était classée avec le suicide d’Ivins, même si l’auteur souligne l’extrême scepticisme de nombreuses personnalités de premier plan, y compris du Congrès, à l’énoncé de ce verdict.

Également paru en 2003, on trouve Amerithrax : La Chasse au Tueur à l’Anthrax [Amerithrax: The Hunt for the Anthrax Killer, NDT], de Robert Graysmith, auteur à succès de livres sur le thème du crime et du terrorisme, dont les travaux passés sont devenus la base de plusieurs films majeurs. Cet historique transpire dans le long ouvrage, qui semble avoir la saveur très fictionnelle d’un scénario de fiction plutôt que d’un travail analytique, et qui comprend également des descriptions détaillées des attentats du 11 septembre et de l’histoire plus large des programmes de guerre biologique étasunien, soviétique et irakien. À son crédit, l’auteur consacre quelques pages à la lettre mettant Assaad en cause, qu’il décrit comme évidemment reliée aux envois d’anthrax, et dont il va jusqu’à affirmer qu’il s’est agi du facteur central ayant convaincu les enquêteurs du gouvernement que les attaques étaient d’origine domestique, mais il ne souligne nulle part que cette lettre aurait pu être utilisée pour résoudre l’affaire. Le livre a fait l’objet en 2008 d’une nouvelle édition comprenant une postface, qui présente le défunt Ivins comme coupable apparent, et va jusqu’à suggérer qu’il aurait écrit la lettre de mise en cause d’Assaad. Cette dernière idée m’apparaît comme très hasardeuse, car si la moindre preuve avait plaidé pour cette possibilité, elle aurait été promue comme pièce maîtresse du dossier construit par le FBI contre Ivins.

Edward Lake, dont le site Internet produit une compilation utile d’une grande partie de la couverture presse de la première heure, a auto-publié Analyzing the Anthrax Attacks en 2005. Lake se fait très critique sur un grand nombre d’arguments avancés par Rosenberg et par Foster, et fait une très brève mention de la lettre mettant en cause Assaad, affirmant qu’elle n’a sans doute aucun lien avec les envois d’anthrax et dont il rejette donc l’importance. Bien que je sois évidemment en désaccord avec cette analyse, l’auteur mérite un grand crédit du fait qu’il traite explicitement ce point, au lieu de se contenter d’ignorer le sujet. Lake produit également l’hypothèse intéressante selon laquelle le tueur à l’anthrax vivait et travaillait sans doute au cœur du New Jersey, et suggère même que les lettres aient pu être écrites par un jeune enfant sous la supervision d’un adulte.

L’année suivante, la Harvard University Press a publié Anthrax: Bioterror as Fact and Fantasy, un ouvrage court écrit par Phillip Sarasin, professeur d’Histoire Moderne à l’Université de Zurich. L’ensemble de son approche du sujet est culturelle et idéologique, et comprend des références à la littérature populaire et même à des jeux vidéo, en faisant le lien entre la discussion sur le terrorisme biologique et les attentats du 11 septembre, et même des thèmes plus vastes, comme celui de la mondialisation. Bien que je n’ai pas trouvé cet ouvrage très utile dans le cadre de mes propres objectifs, d’autres personnes qui s’intéressent au cadre culturel particulier dans lequel notre société a réagi à ces attentats pourraient réagir différemment.

Face à d’importantes pressions et à une mise en examen, Bruce Ivins s’est suicidé en 2008, ce qui a permis au FBI de clôturer l’affaire, même si de nombreux membres expérimentés du Congrès et de nombreux journalistes sont restés extrêmement sceptiques sur l’idée que Ivins pût être responsable et avoir agi seul. Avec le retour temporaire des envois d’anthrax dans les gros titres, de nouveaux contrats littéraires ont rapidement éclos, et American Anthrax, écrit par Jeanne Guillemin, une universitaire affiliée au MIT, est paru en 2011. L’auteur consacre quelques paragraphes à la lettre de mise en cause d’Assaad, et il est même fait mention de Zack comme sujet en référence à l’un des articles de Salon, mais l’auteur affirmer que la piste n’a jamais « rien donné, » sans apporter la moindre source pour ce fait supposé, si bien que cela ne représente sans doute que sa propre interprétation du silence troublant qui a suivi. Elle fait mention du fait qu’avec les fortes pressions exercées par le FBI, un autre suspect distinct d’Hatfill et d’Ivins a apparemment sombré dans l’alcool jusqu’à en mourir, indiquant peut-être que le suicide d’Ivins ne constituait pas nécessairement une preuve de sa culpabilité.

Retour sur les Attentats à l’Anthrax [Recounting the Anthrax Attacks, Ndt], l’ouvrage le plus récent de la collection, paru en 2018 sous la plume de R. Scott Decker, l’un des principaux agents du FBI à avoir mené l’enquête, m’a particulièrement déçu. Sa couverture du récit est extrêmement procédurière et se révèle des plus fades, et n’apporte guère de perspective malgré le prix qu’il a reçu de la part de la Public Safety Writers Association dans la catégorie des ouvrages ne relevant pas de la fiction. Au vu de son histoire personnelle et de son rôle, je n’ai pas été surpris qu’il fasse sienne la théorie de la culpabilité d’Ivins, et qu’il minimise ou exclue tout élément contraire, et il ne fait même jamais mention de la lettre mettant en cause Assaad, peut-être en raison du fait qu’il n’en sait rien lui-même. Si l’énorme enquête du FBI a fini par se révéler infructueuse, ce livre peut contribuer à expliquer cet échec.

Très supérieur à la plupart de tous ces ouvrages, il faut mentionner The Mirage Man, paru en 2011 sous la plume de David Willman, un reporter d’investigation du Los Angeles Times lauréat du prix Pulitzer, qui a produit un lourd ouvrage de 450 pages très centré sur Bruce Ivins, le suspect dont le suicide a permis au FBI de déclarer l’enquête comme terminée. Willman lui-même avait reçu le scoop originel sur Ivins en 2008, et il est donc naturel qu’il n’ait cultivé que peu de doutes au sujet de la culpabilité du chercheur en vaccination décédé, mais il fait de son mieux pour réfuter l’extrême scepticisme de Greenwald et de nombreux autres ; il n’y parvient pas totalement, mais il s’en sort mieux que je ne l’aurais cru de prime abord. Dix années s’étaient presque écoulées depuis lesdits attentats, et Willman présentait l’affaire comme totalement résolue par la culpabilité d’Ivins, si bien que je ne peux pas vraiment en vouloir à l’auteur de ne faire aucune mention de la lettre mettant Assaad en cause. Étant donné son objectif apparent, le livre produit un travail très solide de journalisme d’investigation, et intègre une très longue histoire personnelle et familiale de son sujet central, et elle a reçu un soutien très favorable de la part de Seymour Hersh, une figure incontournable œuvrant dans le même domaine que l’auteur.

J’ai fait des efforts pour évaluer les arguments avancés par Willman face à ceux de Greewald, d’Epstein, de Bernstein et de Kissin, mais le différend reste en grande partie irrésolu sur des points techniques avancés par divers experts qu’il m’est difficile d’évaluer. Une question critique était de savoir si l’anthrax envoyé dans la deuxième vague d’enveloppes avait ou non été « transformé en arme » au moyen d’un enrobage de silicone pour améliorer son efficacité, et certains experts remettent vertement ce point en cause, même si je pensais que le poids des preuves pesait en faveur de cette conclusion. Ivins, quant à lui, ne disposait ni de l’expertise ni du matériel nécessaire à ce processus, si bien qu’un tel verdict l’aurait probablement innocenté.

Lorsque le FBI a déclaré pour la première fois la culpabilité d’Ivins, Greenwald a noté que la séquence temporelle des déplacements du suspect était totalement impossible au vu de la date d’oblitération des lettres envoyées et du relevé de présence de son propre laboratoire. Il s’en est suivi que le Bureau a promptement modifié son récit pour affirmer qu’Ivins avait en fait conduit toute la nuit, effectuant un trajet de huit heures pour aller déposer les enveloppes dans une boîte aux lettres de Princetown, une suggestion tournée au ridicule par Greenwald. Mais Willman défend fermement cette théorie, et note qu’Ivins avait reconnu réaliser de temps à autre de longs trajets nocturnes.

Willman ne m’a guère convaincu, que ce soit sur ce sujet ou sur d’autres, mais son long ouvrage m’a amené à au moins reconnaître la possibilité de la culpabilité d’Ivins, une chose que j’avais jusqu’alors rejetée comme totalement absurde.

Graeme MacQueen et l’Imposture de l’Anthrax de 2001

Ces neuf livres totalisent plus d’un million de mots, et les deux semaines que j’ai consacrées à leur lecture m’ont bien rafraîchi la mémoire sur ces événements importants survenus il y a vingt ans. Mais bien qu’ils mettent ci et là en lumière des éléments intéressants, pris dans leur ensemble, ils n’ajoutent que peu de choses à mon cadre, et ne font évoluer aucune de mes conclusions de l’époque. Si je n’avais pas pris la peine d’en lire un seul, aucune de mes opinions au sujet des attentats à l’anthrax de 2001 ne serait différente à ce jour.

Cependant, le dixième livre a eu un impact totalement différent. Bien que cet ouvrage soit le plus court de tous, l’Imposture de l’Anthrax de 2001, publié en 2014 par feu le professeur Graeme MacQueen a fondamentalement modifié ma compréhension de ces événements, et il établit en 80 000 mots une thèse totalement différente de tout ce que j’avais lu jusqu’alors sur le sujet. MacQueen affirme de manière convaincante que les premières impressions avaient bien été exactes, et que les envois d’anthrax étaient directement reliés aux attentats du 11 septembre, réalisés une ou deux semaines auparavant. Cela avait constitué l’hypothèse originelle, mais elle avait été rapidement rejetée, puis totalement ignorée par presque tous les analystes de l’affaire au cours des années qui ont suivi.

L’histoire personnelle de MacQueen lui a permis d’explorer avec audace des terrains où les autres ne se sont pas aventurés. Les auteurs des neuf ouvrages que j’ai précédemment discutés étaient des journalistes affiliés à des médias dominants, ou des universitaires, dont assez réticents à s’éloigner un peu trop des limites sécurisées du récit standard soutenu par les sources de l’establishment, et aucun de ces livres ne semble avoir remis en cause le narratif officiel du 11 septembre. MacQueen lui-même présente des références respectables, comme un doctorat de Harvard et trente années d’exercice à la faculté de la McMaster University du Canada, et il est le fondateur et le directeur du Centre for Peace Studies de cette université. Mais au cours des années qui ont suivi 2001, il est devenu une personnalité importante dans le 9/11 Truth Movement, puisqu’il a été co-éditeur du Journal of 9/11 Studies. Ainsi, contrairement aux autres auteurs, il était prêt à explorer des possibilités controversées et à souligner des connexions évidentes que les autres avaient soigneusement évitées.

Comme je l’ai souligné au début de l’article, sans les envois postaux de l’anthrax, l’impact politique des Attentats du 11 septembre se serait rapidement étiolé, et n’aurait possiblement pas suffi à réorienter les États-Unis vers les nombreuses années de guerre qui ont suivi, parmi lesquelles l’invasion de l’Irak, une invasion justifiée par les supposés stocks d’anthrax et autres armes de destruction massive détenus par Saddam. Donc, si nous acceptons que le 11 septembre a été orchestré par une conspiration visant à atteindre ce but, il devient naturel de se poser la question de savoir si les envois d’anthrax qui ont accompagné ces attentats ont constitué une coïncidence totalement inattendue et fortuite qui a bénéficié aux conspirateurs, ou si au contraire ces envois ont constitué un élément intrinsèque du plan originel. Sans ces morts à l’anthrax, la présentation prodiguée par Colin Powell à l’ONU et la fiole de poudre blanche qu’il a brandie sur scène n’auraient pas été possibles, pas plus que les discours publics prononcés par le président Bush au sujet des dangers mortels pesant sur les États-Unis à cause des armes de destruction massive irakiennes.

MacQueen note qu’en dépit du fait que les attentats du 11 septembre aient impliqué des types de terrorisme totalement différents — des détournements d’avion à grande échelle — nos élites politiques et médiatiques de la côte Est s’étaient presque immédiatement mis à se concentrer sur les risques mortels d’une guerre biologique lancée par des radicaux islamistes, mettant fortement l’anthrax en avant, et ils ont agi de la sorte avant que le premier envoi d’anthrax ait même été oblitéré par les services postaux. Richard Cohen, un éditorialiste du Washington Post, a révélé ultérieurement qu’il avait été prévenu par un dirigeant haut placé de l’administration Bush de se faire prescrire du Cipro, le traitement antibiotique contre l’anthrax, et selon Maureen Dowd, éditorialiste du New York Times, des résidents bien informés de la ville de New York avaient également commencé à se munir de Cipro dans les jours qui suivirent immédiatement le 11 septembre. Non seulement observe-t-on ainsi une connaissance préalable très apparente des événements à venir avant le premier rapport de cas d’anthrax, mais les craintes d’une attaque imminente à l’anthrax par des terroristes soutenus par un État avaient existé longtemps avant le 11 septembre. Peut-être que tout ceci relève de la pure coïncidence, mais nous devrions naturellement nous montrer soupçonneux lorsque des préoccupations aussi funestes, propagées sans bruit au sein des cercles de l’élite, sont suivies par des envois avérés d’anthrax à des membres très en vue du même establishment médiatique.

MacQueen et les autres membres du 9/11 Truth movement affirment de longue date que les activités très publiques de Mohammed Atta et des autres pirates de l’air avaient pour but d’établir une fausse piste narrative derrière leur supposé complot, et il note que d’importants éléments de cette piste semblent tourner autour de la guerre biologique, y compris les conversations audacieuses du dirigeant du groupe terroriste visant à acquérir un avion d’épandage, pouvant disperser des nuages d’anthrax mortel au-dessus d’une ville étasunienne de premier plan. De fait, avant que le premier cas d’anthrax fût même rapporté, des enquêtes frénétiques ont été menées par le gouvernement sur tous les avions d’épandage, dans tout le pays.

Depuis une phase très précoce de cette affaire, j’avais toujours considéré la lettre de mise en cause d’Assaad comme la clé permettant de dénouer le complot à l’anthrax, mais MacQueen a centré mon attention sur plusieurs autres lettres de fausses menaces, envoyées quasiment en même temps que la première vague d’expéditions d’anthrax, des lettres qui étaient également adressées à des personnalités médiatiques de premier plan mais emplies de poudre inoffensive en lieu et place de l’anthrax, et accompagnées de notes aux formulations étranges, semblables à celles des envois mortels. Ces enveloppes avaient été tamponnées par les services postaux de St. Petersburg, en Floride, et MacQueen affirme qu’elles avaient probablement pour objectif d’établir un lien apparent avec les attentats du 11 septembre, car la plupart des pirates de l’air avaient résidé dans cet État.

Il existe une autre connexion qui a le plus souvent été écartée et qualifiée de coïncidence troublante, mais qui peut fort bien relever d’autre chose. Le premier décès à l’anthrax a été celui de Robert Stevens, un éditeur de photos qui travaillait en Floride pour American Media, et c’était Mike Irish qui était éditeur en chef de sa publication. L’épouse d’Irish était agent immobilier, et c’est elle qui avait permis à plusieurs des pirates de l’air du 11 septembre de trouver un bail locatif, et elle avait noué des liens d’amitié avec eux, cependant que la plupart des autres pirates de l’air vivaient dans le même voisinage. Comme le note MacQueen, dans un pays comptant 285 millions d’âmes, nous sommes forcés de croire que c’est le simple hasard qui a fait que les pirates de l’air du 11 septembre présentaient une connexion personnelle directe avec la première victime de l’anthrax. Mais selon sa propre reconstruction, très différente, l’envoi d’anthrax à la publication d’Irish avait pour but de suggérer le mensonge que les terroristes responsables du 11 septembre étaient directement impliqués dans les attentats de guerre biologique.

Peu de temps après les attentats du 11 septembre, les commentateurs et organes de presse néoconservateurs se sont mis à promouvoir des liens douteux entre les Islamistes d’al-Qaeda supposément responsables, et le régime irakien de Saddam Hussein, laïque et anti-islamiste. Les envois d’anthrax sont devenus un élément central de cette affaire, au vu du fait que la pureté des spores mortels n’aurait pu être obtenue qu’au sein d’infrastructures sophistiquées de guerre biologiques, relevant de moyens étatiques. Comme Greenwald l’a noté par la suite avec indignation, quatre sources gouvernementales séparées ont également rapidement informé à tort ABC News que l’anthrax avait été traité à la bentonite pour en faire une arme, un élément considéré comme preuve que le produit était d’origine irakienne. L’anthrax transformé en arme représentait donc l’élément central faisant le lien entre les attentats du 11 septembre et Saddam.

Malheureusement pour ces comploteurs, le FBI a rapidement déterminé que l’anthrax relevait de la souche Ames, et pas du type utilisé par l’Irak, ce qui indiquait que la source ultime du produit relevait de nos propres infrastructures de guerre biologique. MacQueen affirme que les conspirateurs ont pu supposer qu’Ames était bien trop distribuée à l’international pour prouver ce lien. Après l’effondrement du récit qu’ils escomptaient propager sur un lien entre l’Irak et un complot ourdi depuis l’étranger, ils ont rapidement changé de braquet et se sont mis à propager la théorie du terroriste loup solitaire depuis l’intérieur, déviant ainsi l’attention de toute considération d’une conspiration intérieure organisée ayant possiblement pu les impliquer.

Sur la base des faits présentés par MacQueen, il y a un autre point inexpliqué qu’il me semble important d’ajouter, et j’ignore si l’auteur serait d’accord avec moi sur ce point. Il ouvre le chapitre 6 en déclarant son hypothèse selon laquelle des membres de notre propre branche exécutive auraient mené les attentats à l’anthrax, conformément à leurs plans, et je soutien cette théorie. Mais je pense que ce complot n’impliquait que certains des membres de notre gouvernement, et pas l’ensemble de la tête de celui-ci. Des procès ultérieurs ont révélé que George Bush, Dick Cheney, et d’autres hauts dirigeants de la Maison-Blanche avaient commencé à prendre du Cipro juste après le 11 septembre, ce qui indique qu’ils estimaient être confrontés à une menace personnelle d’attaque à l’anthrax à grande échelle, et pas aux petites dosettes envoyées par la poste sous faux drapeau que l’on a vues. Je pense que cela suggère qu’aucun d’entre eux n’était impliqué dans la conspiration, et qu’ils ont plutôt été manipulés par quelques uns de leurs aides et conseillers, et je pense qu’il en est allé de même pour les attentats du 11 septembre. Ce cadre contribue également à expliquer les affirmations contradictoires et les arguments opposés les uns aux autres qui se sont échangés au sein de la branche exécutive.

MacQueen a passé de nombreuses années à diriger des recherches sur le 11 septembre, et sa compréhension avancée de ces sujets lui a permis d’exposer sa thèse importante en à peine une centaine de pages de texte, certes sans preuve solide, mais d’une manière raisonnablement convaincante. Son analyse réussit à relier de nombreux points irrésolus, qui sans elle resteraient mystérieux, et il a également consacré une portion de son petit ouvrage à dépeindre certains des éléments écrasants établissant que le récit conventionnel du 11 septembre était totalement faux. Et en toute justice, je dois faire mention du fait que MacQueen a parfois pioché des éléments dans plusieurs des neuf autres livres sur l’anthrax, que j’ai personnellement trouvés nettement moins utiles que le sien.

Il fallait quelqu’un disposant de la trempe et de l’historique personnel de MacQueen pour proposer cette solution élégante. Il existe un récit officiel des attentats du 11 septembre, et il existe également un récit officiel des envois d’anthrax, et seule une personne rejetant totalement ces deux récits officiels pouvait affirmer que les deux événements étaient directement reliés entre eux. Un ancien assistant au Secrétaire Général de l’ONU a exhorté tous les Étasuniens à lire le livre de MacQueen, et j’ai tendance à soutenir cette recommandation, au vu de l’importance de ces événements dans le développement de l’histoire des décennies qui ont suivi.

Judith Miller et Germs

Ma propre décision de revisiter enfin les attentats à l’anthrax, après tant d’années, a été suscitée par un livre particulier, que j’avais remarqué il y a quelques mois à la bibliothèque de Palo Alto.

Au lendemain des attentats du 11 septembre, Judith Miller, une journaliste de longue date au New York Times, avait publié de nombreux articles de première page sur les armes de destruction massives inexistantes de Saddam, sur la base d’informations que lui avaient fourni ses sources néoconservatrices. Sa malhonnêteté a joué un rôle très influent dans l’établissement de la scène politique qui a permis notre invasion désastreuse, et elle a été contrainte de démissionner du Times en 2005.

Dans un exemple de synchronicité remarquablement fortuit, elle avait précédemment été l’auteur principal de Germs, publié avec ses collègues du Times, Stephen Engelberg et William Broad, un livre qui a été publié le jour même où la première victime d’anthrax a été admise à l’hôpital. Portant le sous-titre « Armes biologiques et Guerre Secrète de l’Amérique », ce livre représentait prétendument un historique complet de la guerre biologique et des dangers auxquels les États-Unis étaient confrontés, avec un focus majeur sur le programme irakien et ses capacités dans le domaine de l’anthrax. Au vu de cette parfaite synchronicité, Germs a rapidement atteint le haut des ventes au lendemain des attentats du 11 septembre et des envois d’anthrax, et il a été encore plus poussé en avant lorsque Miller a reçu l’une des fausses lettres d’anthrax, contenant de la poudre blanche inoffensive. J’avais toujours eu à l’esprit le rôle majeur que son livre avait joué pour façonner les événements de cette période, si bien que je l’ai acheté pour la somme de 0.50 $ et que j’ai fini par le lire, ce qui m’a amené à examiner de nouveau le récit sur l’anthrax. Bien que le livre ne discute évidemment pas les lettres à l’anthrax elles-mêmes, il m’est apparu qu’il révélait beaucoup de choses sur les biais idéologiques caractérisant Miller et ses co-auteurs.

J’ai remarqué au fil des années que les journalistes respectables qui écrivent des livres sont réticents à détruire leur crédibilité en mentant frontalement à leurs lecteurs ; ils préfèrent les tromper en pratiquant des omissions sélectives, et évitent soigneusement les éléments qui les contraindraient soit à promouvoir à dessein des mensonges, soit à présenter les faits contredisant leur récit. Et on retrouve tout à fait ce phénomène dans l’ouvrage très influent de Miller.

Le récit qu’elle produit des programmes de guerre biologique des États-Unis et des infrastructures de Ft. Detrick commencent convenablement avec leur instauration durant la seconde guerre mondiale, et discutent des plans étasuniens d’une utilisation possible d’anthrax contre l’Allemagne et contre le Japon, ainsi que des efforts menés par le Japon en matière de guerre biologique durant son invasion et son occupation de la Chine. Mais bien que mention soit faite de la guerre de Corée qui a suivi, le livre laisse presque complètement sous silence cette période, chose qui m’est apparue extrêmement étrange.

Les auteurs ne pouvaient pas ignorer les accusations très crédibles de « guerre des germes » illégale menées par les forces étasuniennes durant ce conflit, accusations émises par la Russie, la Chine et leur bloc d’alliés communistes à l’international. Ces accusations ont été les affirmations les plus graves de guerre biologiques prononcées dans le monde entier au cours des quatre-vingt dernières années, et elles ont amené à la création d’une commission internationale composée de scientifiques distingués, parmi lesquels Joseph Needham, l’un des universitaires britanniques les plus éminents ; cette commission a fini par publier un long rapport déclarant que ces accusations étaient sans doute fondées. Certes, le gouvernement étasunien et les organes médiatiques qui lui sont alliés ont toujours réfuté ces accusations et, surtout après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, la plupart des universitaires étasuniens en sont venus à les considérer comme fausses. Mais j’ai indiqué dans un article paru il y a deux ans que des éléments de preuve plus récents semblent montrer que les accusations des communistes étaient bel et bien exactes :

Si Miller et ses co-auteurs avaient fait mention de ces accusations uniquement dans le but de les réfuter en les qualifiant de propagande de guerre, je ne les aurais pas considérés comme fautifs, car telle était la pensée dominante en 2001, lorsque ce livre a été publié. Mais ignorer totalement la plus grande controverse de guerre biologique internationale des trois dernières générations dans un livre dont le thème principal est précisément ce sujet est une chose inexcusable. Ce silence absolu m’apparaît comme très suspect, et je me demande si les recherches étendues menées par les auteurs les auraient amenés à conclure que les accusations avaient sans doute été vraies, et qu’il fallait mieux éviter l’ensemble du sujet.

De même, le Moyen-Orient constituait l’un des points centraux de la couverture générale développée par le livre, et celui-ci fait mention de manière répétée du développement possible d’armes biologiques présentant un ciblage ethnique, un projet technologique des plus alarmants. Mais il y a quelques années à peine, le London Sunday Times, Wired News, et d’autres publications internationales avaient révélé des recherches avancées menées par Israël, précisément sur ce domaine, les Israéliens œuvrant à développer des armes biologiques ethniques propres à cibler les populations arabes de manière sélective. Pourtant, les auteurs ont étrangement omis le seul exemple du monde réel qui était parvenu jusqu’aux gros titres dans le monde entier. De toute évidence, un livre ayant pour ambition de concentrer les craintes du public étasunien sur la terrible menace des programmes de guerre biologique développés par l’Irak — qui n’existaient en réalité plus à ce stade — aurait perdu une grande partie de son efficacité s’il avait fait la moindre mention des capacités nettement plus développées d’Israël dans ce même domaine. De fait, aucune mention d’Israël n’est faite nulle part dans le livre, une omission des plus étranges au vu des efforts très poussés supposément menés par ce pays face à ses adversaires régionaux comme l’Irak ou l’Iran.

Je n’ai absolument aucune raison de penser que le livre de Miller ait pu être commandé et financé par le ministère de la défense israélien, mais je ne pense pas que son contenu aurait été très différent si tel avait été le cas.

Timothy Weiner et Enemies: A History of the FBI

J’ai lu un autre livre il y a un mois ou deux, qui faisait également apparaître des omissions très marquées, y compris dans le domaine direct des attaques à l’anthrax.

En 2007, Timothy Weiner, ancien journaliste du New York Times lauréat du Pulitzer, a publié Legacy of Ashes, un historique largement vanté de la CIA, et en 2012, il a continué sur sa lancée avec Enemies: A History of the FBI, qui s’étend sur plus de 500 pages et qui a été décrit comme le premier historique irréfutable des opérations de renseignements menées par cette organisation. Mais malgré les très nombreux éléments d’intérêt qu’il apporte, je n’ai guère été impressionné par cet ouvrage, qui m’a frappé comme relevant d’un récit autorisé, et qui montre des signes de taille soignée dans son narratif.

Certaines des erreurs qu’il expose m’ont sauté aux yeux. Il qualifie Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor de Franklin Delano Roosevelt, d’« économiste sophistiqué », alors que ce personnage n’était guère qu’un riche dilettante et un gentleman-farmer, qui n’avait jamais été diplômé, ni à l’université, ni même titulaire du baccalauréat, et qui a obtenu son poste pour la raison principale d’avoir été ami et voisin de Franklin Delano Roosevelt. De fait, l’ignorance totale de Morgenthau avait dans les faits remis la direction de son puissant département entre les mains de son subordonné, Harry Dexter White, un espion communiste notoire.

À la page suivante, l’auteur décrit le célèbre aviateur Charles Lindbergh comme « potentiel candidat républicain pour la présidence en 1940 », une affirmation que je n’avais jamais vu nulle part, y compris dans la biographie exhaustive produite par A. Scott Berg. Je soupçonne Weiner d’avoir hérité cette idée du roman alarmiste publié en 2004 par Philip Roth, The Plot Against America, qui avait également dépeint notre plus grand héros national comme un nazi dissimulé.

D’évidence, des erreurs de ce type ne sont pas centrales dans le récit produit par Weiner, mais elles m’ont laissé sceptique vis-à-vis de certaines des affirmations nettement plus importantes qu’il avance. Par exemple, il est très largement accepté de nos jours que J. Edgar Hoover, le directeur et fondateur du FBI, a été toute sa vie un homosexuel étroitement dissimulé, dont le partenaire sur le long terme a été Clyde Tolson, qui a également été le numéro deux du FBI durant le règne de Hoover étalé sur un demi-siècle. Ces facteurs ont évidemment pesé lourd dans les opérations du Bureau, avec par exemple Meyer Lansky, le dirigeant mafieux, qui aurait disposé de preuves solides de ces secrets, et en aurait fait usage par voie de chantage ; et ceci pourrait expliquer pourquoi Hoover a passé des décennies à réfuter l’existence d’un crime organisé aux États-Unis et à refuser que le FBI le combatte. Weiner essaye tranquillement de remettre en cause cette histoire pourtant établie, sur quelques paragraphes, et suggère qu’elle était en grande partie fondée sur de fausses rumeurs répandues par des rivaux de Hoover au sein de l’administration, puis souligne la déclaration de l’un des lieutenants les plus loyaux à Hoover, selon qui ces accusations n’auraient pas pu être fondées. Hoover a dirigé le FBI de manière autocrate durant cinq décennies, et il constituait le personnage central de Weiner, ce qui fait que l’auteur n’accorde vraiment pas un traitement adapté à un facteur caché potentiellement explosif qui a pu influencer le FBI durant l’ensemble de cette période.

Dans sa postface, Weiner explique s’être lourdement appuyé sur les récits oraux protégés par copyright de la Society of Former Special Agents, qu’il cite avec sa permission, et il est possible que l’utilisation de cette importante ressource ait imposé des contraintes à son traitement de certains sujets délicats concernant le FBI.

Hoover est décédé en 1972, mais mes doutes vis-à-vis de la naïveté de l’auteur se sont évidemment étendus sur le dernier tiers de l’ouvrage, qui couvre les trois décennies qui ont suivi, et j’ai remarqué certaines omissions absolument flagrantes concernant cette période.

En 1993, le vol TWA 800 a subitement explosé en vol peu après son décollage de l’aéroport JFK, à New York, ce qui a provoqué de soupçons très répandus d’un attentat terroriste et a débouché sur la plus importante et la plus étendue enquête de toute l’histoire du FBI, qui aura impliqué 500 agents de terrain. Mais comme je l’ai expliqué dans un article paru en 2016, le résultat final a été une notoire dissimulation de la part du FBI. Weiner omet totalement toute mention à cette affaire pourtant lourde dans son long historique du FBI.

Quelques années plus tard, le FBI a commencé une enquête de six années sur les attaques à l’anthrax, déployant des ressources qui ont totalement éclipsé le projet précédent. Un article du Wall Street Journal de 2010 a qualifié ces nouveaux travaux lancés par le FBI comme « l’enquête la plus vaste de son histoire, impliquant 9000 interviews, 6000 assignations à comparaître, et l’examen de dizaines de milliers de photocopieurs, machines à écrire, ordinateurs et boîtes aux lettres, » qui s’est terminée en 2008 lorsque le Bureau a déclaré que Bruce Ivins avait constitué le seul auteur et que l’affaire a été classée. Pourtant, pas un seul mot sur ces événements n’apparaît dans l’historique supposément complet publié plusieurs années après par Weiner, en aucune mention n’est faite d’anthrax dans son index.

Donc, la plus vaste enquête du FBI jamais menée s’est produite exactement à la même période que celle où Winer produisait son ouvrage complet sur l’histoire de cette organisation, mais il a fait le choix de ne pas du tout traiter ce sujet. L’explication probable est qu’il savait parfaitement bien que l’enquête du FBI avait débouché sur un échec total, Ivins constituant un bouc émissaire innocent, mais qu’il dépendait trop de la bonne volonté de ses sources au sein du FBI pour faire mention de ce fait. Je pense que cet exemple du « Chien qui n’a pas aboyé » soutient fortement la thèse de l’innocence d’Ivins.

Et au lendemain immédiat des attentats du 11 septembre, le FBI s’était regroupé et avait arrêté quelque 200 agents du Mossad, dont un grand nombre se trouvait dans la région de New York, et parmi lesquels cinq agents avaient été pris en flagrant délit pendant qu’ils célébraient la destruction des tours du World Trade Center et prenaient des photos souvenir des bâtiments en feu. Ainsi, le FBI avait réussi à briser le plus vaste réseau d’espionnage étranger jamais découvert sur le sol des États-Unis, mais pas un seul mot n’en apparaît dans l’histoire du FBI produite par Weiner, pas plus que le Mossad n’est même listé dans son index. Ici encore, la raison de cet étrange silence n’est pas difficile à deviner.

Lancement d’une industrie de guerre biologique à cent milliards de dollars

Le récit de nos attentats oubliés à l’anthrax de 2001 est vraiment des plus remarquables, et présente davantage d’ironies et des rebondissements que l’on ne pourrait attendre de toute œuvre de fiction.

La première de ces ironies est qu’un événement ayant eu l’impact le plus important possible sur l’histoire de notre société et du monde a presque totalement disparu de notre mémoire nationale.

Au cours des décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, notre gouvernement avait créé la plus grande et la plus puissante des infrastructures de biodéfense au monde, afin de protéger nos citoyens de ce type d’attaques mortelles. Pourtant, les seuls cas documentés de morts d’Étasuniens par arme biologique se sont produits en 2001 et ont découlé des spores mortelles d’anthrax produits dans nos propres laboratoires nationaux, qu’ils aient été propagés par le docteur Bruce Ivins ou plus probablement par quelqu’un d’autre.

Nous avons rapidement découvert que le bioterrorisme responsable de ces morts étasuniennes et de la vague de panique nationale qui avait suivi avaient en réalité été le produit domestique de notre propre industrie de biodéfense, mais notre réponse politique a été d’augmenter les financements de ces mêmes laboratoires de guerre biologique gouvernementaux d’un facteur dix — voire vingt, si bien que les dépenses des États-Unis en matière d’armes biologiques ont fini par franchir la barre des cent milliards de dollars.

Tous ces faits sont absolument irréfutables, mais je pense qu’un rebondissement supplémentaire existe également.

Il relève de l’évidence que l’existence de massives capacités d’armes biologiques aux États-Unis pourrait produire des tentations dangereuses dans l’esprit de certains de nos dirigeants politiques les plus téméraires, et ces tentations ont potentiellement produit des conséquences désastreuses en 2019.

Au cours des quelques années récentes, j’ai publié une longue suite d’articles, affirmant que des preuves fortes, voire écrasantes, existent que l’épidémie mondiale de Covid a sans doute été un retour de flamme inattendu d’une attaque de guerre biologique bâclée lancée par les États-Unis contre la Chine (et l’Iran).

Ce sont plus d’un million d’Étasuniens qui en sont morts, ainsi qu’environ 26 millions d’autres personnes dans le monde entier, et la vie de milliards de personnes a été très fortement perturbée, y compris l’ensemble de notre propre population. Aussi, tous ces décès et dégâts de masse ont potentiellement constitué la conséquence ultime de quelques lettres estampillées d’un timbre à 23 centimes, expédiées en 2001.

L’an dernier, j’avais indiqué l’analogie avec le désastre nucléaire de Tchernobyl, qui avait joué un rôle majeur dans l’effondrement de l’Union soviétique.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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